Volume 2 – numéro 2 – 2022 : Paix, temps et territoires à l’ère des dynamiques contemporaines
La responsabilité des organismes de maintien de la paix en droit international
Firmin NGOUNMEDJE
Introduction
Au cours des soixante dernières années, le maintien de la paix est devenu une activité complexe qui s’étend sur tous les continents (Nations unies, 2018, p. 6). Les opérations de maintien de la paix ont pris une place de premier plan parmi les nouvelles missions des organismes qui en ont la charge après la fin de la guerre froide (Bambara, 2016, p. 2). Les interventions des organismes de maintien de la paix sont encadrées par certains principes de droit international (Annan, 1999, p. 105). L’inobservation de ces principes entraîne de facto la responsabilité des organismes engagés sur le terrain. De nos jours, la crédibilité et la légitimité dont jouissent les opérations de maintien de la paix (OMP) ont été entachées par les infractions de ses agent·e·s, qui au regard de la pratique sont devenues des bourreaux des populations qu’ils sont censés protéger. Cependant, faut-il le rappeler, c’est dans le contexte de « surchauffe du système de sécurité collective » (Dupuy, 1993, p. 617) que seront institutionnalisés les opérations de maintien de la paix (Bambara, 2016, p. 2), comme des activités fondamentales de sécurité internationale (Michel et Del mar, 2013, p. 185) et parties intégrantes des mécanismes institutionnels de sécurité collective (Bambara, 2016). De l’institutionnalisation des personnes incarnant lesdites opérations découlera l’instauration de leur responsabilité.
Dérivé de l’adjectif « responsable », le substantif « responsabilité » est issu du germanique responsabiliteit qui signifie « obligation de répondre de ses actes » (TLFi, 2021, en ligne). La responsabilité traduit ainsi l’obligation de « faire face à un devoir, à une charge », c’est-à-dire « être obligé de remplir une obligation » (Villey, 1977, p. 46). La responsabilité peut s’entendre, comme la violation d’une obligation juridique dont la conséquence est le devoir de réparer (Dupuy et Kerbrat, 2010 p. 507). En droit international, la responsabilité n’est pas étendue, mais ciblée. C’est ainsi que Ruzie définit la responsabilité comme « l’institution selon laquelle un sujet de droit international auquel est imputable un acte ou une omission contraire à ses obligations juridiques est tenue d’en fournir réparation au sujet de droit qui en a été victime » (1989, p. 72). D’entrée de jeu, la responsabilité internationale trouve son origine dans un fait internationalement illicite. Celui-ci est le fondement de la responsabilité, celui auquel se rattachent tous les autres : imputation du fait illicite, préjudice, réparation et sanction dans une certaine mesure (Ruramira Bizimana, 2005, p. 3). À la suite de ces indications définitionnelles, il en découle que la responsabilité ne peut être évoquée et engagée que si le manquement à un engagement international est établi. C’est à cet égard qu’il est d’une importance fondamentale que la notion de responsabilité soit intégrée dans tout ordre juridique (Dallier, Forteau et Pellet, 2009, p. 847) pour réguler et atténuer des comportements illicites. Autrement dit, durant les OMP, lorsqu’une infraction est établie, les auteurs ou autrices doivent se soumettre à l’exigence de réparation. Dans ce contexte justement, il est une règle générale selon laquelle les sujets de droit international doivent assumer la responsabilité des comportements infractionnels de leurs agent·e·s ou de leurs organes.
Il sied de rappeler qu’en droit international, il n’est pas consacré de manière explicite une responsabilité des organismes de maintien de la paix. Il existe une certaine opacité dans les possibilités de mise en jeu des responsabilités des forces de paix. La responsabilité consacrée en droit international est celle des sujets de droit international parmi lesquels les Organisations internationales (Besson, 2016, p. 1). Comme l’a écrit Dupuy, « la violation du droit international ne sera établie que si elle peut être considérée comme ayant été commise par un sujet relevant de cet ordre et agissant en tant que tel » (Dupuy, cité par Finck, 2011, p. 20). Le terme « organisme » fait allusion à une institution formée d’un ensemble de services coordonnés et remplissant des fonctions déterminées. Il s’agit « d’un ensemble de postes et de services articulés entre eux de façon à concourir à remplir une fonction » (Cornu, 2014, p. 721).
Les opérations de paix désignent, selon Joachim Koops, Norrie Macqueen, Thierry Tardy et Paul Williams,
l’usage expéditionnaire de personnel portant un uniforme (troupes, observateurs et militaires, police), muni ou non d’un mandat des Nations unies, mais disposant d’un mandat explicite pour : assister dans la prévention de conflits armés en soutenant un processus de paix; servir d’instrument pour observer ou assister dans la mise en œuvre d’un cessez-le-feu ou d’accords de paix; ou pour imposer un cessez-le-feu, des accords de paix, ou la volonté du Conseil de sécurité afin de construire une paix stable (Koops Joachim, Macqueen, Tardy, Williams, 2015, p. 13).
Virally pense que les contraintes institutionnelles leur donnent un tout autre sens. Selon lui, « ce sont des opérations conservatoires et non coercitives menées par l’ONU sous une base consensuelle » (Lagrange, 1999, p. 3). Par ailleurs, la doctrine n’hésite pas à leur donner une définition négative en fonction des circonstances. Selon elle, « les OMP sont toutes les opérations militaires et paramilitaires qui sont organisées sous la pression de la nécessité » (Flory, 2000, p. 40). Les OMP, et surtout celles de l’Organisation des Nations unies en particulier, sont régulièrement médiatisées, mais elles ne faisant toujours pas l’objet d’une publicité positive. Le nombre croissant d’OMP déployés par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies a également vu augmenter le nombre d’infractions et surtout des infractions sexuelles dans les pays hôtes (Mompontet, 2017, p. 41) : « Selon un rapport du nouveau Secrétaire général de l’Assemblée des Nations unies, António Guterres, paru le 28 février 2017, rien que pour l’année 2016, 65 allégations d’exploitation et violences sexuelles ont été proférées à l’encontre du personnel civil, contre 80 allégations pour le personnel en uniforme. Au total, 311 victimes étaient concernées » (Monpontet, 2017, p. 41).
La justification du choix d’un tel sujet découle du fait que, si la question de la responsabilité pénale individuelle des agent·e·s chargé·e·s du maintien de la paix et le cadre juridique de leur action a fait couler de l’encre, peu a été dit sur la part de responsabilité des Organisations internationales (OI) ayant mandaté ces OMP, et surtout des organismes en question dans la commission des infractions en violation du droit international. Par ailleurs, dans sa thèse consacrée au cadre juridique de l’action des Casques bleus, Svetlana Zasova note que le « droit du maintien de la paix onusien est d’autant plus complexe qu’il s’est constitué en dehors du cadre constitutionnel de la Charte des Nations Unies » (Zasova, 2014, p. 26). En effet, la réalité du maintien de la paix a souvent été décrite comme « fragmentée, composite et évolutive » (Manacorda, 2003, p. 18). Pourtant, des efforts allant dans le sens d’un plus grand encadrement juridique, et surtout, d’un régime plus clairement défini ont été menés (Drif, 2018, p. 13). Ce sujet est digne d’un intérêt à la fois d’un point de vue théorique et pratique. Sur le plan théorique, il est une contribution à l’étude de l’encadrement juridique des OMP vu leur multiplicité, leur complexité, ainsi que les différents problèmes qu’elles suscitent surtout dès lors que les forces de maintien de la paix commencent à commettre des exactions durant le déroulement des opérations, qui causent des dommages aux personnes qu’ils sont censés protéger. Sur le plan pratique, cette étude nous permettra de voir si la responsabilité des OMP est effective en droit international, au regard de leur statut juridique spécial qualifié sui generis (Bambara, 2016, p. 6). Ce statut est d’ailleurs double, ce qui la complexifie davantage. Ainsi, la présente étude est une modeste contribution à la construction progressive de l’édifice du droit international, dans la mise en œuvre opérationnelle d’une responsabilité des OMP, à travers le regard scientifique porté sur les agents qui causent des dommages à des populations civiles dans le cadre d’une opération de maintien de la paix, au cours de laquelle il ne devrait être observé aucun manquement.
En outre, les OMP se caractérisent d’une part, par une actualité d’impunité en matière de crimes et d’abus sexuels commis par le personnel en charge du maintien de la paix, et d’autre part par une absence de recours en faveur de la victime devant les juridictions nationales et internationales. Cette situation est renforcée par le système de privilèges et immunités créé par les Nations unies concernant le statut des forces de maintien de la paix. Ce statut constitue l’embûche principale à l’affirmation d’une responsabilité des OMP. En ce qui concerne la responsabilité des OMP, Bambara relève la difficulté relative aux mécanismes et aux dispositifs permettent de les engager : « La difficulté est grande, car, même si les différents textes s’accordent en apparence sur quelques considérations relatives à l’attribution et l’articulation des responsabilités, à l’épreuve de la réalité, des principes et théories divergent » (Bambara, 2016 p. 3). Cette responsabilité tantôt incombe aux Nations unies (Tribunal de grande instance de La Haye, 2008), tantôt à l’État contributeur (Cour d’appel de La Haye, 2012), ou aux deux; elle peut relever aussi de la seule responsabilité de l’agent·e ; ce qui interroge sur la nature de la responsabilité et sur celle de l’action à engager (Bambara, 2016, p. 4). Face à cette situation, il s’avère pertinent de questionner le régime juridique de la responsabilité des OMP. En d’autres termes, peut-on parler de l’effectivité de la responsabilité des OMP au regard de l’évolution normative et compte tenu de la pratique internationale?
À l’analyse du système normatif international et de la pratique, l’on peut constater que la responsabilité des OMP est dans une logique ambivalente en droit international. Toutefois, en dépit de l’apport normatif et théorique de systématisation de cette responsabilité, elle demeure en situation, c’est-à-dire qu’elle fait l’objet de questionnements et de controverses. C’est ainsi que les OMP sont assujetties à une responsabilité en construction qui, au regard de son régime d’application complexe, n’est qu’une responsabilité en situation.
La responsabilité des organismes de maintien de la paix en droit international, une responsabilité en construction
La responsabilité des OMP est construite autour d’un arsenal normatif et institutionnel soutenu par la doctrine et la pratique internationale. La jurisprudence internationale n’est pas en reste. La responsabilité des OMP n’étant pas explicitement formulée, elle découle des fondements juridiques des opérations de maintien de la paix qui ne dispose également pas d’un fondement juridique explicite dans la Charte (Seyersted, 1966, p. 127). Toutefois, elles n’en sont pas formellement exclues non plus (Kamto, 2001, p. 99). Ainsi, la pratique en la matière s’est développée, estime-t-on, en marge de la Charte (Voelckel, 1993, p. 66). De ce qui précède, nous pouvons dire que la responsabilité des OMP, théoriquement affirmée, est en réalité à connotation individuelle et collective.
L’affirmation normative de la responsabilité des OMP
Une opération de maintien de la paix peut engendrer des actes contraires au droit qui prévaut dans le cadre des conflits armés – qualifiés avant de « droit de la guerre » (De Visscher, 1971, p. 50). Ces actes engagent en principe la responsabilité de l’Organisation internationale reconnue comme sujet de droit international. Par conséquent, il convient de relever que le régime de la responsabilité des OMP n’est établi qu’implicitement. À cet effet, les normes juridiques spécifiques posent le régime de la responsabilité des OMP de manière implicite, sur le plan normatif et relayé par la jurisprudence.
L’affirmation textuelle implicite de la responsabilité des OMP
La responsabilité des OMP est consacrée par de nombreux textes juridiques. De manière tacite, la responsabilité des OMP peut être déduite dans la Charte des Nations unies. À la lecture de l’article 24 alinéa 1, le Conseil de sécurité, à qui les États ont confié la charge de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationale, est responsable de l’ensemble des actes contraires au droit des conflits, commis par les forces de maintien de la paix durant l’exercice de leurs fonctions. Cette responsabilité est déduite de celle du Conseil de sécurité qui a autorisé le recours à la force.
Dans le même sillage, nous avons le modèle d’accord sur le statut des forces des OMP de 1990. Ce document sert de base aux accords avec les États hôtes des opérations de maintien de la paix. Il donne compétence à la juridiction pénale lorsqu’un membre du personnel des OMP commet un acte criminel. Toutefois, cette compétence fera face aux immunités juridictionnelles dont bénéficie l’ONU. La circulaire du Secrétaire général des Nations unies quant à elle exige le respect du droit international humanitaire (DIH), en fixant la responsabilité des organismes de maintien de la paix pour non-respect du DIH (ONU, 1999). Il est certes indiscutable que l’ONU n’est pas liée par les conventions relatives au droit humanitaire, mais la reconnaissance de sa personnalité juridique internationale (d’Aspremont, 2012, p. 156), la soumet automatiquement au droit international humanitaire coutumier, y compris son personnel, ses forces opérationnelles et missions. L’on peut comprendre avec aisance la préoccupation du Secrétaire général des Nations unies (SGNU), fondée sur l’idée d’humaniser les missions et actions du personnel onusien particulièrement diversifié.
Le DIH, comme circonscrit dans les conventions de Genève de 1949, ainsi que dans leurs protocoles additionnels de 1977, est applicable en toute circonstance. Ainsi, l’article 2 de la première Convention de Genève 1949 dispose que : « la présente convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des hautes parties contractantes » (Comité international de la Croix Rouge, 1949, p. 37). Pour faire un parallèle avec la responsabilité des OMP, Thouvenin a écrit :
Pour mener à bien ses missions, l’ONU, bien qu’étant avant tout une association d’États, doit pouvoir compter sur la motivation, la rigueur et l’efficacité des personnels dont elle dispose. C’est tout particulièrement vrai s’agissant des OMP, dont l’expérience montre à quel point elles sont difficiles à réaliser sur le terrain. […] Elle s’est donc depuis longtemps préoccupée de prévoir un statut spécifique à ces personnels, puisque, bien qu’ayant toujours été considérés comme des agents internationaux, ils ne bénéficient pas du statut des fonctionnaires internationaux (Thouvenin, 2001, p. 44-45).
Il poursuit sa réflexion en affirmant que :
L’AG des N.U. à voter la résolution 45/59 du 17 février 1995, adoptant la résolution sur la sécurité du personnel des N.U. et du personnel associé du 9 décembre 1994. La convention s’applique sans contexte aux OMP menées par les N.U., et bénéficient notamment au personnel militaire déployé par le Secrétaire Général […] la convention apparaît moins orientée autour de la protection qu’autour de la pénalisation de certaines infractions commises contre les forces onusiennes. […] Le DIH est invoqué à l’article 20, alinéa a, de la convention, lequel dispose que rien dans celle-ci n’affecte l’applicabilité du DIH et des normes universellement reconnues en matière des droits de l’homme consacrés dans des instruments internationaux en ce qui concerne la protection des opérations des N.U. ainsi que du personnel des N.U. et du personnel associé ou le devoir de ces personnels de respecter ledit droit et lesdites normes (Thouvenin, 2001, p. 50).
Par ailleurs, la responsabilité des OMP peut être également déduite du projet d’articles sur la responsabilité des Organisations internationales adopté par la commission du droit international (CDI) en 2011. En effet, une OI peut engager sa responsabilité dans les cas où un acte constitutif de violation du droit international lui est directement imputable. Mais il peut également arriver que la responsabilité de ces OI soit engagée pour un fait qui ne leur est pas directement imputable, mais étant donné que le fait est directement imputable à l’un de leurs États membres participant à une opération de maintien de la paix, celles-ci se voient imputer le fait desdits États : c’est le cas des OMP qui sont en réalités des organes subsidiaires du Conseil de sécurité. À la responsabilité des OI, se greffe le fait internationalement illicite des OMP. En effet, selon l’article 3 du Projet d’Articles sur la Responsabilité des Organisations internationales : « Tout fait internationalement illicite d’une organisation internationale engage sa responsabilité internationale » (ONU, 2011, p. 2). En outre, son article 4 stipule qu’« il y a fait internationalement illicite lorsqu’un comportement consistant en une action ou une omission : a) Est attribuable à cette organisation en vertu du droit international; et b) Constitue une violation d’une obligation internationale de cette organisation » (ONU, 2011, p. 3). Ce projet d’article constitue le fondement normatif futur sur lequel devront se pencher les instances administratives et juridictionnelles internationales pour établir la responsabilité des OMP. Dans la construction de cette responsabilité des OMP, la jurisprudence joue également sa partition au travers des décisions des instances juridictionnelles.
L’affirmation jurisprudentielle explicite de la responsabilité des OMP
La jurisprudence, en établissant de manière explicite la responsabilité des États et des OI, reconnaît indirectement celle des OMP. La raison en est que, ces différents sujets du droit international, bien qu’ayant autorisé les opérations, ne peuvent pas pallier à toute éventualité en ce qui concerne les actes de son personnel sur le terrain du conflit. C’est ainsi que nous pouvons parler d’une responsabilité intermédiaire des OMP puisque la principale étant celle des États et des OI.
D’abord, l’usage du droit coutumier pour engager la responsabilité de l’ONU est fait par le tribunal de première instance de La Haye. Il emploiera dans sa décision le principe de la responsabilité des États au lieu du critère de contrôle effectif. Cela peut s’expliquer dans la mesure où en 2009, la CDI n’avait pas évoqué ce critère dans son projet d’articles sur la responsabilité des OI. Ensuite, contrairement au juge de La Haye, le juge dans l’affaire Nuhanovic, prendra en compte à la fois des éléments juridiques et factuels (Klein, 2012, p. 1-27) pour dire le droit. En le faisant, la Cour a établi la responsabilité de l’État en tant que titulaire du pouvoir de contrôle et de discipline, car les contingents nationaux affectés à l’ONU demeurent soumis au pouvoir de contrôle de l’État. Ladite juridiction dans la même affaire a engagé la responsabilité de l’État néerlandais pour des conséquences dommageables issues de l’activité de ses troupes. Le juge a estimé que lors du retrait des troupes de Srebrenica les actes incriminés ont été commis (Cour d’appel de La Haye, 2011). Enfin, dans l’affaire Mukeshimana-Nigulinzera, le tribunal de première instance de Bruxelles a engagé la responsabilité de la Belgique suite au retrait de ses troupes dans la mesure où les actes incriminés posés ont été commis avant leur départ et l’attribution de cette responsabilité est fondée sur son pouvoir de contrôle effectif (Cour de première instance de Bruxelles, 2010). Cette juridiction corrobore les justifications de la première.
D’autres juridictions ont aussi fait de la lutte contre les violations des droits humains et du droit humanitaire leur priorité. C’est le cas dans l’affaire Béhrami contre la France, la Cour européenne a condamné la mort d’un enfant par les mines en se référant au statut de la Minuk (Kosovo). Il s’agit pour la Cour d’appliquer simplement un principe opérationnel qui consiste à imputer les actes des OMP à l’ONU conformément au statut de la Minuk. Cette situation traduit l’état actuel du droit international, enclin à l’introuvable responsabilité des OMP, pourtant imputée aux sujets de droit international, à l’instar de l’ONU ou des États fournisseurs de contingents du fait du comportement illicite des OMP agissant sous leurs ordres. Nous pouvons aussi citer les cas de la responsabilité des OMP devant les juridictions internationales, notamment les juridictions pénales internationales. C’est par exemple le viol évoqué respectivement dans les affaires Akayesuen en 1998 et Kumarac en 2001 devant le Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie. Toutefois, la jurisprudence internationale ira plus loin en qualifiant les actes d’exploitation et d’abus sexuels comme une violation de l’intégrité physique dans la mesure où les exactions sexuelles ne sont pas protégées explicitement par les instruments relatifs aux droits humains. Le juge pénal dans l’affaire Furundzija allait ériger ce droit en une valeur coutumière, donc imposable à tous et à toutes.
En outre, sous la base de l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) qui pose que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants » (DUDH, 1948), la jurisprudence va reconnaître cette interdiction comme une règle du jus cogens dans la même affaire. Dans ce sens, elle constitue l’une des normes les plus fondamentales de la communauté internationale (voir les jugements Akayesu et Musema). Il convient de souligner que l’exploitation des femmes et des enfants n’ont pas laissé indifférent le juge qui en fait une priorité à l’issue d’interprétations diverses des qualifications. Elles s’expliquent par l’exceptionnelle gravité attachée aux actes criminels commis par les OMP qui transcendent la victime, « puisqu’en attaquant l’homme, est visé, est nié, l’humanité qui marque la spécificité de ce crime » (Wandji, 2013, p. 90). C’est la raison pour laquelle elle heurte dans sa profondeur « la conscience humaine » (Statut de Rome, 1998, p. 1), et de ce fait, affecte « l’ensemble de la communauté internationale » (Statut de Rome, 1998, p. 1). Si la responsabilité des OMP est posée par les textes et confirmée par la jurisprudence de manière implicite, il faut reconnaître la possibilité de la greffer explicitement de manière individuelle.
Une responsabilité à connotation individuelle
Comme il a été indiqué plus haut, la responsabilité internationale ne peut être établie que si l’acte qualifié d’internationalement illicite est imputable à un sujet de droit international. Ainsi, cette responsabilité est imputable aux États et aux OI qui sont titulaires de la personnalité juridique internationale, catégorie à laquelle n’appartiennent pas les OMP. Cependant, une responsabilité peut être attribuée durant les missions de maintien de la paix, de façon individuelle : c’est la responsabilité pénale individuelle qui se justifie par le statut personnel des agent·e·s en charge du maintien de la paix en tant que sujet de droit international.
Le statut personnel des agent·e·s en charge du maintien de la paix : sujet de droit international
En droit international, la personne physique était d’abord considérée comme un ressortissant de l’État auquel il se trouve rattaché par le lien juridique de la nationalité. Cela avait pour conséquence la responsabilité de l’État de le représenter sur le plan international à travers le mécanisme de la protection diplomatique.
Le droit international ne reconnaît de responsabilité qu’à ses sujets. C’est ainsi que les membres du personnel de maintien de la paix sont avant tout des personnes physiques qui, sur le plan international, sont des sujets de droit international. Ils sont titulaires de droits et d’obligations. Ce statut leur confère, sur le plan international, une responsabilité, puisqu’ils sont membres de la communauté internationale avec laquelle ils interagissent. L’inobservation ou le manquement à une obligation internationale par une personne physique, membres des forces de maintien de la paix, peut entraîner sa responsabilité pénale sur le plan international. Dans ce cas, il convient de relever que les responsabilités pénales sont généralement marquées par leur caractère individuel.
La responsabilité pénale individuelle des membres des OMP
Les obligations qui pèsent sur les individus agissant en tant que soldats de la paix ont pour conséquences d’engager leur responsabilité pénale. La responsabilité pénale individuelle à l’occasion des OMP a pour objectif « de sanctionner au sens propre du terme les manquements au droit, au droit international s’il s’agit de la responsabilité internationale, qui sont commis par les individus » (Pellet, 2000, p. 107).
D’entrée de jeu, cette responsabilité peut être engagée sur la base de la Circulaire du Secrétaire général sur le respect du droit international humanitaire par les forces des Nations unies du 6 août 1999. Cette circulaire dispose expressis verbis en son article 4 qu’« en cas de violation du droit international humanitaire, les membres du personnel militaire d’une force des Nations unies encourent des poursuites » (SGNU, 1999). Cette responsabilité est interne aux Nations unies, car la circulaire du SGNU parle de violation du droit international humanitaire par le « personnel onusien ». Étant une coutume au sein de la communauté internationale, le raisonnement résultant des Nations unies a toujours tendance à s’étendre à toutes les organisations internationales, ce qui est le cas de la responsabilité pénale individuelle. Aussi, cette responsabilité existe-t-elle à l’égard des États contributeurs en vertu de l’obligation faite aux forces de paix de respecter le droit national. En effet, elle est déduite de jure à travers la compétence d’attribution et la compétence territoriale conférée par l’ensemble des mécanismes juridiques, à la juridiction de l’État sur la base des critères objectifs de détermination de la compétence, face à une infraction qui présente un élément d’extranéité (ONU, 1999). Le gouvernement, à savoir l’État qui fournit des ressources aux opérations de paix exercera sa compétence à l’égard de toute infraction que pourrait commettre tout membre du contingent national pendant son affectation à la mission (ONU, 2006).
En se référant également au statut sur les forces relatif à l’obligation de respect des règles locales en son article 6, l’on peut observer la consécration de la responsabilité pénale individuelle des membres du personnel affecté à des opérations de maintien de la paix (ONU, 1990). Comme l’a justement fait remarquer Bambara : « L’existence des immunités n’empêche pas l’existence d’une responsabilité pénale individuelle. Celle-ci survit indépendamment des immunités qui ne remettent pas en cause l’existence des responsabilités en soi, mais leur mise en œuvre » (2016, p. 13). Pour cela d’ailleurs, le SGNU rappelle l’obligation faite aux États de prendre les mesures nécessaires pour réprimer les infractions pénales commises par les forces (ONU, 2008).
L’imputabilité de la responsabilité aux OMP peut être difficilement applicable, ceci au regard du régime qui se trouve être complexe dans son effectivité. Cependant, il est important de ne pas perdre de vue l’objectif qui consiste à punir les auteurs ou autrices, et à réparer le préjudice causé.
La responsabilité des organismes de maintien de la paix en droit international, une responsabilité en situation
Les opérations de maintien de la paix les plus fréquentes sont celles autorisées par le Conseil de Sécurité sous le couvert de l’ONU et mises en œuvre par les Casques bleus. La réputation de celles-ci a le plus souvent été ternie par des scandales surtout ceux relatifs aux abus sexuels (Boff, 2016). Ces atteintes à l’intégrité physique des personnes destinataires de l’action concertée de la communauté internationale auquel les OMP assurent la mise en œuvre opérationnelle sont des atteintes aux droits humains. Néanmoins, en droit international, ce sont des crimes sous-jacents à d’autres crimes internationaux, comme par exemple, le crime contre l’humanité en droit pénal international (Mompontet, 2017, p. 44) et leur qualification peut varier selon le contexte, l’époque, la juridiction et les fondements utilisés (ONU, 1948). Par conséquent, ce qui rend le régime de la responsabilité des OMP complexe est lié au fait qu’il est partagé entre les États hôtes et l’OI, toute chose qui rend le système de répression de cette responsabilité lacunaire.
Une responsabilité partagée entre les sujets de droit international
Pour invoquer la responsabilité internationale, il faut que le fait illicite soit imputable à un sujet de droit international qui peut être soit un État, soit une OI. L’imputabilité en droit international est définie comme la « caractéristique de comportements d’individus ou de groupes qui peuvent ou doivent être attribués à un État ou à une organisation internationale » (Salomon, cité par Finck, 2011, p. 20), tandis que l’imputation désigne l’action de rattacher le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes à un sujet du droit international (Salomon, ibid.). L’établissement de la responsabilité occasionnée par les opérations de maintien de la paix implique l’intervention d’un ensemble d’institutions. Il s’agit d’une part des États hôtes et les Organisations internationales.
La responsabilité internationale des États hôtes des OMP
La mise en œuvre de la responsabilité des OMP par l’État hôte a pour base la compétence territoriale. Elle est entendue comme l’aptitude (à connaître d’une affaire) déterminée par les critères géographiques précis tels que le domicile, la résidence ou la situation d’un immeuble ou d’un acte litigieux (Cornu, 2014, p. 213). Dans le cadre de la responsabilité de l’État, il faut faire une distinction entre les obligations passives et les obligations actives (Ruramira Bizimana, 2005, p. 3). Ago fait observer en ce qui concerne la responsabilité internationale que les règles relatives à l’imputabilité d’un fait internationalement illicite permettent de préciser quels sont les comportements que le droit international considère comme « fait de l’État » (Roberto Ago, 1939, p. 419). En d’autres termes, d’après le droit international, ça revient à déterminer quand l’État doit être considéré comme agissant (ACDI, 1973, p. 192).
La défunte Cour permanente de justice internationale (CPJI), dans son avis consultatif relatif aux « colons allemands en Pologne », évoquait déjà le fait que « les États ne peuvent agir qu’au moyen et par l’entremise de la personne de leurs agents et représentants » (Recueil CPJI, 1923, p. 22). Toute chose qui démontre à suffisance que, c’est la qualité qu’ils détiennent sur le plan interne qui déterminera si l’acte constituant une violation à une obligation internationale peut être imputé à leur État. Les agissements des personnes privées ne peuvent en aucun cas être attribués à l’État, à moins qu’il ne soit établi un lien de causalité entre l’agissement desdites personnes et l’État en question. C’est ce qui ressort des dispositions du projet d’article sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, en son article (ONU, 2001). Par ailleurs, nul ne saurait négliger les institutions des pays contributeurs des troupes et des États tiers. Il s’agit ici d’une compétence active et passive dans la mise en œuvre de la responsabilité des OMP. C’est aussi le cas des Organisations internationales.
La responsabilité internationale des Organisations internationales
Il est indéniable aujourd’hui que la crédibilité dont jouissaient les missions de paix a été entachée considérablement par les infractions de ses agent·e·s (Bambara, 2016, p. 4). Si autrefois il été notamment question d’accusations d’omissions et d’actions coupables au Rwanda, à Srebrenica et dans bien d’autres théâtres d’opérations où des troupes sont restées inactives et impuissantes devant les massacres (Minear et Guillot, 1996, p. 85), ces deux dernières décennies, cette crédibilité et cette image sont entamées par la mise en cause de la responsabilité des membres des forces de paix pour des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme (Agim Behrami et Bekir Behrami c France, n° 71412/01 (2007); Saramati c France, Allemagne et Norvège, n° 78166/01, (2007))
Selon l’article 6 du Projet d’Articles sur la Responsabilité des Organisations internationales :
1. « le comportement d’un organe ou agent d’une OI dans l’exercice des fonctions de cet organe ou agent est considéré comme un fait de cette organisation d’après le droit international, quelle que soit la position de l’organe ou agent dans l’organisation ».
2. « les règles de l’organisation s’appliquent pour déterminer les fonctions de ses organes et agents ».
À la lecture de cette disposition, l’on s’aperçoit que la qualité ou la fonction qu’occupe la personne ou l’agent au sein de l’organisation importe peu. Toutefois, en cas de violation par le fait de l’agent·e d’une règle de droit internationale dans l’exercice de ses fonctions, la responsabilité est imputée à l’organisation au nom et pour le compte duquel ce dernier a été engagé. En ce qui concerne l’ONU, si ses opérations de maintien de la paix ont pour fondement le chapitre VII de la Charte des Nations unies du 26 juin 1945, il apparaît que malgré ce fondement, en cas de commission d’actes internationalement illicites, elle endosse la responsabilité des actes criminels commis par les membres du personnel en charge du maintien de la paix, dans l’exercice de leurs fonctions et qui pourraient causer des dommages à des tiers (Mompontet, 2017, p. 41).
Toutefois, Il ne semble pas inutile de préciser qu’en cas de violation du droit humanitaire, la responsabilité de l’organisation n’est pas automatiquement engagée. En effet, selon l’article 7 du projet d’article sur la responsabilité des organisations internationales de 2011 la CDI pose que « le comportement d’un organe ou d’un agent d’une organisation internationale, mise à la disposition d’une autre organisation, est considéré comme un fait de cette dernière d’après le droit international autant qu’il exerce un contrôle effectif sur ce comportement » (ONU, 2011, p. 3). Ce partage de responsabilité est justifié par le fait que le transfert de compétence par l’ONU s’opère à travers le mandat ou l’autorisation d’intervenir, mais les agissements des troupes échappent à son influence (ONU, 2001).
L’effectivité de la responsabilité des OMP est encore à la croisée des chemins, étant donné que sa construction se fait de manière systémique. La mise en jeu de la responsabilité du personnel en charge du maintien de la paix et de la sécurité internationale se heurte à certains facteurs rendant le système de répression lacunaire.
Une responsabilité au système de répression lacunaire
Si la responsabilité consiste à répondre de ses actes lorsque les faits sont établis par l’autorité compétente, la répression en est le corollaire. Elle peut consister soit en une peine privative de liberté, soit en la réparation d’un préjudice direct ou indirect. En effet, la réparation du dommage subi constitue une obligation subsidiaire découlant du manquement au droit (Ruzie, 1989, p. 76). Or, dans la pratique, l’on peut faire le constat selon lequel, il y a une convergence vers une immunité juridictionnelle, voire l’irresponsabilité des acteurs et actrices du préjudice. En effet, les membres des organismes de maintien de paix responsables d’exploitations et d’abus sexuels échappent habituellement à toute poursuite pénale. Cette réalité s’explique par la multiplication des privilèges et immunités au profit des soldats des OMP et la restriction des compétences des juridictions des États hôtes.
La multiplication des privilèges et immunités
Selon la théorie du droit international, les privilèges et immunités reconnus par les États aux organisations internationales sur le fondement d’un ensemble d’accords contribuent à promouvoir l’indépendance (Dupuy et Kerbrat, 2010, p. 220) des OI et de leurs membres. Ceci pour lutter contre l’arbitraire dans l’exercice de leur fonction sur le territoire des États qui pourraient s’immiscer dans le déroulement des opérations. Par ce faire, les organisations internationales bénéficient d’une immunité d’exécution et d’une immunité de juridiction (Ruzie, 1989, p. 76).
La protection des organisations internationales par la voie des privilèges et immunités comme gage d’efficacité de l’action publique internationale a été consacrée par un certain nombre d’instruments juridiques, au rang desquels, la Charte des Nations unies de 1945, la Convention de Vienne de 1975 et les accords de siège entre l’État et les OI consistant à définir leur statut.
La doctrine précise que « le statut juridique des agents de l’organisation sur le territoire des États membres dérive nécessairement de celui de l’institution internationale à laquelle ils appartiennent » (Dupuy et Kerbrat, 2010, p. 221). Cette protection vise à garantir l’efficacité de leur action vis-à-vis des États. Il faut tout de même préciser que les privilèges dont il est question ont un caractère objectif et non particulier. En d’autres termes, elles ne valent que pour l’intérêt général et non pour les intérêts particuliers (Dupuy et Kerbrat, 2010). De plus, ces immunités sont renouvelées dans l’accord sur le statut des forces et les résolutions du conseil de sécurité, ainsi que la réglementation spécifique à chaque mission.
Les privilèges et immunités en tant bouclier de protection des OMP, constituent une limite importante dans la systématisation de la responsabilité des OMP, accentuant le sentiment d’impunité pouvant conduire, dans certains cas, à remettre en cause, la capacité des Nations unies à instaurer la paix mondiale, ce qui peut constituer des germes d’un conflit quelconque en raison du défaut de justice.
La compétence limitée des juridictions hôtes des OMP
Dans le contexte qui est le nôtre, il se pose le problème de la compétence des juridictions des États hôtes dans le cadre du déroulement des opérations de maintien de la paix litigieuses. Si la compétence peut s’entendre comme l’aptitude à instruire et juger une affaire (Dupuy et Kerbrat, 2010, p. 213) en vue de dissuader et non d’encourager les éventuelles infractions, cette aptitude devrait s’appliquer à tous et toutes si tant est que le rôle du juge international soit de veiller au respect de la norme juridique librement consentie – pacta sunt servanda. Cependant, elle se trouve limitée à plus d’un titre. Soit parce que les faits reprochés, dans l’État du déroulement des OMP, ne constituent pas une infraction dans l’État d’origine de l’accusé·e. En effet, il s’agit de la transposition du principe de la compétence universelle et du principe de complémentarité. Ces deux principes sont posés respectivement par la convention de Genève du 12 août 1949 sur le règlement des litiges des conflits armés, ainsi que les méthodes de guerre, établissant la responsabilité des belligérants afin de limiter les effets d’hostilité (voir CVI, art. 49 et CVII, art. 50). Selon ce principe, un État a la possibilité de rechercher et de poursuivre toute personne susceptible d’avoir commis ou d’avoir ordonné de commettre une infraction grave aux droits fondamentaux, si ledit État n’a aucun lien avec l’accusé·e, la victime ou l’acte commis; de déférer la personne devant ses propres tribunaux quelle que soit sa nationalité ou les remettre au jugement à un autre État partie à la convention (Wandji, 2013, p. 94).
Quant au principe de complémentarité posé par le préambule du statut de 1998 instituant la Cour pénale internationale, il prône la primauté du système répressif national sur la Cour pénale internationale (CPI) qui n’intervient que si la justice pénale nationale est incapable, ou encore manifeste peu ou non la volonté de rechercher, de poursuivre et de juger les responsables du préjudice (Wandji, ibid., p. 95). Il faut préciser que la mise en place d’une justice universelle vient mettre en relief l’inexistence d’une juridiction pénale internationale qui est « un mécanisme exceptionnel en droit pénal » (Wandji, ibid.).
La capacité de l’État hôte à poursuivre les coupables des OMP à la lecture des textes semble ambivalente. Mais avant d’exposer sur cette ambivalence, il importe de préciser que l’immunité reconnue aux OMP dans l’exercice de leur fonction constitue un frein important à la juridiction de l’État hôte. L’immunité dont jouit le soldat de la paix dans le pays hôte soustrait juste à la juridiction du pays hôte, les coupables d’infractions et fait exercer cette compétence par l’État d’origine (NU, 2007, p. 323). En revanche, les OMP peuvent être soumises à la juridiction de l’État hôte, puisque, « les autorités de l’État de séjour ont le droit d’exercer leur juridiction sur les membres d’une force ou d’un élément civil et les personnes à leur charge en ce qui concerne les infractions commises sur le territoire de l’État de séjour et punies par le législateur de cet État » (article VII (1.b) de la Convention entre les États parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, 4 avril 1949 (entrée en vigueur le 19 juin 1951).L’assouplissement des immunités trouve son fondement sur l’obligation du respect de la législation du lieu du déroulement des opérations. En effet, toutes les infractions qui en résulteraient seront « punies par les lois de l’État de séjour, notamment les infractions portant atteinte à la sécurité de cet État, mais ne tombant pas sous le coup de la législation de l’État d’origine » (Convention entre les États parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, supra note 80 art. VII 2b) Il en résulte une ouverture de la sanction pénale des membres des OMP et une compétence exclusive de l’État hôte. Cependant, un autre aspect non négligeable peut également paralyser les juridictions internationales et internes, à savoir « les affaires politiquement sensibles » (Ngounmedje, 2015, p. 19) qui, en raison de leur nature politique, peuvent fragiliser ou neutraliser la compétence des juges.
Conclusion
En tout état de cause, la responsabilité des OMP est perceptible. Cependant, celle-ci se heurte à des obstacles qui se dressent sur la construction et la variabilité de cette responsabilité. C’est ainsi un appel à la perfectibilité du régime de mise en jeu de la responsabilité de ceux-ci. Par ailleurs, la justiciabilité des infractions des forces de maintien de la paix s’avère fondée sur une responsabilité intermédiaire qui est originellement reconnue aux sujets de droit international. Cependant, suivant les changements de la société moderne et l’évolution de la protection internationale des droits humains, l’on assiste au développement de la pensée juridique orientée vers la reconnaissance des personnes physiques comme sujets de droit international. De par cette reconnaissance, les OMP pris individuellement peuvent voir leur responsabilité pénale individuelle engagée. La volonté d’une mise en jeu de la responsabilité des OMP peut se manifester par une assistance et par une coordination des États tel que le soulignent les différents accords (Assemblée générale des Nations unies, 1991). Une assistance et une coopération institutionnelle (Assemblée générale des Nations unies, Rés. 63, 2008) qui permettra aux victimes, aux États et aux organisations d’user de toutes les voies d’actions et de recours que le droit ouvre, notamment au niveau interne et au niveau international.
L’heure est donc à la mise en place d’un cadre juridique responsable des opérations de maintien de la paix afin de prévenir la déshumanisation du droit humanitaire. L’on pourrait aussi évoquer l’idée d’une convention internationale visant à éliminer le vide juridictionnel entourant la problématique de la responsabilité des OMP. Cette convention devrait viser trois objectifs. D’abord, permettre aux États d’établir leur compétence dans un éventail de circonstances aussi large que possible sans préjudice des règles qui encadrent les conflits positifs de compétence. Ensuite, établir le champ de compétence rationae personae qui prendra en compte la double exigence, d’une part, de découvrir les infractions couvertes par le sceau des immunités et privilèges diplomatiques, et d’autre part, d’assurer une protection des activités des OMP se situant dans le cadre de la mission à eux confiée. Enfin, établir les infractions sur lesquelles les États membres auraient compétence. À cet effet, il convient de souligner que depuis 2008, un groupe d’expert·e·s est commis à cette fin.
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