Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

Table des matières

Présentation. La législation pénale et les rapports sociaux en Afrique

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU

Normes sociales et sanctions sociales en Afrique noire : le cas du Dahomey de 1600 à 1894

Thikandé SÉRO

Saisir les différents mécanismes de création de la norme, sa fonction dans la répression des infractions et le système traditionnel de sanction, tel est l’objet de cette recherche ayant pour cadre le Dahomey entre 1600 et 1894. En effet, la société dahoméenne connaît un système de production de normes juridiques. Ces règles de droit d’origines diverses relèvent du divin, de l’usage régulier dans la régulation sociale et cosmogonique. Elles restent l’apanage du roi, parfois en collaboration avec les notables. La norme est une émanation sociale et la récrimination des différentes situations criminologiques ne répond pas à un mécanisme de solution unique. Dans la société dahoméenne, les infractions à l’ordre social ne sont pas toutes sanctionnées de la même manière, car demeurant divergentes sous la forme et le fond. La société elle-même s’identifie comme principale actrice de la condamnation de ces infractions en adhérant à une certaine délégation naturelle de sa volonté, et de sa liberté de condamner. On parlera alors de sanctions sociales découlant de normes sociales.

Code pénal et droit civil coutumier

Guy Blaise DZEUKOU

Si le droit pénal – dont les règles sont par nature écrites, précises et impératives – a depuis longtemps été unifié (1967), tel n’est pas le cas du droit civil, caractérisé par la dualité des droits applicables (droit écrit, droit coutumier). Aucune discipline juridique n’étant hermétique, le droit civil a toujours entretenu des rapports étroits avec le droit pénal. C’est certainement le cas du droit civil écrit. Serait-ce le cas du droit civil coutumier, dont les règles juridiques sont en général non écrites, reposant sur des pratiques constantes et répétées auxquelles les intéressé·e·s reconnaissent un caractère juridique contraignant? Quelle place le nouveau Code pénal accorde au droit coutumier? Il ressort de l’étude de ses dispositions qu’il assure une consécration épurée du droit coutumier. Cette reconnaissance est certaine. Elle est directe, par l’évocation de notions ou d’allusions relatives au droit coutumier ainsi que d’institutions spécifiquement coutumières. Elle est moins directe, par des références conceptuelles pénalisant des faits en rapport évident avec certaines pratiques coutumières. Cette reconnaissance est néanmoins assainie. Certaines incriminations ont été modifiées ou transposées, tandis que d’autres ont été créées, pour corriger, atténuer ou lutter contre divers us et coutumes intolérables. Certainement louable, car soucieux d’assurer une certaine modernisation du droit pénal et le respect des engagements internationaux du Cameroun, le Code pénal de 2016 demeure toutefois sujet à critiques en raison de diverses omissions et de la vacuité de certaines de ses dispositions qui, pourtant, sont par nature d’interprétation stricte.

La protection de la dot en droit pénal camerounais : un affaiblissement législatif d’une institution traditionnelle

Valéry Blériot DJOMO TAMEN

Dans une société camerounaise en proie à de fortes pressions matérielles et financières, la tradition dotale perd de plus en plus sa valeur consacrée pour une valeur marchande. La législation pénale de 1967 a bien voulu la recadrer, mais sans toutefois s’entourer de précautions suffisantes. La dot est une institution coutumière dont le rapport à la répression pénale constitue une menace à la paix et à la cohésion sociale, la famille étant la base de la société. La récente réforme du Code pénal du 12 juillet 2016 censée y remédier l’a malheureusement reconduite in extenso, entérinant ainsi les ambiguïtés ou imprécisions de cette législation. La présente étude entend montrer que la protection de la dot, en l’état actuel de notre législation, est difficile, voire défaillante. La problématique qui se dégage est donc celle de savoir si la législation pénale en vigueur protège efficacement la dot au Cameroun. N’affaiblit-elle pas finalement cette institution traditionnelle? À travers les méthodes exégétique et socio-anthropologique, l’étude entend présenter les faiblesses législatives de la protection de la dot au Cameroun et propose une réforme en lien avec certaines dispositions textuelles querellées dans un contexte camerounais où la protection des valeurs traditionnelles demeure un défi historique et symbolique.

L’africanisation de la législation pénale afférente à la tradipratique camerounaise : enjeux sanitaires

Éric GUIDASSA

Si au lendemain de sa création, l’UA, entérinant la décision de l’OUA, fit de la décennie 2001-2010 celle de la Médecine traditionnelle africaine au Cameroun, cet engagement de promotion de la tradipratique n’est pas honoré. La preuve, en 2007, dans un avant-projet de loi du 4 avril, le MINSANTE demandait aux tradipraticien·ne·s d’améliorer leurs posologies et de se spécialiser dans le soin d’au trop cinq maladies. D’emblée, pareille déclaration peut faire penser à la valorisation de la tradipratique. Pourtant, il s’agit de faire disparaître du champ médical camerounais, toute médecine « ésotérique ». Sinon, pourquoi contraindre les tradipraticien·ne·s à « améliorer » leurs posologies et à se spécialiser dans le soin d’au trop cinq pathologies? N’est-ce pas obligé leur art à s’acculturer en supprimant ses spécificités que sont l’« impondérable » et la globalité? Cette volonté d’acculturation de la tradipratique n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs un legs colonial et remonte à l’arrêté du 4 octobre 1924 signé de Marchand, Commissaire de la République française au Cameroun, qui interdisait sa pratique et faisait emprisonner ses praticien·ne·s. Or, l’une des préoccupations de l’OMS pour l’Afrique depuis 1950 est d’encourager l’épanouissement d’arts médicaux qui considèrent les réalités socioculturelles des malades africain·e·s. Le présent article met en évidence ce que peut gagner le Cameroun au plan sanitaire, en trouvant aux lois pénales relatives à la tradipratique, des contenus qui tiennent compte de la conception camerounaise de l’humain, de la santé et de la maladie.

Le principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale

Serges Roméo FOTSING TAKAM

Les désaccords entre une partie de l’Afrique et la Cour pénale internationale concernant la politique criminelle afro-centriste de cette dernière ont contribué à la mise en place, par l’Union africaine, des instruments d’adaptation africaine de la justice pénale internationale. Cette adaptation autrement appelée « africanisation » nécessite de tenir compte des principes fondamentaux de la matière pénale. Au rang desdits principes figure la légalité criminelle. La présente réflexion a justement pour objet la prise en compte de cette dernière par l’Organisation panafricaine. Elle interroge la manière dont le principe de la légalité criminelle est intégré dans le processus actuel de régionalisation africaine de la justice pénale internationale. Dans ce sillage, elle met en exergue la relativité d’une telle intégration. En effet, une analyse de la question révèle une prise en compte aussi bien consistante qu’insuffisante du principe. Dès lors, il s’avère urgent de combler les insuffisances décelées, car l’efficacité de la répression régionale africaine des crimes internationaux commis sur le continent noir en dépend. C’est, semble-t-il, l’un des enjeux de la régulation pénale contemporaine des rapports sociaux en Afrique.

Le droit pénal dans le système africain de protection des droits humains

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU

La législation africaine, en amont et en aval du système africain de protection des droits de l’homme, a, à travers le cadre juridique relatif à la Cour et à la Commission africaines, donné compétence incidente pour se prononcer sur des questions de droit pénal dans le contentieux international des droits de l’homme. Les infractions à la loi pénale de procédure et la loi pénale de fond abondent dans la jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce dernier prépare ainsi le passage à la future Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples dont les compétences sont étendues aux crimes internationaux relevant du droit international pénal. Cette contribution a eu le mérite de mettre en exergue les germes réels du droit pénal de forme et de fond dans les décisions de la Cour et de la Commission africaines. Elle montre qu’il s’agissait des prémisses vers une future Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples comportant une section du droit international pénal dont le but est d’asseoir la compétence pénale de la juridiction régionale dans un dynamisme structurel avec l’apparition d’un Procureur poursuivant.

La protection internationale du patrimoine culturel : les leçons tirées du procès de Tombouctou devant la Cour pénale internationale et son rayonnement en droit pénal camerounais

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU et Valéry Blériot DJOMO TAMEN

Le procès de Tombouctou a marqué une étape décisive dans la protection du patrimoine culturel. Des éléments l’attestent : la qualification de l’atteinte au patrimoine culturel en crime de guerre pendant les conflits armés non internationaux et sa répression par la Cour pénale internationale. L’effet de ce procès réside dans son impact sur la protection effective du patrimoine culturel au Cameroun. La législation pénale, dans le code du 12 juillet 2016, procède par une internalisation des biens culturels consacrés par l’UNESCO, en y accordant un régime de répression souple. Non seulement, il a fait le choix de correctionnaliser l’atteinte au patrimoine culturel, mais aussi, et ce à la différence de la Cour pénale internationale dans l’affaire Procureur contre Al Mahdi, le quantum de la peine prévue est doux. La législation sanctionne ces agissements des peines allant de 06 mois à 02 ans d’emprisonnement ferme et une amende allant de 100 000 F CFA à 3 000 000 de F CFA (article 187 du Code pénal). Cette option est critiquable eu égard au développement des foyers de conflits dans les régions anglophones et septentrionales du Cameroun qui ne sont pas sans conséquences sur le patrimoine culturel dans ces régions. Le présent article interpelle l’autorité législatrice afin qu’il criminalise l’atteinte au patrimoine culturel.

La détermination du nouveau régime des contraventions par voie réglementaire : une délégation ou une délégalisation de la compétence?

Stella CHAKOUNTÉ NJAMEN

Les comportements contraventionnels ont-ils été qualifiés et sanctionnés par décret n° 2016/319 du 12 juillet 2016 en vertu d’une compétence qui est propre à l’autorité réglementaire ou qui lui a été consentie par l’autorité législative? La question n’est pas nouvelle. Mais la réforme du Code pénal camerounais opérée le 12 juillet 2016 lui donne, plus que par le passé, un retentissement nouveau. La Constitution du Cameroun (préambule et articles 26, 27), la jurisprudence et la doctrine (les pessimistes et les optimistes) n’étaient pas unanimes sur la question. Désormais, trois détails de la réforme ne peuvent plus être ignorés, notamment les dispositions des articles 1 (c), 17 et 362 de la nouvelle loi n° 2016/007 portant Code pénal dont le titre 4 du livre 2 précise que les dispositions des articles 362 à 370 définissant les contraventions sont fixées par voie réglementaire. Menée à l’aide de l’exégèse, de la dogmatique, de la casuistique et de la méthode comparative, l’analyse révèle que la délégalisation est limitée au régime d’incrimination des contraventions. Seul le régime des sanctions reste attribué au Parlement qui est libre de le déléguer. Cette délégation est par ailleurs nécessaire, car la sanction est le corollaire de l’incrimination.

Apologie des peines alternatives en droit pénal camerounais

Djorbélé BAMBÉ

L’histoire du droit pénal camerounais est celle d’une imitation aveugle et sans ancrage social. Or, pour être effectives et efficaces, les normes doivent être ancrées dans la culture de leurs sujets. Dès lors, en plaidant la cause des peines alternatives, la présente étude a pour ambition de contribuer à repenser les sanctions pénales et à forger une certaine « camerounisation » du droit pénal. Elle vante les mérites de ces peines qui constituent, sans doute, un retour aux sources de la justice pénale à la camerounaise. Parce qu’elle oblige à faire des cavalcades entre la philosophie, la sociologie et le droit, l’étude implique le recours au syncrétisme juridique, alliant la dogmatique classique et la dogmatique éthique. C’est cette méthode singulière qui a permis de démontrer qu’a minima, les peines alternatives contribuent à une réalisation du droit pénal et qu’a maxima, elles participent à une rationalisation de celui-ci. Aussi s’agit-il de remettre en cause la rationalité pénale actuelle fondée sur le « tout carcéral ».

Réflexions sur la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau Code pénal camerounais de 2016

Noel Gautier GUEAZANG NGUEPI, Hervé MVONDO MVONDO et Carole Valérie NOUAZI KEMKENG

Pendant de longues années, le Cameroun a ignoré la possibilité d’une responsabilité pénale appliquée aux personnes morales. Cette responsabilité était évoquée par certaines lois spécifiques. Le Code pénal actuel introduit cette innovation essentielle et définit à la fois le domaine de cette responsabilité et les conditions de sa mise en œuvre. La présente réflexion permet de montrer que le nouveau Code pénal marque une rupture avec l’impossibilité pratique d’imputer une responsabilité pénale à un être collectif. Cette innovation montre que le législateur a ainsi aménagé un régime propre d’incrimination et de répression des infractions commises par les personnes morales.

L’usage d’Internet comme circonstance aggravante de responsabilité pénale, une introduction

Alain Hugues OBAME

Depuis sa genèse, la régulation tant nationale que transnationale d’Internet est restée un enjeu majeur. Ce défi se pose avec acuité au regard de l’influence d’Internet sur la criminalité. Cet essai introduit l’hypothèse d’une tendance de la législation camerounaise à retenir des peines plus lourdes pour les infractions commises par voie d’Internet. Nous questionnons les dynamiques sociales et les effets juridico-politiques de la codification de l’utilisation d’Internet comme une circonstance aggravante de responsabilité pénale. Sur la base d’un questionnaire renseigné en ligne par des magistrats, d’une exploitation des interactions issues des réseaux sociaux Facebook et Whatsapp et d’une revue documentaire interdisciplinaire, cette réflexion est structurée en trois axes. D’abord, une comparaison des quanta de peines pour des délits de « criminalité traditionnelle » et certains cybercrimes relevant des violences sexuelles et des atteintes à la paix privée et publique. Ensuite, le contraste de la prolifération « brutale » des cyberinfractions en dépit de cette « répression numérique » est mis en exergue. Cette réaction sociale dissonante pousse à constater l’impuissance ou l’inadaptation de cette loi pénale sévère sur le cyberespace. Enfin, nous explorons la capacité des mécanismes de coopération judiciaire transnationale et de vulgarisation du dispositif normatif à renforcer l’efficacité, l’équité et la légitimité du droit pénal d’Internet.

De l’interprétation sociologique de la réforme du Code pénal camerounais de 2016

Martin Raymond Willy MBOG IBOCK

Cet article se veut une contribution au débat sur le raisonnement sociologique autour de l’appréhension et la préhension de la réforme du Code pénal camerounais de 2016. Il vise à réfléchir sur les cadres de référence sous-jacents du savoir socialisé du sociologue, en rapport avec le nouveau dispositif pénal camerounais du 12 juillet 2016. Devant un tel intérêt, il questionne la légitimité des ressources de l’interprétation sociologique de la réforme du Code pénal camerounais en vigueur. Autrement dit, comment le sociologue, dans son mode de raisonnement et à partir (de l’objectivation savante) des ressources mobilisées, cerne-t-il les pertinences interprétatives de la réforme du Code pénal camerounais de 2016? Partant de-là, l’on soutient l’idée que l’interprétation sociologique de la réforme du Code pénal camerounais dépend des techniques ou niveaux d’analyse (hybrides) découlant d’une série d’« actes interprétatifs » relatifs et pluriels. Pour vérifier ou confirmer cette hypothèse, il est indispensable d’examiner, de prime abord, les ressorts probatoires de l’interprétation sociologique de la réforme du Code pénal camerounais de 2016 à partir du développement d’une réflexivité sous l’égide de l’explication rationnelle. Après quoi, il est intéressant de se livrer à la compréhension analytique de cette réforme, en allant décrypter le sens « interne » ou « endogène ».

À propos de grands oublié·e·s du nouveau Code pénal camerounais

Pierre-Claver KAMGAING

Loi et société entretiennent une relation symbiotique dans laquelle la première régit les rapports sociaux tandis que la seconde doit inspirer l’édiction des règles selon la formule latine « Ubi societas, ibi jus ». La loi étant le reflet des aspirations, elle doit embrasser tous les aspects de la vie sociale, car le vide juridique laisse libre cours à l’injustice. Ceci est d’autant plus retentissant en matière pénale quand on sait qu’il n’y a d’infraction que celle prévue par le législateur ou la législatrice et que l’interprétation en la matière est stricte. Le Code pénal de 2016, cinquante ans après, charrie des nouveautés différemment appréciées par la doctrine. Mais aussi, il semble briller par des oublis criards qui peuvent remettre en question sa nature réformiste au sens strict du terme. Ces oublis peuvent être appréhendés selon une double trajectoire : d’une part, l’oubli de toiletter des infractions anachroniques ou mal libellées; d’autre part, l’oubli d’incriminer certains agissements sociaux pouvant être considérés comme de véritables infractions. Quoi qu’il en soit, la norme pénale de forme suivant toujours la loi de fond, l’irruption de nouvelles incriminations appelle inéluctablement à une réadaptation du Code de procédure pénale.

Infos sur la publication

ADILAAKU - Volume 2, Numéro 1 - 2022

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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ISSN : Version en ligne

2992-0116