Volume 1 – numéro 1 – 2019 : Nation et République sous le prisme des défis contemporains
La sécurisation de la nationalité camerounaise à l’ère du numérique
Marcelle Lucette Mbang, Christine Nadège Ada, et Carole Valérie NOUAZI KEMKENG
La nation, d’un point de vue sociopolitique, désigne un ensemble de personnes qui présentent un certain degré d’homogénéité et tiennent à la fois à des liens objectifs de race, de langue, de religion et à des liens subjectifs qui expriment une volonté de vivre ensemble (Salmon, 2001). Elle se rapproche de la notion de peuple qui désigne un ensemble de personnes ayant la nationalité d’un État. Plus précisément, la nationalité traduit le lien de droit qui unit une personne à un État (Guillien et Jean Vincent, 2010, p. 482), lui conférant la capacité de jouir des droits de citoyenneté (Debard, 2002, p. 200). C’est l’État qui a la responsabilité d’établir qui fait partie de sa population et de déterminer les critères d’attribution, d’acquisition, de perte ou de réattribution de la nationalité. L’État confère ainsi une identité à chaque citoyen-ne et cela constitue un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU (1948). L’identité traduit l’unicité de l’individu. Le droit de chacun à une identité propre – internationalement reconnu par la Convention relative aux droits de l’enfant, approuvée par l’ONU le 20 novembre 1989 – découle fondamentalement de l’acte de naissance de l’individu. Le droit à la protection des données personnelles est un droit récent (Kossi, 2011) lié au développement des technologies de l’information et de la communication.
Dans un contexte où l’état civil camerounais est devenu très perméable et est en proie à toutes sortes de manipulation (falsification, double identité ou identités multiples, double nationalité, terrorisme, etc.) (Tcheuwa, 2016, p. 22), la politique gouvernementale s’inscrit résolument dans la logique de modernisation et de sécurisation de la nationalité. À l’instar d’autres pays, le Cameroun s’arrime progressivement à la nouvelle donne de la digitalisation. La Direction générale des impôts expérimente avec succès la télédéclaration et le paiement des impôts par téléphone portable (Mobile Tax) depuis 2014. La Direction générale des douanes et la Délégation générale de la sûreté nationale s’inscrivent également dans cette voie. En 2015, le gouvernement a mis ainsi en place un comité chargé de la supervision des opérations de mise en place d’un nouveau système d’identification sécuritaire au Cameroun, lequel est constitué des responsables du Système de sécurisation de la nationalité camerounaise (Senac) et du Centre national de développement de l’informatique (Cenadi). Ledit système a pour objectif principal de produire des titres identitaires sécurisés et infalsifiables à l’instar de la carte nationale d’identité (CNI), la carte de séjour, la carte de réfugié, la carte professionnelle des fonctionnaires de la sûreté nationale, la carte de retraité pour les personnels de la sûreté nationale retraités, avec une possibilité d’ouverture aux autres administrations. D’où la mise en place du processus de mise en place du nouveau système d’identification sécuritaire au Cameroun à travers la signature du décret no 2016/375 du 04 août 2016 fixant les caractéristiques et les modalités d’établissement et de délivrance de la carte nationale d’identité.
Le préalable fondamental dans la sécurisation de la nationalité camerounaise passe par la protection du système d’établissement des actes de naissance. La sécurisation de la nationalité par le numérique permet-elle de consolider réellement les liens de droit existants entre le peuple camerounais et la République? Les actes de naissance produits au Cameroun sont-ils suffisamment fiables et sécurisés? La présente étude vise à montrer que le système d’identification sécuritaire est un processus de construction de la nation camerounaise et de maîtrise de la citoyenneté qui en associée. En prenant appui sur les méthodes juridique, systémique et sociologique, on verra que la sécurisation de la nationalité par le numérique est une nécessité de modernisation et de développement qui contribue à consolider la nation camerounaise. Mais elle engendre de nombreuses implications en termes d’institution de nouveaux mécanismes de sécurisation des titres identitaires qui nécessite une habileté de l’administration à faire face aux obstacles liés à leur mise en œuvre.
Les enjeux de l’arrimage du système d’identification au numérique
L’atteinte des objectifs de développement voulu par le peuple camerounais et son administration ne saurait être un vœu pieux et nécessite une modernisation des pratiques administratives. Car pour être compétitif et ne pas être à la traîne, le Cameroun à l’instar d’autres pays africains, a grandement besoin de faire siens tous les avantages que procure la modernisation de son administration. Il importe donc d’intégrer la numérisation, non seulement pour promouvoir le développement social, politique économique et humain, mais aussi pour faire face aux nouvelles formes de menaces. Il importe dès lors de lire la numérisation sous le prisme des menaces sécuritaires et sociopolitiques.
Les enjeux sécuritaires
Dans un contexte de lutte contre Boko Haram, la porosité des frontières entre le Nigeria, le Tchad, la République Centrafricaine et le Congo fait du Cameroun une plaque tournante, selon un rapport de 2015 d’Amnesty International, de la piraterie maritime, de la criminalité transfrontalière, du grand banditisme (attaques de banque, d’installations pétrolières) et de la contrebande multiforme (traite d’êtres humains, trafic de documents d’identité, trafic de drogue, d’armes légères, immigration clandestine, etc.). La position du Cameroun, à la croisée des espaces géographiques de l’Afrique Centrale et de l’Afrique de l’Ouest, le prédispose à subir les contingences de la transnationalisation, avec ses corolaires, notamment la dissémination de l’insécurité en provenance des pays limitrophes (Zozime Tamekamta, 2017; Musila, 2012; Amnesty International, 2015, p. 50-52). D’où l’urgence de numériser et sécuriser la nationalité en vue de prévenir la grande criminalité et lutter contre la corruption.
La prévention de la grande criminalité
La protection de la nationalité camerounaise est de manière intrinsèque liée aux menaces en l’encontre des biens et des personnes tant à l’intérieur qu’au niveau des zones de contact avec les pays limitrophes. En effet, depuis l’indépendance, le pays a toujours été le théâtre d’affrontements, d’insécurité avec ses voisins, des actes criminels sont perpétrés et entretenus par la porosité des frontières et la proximité sociolinguistique des différentes populations (Ango Ella, 1987, p. 50). De manière globale, on recense des actes tels que la criminalité transfrontalière, le phénomène des coupeurs de route dans l’espace géopolitique partagé entre le Cameroun, le Tchad et la République Centrafricaine, le vol de bétail et les attaques des véhicules de transport par les bandes armées. Il importe également de noter l’insécurité conséquente aux actes de terrorisme transfrontalier dont est victime le Cameroun avec le phénomène Boko Haram, l’usurpation d’identité à des fins belliqueuses ou celle interne destinée à la fraude et à la falsification des titres d’identité par des nationaux véreux.
Pour ce qui est du grand banditisme en zone urbaine, on notera le phénomène de hold-up des institutions financières, les braquages à main armée des domiciles de particuliers, de vol et de recel de véhicules à grande échelle. Cette situation a amené le haut commandement stratégique à mettre en branle le célèbre dispositif militaire connu sous l’appellation de commandement opérationnel et destiné à maîtriser le grand banditisme dans la ville de Douala.
Ces initiatives font partie de la mise en œuvre des concepts de sécurité et service publics qui correspondent à l’ensemble des mesures palliatives qui sont pour assurer la sécurité et le bien-être des citoyen-ne-s et de l’ordre public (Belleau, 2002, p. 289). La carte nationale d’identité sécurisée en est un exemple. En effet, le président de la République a signé deux décrets (2016/375 et 2016/374 du 04 octobre 2016) qui définissent respectivement les caractéristiques de la CNI et organisent le centre de production des titres identitaires.
S’agissant des caractéristiques de la nouvelle CNI, le décret 2016/375 du 04 août 2016, fixant les caractéristiques et les modalités d’établissement et de délivrance de la Carte Nationale d’Identité, prévoit en son article 2 que « La Carte Nationale d’Identité est un document en polycarbonate, plastifié et sécurisé, établi sur fond pré-imprimé selon la norme ISO/CEl 7810 sous le format ID-1. Elle est informatisée, biométrique, personnelle et contient une puce électronique ». La nouvelle CNI est au service de la sécurité publique pour plusieurs raisons:
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la puce électronique dont elle est dotée contient des informations sur son détenteur ou sa détentrice (état civil); ces informations peuvent être actualisées par les services compétents (probables évolutions du casier judiciaire);
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elle est infalsifiable, car ces informations sont conservées dans un fichier central dont Interpol a accès; à ce titre il sera donc difficile de les falsifier;
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les enquêtes policières seront plus faciles, car ciblées; les informations biométriques à l’instar des empreintes digitales présentes sur les scènes de crime pourront être comparées à celles enregistrées dans le fichier central pour identifier les auteur-e-s de crime. Ces individus pourraient être spatialement repérés par GPS grâce aux numéros de téléphone qu’ils ont préalablement donnés lors de leur identification.
Ainsi, les nouvelles caractéristiques de la CNI participent à rendre cette pièce utile à la sécurisation des personnes et des biens.
La lutte contre la corruption
L’État du Cameroun a pris à bras le corps la question de la lutte contre la corruption. Dans cette optique, de nombreuses mesures coercitives et restrictives ont été mises en œuvre. Paradoxalement, plus les initiatives gouvernementales sont prises, plus on observe la montée en puissance de moyens de contournement de la législation et, dans certains cas, on observe la recrudescence de l’insécurité. Il a été établi qu’il existe une interconnexion entre le caractère véreux des agents responsables et l’insécurité financière. En effet, la lutte contre la corruption impose à l’administration camerounaise de sécuriser numériquement les biens et les personnes. Il est surtout question d’assainir le climat des affaires par ce moyen. Les ressources étatiques se verraient mieux gérer et cela pourrait renforcer le capital de confiance des investisseurs/investisseuses. L’arrimage des douanes camerounaises, de la direction des impôts et de la Sûreté nationale à ces nouvelles procédures de sécurisation montre bien que le Cameroun entend faire reculer la corruption avec de cette nouvelle politique. L’extension de la mesure aux paiements électroniques des frais de scolarité et de divers concours s’inscrit dans cette logique.
Les enjeux sociopolitiques
Outre les enjeux sécuritaires qui obéissent à un contexte international et national rythmé par le terrorisme et des revendications identitaires plus ou moins violentes[1], les données d’un système d’état civil rénové et sécurisé par le numérique sont fort utiles à la formulation des politiques publiques, notamment celles relatives à l’aménagement du territoire, à la planification du développement, aux projections démographiques, aux questions de santé et d’éducation, à la gestion prévisionnelle des effectifs dans différents corps sociaux, à la programmation du budget d’investissement, à l’implantation des infrastructures sociales, aux questions électorales et de représentation politique (Sadi, 2016, p. 60).
La maîtrise du fichier électoral
Les régimes politiques sont le plus souvent marqués par l’organisation des élections. En ce qui concerne les démocraties, elles constituent un moment phare, car elles sont la matérialisation d’un des principes fondateurs de ces dernières: l’expression du choix du peuple par le vote. Les États africains connaissent la plupart du temps des tensions lors de l’organisation de ces modes de suffrages, plusieurs maux sont alors décriés: corruption, bourrage des urnes, manipulation des listes électorales. D’après l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie de 2003, l’une des solutions passe par la mise sur pied d’un fichier électoral comme support matériel regroupant des informations ayant trait aux électeurs et électrices. Ce support essentiellement numérique associé aux identifications numériques des citoyens et citoyennes permet une certaine maîtrise du nombre d’électeurs et électrices.
Au Cameroun, l’organisme en charge de mettre sur pied ce fichier électoral est Elections Cameroon (ELECAM) crée en décembre 2006 par la loi no 2006/011. Elle remplace l’Observatoire National des Élections, créé en 2000, qui était chargé de la surveillance du bon déroulement des élections au Cameroun. L’une des réalisations marquantes à mettre sur le compte d’ELECAM est la biométrisation du fichier électoral en passant par la numérisation des cartes électorales et les campagnes de proximité d’inscription sur les listes électorales. En 2014, ELECAM annonce avoir mis en ligne le fichier électoral sur son site qui peut être consulté par les résidentes et résidents nationaux et les membres de la diaspora préalablement inscrit-e-s sur les listes.
Au-delà des critiques concernant la gestion des ressources financières mises à la disposition de cet organisme (Mbako, 2017), il revient également à chaque citoyen-ne en âge de voter de se faire inscrire sur une liste électorale. Car le fichier doit être révisé chaque année durant la période allant du 1er janvier au 31 août comme le prévoit l’article 74 du code électoral camerounais. L’inscription sur une liste électorale ne peut se faire en bonne et due forme que si l’individu possède une carte d’identité valide. Le lien est donc étroit entre le processus de réforme de l’identification numérique au Cameroun et la maîtrise du fichier électoral. Le climat politique caractérisé par la méfiance tant de la part des partis politiques que des organisations civiles et des citoyen-ne-s envers les administrations publiques vient à compliquer un acte pourtant ordinaire de la vie d’un-e citoyen-ne. La question qui reste posée est celle de savoir si la numérisation, que ce soit des identités ou du fichier électoral, peut mettre fin à ce climat.
La maîtrise de la citoyenneté
La valeur juridique des droits que confère la citoyenneté permet à un individu de participer à la vie publique de son pays[2]. Cette valeur juridique renvoie à la nationalité qui désigne alors un individu comme ressortissant-e ou citoyen-ne d’un pays. Le droit international laisse les États libres de fixer les conditions d’obtention par la naissance ou la filiation d’une part et de privation de la nationalité d’autre part. En Afrique, la question de nationalité est souvent très épineuse lors de l’organisation des élections, car elle est intrinsèquement liée au droit de vote. Il s’agit ici de savoir si ceux ou celles qui ont acquis une autre nationalité pour des raisons diverses ou qui résident ailleurs peuvent encore participer aux différentes élections de leur pays d’origine. Si certains pays ont réglé le problème en reconnaissant tout simplement la possibilité pour leur population d’acquérir une seconde nationalité, cela demeure une problématique très sensible pour plusieurs pays, y compris le Cameroun.
Le Cameroun n’échappe pas à l’augmentation des migrations qui caractérisent l’époque actuelle. Il est évident que ce phénomène concerne en grande partie des personnes en âge de travailler ou des étudiant-e-s. La France compte 30 000 immigrés d’origine camerounaise ou de nationalité camerounaise et sachant que ce chiffre n’inclut pas les descendant-e-s de Camerounais nés en France (Ministère de l’économie, 2009, p. 54). Si l’apport économique de la diaspora est reconnu et même encouragé, la mobilisation de la diaspora se heurte à plusieurs contraintes dont certaines sont relatives à la question de sa participation aux échéances électorales (vote des Camerounais-es de l’étranger) et à la problématique de la double nationalité. Après une longue période de méfiance, des initiatives sont de plus en plus mises en place pour inciter les membres de la diaspora à prendre part au développement du pays[3]. En matière électorale, pendant de nombreuses années, les membres de la diaspora qui ont conservé leur nationalité ne pouvaient pas participer aux élections tout en continuant de résider à l’étranger. On a assisté à une évolution de cette situation avec l’adoption de la loi du 13 juillet 2011[4] même si elle restreint encore ce droit de vote aux Camerounais-es détenteurs/détentrices d’une autre nationalité.
Le débat sur la reconnaissance de la double nationalité est ancien au Cameroun. En effet, c’est la loi no 1968-LF- du 11 juin 1968 portant code de la nationalité au Cameroun qui, dans son article 31, ne permet pas aux Camerounais qui bénéficient des privilèges d’autres nationalités de conserver la première. Cette loi était la réponse au climat politique de cette période et avait pour objectif de freiner l’opposition qui résidait à l’extérieur. Si la loi de 2011 est un premier pas vers l’intégration progressive de la diaspora dans la vie politique, elle ne résout pas la question de la double nationalité. Surtout que l’opinion publique, sur la base des faits relayés par les médias, semble convaincue qu’il y’a un traitement différencié en ce qui concerne les footballeurs et footballeuses, les artistes et d’autres personnalités publiques qui possèdent d’autres nationalités et jouissent des privilèges au Cameroun sans être sanctionnés.
On peut retenir que l’inscription sur les listes électorales camerounaises à l’étranger ne se fait auprès des ambassades que si l’on dispose d’une carte consulaire et elle pose également la problématique des ressources au niveau de ces ambassades quant à leur capacité à fournir une documentation sécurisée. D’où la nécessité d’examiner les implications de cette mesure de sécurisation.
Les implications de la sécurisation numérique de la nationalité
La question de l’état civil demeure une préoccupation constante des pouvoirs publics et de la communauté internationale (Tcheuwa, 2016, p. 22). L’état civil est un vecteur de citoyenneté et de gouvernance démocratique. La mise en place de procédures fiables et sécurisées, pour enregistrer les naissances, les mariages et les décès sur l’ensemble du territoire, implique ainsi un dispositif performant au service de l’État, mais aussi, et surtout au profit des citoyen-ne-s. Toutefois, au regard de multiples dysfonctionnements enregistrés dans la gestion de l’État civil au Cameroun avant 2010[5], la priorité du gouvernement est l’institution des mécanismes de sécurisation des titres identitaires et une meilleure maîtrise des défis qui freinent leur mise en œuvre.
La rénovation du cadre juridique applicable à l’état civil
L’acte de naissance constitue la pièce essentielle pour se faire établir une CNI. Mais comment sécuriser un document dont la délivrance repose sur la présentation d’un acte de naissance? Tout porte à croire que le nœud du problème réside dans l’établissement des actes de naissance. En 2011, la loi no 2011/011 du 6 mai 2011 modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance no 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques comporte une innovation majeure en matière d’accessibilité et de sécurisation de l’état civil, laquelle se manifeste à travers le réaménagement des centres d’état civil et la création du Bureau national de l’état civil (BUNEC).
La création des centres secondaires d’état civil, vecteur de constitution nationale du fichier d’état civil
Le gouvernement a lancé un grand projet pluriannuel, le Programme de réhabilitation de l’état civil du Cameroun, qui a pour objectifs d’améliorer les taux d’enregistrement des événements d’état civil, d’améliorer le service rendu à l’usager/usagère dans l’établissement des CNI, d’améliorer la fiabilité et la sécurité des actes d’état civil et de constituer un fichier national informatisé de l’état civil. La loi n° 2011/011 du 06 mai 2011 modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance n° 81/002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques supprime les centres spéciaux d’état civil. Ceux-ci sont remplacés par les centres secondaires rattachés aux centres principaux logés au sein des communes (Tcheuwa, 2016, p. 29).
L’alinéa 3 de l’article 10 de la nouvelle loi dispose qu’« il est créé un centre d’état civil principal auprès de chaque communauté urbaine, commune, mission diplomatique ou poste consulaire du Cameroun ». L’alinéa 4 du même article donne la possibilité au ministre chargé des collectivités territoriales de créer par arrêté des centres secondaires d’état civil dans le ressort de certaines communes. Cet alinéa laisse apparaître clairement le principe du rattachement des centres secondaires d’état civil aux centres principaux, ce qui entraîne un certain nombre d’implications en terme, notamment, d’initiative, de suivi et de contrôle et de remontée des statistiques (Tcheuwa, 2016, p. 29). Le but est de permettre l’accessibilité du fichier national informatisé à tous les centres d’état civil via internet (Ba, 2003).
Ce changement confirme s’inscrit dans le processus en cours de décentralisation et reconnaît la compétence en matière d’état civil à la commune et son positionnement hiérarchique par rapport aux centres secondaires d’état civil (Sadi, 2016, p. 58). Dans ce sens, le système d’identification sécuritaire est un processus de construction de la nation camerounaise.
La création du Bureau national d’état civil (BUNEC)
La loi n° 2011/011 du 06 mai 2011 a institué en son article 10 un bureau national de l’état civil. Il a été effectivement créé en 2013 par le décret n° 2013/031 du 13 février 2013. Placée sur la tutelle technique du Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation et financière du Ministère des finances, cette structure est opérationnelle depuis le 2 mai 2016. Elle est chargée de proposer et de mettre en œuvre, après approbation du Gouvernement, un schéma directeur de l’informatisation du système national d’état civil. C’est-à-dire qu’elle devrait en principe centraliser les données issues des centres d’état civil pour constituer un fichier national. Cela devrait permettre d’enregistrer progressivement, de manière informatisée, tout acte d’état civil délivré par un centre d’état civil.
Logiquement, le BUNEC est chargé de poser les jalons d’un état civil sécurisé en concevant un système d’alerte et de détection automatique de toute tentative d’établissement de double acte de naissance ou de tout autre document d’état civil. Il doit adresser au gouvernement un rapport annuel et éventuellement des rapports circonstanciels sur le fonctionnement et la fiabilité du système national d’état civil. Ces rapports sont assortis de toute proposition susceptible d’améliorer ledit système.
Le BUNEC a pour mission d’assurer la supervision, le contrôle, la régulation et l’évaluation du système national de l’état civil. À ce titre, il est chargé:
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de la collecte, de l’archivage et de la centralisation des données et documents relatifs à l’état civil, en vue de la constitution d’un fichier national de l’état civil; à cet effet, le BUNEC reçoit ou sollicite la transmission des registres et autres actes ou documents concernés dont il assure la conservation;
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de l’exercice du contrôle administratif et technique sur l’organisation et le fonctionnement des centres d’état civil, ainsi que sur la tenue des registres et l’établissement des actes d’état civil;
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de l’élaboration, de la diffusion et du respect des normes, documents types et manuels de procédures applicables aux actes et centres d’état civil;
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de la fourniture des registres d’état civil ainsi que du matériel et autres équipements nécessaires au bon fonctionnement des centres d’état civil;
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de la formation des officiers et secrétaires d’état civil, ainsi que des autres intervenants du système;
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de la conception et de la mise en œuvre des programmes d’information et de sensibilisation des populations sur la législation et la réglementation régissant l’état civil.
Dans la perspective de la constitution d’un fichier national de l’état civil, il est lancé actuellement, avec l’appui du don français (Graziani, 2016), une étude de faisabilité de l’archivage numérique des actes d’état civil du Cameroun. Cette étude vise l’acquisition d’une solution informatique pour la conservation à des fins administratives et patrimoniales des documents papier (les différents actes d’état civil dressés par les officiers d’état civil) sous une forme numérique. La solution retenue sera implémentée en guise de test dans le département du Mfoundi (communauté urbaine et les 7 communes d’arrondissement). À la fin du projet, les actes d’état civil conservés dans le département du Mfoundi seront numérisés, archivés et transmis dans le serveur central installé au BUNEC (Yomo, 2016, p. 41).
La maîtrise des défis liés à la numérisation des titres identitaires
Le constat est clair que l’absence de fiabilité de l’état civil camerounais constitue un frein au développement (AIMF, 2004, p. 22). La mise en œuvre du processus de numérisation du fichier d’état civil qui vise l’assainissement du secteur et la fiabilité des statistiques se heurte à un certain nombre de contraintes liées aux ressources humaines et infrastructurelles et aux contraintes conjoncturelles.
Les défis liés aux ressources
Au rang des défis infrastructurels, figure la difficulté d’arrimage des mairies et des commissariats aux TIC. Il faudrait au préalable que les mairies et les différents centres d’état civil s’arriment effectivement aux technologies de l’information et de la communication; ce qui suppose que chaque centre dispose d’ordinateurs et d’une connexion internet, c’est le minimum. L’enregistrement des actes d’état civil doit impérativement se faire non plus de manière manuelle dans un plumitif en papier, mais aussi directement dans un ordinateur de telle sorte que, chaque fois que l’ordinateur en question est connecté à internet, les données soient automatiquement envoyés au centre de stockage du BUNEC.
Relativement aux défis liés à l’établissement de la CNI sécurisée, la descente effectuée dans trois commissariats de la ville de Yaoundé (Efoulan, Melen et Ngoa-Ekélé) a permis de mettre en relief le caractère vétuste, voire quasi inexistant, des infrastructures d’accueil. Il n’y a que très peu de places assises pour la plupart, il s’ensuit que les usagers et usagères ayant pris assaut des commissariats aux aurores (4 à 5 heures du matin) vont effectuer le parcours du combattant, il est courant de trouver des usagères et usagers assis à même le sol. Cette situation est d’autant plus intenable qu’il nous a été donné de constater que l’ordre de passage déterminé par la liste de personnes à enrôler n’est pas respecté. La corruption, le clientélisme et le trafic d’influence sont de véritables problèmes. Les usagers et usagères sont parfois reçus par rapport au contenu de leur porte-monnaie ou aux relations qu’ils ou elles ont avec le personnel.
S’agissant de l’identification elle-même, on a constaté qu’il y a en moyenne 3 à 4 postes d’identification par commissariat. La qualité du matériel utilisé est assez bonne et est constituée pour l’essentiel d’un ordinateur et de tout le matériel permettant de recueillir les données biométriques (taille, empreintes digitales, photographie du visage, signature). Il serait donc judicieux d’augmenter les postes d’enrôlement par commissariat; cela réduirait les affluences au niveau des commissariats et éviterait aux usagers et usagères de devoir sortir aux aurores pour se faire établir la CNI avec tout ce que cela comporte comme risques d’agression.
Pour ce qui concerne les défis humains dans l’ensemble, les enrôleurs donnent l’impression d’être rompus à la tâche. Cependant, leur travail est parfois émaillé d’erreurs qui, à leur décharge, sont aussi de la responsabilité des usagers et usagères qui ne prennent pas souvent la peine de relire attentivement le récépissé avant impression finale.
La fragilité des documents officiels
La mise en place du nouveau système d’identification sécuritaire suppose la collecte des données d’état civil dans tous les centres d’état civil au Cameroun et à l’étranger. Cette opération permettra de limiter les actes multiples dont une personne serait porteuse.
L’identification d’un individu se fait par la présentation des documents d’état civil considérés comme des actes authentiques qui, à ce titre, ne peuvent pas être contestés par des actes ordinaires. Or, on doit cependant observer que les moyens d’identification au Cameroun n’ont qu’une valeur relative.
La difficile éradication des fausses identités
Il est difficile d’éradiquer les fausses identités dans la mesure où les résultats d’une étude diagnostique du système d’état civil au Cameroun, commandée par le Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation et restituée en 2007, ont révélé entre autres que « le système est gangrené par une importante fraude documentaire ». Et la conséquence serait la possibilité pour tout-e citoyen-ne qui dispose de plusieurs actes de naissance de pouvoir se faire établir autant de CNI tout aisément.
De nombreux Camerounais-es savent qu’il est possible de voir un seul individu avec plusieurs actes de naissance avec un âge différent communément appelés « actes Kumba ». La pratique est tellement ancrée dans les habitudes qu’elle est banalisée et devient même la norme. Dans ce contexte, peut-on réellement parler de nationalité sécurisée? N’importe quel(le) étranger/étrangère peut à coup de francs CFA obtenir un acte de naissance authentique dans une mairie ou chez l’officier d’état civil du coin.
Conclusion
La sécurisation de la nationalité permet de disposer d’un système d’état civil viable et crédible qui garantit l’authenticité des actes ou des données enregistrées, mais qui constitue aussi une source d’informations pour une formulation pertinente des politiques publiques. L’état civil fonde l’existence juridique des personnes et est donc la base de toute politique de respect des droits de l’humain. C’est l’état civil qui donne droit à la nationalité ainsi qu’à l’exercice de la citoyenneté. Il donne également droit à l’exercice et à la jouissance effective des droits civils et politiques. Les actes d’état civil comportent des effets juridiques importants, ce qui justifie leur intérêt et leur rôle dans la vie des citoyen-ne-s. Le fichier d’état civil numérisé et sécurisé donnerait au système d’état civil camerounais une crédibilité et une fiabilité plus accrue. L’incorporation d’une puce électronique dans la nouvelle CNI faciliterait l’authentification des actes produits en quelque lieu que ce soit. Du point de vue de l’État, les actes d’état civil permettent aux pouvoirs publics de sécuriser la nationalité et de planifier le développement de manière plus efficace (Issanda Issanda, 2016) et, par conséquent, de contribuer à la consolidation de la nation camerounaise. Il permet ainsi à l’État de maîtriser le taux de natalité, le taux de nuptialité, le nombre de ménages, le taux de mortalité ou la planification des projets de développement. La présente étude montre également que l’état civil est un outil précieux non seulement pour garantir les droits des personnes, mais aussi pour faire vivre la démocratie (Robichon, 2014)[6] et de consolider l’État de droit. Sa réussite ne saurait être pleinement accomplie sans la mobilisation de toutes les parties prenantes à savoir l’État, les collectivités locales, les autorités administratives et judiciaires, la société civile et les partenaires techniques au développement. Comme le souligne Samuel Kelodjoue (2015), la « révolution des données » en Afrique passera aussi par la réhabilitation effective des systèmes nationaux d’état civil à l’instar de celui du Cameroun, ceci dans le but de constituer des instruments de base dans la production des statistiques démographiques au Cameroun. Le constat qui s’impose est qu’il y a encore du travail à faire et visiblement la volonté politique y est également, le reste ne devrait être qu’une question de temps.
Références
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- Si la secte Boko Haram mène une campagne de terreur depuis quelques années dans la région de l’extrême nord Cameroun l’année 2017 aura été marquée, par la crise anglophone des régions du Nord-Ouest et du Sud- Ouest. ↵
- Encyclopédie de l’Agora http://agora.qc.ca/dossiers/Citoyennete, consultée en ligne le 21 août 2017. ↵
- Voir Forum de la Diaspora, Yaoundé, 28-30 Juin 2017. ↵
- Loi no 2011/013 du 13 juillet 2011 qui autorise les Camerounais-es résidant à l’étranger de prendre part aux élections présidentielles et aux référendums. ↵
- Tels que le faible taux d’enregistrement des faits d’état civil, le manque de registres dans certaines localités enclavées, le niveau de formation insuffisant du personnel d’état civil, auxquels s’ajoute le contexte actuel de lutte contre le terrorisme. ↵
- Allocution prononcée lors du lancement du projet d’appui de la France a la réhabilitation de l’état civil du Cameroun (PR2C), Yaoundé, 2 avril 2014. ↵