Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

Le droit pénal dans le système africain de protection des droits humains

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU

 

Introduction

La Cour et la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples sont-elles également compétentes en matière pénale? D’avance, la réponse est négative, car d’après le Protocole à la Charte africaine portant création de ladite Cour[1], elle « a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’application et l’interprétation de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifiés par les États concernés »[2]. De même, conformément aux articles 30 et 45 de la Charte africaine, la Commission africaine est un organe conventionnel autonome ayant pour mandat de promouvoir les droits humains et des peuples et d’assurer la protection de ces droits en Afrique[2]. Mais, une analyse approfondie de la jurisprudence de ces organes de protection des droits humains en Afrique montre qu’ils statuent sur des violations du droit pénal commis par les États. Une étude sur le droit pénal dans le système africain de protection des droits humains trouve donc sa justification.

La doctrine appréhende traditionnellement le droit pénal par son objet. Pour Desportes et Le Gunehec, il a pour objet « de déterminer les actes antisociaux, de désigner les personnes pouvant en être déclarées responsables et de fixer les peines qui leur sont applicables » (2003, p. 3). L’on peut distinguer le droit pénal de forme ou de procédure, du droit pénal de fond ou substantiel. Le premier définit le déroulement de la procédure, la compétence des juridictions, les voies de recours, les délais et la prescription (Mboumegne Dzesseu, 2019, p. 62). Il a la particularité de comporter un éventail de droits des personnes à respecter pendant le déroulement de la procédure. En ce qui concerne le droit pénal de fond, il faut noter que la définition de Desportes et Le Gunehec (idem) correspond le mieux à cette notion. À cet effet, le système africain de protection des droits humains apparaît comme un ensemble coordonné d’éléments qui combine à la fois des instruments conventionnels et des institutions judiciaires et quasi judiciaires, entièrement à la cause de la défense des droits humains (Banzeu, 2011, p. 92). La question qu’il faut se poser après ces précisions est la suivante : peut-on, à partir des instruments juridiques et la jurisprudence des organes juridictionnels de protection des droits humains en Afrique, déduire leurs compétences en matière de violations relevant du droit pénal?

À l’observation, les instruments juridiques pertinents et la jurisprudence de la Cour et de la Commission africaines oscillent entre violations au droit international des droits humains, violations du droit pénal de forme et de fond. La future Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples connaîtra des infractions de droit international pénal. Le droit pénal dans le système africain de protection des droits humains est donc une réalité. Cette contribution a le mérite de voir comment le système mis en place exerce son office face aux violations à connotation pénale, sans l’existence d’un Bureau du Procureur. Il est question de voir aussi comment elle entend maîtriser la justice répressive avec l’avènement prochain de la nouvelle Cour dont les compétences s’étendent au droit international pénal. Cette étude ne peut être menée sans un recours à une méthodologie appropriée. D’après Madeleine Grawitz (2001, p. 301), « la méthode dicte surtout de façon concrète la manière d’envisager ou d’organiser la recherche, mais ceci de façon plus ou moins impérative, plus ou moins précise, complète et systématique ». Dans cette étude, l’on aura recours à la méthode juridique qui, selon Charles Eisenmann (2003), a deux composantes : la dogmatique et la casuistique. La dogmatique consiste à analyser les textes et les conditions de leur édiction. Il s’agit de l’étude du droit écrit, de la norme juridique au sens strict, et plus spécifiquement du droit positif tel qu’il ressort de l’armature législative. Elle permettra de s’appesantir sur le sens des instruments pertinents des droits humains ratifiés par les États défendeurs et appliqués par la Cour africaine. Cependant, la méthode juridique, dans cette seule composante, se confondrait à une spéculation philosophique (Eisenmann, 2003, p. 45). Pourtant, selon Batiffol, « la recherche juridique échappe au danger de la spéculation abstraite » (2002, p. 6). La norme juridique nécessite une confrontation aux réalités sociales, car la fonction essentielle du droit est de régenter l’ordre social. C’est en ce moment qu’interviendra la casuistique. Cette seconde composante permettra d’apprécier la jurisprudence de la Cour pour en dégager son usage du droit pénal. Cette démarche permettra de mettre à l’évidence les germes du droit pénal dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples et la consécration du droit international pénal dans l’office de la future Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples.

Les germes du droit pénal dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples

Le germe est une cause, un principe, une semence ou encore une source[3]. Dans le cadre de cette contribution, le germe renvoie à une semence. À cet effet, la commodité de l’étude commande que l’on s’intéresse à l’existence des violations relevant du droit pénal dans les instruments juridiques pertinents applicables par les organes juridictionnels de protection des droits humains et leur enracinement dans l’exercice régulier des compétences.

Un ancrage naturel dans les instruments juridiques pertinents applicables

D’emblée, il convient de dire que l’infraction est le fait prévu et puni par la loi pénale à raison du trouble qu’il cause à l’ordre social (Nkamaha, 2019, p. 56). Le droit applicable dans le système africain de protection des droits humains, notamment devant la Cour africaine et la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples, est constitué d’une panoplie d’instruments dont les principaux contiennent des droits dont les violations sont incriminées sur le plan pénal. Au premier rang de ces instruments se trouve la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples[4]. La particularité de cette analyse réside dans la mise en exergue des infractions pénales tirées des comportements des auteurs et contraires aux dispositions de la Charte africaine. L’article 5 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, régulièrement invoqué devant la Commission et la Cour africaines des droits de l’Homme et des peuples, contient plusieurs violations à connotations pénales. Il en ressort que tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. De plus, toute forme d’exploitation et d’avilissement humains, notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique et morale, les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont interdits.

De cette disposition, l’on peut dégager les violations des droits humains à connotations pénales telles que l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique et morale et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants. À en croire la jurisprudence, l’article 5 comprend non seulement les actes qui causent de graves souffrances physiques et psychologiques, mais qui humilient également ou forcent l’individu à marcher contre sa volonté ou sa conscience[5]. Bien que ce texte ne définisse pas la torture, il convient de se référer à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 pour comprendre le sens donné à cette notion. Voici ce que dit l’article premier de cette convention :

le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles (Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, New York, 10 décembre 1984).

De cette définition, il résulte trois éléments caractéristiques de la torture : un élément matériel, un élément intentionnel et la qualité de l’auteur. L’élément matériel suppose qu’une douleur ou une souffrance aiguë ait été infligée. La douleur ou la souffrance doit avoir atteint un certain seuil d’intensité[6]. L’appréciation de ce seuil comporte un élément subjectif laissé à la discrétion des organes de surveillance ou des juridictions. Le Comité des droits de l’Homme a indiqué qu’il prenait en considération la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques et mentales ainsi que le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime[7]. La souffrance ou la douleur peut être physique ou mentale, ce qui inclut la menace de torture[8]. Enfin, l’élément matériel peut consister en une action ou une omission[9]. L’élément intentionnel doit être appréhendé sous deux aspects. D’une part, il suppose que l’auteur doit être conscient de son acte. Ce qui permet d’exclure les actes purement accidentels. D’autre part, l’élément intentionnel implique l’existence d’un but recherché. La Convention contre la torture de 1984 énumère à ce sujet quatre buts possibles : l’obtention de renseignements ou d’aveux, la punition, l’intimidation ou la pression et enfin tout motif fondé sur la discrimination, quelle qu’elle soit. Sont ainsi concernés les actes de torture infligés en raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de la race, de la religion, des opinions politiques, de la couleur ou de l’origine de la victime (Portelli, 2017, p. 115). Il convient donc de dire que les deux organes de protection des droits humains en Afrique peuvent faire usage de tout autre instrument pertinent ratifié par l’État mis en cause et comportant des infractions à connotation pénale, comme dans l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Cependant, il ne s’agira pas seulement des infractions du droit pénal de fond, mais aussi du droit pénal de forme. Dans ce registre, il convient de citer la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, énoncé à l’article 7(1) (d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. De prime abord, il faut relever que le délai raisonnable est une donnée fondamentale en droit processuel et se pose avec acuité devant les juridictions internationales qui connaissent spécifiquement du contentieux des droits humains (Mboumegne, 2019, p. 74). La durée raisonnable de la procédure préserve la crédibilité de la justice et son efficacité (Sudre, 1999, p. 237). D’ailleurs, les lenteurs de la justice valent aux États des condamnations dans les différents systèmes de protection des droits humains, notamment sur le plan africain (Mboumegne, ibid., p. 90) conformément à l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend (c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix et (d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.

On peut lire dans cet article d’autres violations des droits humains à connotations pénales qui sont liées au droit pénal de procédure, notamment la violation du droit à la défense et du droit de se faire assister par un avocat de son choix, lesquels sont consacrés aussi par d’autres instruments pertinents des droits humains applicables devant la Cour et la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples, à l’instar du pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 14. Dans le même sillage, l’interdiction des arrestations et des détentions arbitraires, régie par l’article 6 de la Charte africaine et par l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, est une mesure qui vise à favoriser le respect de la légalité des mesures d’arrestation et de détention. Une arrestation et une détention sont réputées illégales si les personnes arrêtées et détenues le sont sans inculpation et sans raison (Sudre, op. cit., p. 117). La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant[10](1990) contient également des dispositions relatives à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En effet, l’article 16 (1) de cette Charte prévoit que « les États parties à la présence Charte prennent des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives spécifiques pour protéger l’enfant contre toute forme de tortures, traitements inhumains et dégradants (…) ». Le 11 juillet 2003, lors de son Deuxième sommet ordinaire à Maputo (Mozambique), la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine a adopté le Protocole de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, dont l’article 4 (1) dispose que « toute femme a droit au respect de sa vie, de son intégrité physique et à la sécurité de sa personne. Toutes formes d’exploitation, de punition et de traitement inhumain ou dégradant doivent être interdites ». Le cadre juridique qui comprend l’ensemble des instruments qui comportent des violations du droit pénal de fond et de forme constitue le fondement juridique de la mise en œuvre des compétences de la Cour et de la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples.

Un enracinement dans l’exercice des compétences

La compétence des organes de protection des droits humains, mise en exergue dans le cadre de ce travail, est rattachée à leurs mandats, c’est-à-dire assurer la protection des droits humains en Afrique. Le nouveau règlement intérieur[11] de la Commission africaine est assez clair à ce sujet. Conformément aux articles 30 et 45 de la Charte africaine, la Commission africaine est un organe conventionnel autonome ayant pour mandat de promouvoir les droits humains et des peuples et d’assurer la protection des droits humains et des peuples en Afrique. Son homologue, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, connaît des violations des droits humains commises par les États à l’encontre des individus, à condition, entre autres, que lesdites violations résultent des droits consacrés dans les instruments internes des États, mais aussi de tout instrument pertinent ratifié par l’État défendeur.

L’article 3 (1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits humains et ratifié par les États concernés ». La jurisprudence des deux organes est l’expression de l’exercice de leurs compétences contentieuses en matière de protection des droits humains. Il existe entre les deux une complémentarité (Nouazi Kemkeng, 2020, p. 53) qui a pour fondement juridique l’article 2 du Protocole qui dispose de manière générale que « la Cour, tenant dûment compte des dispositions du présent Protocole, complète les fonctions de protection que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples a conférées à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ». Cette complémentarité est consacrée par le protocole, réglementée par le règlement intérieur de la commission de 2010 et consolidée par celui de 2020 de la Commission africaine que par celui de son homologue[12]. D’ailleurs, elle est perceptible dans la sanction des infractions de droit pénal dans l’exercice des compétences en matière de protection des droits humains. Dans l’affaire Onyango Nganyi et autres contre Tanzanie, la Cour africaine, au sujet de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable prévu par l’article 7 de la Charte africaine, par l’État défendeur, rappelle qu’en matière pénale, l’effet dissuasif du droit pénal ne peut être efficace que si la société peut voir que les auteurs des crimes sont jugés et s’ils sont déclarés coupables, ils seront condamnés dans un délai raisonnable, tandis que les suspects innocents ont indéniablement un très grand intérêt à ce que leur innocence soit rapidement reconnue[13]. En l’espèce, les requérants soutiennent qu’ils ont déposé leur requête devant la Haute Cour de Tanzanie le 19 juin 2006 et au moment où ils ont déposé la requête en l’espèce devant la Cour africaine, soit le 23 juillet 2013, l’affaire était toujours pendante devant les juridictions internes de l’État défendeur[14].

Par ailleurs, en ce qui concerne la torture, dans la communication 325/06 – Organisation Mondiale Contre la Torture et Ligue de la Zone Afrique pour la Défense des Droits des Enfants et Élèves (pour le compte de Céline) contre République Démocratique du Congo, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, pour mettre en jeu la responsabilité de l’État défendeur, note que les dispositions de l’article 5 garantissent le respect de la dignité humaine et interdisent la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Il en est ainsi des affaires Modise c. Botswana et Egyptian Initiative for Personal Rights et Interights c. Égypte où la Commission considère que les traitements inhumains et dégradants violent nécessairement la dignité humaine[15].

De même, en réprimant, l’arrestation et la détention arbitraires, la Commission note qu’aucune situation politique ne justifie la violation totale des droits humains. En effet, des restrictions générales sur les droits tels que le droit à la liberté d’expression et le droit d’être à l’abri d’arrestation et de détention arbitraires, ne servent qu’à saper la confiance publique par rapport à la primauté de droit et feront qu’accroître, plus qu’elles n’empêcheront, les troubles au sein de l’État[16].

En l’espèce, le plaignant allègue qu’en août 2001, une douzaine de hauts fonctionnaires et les autres membres de l’élite au pouvoir, connue sous l’appellation de G15, ont signé une lettre ouverte critiquant le gouvernement du Président Isaias Afewerki. Cette lettre aurait prétendument engendré une crise politique qui aurait suscité des défections, des démissions, la destitution de hauts fonctionnaires, l’emprisonnement des opposants et de journalistes et l’annulation des élections générales qui devaient avoir lieu au mois de décembre 2001. Le Plaignant soutient également que les 18 et 19 septembre 2001, 11 anciens fonctionnaires du gouvernement érythréen, parmi lesquels l’ancien Vice-président Mahmoud Sheriffo et l’ancien Ministre des Affaires étrangères Petros Solomon, ont été arrêtés à Asmara.

À l’observation, les infractions du droit pénal de fond et de forme existent bel et bien dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission africaines et témoignent ainsi l’effectivité des germes du droit pénal dans le système africain de protection des droits humains. On peut aussi, sans surprise, se rendre compte de la consécration du droit pénal dans l’office de la future Cour africaine de justice.

La consécration du droit international pénal dans l’office de la future Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples

Avec la réforme envisagée par le Protocole de Sharm-el-cheikh qui créé la Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples, l’on assiste à l’unicité du contentieux international du droit, en général et des droits humains et des crimes internationaux, en particulier (Nouazi Kemkeng, 2013, p. 186). D’ailleurs, dans sa version amendée du 27 juin 2014, la nouvelle Cour sera composée de trois sections ayant respectivement compétence sur les affaires générales, sur les questions relatives aux droits humains, ainsi que sur les crimes internationaux (Badugue, 2017, p. 1). L’on est donc en droit de relever la prise en compte des infractions du droit international pénal par le protocole qui crée cette ultime Cour, mais aussi la spécialisation d’une section en charge des infractions de droit pénal.

La prise en compte des infractions du droit international pénal

Le droit international pénal est une branche du droit international qui permet d’engager la responsabilité internationale d’individus, auteurs de crimes de droit international (Vaurs Chaumette, 2009, p. 27). La responsabilité « est ce lien de droit qui unit le responsable à la victime, lien au terme duquel le responsable sera débiteur de certaines obligations dont la victime sera la créancière » (Forteau, 2006, p. 36). Le droit international pénal pose le principe de la responsabilité pénale individuelle, quelle que soit la qualité de l’auteur·e de l’acte (De Frouville, 2012, p. 343). On peut de ce fait comprendre que l’infraction est attachée à son auteur·e personne physique.

Le protocole portant amendement au protocole de Sharm-el-cheikh en son article 28A définit les crimes internationaux relevant du droit international pénal. Il ne s’agit pas, dans le cadre de cette contribution, de les énumérer simplement, mais de définir chacun avec ses éléments constitutifs. Le génocide s’entend comme étant l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ce sont : le meurtre des membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe, les viols ou autres formes de violence. Le législateur africain va au-delà des actes prévus par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[17] et ajoute les viols ou autres formes de violences. Ces actes ont pour point commun qu’ils sont tous susceptibles de conduire à la destruction d’un groupe visé (De Frouville, ibid., p. 101).

Par ailleurs, on entend par crime contre l’humanité l’un des actes suivants commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé de population, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions du droit international, torture, viol, esclavage ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, persécution d’un groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, disparitions forcées de personnes, crime d’apartheid et autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale[18]. Il existe des actes communs entre le génocide et le crime contre l’humanité. Ce qui favorise la répression et évite ainsi l’impunité des auteur·e·s qui peuvent se voir être poursuivis sur l’un quelconque des chefs ou sous les deux chefs d’inculpation en cas de commission d’infraction. D’après la doctrine, le crime d’agression est « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies » (Kamto, 2010, p. 19). Cette définition est un volet de celle prévue par le Statut de la Cour pénale internationale[19].

Le législateur africain s’inscrit dans la logique de cette définition issue du Statut de la CPI mettant la personne au centre de l’agression comme auteur actif. Le crime d’agression s’entend, pour une personne qui est effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, de planifier, de préparer, de déclencher ou de commettre un acte d’agression qui, par ses caractéristiques, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ou de l’acte constitutif de l’Union africaine[20].

À la lecture de ces différentes clarifications des crimes internationaux relevant du droit international pénal, seule la responsabilité individuelle mérite d’être retenue. Cependant, le législateur africain étend la compétence de la Cour aux personnes morales de droit privé[21]. Il existe une particularité au niveau de la classification des crimes internationaux dans le contexte africain. La législation tire les conséquences des dérives de certaines démocraties où l’accession au pouvoir s’est faite par les armes[22] et consacre le crime relatif au changement anticonstitutionnel de gouvernement[23]. Dans le même registre, on peut citer l’exploitation illégale des ressources naturelles qui témoigne de l’importance des ressources naturelles pour les États africains. La liste des crimes n’est pas exhaustive. La réunion des éléments légaux, matériels et intentionnels est suffisante pour caractériser ces violations et permettre au Procureur·e de saisir la section spécialisée pour le jugement.

La spécialisation d’une section au droit international pénal et l’instauration d’un Procureur

La structure de la Cour conforte l’idée selon laquelle les prémisses du droit pénal dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples étaient l’antichambre de la consécration de la compétence pénale de la Cour unifiée. La section du droit international pénal comprend trois chambres : la chambre préliminaire, la chambre de première instance et la chambre d’appel[24]. Toute affaire de nature criminelle relève de la compétence de cette section[25]. Suivant la classification des infractions en droit pénal, le crime est l’infraction la plus grave. Le Statut de la Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples définit les chefs de compétences de la section du droit international pénal dans les composantes de son article 28. Quatorze crimes peuvent ainsi être connus par ladite section. Le législateur africain veut asseoir la souveraineté de la juridiction continentale en étendant ses compétences sur les crimes couverts par le statut de Rome, sur ceux en dehors du statut de Rome et en prenant en compte les spécificités africaines contenues dans les codes pénaux des États africains (Badugue, 2017, p. 2). Afin de lutter contre l’impunité des crimes internationaux, le législateur africain consacre la fonction de Procureur au service d’une obligation de poursuivre les pires crimes internationaux. En tant que moteur du déclenchement des poursuites, le procureur international constitue la clé de voûte de l’action pénale (Le Gall, 2013, p. 496). Le Bureau du Procureur de la Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples a des pouvoirs étendus en matière de poursuite des auteur·e·s de crimes internationaux. Il peut, à ce sujet, ordonner d’office des enquêtes sur la base d’informations sur les crimes relevant de la compétence de la Cour[26] et analyser la gravité des informations reçues. À cet égard, il eut chercher à recueillir des informations complémentaires auprès des États, organes de l’Union africaine ou des Nations-Unies, des organisations intergouvernementales ou non gouvernementales ou auprès d’autres sources fiables qu’il ou elle juge appropriées et qui peuvent recevoir des témoignages écrits ou verbaux[27].

Par ailleurs, si le bureau du procureur ou la procureure conclut qu’il y a une base raisonnable pour procéder à une enquête, il soumet une demande d’autorisation pour cette enquête, accompagnée de tout document d’appui à la chambre préliminaire. Les victimes peuvent se faire représenter auprès de ladite chambre, en application du règlement de la Cour[28]. En outre, si la chambre préliminaire, après examen de la requête et des documents d’appui, considère qu’il y a une base raisonnable d’ordonner une enquête et que l’affaire relève de la compétence de la Cour, elle autorise le lancement de l’enquête, sans préjudice des décisions subséquentes de la Cour en ce qui concerne la juridiction et la recevabilité d’une affaire[29].

Néanmoins, le refus de la Chambre préliminaire d’autoriser l’enquête n’exclut pas la soumission d’une demande subséquente par le bureau du Procureur sur la base de nouveaux faits ou preuves relativement à la même affaire[30]. L’on se rend compte que l’opportunité des poursuites du bureau du procureur ou de la procureure est limitée par l’obligation d’obtenir l’autorisation de la chambre préliminaire pour mener une enquête en cas de crimes internationaux. Par l’exigence de la confirmation et donc d’un contrôle de l’acte d’accusation par un juge indépendant, il s’agit en réalité de s’assurer qu’il existe bien des charges suffisantes pour justifier le renvoi de l’accusé devant le tribunal, apportant ainsi la garantie qu’il n’y ait pas d’arrestation arbitraire ni d’octroi d’un pouvoir trop absolu au procureur (Le Gall, 2013, p. 498-499). Si après l’enquête préliminaire, le bureau du procureur ou de la procureure conclut que les informations fournies ne justifient pas une enquête, il informe ceux qui les ont fournies. Cela n’empêche pas le bureau du Procureur d’examiner ultérieurement d’autres informations à lui fournies, relativement à la même affaire, à la lumière de nouveaux faits et preuves[31].

Conclusion

La Cour et la Commission africaines des droits de l’Homme et des peuples naviguent tant en droit pénal de forme que de fond, au regard de leur jurisprudence. Le protocole de Malabo, qui donne naissance à la section de droit international pénal au sein de la future Cour, entérine cette idée germée, mais malheureusement, ne prend pas en compte toutes les infractions au droit pénal effleurées par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples sous la bannière des droits humains. Cependant, l’on note une certaine spécificité dans la détermination des crimes internationaux. Le législateur africain se montre ainsi soucieux de la préservation de la paix, mais aussi des ressources naturelles disponibles dans chaque pays africain. L’érection de l’exploitation illégale des ressources naturelles en crime international est le ton donné par l’Afrique à quiconque s’investira à dépouiller l’Afrique de ses richesses. Au nom de la paix et du respect de la démocratie, les changements anticonstitutionnels par les armes sont aussi des crimes passibles de sanctions devant la future Cour. Le défi de la ratification et de l’acceptation massive de la compétence de cette nouvelle Cour unificatrice permettra ainsi à l’Afrique de se doter d’une institution judiciaire forte et acceptable par tous.

Références

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  1. Adopté par la 34e Session Ordinaire de l’Assemblée des Chefs d’États et de Gouvernement réunit à Ouagadougou, Burkina Faso du 8 au 10 juin 1998 au cours de laquelle, trente États membres ont signé le Protocole qui est entré en vigueur le 25 janvier 2004.[2] Article 3 alinéa 1.
  2. Règle 3 du règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples du 4 mars 2020.
  3. Le Petit Robert, Langue française, Nouvelle édition millésime, Paris, 2011, p.1150.
  4. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été adoptée en 1981 à Nairobi par la Conférence des chefs d’État de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue aujourd’hui l’Union africaine (UA) –, et est entrée en vigueur le 28 octobre 1986.
  5. Com.236/2000, Curtis Francis Doebbler c/ Soudan.
  6. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la torture correspond à des « traitements inhumains délibérés et provoquant de fort graves et cruelles souffrances » in CEDH, Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978.
  7. Vuolanne c/ Finlande, CCPR, Communication N°265/1987, 7 avril 1989, §9.2. Voir dans le même sens, affaire Dzemajl et al c. Yougoslavie, CAT, Communication N°161/2000, 21 novembre 2002, §9.2. 978, Cour plénière, requête n°5310/71.
  8. Voir, CAT, Rapport sur l’Argentine, Doc. ONU A/45/44, 1990, §154.
  9. Le comité contre la torture a ainsi recommandé que le Chili cesse de refuser de fournir des soins médicaux d’urgence aux femmes souffrant de complications dues à des avortements illégaux lorsque celles-ci ne révèlent pas les noms des personnes qui ont pratiqué ces avortements. Voir, CAT, Observations finales sur le Chili, Doc. ONU CAT/C/CR/32/5 (14 juin 2004), §§6(j) et 7(m).
  10. La charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant a été adoptée lors la 26e conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’OUA à Addis-Abeba en juillet 1990.
  11. Le règlement intérieur 2020 a été adopté par la 27e Session extraordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples réunie à Banjul (Gambie) du 19 février au 04 mars 2020. À cet effet, voir son Chapitre II Statut et Composition; Règle 3 Mandat et Statut 1.
  12. Règle 128 du règlement intérieur.
  13. Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Onyango Nganyi contre Tanzanie (fond) (2016), §127.
  14. Ibid, §129
  15. Communication 325/06, Organisation Mondiale contre la torture et autres contre République Démocratique du Congo, § 61.
  16. Communication 275/03, Zemenfes Hailé et autres contre Érythrée.
  17. Elle a été adoptée le 9 décembre 1948 et est entrée en vigueur le 12 janvier 1951
  18. Article 28C protocole d’amendement au protocole relatif à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
  19. Article 8bis du Statut de la CPI
  20. Article 28M du protocole précité.
  21. Article 46C protocole d’amendement au protocole relatif à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
  22. Exemple : Soudan en date du 11 avril 2019 avec le renversement du Président Omar El-Béchir; en 2017 au Zimbabwe avec le renversement de l’ex feu Président Robert Mugabe
  23. Article 28E du protocole d’amendement au protocole relatif à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
  24. Article 16 alinéa 2 ibid.
  25. Article 17 alinéa 3, ibid.
  26. Article 46G alinéa 1, ibid.
  27. Article 46G alinéa 2 du protocole d’amendement au protocole relatif à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
  28. Article 46G alinéa 3, ibid.
  29. Article 46G alinéa 4, ibid.
  30. Article 46G alinéa 5, ibid.
  31. Article 46G alinéa 6, ibid.

Pour citer cet article

Mboumegne Dzesseu, Serges Frédéric. 2022. Le droit pénal dans le système africain de protection des droits humains. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2022.2.1.7

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1.7

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2992-0116