Volume 1 – numéro 2 – 2019 : Crises contemporaines
Présentation. Crises contemporaines
Carole Valérie NOUAZI KEMKENG
Ce deuxième numéro d’Adilaaku sur les « Crises contemporaines » s’inscrit dans la continuité du premier[1]. Le dossier thématique, dans son ensemble, approche le problème de la cohésion et de la stabilité de l’État-nation aujourd’hui dans un contexte traversé par la montée en puissance des revendications identitaires, par la crise des frontières, par le « choc des civilisations ». Du premier au deuxième numéro, les contributions qui y sont réunies admettent que l’interdépendance entre les concepts de République et de nation s’effrite inéluctablement. Le questionnement sur la nation aujourd’hui, puis sur celui des crises contemporaines, n’est pas dépourvu de tout lien.
La crise, un concept en crise?
Au regard du contexte actuel, national ou international, où tout est en crise, à commencer par la notion de crise elle-même, il faut dire que la « crise » est une notion si englobante qu’il devient plus facile d’énumérer ce qui n’est pas en crise que ce qui l’est. La définition la plus générale qu’on puisse en donner est la rupture brusque d’un ordre considéré comme normal (considéré, car il n’y a, au final, rien de plus normal que d’aller de crise en crise). Le mot « crise » traduit l’idée d’un changement d’état, d’un accident de parcours dans une évolution générale qui resterait inchangée. Selon Cohen (2013, p. 9), la crise est aussi un révélateur très utile des dysfonctionnements des systèmes et des difficultés. Elle hante donc notre vie quotidienne. La typologie des crises permet de voir qu’elles concernent tous les secteurs de la vie. On aura donc des crises économiques, des crises sociales contemporaines, des crises politiques, des crises d’identités, des crises sécuritaires, des crises constitutionnelles, des crises des relations internationales, etc.
Du point de vue sociologique, la crise renvoie à la situation anomique de perturbations affectant finalement le système social dans son ensemble (Tourneux, 2016). Cela peut commencer par des dysfonctionnements graves, catastrophiques au sens technique, d’un sous-système de la société – par exemple, le système de l’emploi, celui de l’éducation ou celui de la redistribution. Du point de vue économique, la crise serait un moment où l’économie présente des indicateurs négatifs, ayant une contraction au niveau des activités, de hauts niveaux de chômage et l’augmentation de la pauvreté. La crise du politique, quant à elle, est la situation de conflit qui menace la continuité d’un gouvernement. La crise l’État, aujourd’hui, se manifeste par l’effritement du principe de la souveraineté étatique. Face à la mondialisation des échanges, à la régionalisation, à l’emprise des organisations internationales et au mouvement de construction communautaire, aux interventions d’humanitaires, à l’émergence de nouveaux problèmes mondiaux, le modèle d’un pouvoir absolu et indépendant des États serait inadéquat.
La globalisation, caractérisée entre autres, par la crise des théories et des modèles de développement, emmène aujourd’hui plus que par le passé, les acteurs et actrices de développement à s’interroger sur son impact sur la gouvernance et sur la vie des populations. Les crises sont des moments de bouleversement affectant des systèmes jusque-là cohérents. Ces moments sont diagnostiqués aujourd’hui à tous les niveaux de la vie moderne autant individuelle que sociétale (Barus-Michel et Dorna, 2009). Ils traduisent un changement majeur touchant une des grandes dimensions de la vie sociale et ayant souvent une dimension spirituelle : crise de civilisation (Hazard, 1680-1715), crise morale, crise de la culture (Arendt, 1972), crise de l’éducation (Arendt, 2009), crise des générations, crise de la modernité (Ricoeur, 1988). Bref, il y a crise lorsqu’un ordre immuable depuis longtemps et accepté par tous et par toutes semble menacé d’effondrement, de déclin ou de révolution.
Les angles d’attaque des auteurs et autrices de ce numéro
Au-delà du caractère polysémique, qu’est-ce qui distingue les crises d’aujourd’hui de celles d’hier? Quels facteurs permettent-ils de comprendre la recrudescence des crises aujourd’hui? Quelles seront les crises de demain? Peut-on prévoir les crises de demain? Certains environnements ou milieux sont-ils davantage enclins aux crises que d’autres? Les crises sont-elles finalement une fatalité ou la marque d’un monde qui respire? À partir de quel(s) seuil(s) une crise devient-elle redoutable?
Toutes les analyses contenues dans ce deuxième numéro du premier volume d’Adilaaku entendent apporter ce débat aux lecteurs et lectrices de manière intelligente et modeste. Les contributions sont significatives et répondent, d’une manière ou d’une autre, à ces différentes interrogations, notamment sur les aspects économiques et sociopolitiques. Les auteurs et autrices qui ont mené la réflexion sont : René Lionel Brice Molo Zogo, Hermann Nanan Lekogmo, Bertrand-Michel Mahini, Daouda Sakinatou, José Donadoni Manga Kalniga, Bayie Kamanda Anyi Mukep Massa, Serges Frédéric Mboumegne Dzesseu, Pregnon Claude Nahi et Miraille Clémence Mawa. Le comité de rédaction de la revue Adilaaku a pris plaisir à accueillir les textes.
Références
Arendt, Hannah. 1972. La crise de la culture. Paris: Gallimard.
Arendt, Franck. 2009. Lectures contemporaines de la crise de l’éducation. Paris: L’Harmattan.
Barus-Michel, Jacqueline et Dorna, Alexandre. 2009. Introduction au dossier crises. Les Cahiers de psychologie politique, 14.
Cohen, Élie. 2013. Crise ou changement de modèle?. Paris: La Documentation Française.
Hazard, Paul. 1934. Crise de la conscience européenne (1680-1715). Paris: Bovin.
Nouazi Kemkeng, Carole Valérie. 2019. À propos de la crise des critères de définition de l’État en droit international contemporain. Adilaaku. Droit, société et politique en Afrique, 1 (1), 7-13.
Ricoeur, Paul. 1988. La crise : un phénomène spécifiquement moderne?. Revue de théologie et de philosophie, 3, 1-19.
Tourneux, Odile. 2016. La crise de la souveraineté contemporaine. Association belge de science politique.
http://www.absp.be/wp-content/uploads/2016/11/La-crise-de-la-souverainete%CC%81-contemporaine_Odile-Tourneux.pdf
- Avertissement: cette présentation reprend quelques aspects de mon texte « À propos de la crise des critères de définition de l’État en droit international contemporain » paru dans Adilaaku, volume 1, numéro 1. ↵