Volume 3 – numéro 1 – 2024 : La Covid-19 en Afrique : implications et adaptations

Présentation. La Covid-19 en Afrique : implications et adaptations

ABOUBAKAR Adamou

 

Encore une œuvre scientifique de plus ou de trop sur la pandémie de Covid-19 cinq ans après? En dépit d’un nombre sans cesse croissant des travaux scientifiques sur la question, ce volume de le revue Adilaaku est utile et opportun, car il jette un regard pluriel sur ce phénomène sanitaire en Afrique. Il offre un éventail d’analyses sur les manières dont les divers aspects de la vie ont vécu ou subi cette pandémie en Afrique. Et surtout, il met en exergue les implications de l’intrusion de ce virus à couronne sur le continent africain du point de vue socio-économique et culturel tout en mettant un accent particulier sur les mécanismes endogènes de riposte contre cette pandémie.

Covid 19 cinq après, le questionnement sur les implications et les adaptations

Bien avant l’apparition de la Covid-19, l’humanité a connu plusieurs pandémies qui ont suscité l’intérêt des analystes. Dans ce sillage, plusieurs études ont été menées notamment sur : la peste noire qui a fait plus de soixante-quinze (75) millions de morts dans le monde (Camus, 1947); l’historiographie de la pandémie grippale de 1918-1919 plus connue sous l’appellation « Grippe espagnole » (Ricciardi, 2020) démontre qu’elle a fait plus de cinquante (50) millions de morts, dépassant ainsi le nombre de victimes de la première guerre mondiale. Au fil du temps, la perception des origines de ces catastrophes sanitaires a évolué. Toni Ricciardi en a déterminé trois temps forts : « le premier de punition et vengeance divine; le deuxième de type fataliste, qui s’est terminé avec les Lumières; le troisième qui incrimine la responsabilité humaine avec une évolution qui passe d’explications univoques (la recherche du bouc émissaire) à d’autres, multiformes » (Ricciardi, 2020, p. 33). L’évidence qui ressort de toutes ces perceptions paradigmatiques est que l’humanité a toujours vécu et continue de vivre dans une Société de risque globalisé (Beck, 2003). Les épidémies locales qui se mutent de plus en plus en pandémies globales en constituent des facteurs majeurs de ce risque permanent.

Partie de son foyer asiatique, la Covid-19 a bouleversé l’ordre international en imposant à l’humanité une façon plus ou moins stricte de vivre dans une relative précarité socio-économique dans les pays du Sud global. Les pays en voie de développement, notamment africains, où les pronostics des expert·es de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) envisageaient une catastrophe humanitaire, s’en sont plutôt sortis avec plus de peur que de mal même s’il faut déplorer des dégâts économiques importants.

Concept androgyne, le/la Covid-19 est venu·e bousculer les croyances, les habitudes et les interactions sociales dans le monde en général et en Afrique en particulier. Cette pandémie dont l’épicentre a été la ville de Wuhan en Chine est apparue en 2019 et a cristallisé les débats dans des divers domaines scientifiques et constitue toujours un mystère planétaire. En sciences sociales, elle a fait l’objet de plusieurs études aussi bien sur le plan global qu’africain (Ricciardi, 2020; Nemedeu, dir., 2020; Tametong et al., 2021, etc.).

Au niveau global, les débats se sont essentiellement articulés autour des questions socioéconomiques et géostratégiques eu égard à la place qu’occupe la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les voyages et les marchés de matières premières. Les chercheur·euses se sont également intéressé·es aux mobilités sociales en termes de droits et libertés fondamentaux en contexte d’état d’urgence sanitaire (Tametong et al., 2021); aux responsabilités des différents acteurs institutionnels et sociaux; aux inégalités induites par cette pandémies, notamment la problématique de genre, les questions des minorités, etc.; la diplomatie de la crise du Covid-19 (Congost, 2021) marquée par des rivalités interétatiques liée à cette pandémie (Bonnet, 2021). La restriction des libertés publiques dans le cadre de la lutte contre cette pandémie a fait l’objet de plusieurs études dont le dossier spécial de la revue trimestrielle de droit économique LE NEMRO portant sur La COVID et le droit (Nemedeu, dir., 2020).

Du point de vue géopolitique, le déplacement des pôles de puissance et l’exposition de la fragilité des puissances traditionnelles sont perceptibles au point où Pascal Boniface affirme que « Le roi occidental est nu » (2020). Cette nudité caricaturale symbolise l’impuissance des grandes puissances occidentales face à un tout petit virus invisible à l’œil nu (Badie, 2004). Les systèmes de santé et de sécurité sociale jadis considérés comme les plus performants au monde ont montré leurs limites face à cette pandémie. Cela a amené le Sud global à repenser son modèle de prévention et de traitement de ce fléau planétaire au grand dam des firmes pharmaceutiques internationales et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’on se souvient également des duels discursifs entre les officiels américains et chinois au sujet de cette pandémie en 2020. Le président américain d’alors, Donald Trump, qualifiait la Covid-19 dans ses sorties médiatiques de « Chinese virus ». En revanche, son homologue chinois, Xi Jinping, estimait que ce virus aurait été introduit en Chine par les services secrets américains. La rivalité géopolitique entre l’Occident et l’Extrême-Orient n’a trouvé en cette pandémie qu’un prétexte de s’accentuer davantage.

En Afrique, continent présenté par Antoine Glaser et Stephen Smith comme « la cachexie d’un corps atteint par le cancer d’une modernité mal assimilée » (Glaser et Smith, 1994, p. 15), le chaos qui a été prédit n’a pas eu lieu comme cela a été le cas en Occident et en Orient (Dusoulier, 2020). La capacité de résilience de l’Afrique a surpris le monde entier. Cette évidence a motivé plusieurs initiatives de recherche sur le continent africain en rapport avec les pratiques endogènes dans la lutte non seulement contre ce virus, mais aussi d’autres pathologies de type viral ou bactériologique. Toutefois, il est important de souligner que les Africain·es ont, à l’occasion de cette pandémie, pu mesurer davantage l’étendue de leur dépendance vis-à-vis du reste du monde. La crise russo-ukrainienne est venue accentuer cette réalité avec le blocage de la livraison des blés russes et ukrainiens au reste du monde, dont l’Afrique. Associés à l’avènement de la Covid-19 en Afrique, les concepts d’implication et d’adaptation méritent un effort de précision afin de permettre une meilleure appréhension, et surtout compréhension, de l’esprit dans lequel s’inscrit cette entreprise scientifique.

La notion d’implication, dans son sens premier, fait allusion à tout ce qui se rapporte à un référent, qu’il soit concret ou abstrait. Alors, impliquer c’est intéresser, inclure, associer quelqu’un ou quelque chose à un référent qui peut être un projet, une idée, un débat ou même un objet concret. Dans le cadre de ce dossier, les implications en rapport avec la présence de la Covid-19 en Afrique se réfèrent à tout ce que ce virus engendre du fait de son entrée dans ce continent. De manière classique, l’on peut alors parler des implications politiques, économiques, sociales et culturelles de la Covid-19 en Afrique. Il est certes vrai que, quels que soient leurs prismes d’analyse, les différentes contributions de ce numéro ne sortiront pas de cette segmentation classique.

Le concept d’adaptation, quant à lui, se rapporte à la résilience face à une situation de précarité des ressources, d’incertitude ou même de menace réelle ou potentielle. Ce concept fait généralement face à une situation de « changement social » conçue par les sociologues comme « l’ensemble observable des mutations affectant tout ou partie des structures sociales et des comportements sociaux » (Étienne et al., 2004, p. 71). Ici, le terme adaptation englobe tous les moyens matériels, intellectuels et/ou symboliques qui permettent aux populations africaines de faire face aux effets néfastes induits par la venue de ce virus à couronne en Afrique. C’est dans ce cadre que l’on analysera le retour exponentiel à l’usage des plantes médicinales africaines qui sont en parallèle, ou même en concurrence, avec les mesures curatives et préventives du système pharmaceutique dit moderne. D’un autre point de vue, le concept d’adaptation peut également être perçu sous le prisme socio-anthropologique pour dévoiler les manières de vivre en rapport avec l’altérité dans le contexte de Covid-19 en Afrique. Tous ces aspects et bien d’autres ont fait l’objet d’analyses des chercheur·euses dans ce dossier d’Adilaaku.

L’analyse des auteurs et autrices : transformations sociétales et résilience en période de Covid-19

Dans leur étude, IBRAHIMA Hayatou et ABOUBAKAR Adamou se sont penchés sur la problématique de la gouvernance du secteur touristique camerounais en période de Covid-19 en scrutant l’impact de cette pandémie sur ce secteur. Ils se sont intéressés aux conséquences négatives de la Covid-19 sur le tourisme camerounais tout en mettant en exergue les mesures d’accompagnement prises par le gouvernement afin de redresser ce secteur. À l’issue de leurs analyses, ils suggèrent une réorientation du tourisme camerounais vers le marché local en développant une culture touristique interne aux populations camerounaises comme alternative au marché international du tourisme au Cameroun. Ils suggèrent ainsi une accentuation de la promotion du tourisme par le bas à travers la mise en place d’un système de sensibilisation des plus jeunes au tourisme local.

Floriane MANHOULI YORSAM et Carole Valérie NOUAZI KEMKENG, quant à elles, se sont inspirées de leur background juridique pour explorer la question de l’État de droit en contexte de la lutte contre la Covid-19 au Cameroun. Partant du questionnement de la compatibilité des mesures d’urgence sanitaire adoptées par le gouvernement camerounais dans le cadre de la lutte contre cette pandémie et le respect des droits et libertés individuelles, elles ont montré, à partir de la double dialectique du duel et du duo, qu’il existe une apparente incompatibilité et une compatibilité avérée entre les mesures sanitaires et l’État de droit au Cameroun. Elles ont mis en exergue, à cet effet, la situation exceptionnelle d’urgence sanitaire qui priorise le droit à la santé, voire à la vie au détriment des droits et libertés fondamentaux en période normale.

Pour sa part, Irène Josépha NLANG BILLONG s’est penchée sur l’effectivité de la politique sanitaire de la Southern African Developmment Community (SADC) face à la pandémie de Covid-19. Elle part de l’expérience accumulée de cette organisation sous-régionale en matière de gestion de pandémie (Sida, tuberculose et paludisme) pour démontrer son efficacité institutionnelle et son pragmatisme dans la gestion des pandémies. Tout ceci, argue-t-elle, est le fruit d’une base juridique clairement établie dans le domaine de la santé et dont le socle est le protocole sur la santé de la SADC. Du point de vue opérationnel, elle souligne la politique de coordination des stratégies nationales de la riposte contre la Covid-19 dans la sous-région sud-africaine tout en démontrant les actions de cette organisation en faveur de tous les États membres dans le cadre de sa coopération internationale. Toutefois, l’auteure relève, dans la deuxième partie de son argumentaire, les défis et les perspectives de la politique de santé de la SADC à l’épreuve de la Covid-19. Elle y présente deux types de contraintes : celles qu’elle qualifie de « générales » à tout le continent africain, et celles « spécifiques » à la sous-région SADC. En guise de perspective, l’autrice opte pour le renforcement politique et institutionnel du secteur de la santé dans les pays de la SADC, d’une part, et l’optimisation du rôle de la SADC dans le domaine de la santé publique, d’autre part.

Adoptant une approche inductive, Malalaniaina Miora RAKOTOARIVELO et Mbolatiana RAVELOARIMISA ont réfléchi sur le rôle de la société civile dans les réponses sociales engagées face à la pandémie de la Covid-19. Ces autrices se sont interrogées sur la manière dont les interventions de la société civile ont pu amortir les effets de la crise sanitaire, surtout sur les populations les plus vulnérables, et comment elle a contribué à la concrétisation des actions des pouvoirs publics sur le terrain. Pour ce faire, elles se sont appuyées sur le mouvement « Tantsoroka Covid-19 » pour démontrer le rôle essentiel des Organisations de la société civile (OSC) dans la lutte contre le Covid-19 aux côtés de l’État malagasy. Leur étude révèle que les activités menées par le mouvement « Tantsoroka Covid-19 » dans dix (10) chefs-lieux de districts malgaches en soutien à l’État dans la lutte contre la pandémie covidienne sont : l’appui au personnel médical et agents communautaires, les campagnes d’information et de sensibilisation et la distribution des kits alimentaires.

La famille, cellule de base de la socialisation, a retenu l’attention de SAKINATOU Daouda et Léonelle Flore NGUINTA HEUGANG. Celles-ci se sont introduites dans le noyau de base de la société humaine pour analyser la façon dont la Covid-19 est vécue dans les foyers dont certains des membres sont « covido-positifs ». Pour cela, elles ont mené une petite enquête dans des foyers camerounais, notamment dans les deux plus grandes métropoles : Douala et Yaoundé. Leur but était l’observation des interactions sociales entre les membres des familles où la Covid-19 a fait irruption. Au terme de leur analyse, il ressort que l’avènement de la Covid-19 dans les foyers camerounais a provoqué des effets aussi bien positifs que négatifs dans les interactions sociales des membres de ces foyers. D’une part, il a contribué à la détérioration des rapports sociaux entre les membres d’une même famille du fait, entre autres, de la stigmatisation des membres contaminés par la Covid-19. D’autre part, il a participé au renforcement des liens sociaux à travers la compassion des membres de famille à l’égard des leurs atteints de la Covid-19.

En somme, les contributions du volume 3 d’Adilaaku participent au débat sur la Covid-19 en Afrique en apportant une diversité de regards post-pandémiques, partant des implications qu’a induits l’avènement de celle-ci sur ce continent et des ripostes africaines face à ce nouvel acteur des relations internationales invisible à l’œil nu. En plus de participer à ce débat scientifique, il aura le mérite de rendre compte des implications pratiques de l’intrusion de la Covid-19 en Afrique et les différentes stratégies endogènes de riposte mises en place par les gouvernements, les Organisations de la société civile et les populations africaines. Sans avoir la prétention d’une exhaustivité, ce numéro est une invite à l’élargissement du débat sur la fragilité de l’Afrique face aux enjeux sanitaires, sécuritaires, économiques et politiques du monde contemporain.

Références

Badie, Bertrand. 2004. L’impuissance de la puissance. Essai sur les relations internationales. Paris : Fayard.

Beck, Ulrich. 2003. La société du risque globalisé revue sous l’angle de la menace terroriste. Cahiers Internationaux de Sociologie, 114, 27-33.

Boniface, Pascal. 2020. Géopolitique du Covid-19. Ce que nous révèle la crise du coronavirus. Paris : EYROLLES.

Bonnet, Pauline. 2021. La diplomatie du masque et du vaccin : nouvel atout de soft ou de hard power pour Pékin? Bulletin du conseil québécois d’études géopolitiques, 7(2), 37-49.

Camus, Albert. 1947. La Peste. Paris : Coll. Folioth.

Congost, Amandine. 2021. Le Blue Dot Network, un outils [sic] de soft power adapté aux ambitions japonaises dans le monde de l’après-Covid? Bulletin du conseil québécois d’études géopolitiques, 7(2), 2-12.

Dusoulier, Amandine. 2020. La Covid-19 en Afrique de l’Ouest : une gestion aux multiples facettes. Bruxelles : Éclairage du GRIP.

Étienne, Jean, Bloess, Françoise, Noreck, Jean-Pierre et Roux, Jean-Pierre. 2004. Dictionnaire de sociologie. Paris : Hatier.

Glaser, Antoine et Smith, Stephen. 1994. L’Afrique sans les Africains. Le rêve blanc du continent noir. Paris : Stock.

Nemeudeu, Roger (dir.). 2020. Le NEMRO, Revue trimestrielle de droit économique. Le Covid et le droit. Avril/juin.

Ricciardi, Toni. 2020. Les pandémies dans une perspective d’histoire globale. Dans Gamba, Fiorenza, Nardone, Marco, Ricciardi, Toni et Cattacin, Sandro (dir.), Covid-19. Le regard des sciences sociales (p. 29-43). Genèvre et Zurich : Editions Seisme.

Tametong, Steve, Nounamo, Donald et Wakap, Brice (dir.). 2021. Covid-19 et droit au Cameroun. Regards pluriels. Yaoundé : Editions Lupeppo.


Pour citer cet article

ABOUBAKAR, Adamou. 2024. Présentation. La Covid-19 en Afrique : implications et adaptations. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 3(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2024.3.1.1

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2024.3.1.1

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2992-0116