L’impact de la téléphonie mobile sur le fulfulde du Cameroun septentrional
Henry TOURNEUX et Gayaou HADIDJA KONAÏ
Introduction générale à la téléphonie mobile au Cameroun septentrional
Les infrastructures
Depuis l’apparition du téléphone mobile dans la région de l’Extrême-Nord (années 2000), le prix des petits téléphones fabriqués en Chine a baissé de façon spectaculaire. En effet, l’on peut actuellement en trouver, neufs, pour 6 000 francs CFA (une dizaine d’euros). Le smartphone se démocratise aussi actuellement grâce à la diffusion de sous-marques ou de contrefaçons chinoises et l’on en voit de plus en plus entre les mains des utilisateurs et utilisatrices du téléphone. Ceci, du fait de la mise à disposition de l’Internet auquel on peut accéder par le faisceau hertzien. Notons que de multiples facteurs locaux peuvent affecter la qualité de ce faisceau dans l’Extrême-Nord : la poussière atmosphérique faite de particules de silice, les perturbations électromagnétiques causées par l’équateur magnétique qui passe par là, etc.
Quatre opérateurs se partagent le marché : Camtel (compagnie nationale), Orange (filiale du groupe français Orange), MTN (groupe sud-africain) et le dernier venu Nexttel (vietnamien).
Les « cabines téléphoniques » (ou « call-box ») se sont multipliées dans la ville de Maroua. On peut en distinguer trois catégories principales : (1) les cabines téléphoniques déposées sur les trottoirs ou dans des lieux publics; (2) les cabines téléphoniques intégrées dans une boutique préexistante; (3) les cabines téléphoniques mobiles, que leurs propriétaires installent quotidiennement dans des lieux publics, y associant parfois un petit commerce, comme celui de la vente de beignets. Un tout dernier type est apparu récemment, que l’on pourrait qualifier de « cabine téléphonique mobile ». Montée sur vélo, elle se signale par des pancartes reconnaissables de loin par les couleurs correspondant aux fournisseurs d’accès : jaune pour MTN, orange pour Orange, rouge pour Nexttel. Il y a aussi des hommes-sandwichs qui parcourent les rues, les lieux publics (marchés, campus universitaire, fêtes…) avec des pancartes sur la poitrine et sur le dos sur lesquelles est inscrit « call-box mtn, orange, nexttel ». Ces « cabines » ont, au fil des années, changé de fonction. Si, au départ, elles permettaient aux personnes ne disposant pas de téléphones de passer des appels à leurs correspondants, actuellement, la majorité de la population dispose de son propre appareil. Les « call-box » actuels servent donc principalement à vendre des crédits téléphoniques et à opérer des transferts d’argent.
L’accès de l’utilisateur et utilisatrice au réseau téléphonique
Très peu de particuliers utilisateurs du téléphone mobile souscrivent un abonnement mensuel, qui dépasserait largement le pouvoir d’achat moyen dont dispose la majorité de la population. On achète donc une carte SIM sans engagement et l’on recharge son compte au fur et à mesure qu’on en a besoin. Souvent, on y transfère l’équivalent de 500 ou 1 000 francs CFA (0.75 ou 1.50 euro) à la fois. Dans les cabines téléphoniques, on peut éventuellement acheter des cartes à gratter d’un montant prédéfini, agrémenté d’un bonus variable. On peut aussi demander au responsable de la cabine de transférer un crédit du montant souhaité, sur le numéro de téléphone de son choix, ce que le boutiquier ou la boutiquière fait directement à partir de son propre téléphone. Le passant ou la passante ne disposant pas de téléphone portable peut aussi emprunter celui du responsable de la cabine, et lui régler ensuite le montant de la communication. Les plus désargenté-e-s se livrent au « bipage ». Cela consiste à former le numéro d’un-e correspondant-e et de le laisser sonner deux ou trois fois, pas plus, pour être sûr que la personne n’ait pas le temps de décrocher, et éviter que cela entame concomitamment le débit du compte de l’appelant ou l’appelante. Cette personne espère être rappelée et donc qu’elle n’aura pas à assumer le coût de la communication. Une nouvelle fonction est apparue chez certains opérateurs de téléphonie : la possibilité pour la personne qui appelle d’envoyer gratuitement un message à son correspondant-e en lui demandant de l’appeler.
La qualité du réseau téléphonique mobile étant souvent aléatoire, beaucoup de clients et de clientes se dotent de deux fournisseurs et de deux téléphones (ou d’un téléphone bi-puce) pour espérer pouvoir fonctionner en cas de défaillance de l’une des compagnies de téléphonie mobile. Nous avons même vu le cas, exceptionnel, d’une personne qui, pour des raisons professionnelles, doit pouvoir être jointe en permanence et surtout appeler en permanence, disposant de quatre téléphones fonctionnant simultanément.
Qui utilise le téléphone mobile et pour quel usage?
Il suffit de consulter un annuaire du téléphone fixe de Camtel pour constater que, dans une ville comme Maroua, qui compte près de 400 000 habitant-e-s, les abonné-e-s ne sont que quelques centaines. Les utilisateurs et utilisatrices du téléphone mobile (ou portable) dépassent certainement le nombre de 100 000.
Au tout début de la diffusion de la téléphonie mobile, certaines personnes non francophones ont pensé que l’appareil ne pouvait fonctionner que si on lui parlait en français. Le téléphone mobile étant alors un attribut du statut social, ceux et celles qui se considéraient en bas de l’échelle ne pouvaient donc penser que cela était pour eux et pour elles. Rapidement, le démenti est venu par l’expérimentation, et l’on a vu que n’importe quelle langue, finalement, pouvait entrer et sortir par cette petite machine.
Le grand avantage du téléphone mobile, qui a immédiatement été exploité, c’est sa simplicité d’utilisation pour les fonctions de base (appel et réception d’appel). Il n’est pas nécessaire d’avoir été à l’école ni de parler français pour l’utiliser. Les non-alphabétisé-e-s ont donc développé diverses stratégies pour en tirer parti. Ces personnes ne peuvent que décrocher, c’est-à-dire appuyer sur la touche verte ou sur OK. Elles ignorent complètement les chiffres et les lettres qui figurent sur les touches. Pour appeler, elles se font aider, demandant qu’on leur compose un numéro qu’elles ont soit sur un petit papier soit dans un calepin. Elles peuvent aussi utiliser la fonction de rappel d’un numéro déjà composé, en mémorisant visuellement l’aspect de quelques numéros, avec cependant toujours un risque d’erreur.
Pour ces personnes, le téléphone est avant tout un outil qui permet d’avoir des nouvelles de ses proches sans avoir à se déplacer. Dans les circonstances exceptionnelles (hospitalisation, décès, mariage, « baptême », voyage…), le téléphone est particulièrement utile. Voici comment Tantchou décrit ce qui se passe aux abords de l’hôpital régional de Maroua :
Des vendeurs de sucreries, de grillades, de puces et de recharges de forfaits de communication pour les téléphones mobiles s’installent devant l’hôpital dans la journée. Leur présence est essentielle, car il faut tenir la famille au courant de l’évolution clinique d’un « cas », informer des besoins financiers, de la nécessité d’une transfusion sanguine, d’un accouchement, d’un décès ou encore d’un transfert [du patient] vers une structure de niveau supérieur (Tantchou, 2016, p. 53).
Le téléphone portable est aussi utilisé pour s’abstraire de témoins gênants, afin d’échanger des propos confidentiels (Lexander, 2013). Certaines femmes, traditionnellement confinées dans la journée au fond des concessions, peuvent ainsi prendre discrètement des rendez-vous galants à l’insu de quiconque.
Fait plus étonnant, 25 % des pasteurs nomades auprès desquels Jules Balna a mené récemment des enquêtes au Nord-Cameroun, disposent d’un téléphone portable. Pour eux, « l’installation à proximité des postes de sécurité ou des villages couverts par un réseau téléphonique est un atout non négligeable » (Balna, 2016, p. 169).
Dans un contexte régional marqué par les attaques des sectes islami[st]es et par les bandits de grands chemins, l’information relative à la présence des forces de défense et de sécurité dans la zone d’accueil et sur les parcours devient désormais essentielle » (Balna, op. cit.).
Le téléphone joue véritablement pour eux le rôle qui revenait traditionnellement aux tambours d’alerte, ou à ce que l’on a parfois appelé les « tambours-téléphones » (De Bruijn, 2009). Natali Kossoumna Liba’a, dans un travail antérieur (2008) sur la mobilité des Mbororo dans la région du Nord-Cameroun, observe que
[l’]usage des téléphones a permis de diminuer considérablement le coût des transports et permis un gain de temps à la fois pour les bergers et pour les propriétaires de bétail. Les bergers utilisent ces moyens pour se renseigner sur l’état des pâturages éloignés, et informer leurs patrons sur les lieux où se trouvent les animaux, sur la santé des animaux, les périodes et coûts des vaccinations, leurs besoins, les litiges suite à d’éventuels dégâts occasionnés par le troupeau et les amendes à payer, les prix des animaux pour ceux qui veulent en vendre ou en acheter (cité par Balna, 2016, p. 171).
Les grand-e-s commerçant-e-s n’ont pas attendu que le téléphone soit portable pour passer leurs commandes à Douala, Maiduguri, Lagos ou Lomé; en revanche, de nombreux métiers plus modestes ont découvert avec le mobile tout l’intérêt économique qu’ils pouvaient en tirer. Cela vaut aussi bien pour les maraîchers et maraîchères, que pour les producteurs et productrices de sorgho ou de riz, les vendeurs et vendeuses de fruits et légumes, etc. Il faudrait donner la liste complète des métiers de la région, car tous tirent profit du mobile. On peut ajouter que même les terroristes ont exploité les ressources qu’offre le portable, avant que soit lancée la chasse aux téléphones anonymes.
L’impact du téléphone sur la langue orale
Si l’impact de la téléphonie mobile sur la langue française au Cameroun a depuis plusieurs années fait l’objet d’une étude approfondie (Dassi, 2003), on n’a pas encore beaucoup réfléchi et enquêté sur l’influence qu’il a sur l’usage des langues nationales. Nous prendrons ici uniquement le cas du fulfulde, mais il faudrait aussi voir ce qu’il se passe dans les autres langues – notamment l’ewondo, le ɓasaa, le duala, le pidgin-english, pour ne citer que les principales langues nationales qui jouent un rôle véhiculaire; il ne faudrait pas non plus négliger des langues ethniques importantes numériquement comme le mafa, le tupuri, le mundang, le masa, etc., pour nous en tenir aux langues de la région de l’Extrême-Nord. Dans cet article, nous nous appuierons sur Parietti et Tourneux (2018) pour le lexique peul général. Pour les analyses grammaticales, nous suivrons l’esquisse grammaticale de Tourneux, Yaya et Mohamadou (2021, p. 11-59).
Un nouveau vocabulaire s’est développé au fur et à mesure que le téléphone portable se popularisait. Ce vocabulaire, en perpétuel enrichissement, est composé de néologismes (1) empruntés au français et à l’anglais; (2) de termes courants dont le sens a été étendu; (3) de termes nouveaux créés à partir de la langue peule elle-même.
Traits phonologiques et morphologiques concernant les emprunts
L’accent tonique, les voyelles nasales et le schème syllabique
L’accent tonique du français, qui tombe sur la dernière syllabe, est souvent rendu par un allongement de la voyelle de la syllabe accentuée du français. Voir ci-dessous apeel, baterii, ekuteer, kerdii, kilee, mesaas, retuur, rezoo, sarzeer, selileer, sonerii, taktiil, telfoon, vibureer…
Il arrive aussi que l’accent tonique de l’étymon français soit déplacé sans raison apparente et interprété également en termes de longueur vocalique :
– fr. bonus [bɔˈnys]) > boonis; déplacement de l’accent tonique du français sur la première syllabe de l’emprunt;
– fr. mémoire [meˈmwa·ʁ] > meemwaar;
– fr. haut-parleur [opaʀˈlœ ʁ] > ooparlee;
– fr. passer [paˈse] > paasgo;
– fr. rejeter [ʁəʒ(ə)ˈte] > reezetugo;
– fr. charger [ʃaʁˈʒe > saarjugo
– fr. sonner [sɔˈne] > soongo.
Les voyelles nasales sont dissimilées en voyelle orale + consonne nasale :
– fr. planter [plãte] > pulantugo; [ã] > [an].
Le fulfulde n’autorise que deux schèmes syllabiques : CV et CVC, V représentant une voyelle qui peut être brève ou longue. Pour s’y conformer, les mots empruntés doivent parfois être modifiés, pour éviter notamment que deux consonnes ne se suivent dans une même syllabe. Pour cela on peut
(a) ajouter une voyelle épenthétique à l’emprunt :
– fr. casque (audio) [kask] > kaaske; ajout d’un -e épenthétique pour obtenir un schème syllabique conforme à la phonologie du fulfulde, qui exclut CVCC. On a donc CVC-CV dans l’emprunt;
– fr. film [film] > filme : vidéo; ajout d’un -e épenthétique;
– fr. batterie (de téléphone) [batʁi] > baterii; ajout de –e– entre les deuxième et troisième consonnes;
– fr. crédit [kʁedi] > kiredii; insertion de –i– entre les deux premières consonnes pour obtenir un schème CV-CV-CV;
– fr. clé (dans clé USB) > kilee; insertion de –i– entre les deux premières consonnes;
– fr. planter [plãte] > pulantugo : insertion de -u- entre les deux premières consonnes;
– fr. vibreur [vi-bʁœʁ] > vibureer; insertion de –u– entre les deuxième et troisième consonnes, pour donner une structure CV-CV-CVC;
(b) ajouter des consonnes pour borner les syllabes :
– fr. USB [yɛsbe] (< dans clé USB) > iyesbee; il ne peut y avoir en fulfulde deux voyelles successives; on a donc inséré ici une consonne épenthétique entre les deux premières voyelles du mot; par ailleurs, il n’existe pas de syllabe VC; l’emprunt commence donc par une occlusive glottale (non marquée dans l’orthographe) et son schème syllabique est CV-CVC-CV.
(c) effectuer une métathèse :
– fr. crédit [kʁedi] kerdii; métathèse à l’initiale pour obtenir CVC-CV;
– fr. promo(tionnel) [pʁomo] (dans crédit promo) > pormoo; métathèse consonantique à l’initiale.
L’alternance consonantique, la classe nominale et la voix
On note que les emprunts au français et à l’anglais, nominaux ou verbaux, échappent au phénomène de l’alternance consonantique à l’initiale. Bien des emprunts anciens dans la langue échappaient déjà à cette alternance (voir saraakiijo / saraaki’en « dignitaire du sultan », mot emprunté au hausa). Mais l’absence systématique d’alternance consonantique à l’initiale des verbes est caractéristique de l’évolution contemporaine du fulfulde de la région.
Les noms d’emprunt du corpus sont incorporés d’office dans la classe nga (avec pluriel ɗi) comme le sont, dans le parler oriental de la langue peule, tous les emprunts aux langues européennes (Tourneux, 1980). Le classificateur nga, quand il est formellement exprimé, a souvent une valeur augmentative/péjorative. Mais dans notre corpus, au singulier, généralement la marque de classe n’apparaît pas; au pluriel, si pluriel il y a, il se fait dans la classe ‑ji (appartenant au paradigme des suffixes de la classe ɗi). Le pronom de reprise qui correspond au singulier comme au pluriel est le « neutre » ɗum. Voici quelques exemples de pluriels :
ekuteer / ekuteerji : oreillettes, écouteurs
kaaske / kaaskeeji : casque audio
sonerii / soneriiji : sonnerie.
Tous les emprunts peuvent faire l’objet d’une dérivation diminutive et être incorporés dans le genre ngel/kon.
telfoonyel / telfoonhon : petit téléphone / petits téléphones.
Les verbes empruntés que nous avons relevés se conjuguent exclusivement à la voix active.
Les emprunts lexicaux
Nous ne prétendons pas donner ici de façon exhaustive tous les emprunts qui sont induits en fulfulde par l’usage du téléphone. Nous donnerons les principaux, sachant que toute avancée technique génère son lot de créations. L’arrivée du smartphone, par exemple, a considérablement augmenté le flux des emprunts. L’usage récent du téléphone pour effectuer des transferts d’argent ou des paiements à distance en a certainement généré d’autres.
Emprunts à l’anglais
anndoroyiiɗ : smartphone (du nom anglais du système d’exploitation Android)
buluutuu : liaison sans fil entre appareils électroniques (de Bluetooth : nom anglais d’une norme de communication permettant l’échange bidirectionnel de données à très courte distance et utilisant des ondes radio UHF)
kolbos : cabine téléphonique de rue (de l’anglais call box « cabine téléphonique »)
kolmibaak (waɗgo ~) : composer un code particulier sur son téléphone pour demander à un-e correspondant-e de vous rappeler (de l’anglais call me back « rappelez-moi »); cette fonction n’est disponible sur le téléphone que lorsque vous n’avez plus du tout de crédit disponible
wazaap : WhatsApp, nom commercial d’une application pour smartphone.
Emprunts au français
Les emprunts au français peuvent être des lexèmes nominaux et verbaux, qui gardent en fulfulde les mêmes catégories grammaticales. Le nom français donne un nominal en fulfulde; le verbe français donne un verbe en fulfulde. Seule exception, taktiil « écran tactile », où l’adjectif du français donne un nom en fulfulde.
Exemples de noms
afiseer : écran du téléphone (< fr. afficheur).
apeel : appel téléphonique.
baterii : batterie (de téléphone; on notera qu’il existe déjà dans la langue un emprunt beaucoup plus ancien du même mot français, mais sous une forme légèrement différente : baateri « batterie » (d’automobile), kaaƴe baateri « pile électrique ».
boonis : bonus.
ekuteer : oreillettes (< fr. écouteurs [ekutœʁ]).
filme : vidéo (< fr. film [film]).
kaarte-kerdii : carte prépayée (< fr. carte de crédit); cf. kaaske ci-dessous.
kaarte-meemwaar : carte-mémoire.
kaaske : casque audio.
kerdii (ou) kiredii : crédit d’unités téléphoniques; à la différence du français « crédit », qui est polysémique, le mot peul ne signifie rien d’autre que « avoir (disponible) sur un compte téléphonique ».
kerdii pormoo : crédit promotionnel.
kilee iyesbee : clé USB.
kook telfoon : coque de téléphone.
mesaas : SMS, texto (< fr. message).
ooparlee : haut-parleur.
piis : puce, carte SIM.
retuur : retour (canal qui reçoit la réponse du numéro appelé).
rezoo : réseau téléphonique sans fil.
sarzeer : chargeur (de batterie).
selileer : téléphone portable (terme sorti de l’usage) (< fr. téléphone cellulaire).
sonerii : sonnerie (du téléphone); on remarque ici que le mot, prononcé [sɔnʁi] en français standard, est emprunté à partir de la prononciation locale dominante [soneri].
taktiil : écran tactile.
telfoon (ou) telefoon : téléphone (portable ou non).
tuus : touche du clavier du téléphone; au pluriel : tuusji « clavier ».
vibureer : vibreur.
Exemples de verbes
Tous les verbes que nous donnons ci-dessous sont à la voix active et nous les citons à leur forme infinitive (marquée par le suffixe -go).
bipugo : faire sonner le téléphone de son correspondant ou de sa correspondante et raccrocher avant qu’il ou elle ne décroche (< fr. biper, dérivé du nom onomatopéique bip, « bref signal sonore »); la technique du « bipage » permet de se signaler à un-e correspondant-e sans dépenser un sou. Il pourra s’agir d’un signal dont le sens a été convenu à l’avance. Cela pourra aussi être une façon de demander qu’on vous rappelle (le prix de la communication étant alors assumé par votre correspondant-e, si toutefois cette personne consent à vous rappeler). Il y a maintenant des alternatives au « bipage », notamment par des messages gratuits adressés à votre correspondant, lui demandant de vous rappeler (cf. 2.3. kolmibaak).
deeblokugo : désimlocker ou débloquer; il faut syllaber ce mot de la façon suivante : deeb-lo-ku-go.
paasgo : passer (mettre en communication téléphonique avec qqn).
pulantugo : « planter » (fr. familier), cesser de fonctionner.
reezetugo : rejeter (un appel téléphonique indésirable).
saarjugo : charger (une batterie) (< fr. charger) noter que le verbe français est polysémique; le Petit Robert (version électronique 2016) signale trois sens principaux : (1) faire porter une charge, un poids; (2) faire supporter, faire subir; (3) attaquer violemment. Le dictionnaire subdivise la rubrique (1) en huit significations, dont une seule (4. accumuler de l’électricité dans) est retenue dans l’emprunt peul.
soongo : sonner (téléphone).
Extension de sens de mots peuls
Verbes
hoocugo : enregistrer [image ou son] (de hoccugo « prendre »)
huɓɓugo : allumer (le téléphone) (de huɓɓugo « allumer » [du feu])
Le sens de ce verbe était déjà étendu depuis longtemps; huɓɓu yiite, par exemple, peut se traduire, suivant le contexte, par « allume le feu » ou « allume la lumière (électrique) ». Huɓɓugo avait donc déjà le sens de « mettre en marche un appareil alimenté par l’électricité ».
nyifgo : éteindre (le téléphone) (de nyifgo « éteindre [le feu] »)
Ici aussi, nyifgo a depuis longtemps le sens de « arrêter le fonctionnement d’un appareil électrique ». Exemple : Nyif telee « éteins la télévision! »
taƴgo : raccrocher; interrompre (une communication) (de taƴgo « couper »); ce verbe est généralement prononcé [taygo] par les non-natifs et, généralement, par les jeunes générations.
Noms
ɓoggol : câble (de ɓoggol « corde »); le mot avait déjà pris ce nouveau sens dans le domaine de l’électricité.
haraka : volume sonore (de haraka « bruit »)
lammba (a)sirri : mot de passe; littéralement « numéro du secret ». Lammba est emprunté à l’anglais « number », via le hausa [lámbà:] probablement. Dans l’expression néologique, lammba assume le sens de « signe de reconnaissance » et sirri, celui de « code secret ». Lammba, par ailleurs, peut être employé pour signifier « numéro de téléphone ».
Création de mots à partir de la langue peule
joga-jogaayel : téléphone portable (litt. : « petite chose qu’on tient en mains »); terme utilisé par les personnes âgées et les campagnard(e)s
maɓɓa-maɓɓita : téléphone à clapet (litt. « [on] ouvre / [on] ferme »)
yerɓa-yerɓa : téléphone à clavier coulissant (litt. « [on] pousse / [on] pousse »)
Ces trois néologismes de nature nominale sont créés à partir de formes verbales inaccomplies sans sujet, rédupliquées. La répétition du verbe lui donne une valeur pluractionnelle (durative pour joga-jogaayel). Le téléphone à clapet comme le téléphone à clavier coulissant impliquent, lors de leur utilisation, un geste en deux temps. Ce type de dérivation est connu dans la langue. Il produit des termes que l’on peut qualifier de descriptifs. Ils évoquent en effet souvent un mouvement répétitif. Exemple : tikko-tikkoonde « (insecte) qui ne fait que de se vexer », de tikkaago « se vexer, se fâcher »; désigne un coléoptère de la famille des Curculionidés, qui se ferme en émettant un petit bruit sec dès qu’on le touche, faisant ainsi le mort. Autre exemple : tekku-tekkunde « (plante) très très épaisse », de tekkugo « être épais »; désigne le Portulaca oleracea (Portulacaceae). Ici, la valeur de la répétition peut être durative ou stative.
L’impact du téléphone mobile sur la langue écrite
Paradoxalement, le téléphone, qui, par définition, est consacré au transport du son, pousse ses utilisateurs et utilisatrices à un usage écrit (Kibora, 2009), dans une langue qu’ils et elles n’auraient autrement jamais écrite, probablement, à savoir le fulfulde. Beaucoup de jeunes, en effet, dans les textos échangés, utilisent la langue peule. La très grande majorité de ces personnes n’a jamais appris à l’écrire. Leur graphie s’en ressent nécessairement à travers une écriture « à la française » : « ou » au lieu de [u], par exemple; « é » au lieu de [e]; « gué » au lieu de [ge]. Souvent, les longueurs vocaliques ne sont pas non plus respectées : « hondu » au lieu de hoondu; ni les consonnes géminées : « pelel » au lieu de pellel, « sotay » au lieu de sottaay (Texto 5). De plus, les logiciels installés dans les téléphones ne donnent pas accès aux caractères spéciaux nécessaires pour écrire le fulfulde. C’est donc le signe français le plus proche qui est employé. Par exemple : « d » au lieu de [ɗ] (« do » au lieu de ɗoo, Texto 5); « b » au lieu de [ɓ] (« bernou » au lieu de ɓernu, Texto 1); « y » au lieu de [ƴ] (« tayi » au lieu de taƴi, Texto 2). Certaines prénasalisées peuvent sauter : « d » au lieu de [nd] (« dikka » au lieu de ndikka, Texto 5); « b » au lieu de [mb], etc. Les séquences Consonne nasale – Consonne prénasalisée sont interprétées comme Consonne nasale – Consonne non nasale : « andi » au lieu de anndi [anndi] (Texto 3); « lamba » au lieu de lammba [lammba] (Texto 4).
En outre, ce langage reflète l’une des caractéristiques du fulfulde urbain contemporain : un locuteur ou une locutrice incorpore ici ou là des mots français (voir Textos 3, 4, 5) ou alterne des phrases ou des membres de phrase en passant du fulfulde au français. Au cours d’un dialogue, on vous pose une question en français, vous répondez en fulfulde (voir Texto 4), ou inversement.
Une particularité notable de ces micro-discours est la présence répétée de la particule énonciative kam, à laquelle on peut attribuer deux valeurs distinctes : assertive en fin de proposition et thématisante dans les autres cas (une étude serait cependant nécessaire pour valider cette interprétation), qui disparaîtrait certainement en partie dans un usage écrit littéraire. Ceci montre qu’on a bien de l’oral mis par écrit.
Les exemples de textos ci-dessous peuvent être rapportés à trois jeunes femmes expérimentées dans le domaine, qui ont déjà acquis une certaine pratique de l’écrit en fulfulde. On peut s’en rendre compte par le fait qu’elles respectent assez souvent les longueurs vocaliques (« touubi », pour tuubi, Texto 1; « saani » pour saani, Texto 2), etc. Elles emploient aussi généralement la voyelle [e] non accentuée pour rendre le son « é » et la voyelle [u] pour le son « ou ». Elles géminent aussi parfois les consonnes qui doivent l’être (« goddo » pour goɗɗo, Texto 2).
Échantillon de textos
Texto 1
Ayya, taa bernou, mi touubi yaafam
En voici la transcription orthographique standard en fulfulde suivie d’une glose interlinéaire :
Ayyaa! Taa ɓernu! Mi tuubi, yaafam!
Ayyaa! | Taa | ɓern-u! | Mi | tuub-i, | yaaf-am! |
oh_là_là | nég | se_fâcher- impér.2s | 1s.suj | se_repentir-acc | pardonner_impér.2s-1s.obj |
« Oh là là! Ne te fâche pas! Je te demande pardon, pardonne-moi! »
(Message de Habsatou à son amie Hadidja, pour s’excuser d’avoir raté un rendez-vous. 6 juin 2011, à 12 h 44.)
Texto 2
mi saani ma goddo am, sey a yaafam mi naane fajira hebaay kredi mtn bana mi numi. Accu non boo hoondu woorduru am tayi, iam waané don naawam mi jam waala waay.
(Message de Hadidja à son amie Daly le 13 juillet 2012 à 9 h 46 du soir.)
Remarquer le mot « kredi » dont la forme viole les schèmes syllabiques canoniques du fulfulde.
Voici la transcription orthographique standard de ce texto en fulfulde :
Mi saani ma, goɗɗo am. Sey a yaafammi!
Mi | saan-i | ma, | goɗɗo | am. | sey | a | yaaf-a-mmi! |
1s.suj | saluer-inacc | 2s.obj | personne | 1s.poss | oblig | 2s.suj | pardonner-inacc.-1s.obj |
« Salut, copine. Il faut que tu me pardonnes.
Naane fajira, [mi] heɓaay kerdii mtn bana mi numi.
Naane | fajira | [mi] | heɓ-aay | kerdii | mtn | bana | mi | num-i. |
récemment | le_matin | [1s.suj] | avoir-acc.nég | crédit | np | comme | 1s.suj | penser-acc |
Ce matin, je n’ai pas eu le crédit mtn comme je le pensais.
Accu noon boo, hoondu worduru am taƴi,
Acc-u | noon | boo, | hoondu | worduru | am | taƴ-i, |
Laisser-impér.2s | ainsi | part | doigt | mâle | 1s.poss | couper-acc |
En plus, je me suis coupé le pouce,
ii’am [ili] waanee, ɗon naawammi. Jam waala, waaye!
le sang a beaucoup coulé, ça me fait mal. Bonne nuit, ma chère! »
Texto 3
To nde a toukkini kam nda kadi. noy hondu ma wa i’ an ma a andi nyaddo bee sms kam wala ba kariwa ko page sappo o windante. petit bovari kam don samna non nder am.
(Message de Daly à son amie Hadidja, 16 juillet, 10 h 18 du matin)
En voici la transcription orthographique standard en fulfulde :
To nde a tukkini kam, ndaa kadi.
To | nde | a | tukkin-i | kam, | ndaa | kadi |
Si | puisque | 2s.suj | insister-acc | part | voici | part |
« Comme tu insistes, voici donc!
Noy hoondu maa wa’i? Aan ma a anndi,
Noy | hoondu | maa | wa’-i? | Aan | ma | a | annd-i |
comment | doigt | 2s.poss | être-acc | 2s.emph | insist | 2s | savoir-acc |
Comment va ton doigt? Tu sais toi-même
nyaɗɗo bee sms kam, walaa ba Kariiwa.
nyaɗ-ɗo | bee | sms | kam, | walaa | ba | Kariiwa. |
être_fort-participe.acc | avec | texto | part | il_n’y_a_pas | comme | Kariwa |
que quelqu’un de fort en sms, il n’y en a pas qui soit comme Kariwa.
Koo « page » sappo o winndante.
Koo | « page » | sappo | o | winnd-an-te |
même | page | dix | 3s.hum.suj | écrire-attrib-inacc.rel+2s.obj |
Il peut même t’écrire dix pages.
« Petit Bovary » kam ɗon saamna noon nder am.
« Petit | Bovary » | kam | ɗon | saamn-a | noon | nder | am. |
« petit | Bovary » | part | prog | galoper-inacc | ainsi | dans | 1s.poss |
Le petit de Bovary n’arrête pas de gigoter (litt. galoper) en moi. »
(Daly est enceinte de son mari Bovary, et le bébé bouge énormément dans son ventre.)
Remarquons que dans le syntagme « Petit Bovary », les deux constituants sont empruntés au français, mais la relation syntaxique qui les unit, à savoir une relation de détermination, est marquée non pas comme en français par le déterminatif « de », mais par « zéro », comme l’exige le fulfulde, en suivant un ordre dÉterminÉ-dÉterminant. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on n’a pas ici un syntagme adjectival de type qualifiÉ-qualifiant.
Texto 4
Question
Merci ma chéri jé oublié son numéro peux me l’envoyé par sms
(Message de Hadidja à son amie Daly, le 22 juin à 2 h 23 du matin.)
En orthographe française, cela donne :
« Merci, ma chérie. J’ai oublié son numéro. Peux-[tu] me l’envoyer par sms? »
Réponse
Hadidja a reçu ceci en réponse :
Lamba dji mako doudi a andi to goddo flou kam banni amma ha mi nelde dje mi andi tantou ewnago mo tahon.
En voici la transcription orthographique standard en fulfulde :
Lammbaaji maako ɗuuɗi. A anndi to goɗɗo « flou » kam,
« Il a beaucoup de numéros. Tu sais que si la personne est malhonnête,
bannii. Ammaa, haa mi nelde jey mi anndi.
c’est comme ça. Mais je vais t’envoyer ceux que je connais.
Tantu eewnaago mo tawon.
Tant-u | eewnaago | mo | tawon. |
tenter-impér.2s | Appeler | 3s.hum.obj | d’abord |
Tente d’abord de l’appeler. »
(Message de Daly, le 22 juin 2012 à 2 h 29 du matin, en réponse à la demande de son amie Hadidja.)
Dans la première phrase de ce texto, on observe la dissociation graphique du suffixe du pluriel « dji » -ji. On remarque aussi l’usage du français local dans le fulfulde : une personne « floue » est une personne qui n’est pas nette, donc malhonnête (remarquer au passage le jeu de mots sous-jacent, au deuxième degré, en français : pas nette / malhonnête). L’impératif [tantu] est un cas de mélange de codes : au radical verbal français du verbe « tenter », soit [tãt-], on ajoute le suffixe peul de l’impératif de 2e personne du singulier [-u]. Avec ce niveau de langue, on s’attendrait à ne pas avoir de verbe à la voix moyenne; pourtant on y trouve non pas eewnugo (voix active), mais « ewnago » eewnaago / ƴeewnaago.
Texto 5
A andi.toh mi sotay pelel do mi wadan gala bé guendérou ndou.dc dikka to mi hooti.djamwala (Message de Habsatou, le 14 juillet 2012, 19 h 39).
En voici la transcription orthographique standard en fulfulde :
A anndi, to mi sottaay pellel ɗoo,
A | annd-i, | To | mi | sott-aay | pellel | ɗoo |
2s.suj | savoir-acc | Si | 1s.suj | se_déplacer-acc.nég | endroit | dém |
« Tu sais, si je ne dégage pas d’ici,
mi waɗan gala bee genndeeru nduu.
mi | waɗ-an | gala | bee | genndeeru | nduu. |
1s.suj | faire-prédictif | lutte | avec | gaillard | dém |
je vais me bagarrer avec ce gaillard.
« Donc », ndikka to mi hooti. Jam waala.
« Donc » | Ndikka | to | mi | hoot-i. | Jam | waal-a. |
« donc » | mieux_vaut | si | 1s.suj | rentrer_chez_soi-acc. | Paix | passer_la_nuit-inacc |
Donc, mieux vaut que je rentre chez moi. Bonne nuit. »
(Message envoyé pendant un cours à l’université, où un jeune gaillard harcelait ses voisines.)
Remarquer la présence en fulfulde de la marque énonciative française « donc », abrégée en « dc », suivant la pratique du sms français. La salutation du soir « djamwala » jam waala est écrite en un seul mot comme le français « bonsoir ». Le radical verbal hoot– « rentrer chez soi est une variante dialectale que l’on peut entendre à Maroua au lieu de huuc-, mais elle signe un locuteur d’un dialecte méridional (Garoua ou Ngaoundéré).
Petit lexique du téléphone mobile
Afiseer | Écran du téléphone |
Apeel | Appel téléphonique |
Baterii | Batterie (de téléphone) |
Bipugo | Faire sonner le téléphone de son correspondant et raccrocher avant qu’il décroche, « biper » |
Ɓoggol | Câble |
Boonis | Bonus |
Buluutuu | Bluetooth, liaison sans fil entre appareils |
Deeblokugo | Désimlocker (débloquer) |
Ekuteer | Oreillettes, écouteurs |
Haraka | Volume (du son) |
Hoocugo (ngeewta) | Enregistrer (du discours) |
Hoocugo filme | Enregistrer une vidéo (litt. : « prendre un film ») |
Huɓɓugo | Allumer (le téléphone) |
Joga-jogaayel | Téléphone portable |
Kaarte kerdii | Carte prépayée |
Kaarte-meemwaar | Carte-mémoire |
Kaaske | Casque audio |
Kerdii nyamaande | Crédit avancé par l’opérateur (litt. « crédit dette ») |
Kerdii pormoo | Crédit promotionnel |
Kilee iyesbee | Clé USB |
Kolbos | Cabine téléphonique de rue |
Lammba (a)sirri | Mot de passe (litt. « numéro secret ») |
Listee yimɓe nder telfoon | Répertoire des correspondants (litt. : « liste des gens dans le téléphone ») |
Maɓɓa-maɓɓita | Téléphone à clapet (terme connoté) |
Mesaas | SMS, texto |
Neldugo kiredii (ou) kerdii | Transférer un crédit d’unités téléphoniques |
Nyifgo | Éteindre (le téléphone) |
Ooparlee | Haut-parleur |
Paasgo | Passer (mettre qqn en communication téléphonique avec une tierce personne) |
Piis | Puce, carte SIM |
Pulantugo | « Planter », cesser de fonctionner |
Reezetugo | Rejeter (un appel téléphonique indésirable)
Mi ɗonno juula, kanjum waɗi mi reezeti apeel maa. « J’étais en train de prier, c’est pourquoi j’ai rejeté ton appel. » |
Retuur | Retour (canal qui reçoit la réponse du numéro appelé) |
Rezoo | Réseau téléphonique sans fil |
Saalaago | Passer (pour une communication)
lammba saalataako « le numéro est injoignable » |
Saarjugo baterii | Charger la batterie |
Sargaago lammba | Faire un faux numéro, se tromper de numéro |
Sarzeer | Chargeur (de batterie) |
Selileer | Téléphone portable (terme sorti de l’usage) |
Sonerii | Sonnerie (du téléphone) |
Soongo | Sonner |
Suudu telfoon | Étui à téléphone (litt. : « case de téléphone ») |
Suudu telfoon bee maɓɓoode | Étui à rabat pour téléphone (litt. : « case de téléphone avec couvercle ») |
(Suudu) kook telfoon | Coque (semi-rigide) (litt. : [case en] coque de téléphone ») |
Taktiil | Écran tactile |
Taƴgo | Raccrocher, interrompre (une communication) |
Telfoon (ou) telefoon | Téléphone (portable ou non) |
Tuus | Touche du clavier du téléphone |
Tuusji | Clavier (litt. : « touches ») |
Vibureer | Vibreur |
Waatugo/sigaago lammba nder telfoon | Enregistrer un numéro (litt. : « mettre/stocker un numéro dans le téléphone ») |
Waɗgo kolmibaak | Composer un code particulier sur son téléphone pour demander à un correspondant de vous rappeler |
Wilgo lammba | Effacer un numéro |
Yeewtugo haa wazaap | Discuter sur WhatsApp |
Yerɓa-yerɓa | Téléphone à clavier coulissant (litt. « on pousse / on pousse »; terme connoté) |
Yerɓugo fotoo gal wazaap | Envoyer une photo par WhatsApp (litt. « pousser une photo vers W » |
Liste des abréviations
1, 2, 3 | 1re, 2e, 3e personnes | litt. | littéralement |
acc | Accompli | nég | négatif |
attrib | Attributif | np | nom propre |
dém | Démonstratif | obj | objet |
emph | Emphatique | oblig | obligatif |
fr. | Français | part | particule |
fut | Futur | poss | possessif |
hum | Humain | prog | progressif |
impér | Impératif | rel | relatif |
inacc | Inaccompli | s | singulier |
insist | particule d’insistance | suj | sujet |
Conclusion
La téléphonie mobile a permis à la langue peule de démontrer, une fois de plus, sa large capacité de création lexicale, alliant aussi bien le recours à l’emprunt, intégré phonologiquement, qu’à la création endogène, partant de ses ressources propres.
En plus des multiples services qu’il rend au quotidien, le téléphone mobile et le smartphone ont aussi changé les conventions traditionnelles qui régissent les échanges linguistiques. Les très longues formules préalables de salutation sans réel contenu informatif ont disparu rapidement, du fait de leur impact sur le prix de la communication. Cependant, l’apparition assez récente de plages de temps où l’on peut communiquer gratuitement en illimité a redonné la possibilité de parler sans se censurer.
Le développement de WhatsApp et sa large utilisation, avec les nouvelles possibilités qu’il offre (enregistrements audio et vidéo, appels vidéo), facilite pour tou-te-s l’emploi des langues nationales dans toutes les circonstances de la vie.
Finalement, la téléphonie mobile redonne à l’oral une importance capitale et permet à tous, alphabétisés ou non, de communiquer au loin. Auparavant, il fallait passer par la lettre ou le billet griffonné, que l’on confiait à un voyageur ou à un chauffeur de transport en commun, sans aucune garantie de distribution. Cela impliquait, soit que l’on soit soi-même capable d’écrire/lire, soit que l’on demande de l’aide à quelqu’un. Désormais, la communication est directe et instantanée, ce qui correspond tout à fait au mode traditionnel d’échange que l’on connaît depuis toujours.
Pour le linguiste, il est assez clair, une fois de plus, que l’arrivée de nouvelles « technologies » dans un espace linguistique à tradition orale ne nécessite pas de créer un complément de vocabulaire spécialisé. Il suffit, dans la plupart des cas, d’enregistrer et d’analyser l’existant, qui se crée spontanément.
Références
Balna, Jules. 2016. Exploitation fourragère par les pasteurs mbororo et émergence du foncier de l’arbre à l’Extrême-Nord Cameroun. Thèse de Doctorat/Ph.D., Université de Maroua.
Dassi, M. 2003 [20 juin]. Question de sémantique : de la néologie autour de la téléphonie au Cameroun. Sud-Langues. Revue électronique internationale de Sciences du langage, 21-32. http://www.sudlangues.sn/spip.php?article50
De Bruijn, Mirjam, Nyamnjoh, Francis et Brinkman, Inge (dir.). 2009. Mobile Phones: The new talking drums of everyday Africa. Bamenda et Leyde : LANGAA et African Studies Centre.
Kibora, Ludovic. 2009. Téléphonie mobile : l’appropriation du SMS par une ‟société de l’oralité”. Dans De Bruijn, Mirjam, Nyamnjoh, Francis et Brinkman, Inge (dir.), Mobile Phones: The new talking drums of everyday Africa, Bamenda et Leyde : LANGAA et African Studies Centre(110-124).
Kossoumna Liba’a, Natali. 2008. De la mobilité à la sédentarisation : Gestion des ressources naturelles et des territoires par les éleveurs Mbororo au nord-Cameroun, Thèse de doctorat, Université Paul Valéry-Montpellier III.
Lexander, Kristin Vold. 2013. Le sms amoureux. Journal des africanistes 83(1), 70-91.
Parietti, Giuseppe et Tourneux, Henry (collab.). 2018. Dictionnaire fulfulde-français / français-fulfulde (Dialect[e] peul [du] Diamaré, Cameroun); illustrations de Christian Seignobos. Pessano con Bornago : Mimep-Docete.
Tantchou, Josiane. 2021. Portrait d’hôpital. Paris : Karthala.
Tourneux, Henry. 1980. Les innovations lexicales provoquées par les contacts avec l’Occident dans un parler peul du Tchad. Dans Itinérances en pays peul et ailleurs…, Mélanges à la mémoire de Pierre-Francis Lacroix, Tome 1. Paris : Société des Africanistes, 103-121.
Tourneux, Henry, Yaya Daïrou et Mohamadou Ousmanou. 2021 [paru en mars 2022]. Vocabulaire peul du Cameroun, Maroua – Garoua – Ngaoundéré. Maroua : Faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines.