De l’argumentativité des interjectifs dans Allah n’est pas obligé de Ahmadou Kourouma
Djédjé Hilaire BOHUI
Ahmadou Kourouma, 2000, Allah n’est pas obligé, Paris, Éditions du Seuil.
Résumé de l’ouvrage
Déscolarisé précoce – il n’a que le niveau du cours élémentaire 2 – Birahima se retrouve dans la rue à dix-douze ans. Au décès de sa mère, seul parent biologique qui était encore en vie, le conseil de famille décide de confier l’éducation du préadolescent à sa tante Mahan. Celle-ci vit au Liberia avec son mari. Tiécoura, alias Yacouba, aventurier notoire de peu de moralité – il est « marabout multiplicateur de billets, fabricant d’amulettes, inventeur de paroles de prières pour réussir et découvreur des sacrifices pour éloigner tous les mauvais sorts » (p. 43) – lui fera miroiter le paradis au Liberia, théâtre d’une guerre interethnique. Birahima devait, pour vivre dans ce paradis, accepter de se faire enrôler comme enfant-soldat. Birahima est conquis : « Je voulais partir au Liberia. Vite et vite. Je voulais devenir un enfant-soldat, un small-soldier. […] Je n’avais que le mot small-soldier à la bouche. Dans mon lit, quand je faisais caca ou pipi, je criais seul small-soldier, enfant-soldat, soldat-enfant ! » (p. 54). Commence alors une véritable odyssée pour lui et son précepteur de fortune. Après bien des infortunes et divers chocs émotionnels et psychologiques subis sur les différents fronts au Liberia et en Sierra Leone, l’odyssée de l’enfant de la rue devenu « enfant soldat sans peur ni reproche » prendra fin avec son retour en Côte d’Ivoire, en compagnie du fils de sa défunte tante Mahan.
Introduction
L’argumentation, comme art oratoire ou scriptural à finalité trans-locutive, c’est-à-dire toujours conçu à l’intention d’un destinataire autre que le locuteur ou le scripteur lui-même, est inscrite au centre de la communication. Comme telle, l’argumentation est connue – ce qui ne signifie guère que ses modalités le soient toujours. L’argumentativité ne l’est pas moins non plus. Disons-en cependant succinctement qu’elle désigne le caractère argumentatif d’une unité linguistique (au sens large de mot, phrase ou énoncé) dont l’essence, dans le dispositif discursif, la donne à saisir comme constitutive de la stratégie induite pour atteindre le but persuasif que s’assigne le sujet parlant. Ainsi par exemple, les connecteurs logiques ne sont-ils sollicités dans le discours qu’en toute connaissance de leur valeur argumentative, et en raison précisément de celle-ci. Il en résulte l’impossibilité syntactico-sémantique de leur emploi indifférencié, y compris pour ceux d’entre eux qui appartiennent a priori à un même paradigme sémantique ou illocutoire, comme car, parce que, puisque, entendu que, etc. Bref, les unités linguistiques prédisposées à l’expression émotive telle que l’interjection sont partie intégrante du dispositif argumentatif et participent, à ce titre, de la visée assignée au discours, ce qui légitime corrélativement leur statut en tant qu’objet d’étude en pragmatique. Pour illustrer un tel postulat, du reste attesté depuis longtemps par les travaux d’analyse de discours, de pragmatique ou de sémantique intégrative comme ceux de Oswald Ducrot notamment – bien que principalement, sinon exclusivement à propos de mots français –, nous nous appuierons sur Allah n’est pas obligé de Ahmadou Kourouma. L’intérêt de l’étude est qu’elle examine l’argumentativité de certaines unités interjectives africaines (ou perçues comme telles) que le narrateur Birahima, au stade phatique où il sacrifie au rite des présentations, instituant ainsi l’interlocution, dit préférer aux interjectifs classiques équivalents : « […] suis insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard. Je dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J’emploie les mots malinkés comme faforo ! […] Comme gnamokodé ! […] Comme Walahé ! » (p. 10).
Notre deuxième postulat repose sur la variation sémantique de ces interjectifs selon le contexte, sans qu’il soit cependant possible d’en inférer une véritable polysémie. L’examen de ces morphèmes part évidemment d’un corpus (section 1). Celui-ci est décrit au double niveau sémantique et syntactique (section 2), avant une analyse de leur valeur argumentative (section 3), qui est le « cœur » même de l’étude, en insistant sur la valeur pragmatique de l’interjectif Walahé.
Corpus des interjectifs
La scène d’exposition au cours de laquelle Birahima sacrifie aux civilités des présentations (p. 9-10) instaure d’office un procès interlocutif avec un auditoire au sens où ce mot renvoie à tout interlocuteur indifférencié, réel ou fictif, singulier ou collectif, capable ou non de prendre effectivement une part active à la communication, mais dont la présomption de la présence module toujours le discours de l’orateur qui l’institue ainsi comme allocutaire. À ce propos, citant C. Perelman pour qui l’auditoire réfère à « l’ensemble de ceux sur lesquels l’orateur veut influer par son argumentation », Amossy note d’abord que la définition de Perelman intéresse aussi bien l’écrit que l’oral, avant de commenter : « De ce point de vue, il importe peu que le public soit composé d’un seul interlocuteur ou d’une nombreuse assemblée, qu’il soit délimité ou indéterminé, présent ou absent » (Amossy, 2000, p. 34).
Si donc la présence de l’auditoire peut être simplement présumée, on comprend aisément qu’il ne soit guère nécessaire qu’il puisse effectivement intervenir en réaction à l’orateur, sans que pour autant ne soit invalide ni inhibée l’interaction verbale. C’est là toute la théorie princeps de la dimension dialogique de l’argumentation en pragmatique, dont l’un des axiomes est que : « Le discours argumentatif est toujours dialogique ; il n’est pas obligatoirement dialogal » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 16).
Par l’emploi de pronoms interpellatifs à valeur conative, qui sont autant de lieux d’interlocution, Birahima crée bien cette illusion d’altérité co-énonciatrice à l’intention de laquelle il prend soin, au moment où il décline son identité, d’expliquer le sens des mots africains dont il se servira tout le long de leur entretien à venir, afin de rendre son propre discours lisible : « J’emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père de ton père.) Comme gnamokodé ! (Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé ! (Walahé ! signifie Au nom d’Allah.) » (p. 10).
Les énoncés ci-après se situent dans cette perspective dialogique, avec l’emploi explicite d’indexicaux, ou leur présence présumée dans le contexte :
(1) J’ai oublié de vous dire quelque chose de fondamental, de très, de formidablement important. Ma maman marchait sur les fesses. Walahé (au nom d’Allah) ! Sur les deux fesses (p. 14).
(2) Quand on a mangé ton âme, tu ne peux plus vivre, tu meurs par maladie, par accident. Par n’importe quelle malemort, gnamokodé (bâtardise) (p. 29).
(3) Peut-être je vous parlerai plus tard de la mort de ma maman. Mais ce n’est pas obligé ou indispensable d’en parler quand je n’ai pas envie. Faforo (sexe du père) (p. 29).
(4) J’ai dormi dans la natte et maman a rendu l’âme au premier chant du coq. Mais le matin les doigts de maman étaient tellement serrés sur mon bras qu’il a fallu Balla, grand-mère et une autre femme pour m’arracher à ma mère. Walahé (au nom d’Allah) ! c’est vrai (p. 33).
(5) J’ai blessé maman, elle est morte avec la blessure au cœur. Donc je suis maudit, je traîne la malédiction partout où je vais. Gnamokodé (bâtardise) (p. 33).
(6) Le casernement des enfants-soldats, faforo! On se couchait à même le sol sur des nattes. Et on mangeait n’importe quoi et partout (p. 75-76).
(7) Je pleurais à chaudes larmes de voir Sékou couché, mort comme ça. Tout ça, prétendent les fumistes de féticheurs, à cause d’un cabri. Faforo (cul de mon papa) (p. 124).
(8) D’abord qui est Foday Sankoh, le caporal Foday Sankoh ? Gnamokodé (putain de ma mère) (p. 175).
(9) Walahé ! c’est pas moi. J’aimais Kid. Il venait manger chez moi (p. 68).
(10) Et puis les enfants-soldats se sont alignés et ils ont tiré avec les kalach. Ils ne savent faire que ça. Tirer, tirer. Faforo (bangala de mon père) (p. 69).
(11) Les enfants-soldats qui étaient morts n’étaient pas des copains. Je les connaissais pas, c’est pourquoi je ne fais pas leur oraison funèbre. Et je ne suis pas obligé. Gnamokodé (p. 118).
(12) C’est à Worosso que se trouvait le camp d’El Hadji Koroma. Le camp était limité par des crânes humains hissés sur des pieux comme autour de tous les camps de la guerre tribale de Liberia et de Sierra Leone. Walahé (au nom du Tout-Puissant) ! C’est la guerre tribale qui veut ça (p. 223).
Observations au niveau sémantique et syntactique
Observations au niveau sémantique
Comme annoncé au cours des présentations qu’il impose à son auditoire, le discours de Birahima est effectivement structuré par une isotopie lexicale entre jurons et imprécations, avec quelques variantes du point de vue de la signification. Ainsi, pour les emplois à signification explicite (dans notre corpus), on note que Gnamokodé employé seul, en ponctuation rythmique et affective d’un énoncé, peut vouloir dire soit « bâtard », énoncé (2), soit « bâtardise », énoncé (5). Mais il peut aussi fonctionner en mode redupliqué, comme « bâtard de bâtardise ! » : « […] les historiens disent que la guerre tribale au Liberia arriva ce soir de Noël 1989. […] Depuis cette date, les ennuis pour Samuel Doe allèrent crescendo jusqu’à sa mort. […] Nous en parlerons un peu plus tard. Pour le moment, je n’ai pas le temps. Gnamokodé (bâtard de bâtardise) ! » (p. 109).
On en trouve d’autres emplois ailleurs, aux pages 10, 13, 15, 17, 87, etc., surtout avec une variante de signification, à savoir « putain de ma mère », qui précise davantage le registre d’expression du morphème : énoncé (8), mais on en trouve également d’autres exemples aux pages 132, 135 et 233. Faforo, lui aussi, reçoit quelques variantes de contenu, cependant toutes constitutives de l’isotopie anatomique, notamment sexuelle ou anale. Ainsi il signifie soit « sexe du père », énoncé (3), soit « cul du père/de mon père/du papa », comme dans l’énoncé (7), ou encore « bangala de mon père/du père/du papa », énoncé (10). Au niveau morphologique, l’élément A, en préposition, qui marque ici la filiation du sujet délocuté (à ne pas confondre avec la préposition française à), permet de construire des variantes. Ainsi en va-t-il de A faforo (p. 12, 56, 88, 96, 101, 129, 135) et A gnamokodé (p. 13).
Quant à Walahé qui n’a qu’une seule variante, « au nom du Tout-Puissant » (p. 223-232), il n’appelle a priori aucun commentaire particulier. Par ailleurs, entendu que, par souci de lisibilité, le locuteur-narrateur a pris soin de donner à chaque morphème un sens en français, il pouvait dès lors s’autoriser des emplois non explicitement définis, comme c’est le cas pour Faforo, énoncé (6), Gnamokodé, énoncé (11) et Walahé, énoncé (9). Que peut-on retenir à ce premier niveau d’exercice « rapide » sur le sens ?
A ce stade du travail, il ressort que ces interjectifs ont une signification relativement stable, les variantes signalées aux uns et aux autres relevant toujours d’un même champ lexical, sans que, pour autant, cela puisse nécessairement corréler une identité absolue entre leurs effets argumentatifs ; de là, précisément leur intérêt (voir point 3).
Observation au niveau syntactique
D’une manière générale, ces morphèmes sont postposés aux énoncés. Mais ils peuvent également occuper d’autres positions, comme l’antéposition et la position enclitique. La question qui se pose alors ici est celle de la Norme ou du « bon usage ». En effet, à quelles conditions tel ou tel interjectif peut-il ou doit-il être préposé, mis en incise ou postposé à l’unité linguistique qu’il accompagne et dont il modalise le contenu ?
La présente étude, qui a pour objet l’argumentativité des interjectifs, n’a pas instruit cette question. Il serait donc bien imprudent de formuler une règle qui en rende véritablement raison. En revanche, une explication sur ce « vide grammatical » peut être esquissée. En effet, ces morphèmes, on le sait, ressortissent principalement à la langue parlée. Ils sont donc forcément tributaires de ce registre dont l’écrit peine toujours à transposer, à rendre ou à codifier les ressources, notamment en ce qui concerne la ponctuation. En cette matière, tout a bien souvent partie liée avec le débit oratoire des sujets. En l’occurrence ici, le locuteur-narrateur et au-delà, l’auteur lui-même. Pour ce qui est des différentes positions à proprement parler, en voici quelques exemples. Les deux premiers (13) et (14) se trouvent en position initiale, et les trois suivants (15), (16) et (17) en position enclitique :
(13) Faforo (cul de mon père) ! Deux mois après, alors qu’on croyait que tout était acquis, le cessez-le feu, le processus des négociations, Foday refait surface par une déclaration tonitruante (p. 182).
(14) Walahé ! II était midi, exactement midi dix, lorsqu’un officier de I’ECOMOG se présenta devant le camp de Johnson, devant le sanctuaire de Johnson au port de Monrovia (p. 142).
(15) C’était, faforo (le cul de mon père) !, le corps du mari de tantie Mahan (p. 133).
(16) Être un soldat-enfant, Walahé !, avait des avantages. On était un privilégié (p. 86).
(17) Il y réfléchit et, quand Foday réfléchit sérieusement, il ne consomme plus ni tabac ni alcool ni femmes, Walahé (au nom d’Allah) !, il se met au régime sec, il s’enferme seul des jours et des jours (p. 178).
Outre ces cas qui illustrent la variété de position des morphèmes en emploi unique ou solitaire, il n’est pas rare de rencontrer des emplois en association dyadique. C’est le cas des énoncés (18), (19) et (20) suivants :
(18) La moto chargée de notre protection circulait devant, n’a pas pu stopper net au signal du bout d’homme. Les gars qui étaient sur la moto avaient cru que c’étaient des coupeurs de route. Ils ont tiré. Et voilà le gosse, l’enfant-soldat fauché, couché, mort, complètement mort. Walahé ! Faforo (p. 55).
(19) Aujourd’hui, ce 25 septembre 199… J’en ai marre. Marre de raconter ma vie, marre de compiler les dictionnaires, marre de tout. Allez-vous faire foutre. Je me tais, je dis plus rien aujourd’hui… A gnamokodé (putain de ma mère) ! A faforo (sexe de mon père) (p. 135).
(20) Les chiens se précipitèrent sur la charogne, la happèrent et se la partagèrent. Ils en firent un bon repas, un très délicieux déjeuner.
Faforo (sexe du père) ! Gnamokodé (bâtardise) (p. 146).
Mais on en trouve également sous forme triadique, comme dans les extraits ci-après :
(21) Voilà ce que j’avais à dire aujourd’hui. J’en ai marre; je m’arrête aujourd’hui. Walahé ! Faforo (sexe du père) ! Gnamokodé (bâtardise) (p. 51).
(22) Quand j’ai vu ça, j’ai repris ma musique d’enfant pourri : « Je veux aller à Niangbo, je veux devenir un soldat-enfant. Faforo! Walahé ! Gnamokodé ! » (p. 61).
Les emplois en association dyadique sont au nombre de douze (12) dans l’œuvre, les autres cas étant aux pages 19, 69, 71, 76, 161, 167, 185, 202 et 233. En ce qui concerne les emplois triadiques, seuls trois (3) cas ont été relevés (voir p. 101 pour le dernier).
Pour en finir avec les observations sur la statistique, précisons que notre base de calcul ne prend pas en compte la première occurrence simultanée des morphèmes où le locuteur-narrateur donne la signification de chaque interjectif (voir p. 10). Elle ne tient pas compte non plus des occurrences combinées, c’est-à-dire celles où deux (ou plus de deux) morphèmes différents sont associés dans un même énoncé. Sur cette base, et sauf erreur de calcul, le repérage statistique donne les chiffres ci-après pour chaque morphème dans toute l’œuvre : vingt cas pour Gnamokodé, un pour A gnamokodé, trente occurrences pour Faforo, six pour A faforo, et enfin cinquante pour Walahé.
Telles sont les principales observations au terme d’un premier examen du dispositif interjectif que Birahima a préféré aux équivalents français. Cela induit quelques questions. Ces morphèmes peuvent-ils être employés indifféremment (les uns pour les autres) ? Peuvent-ils changer de position dans l’énoncé, et à quelles conditions sémantiques et/ou syntactiques ? Les emplois associés (dyadique et triadique) jouent-ils un rôle particulier et lequel ? Quelle conclusion tirer de leurs occurrences dans l’œuvre ?
Cette série d’interrogations nous mènent à une autre, autrement plus importante encore, celle de la valeur pratique/pragmatique même des morphèmes. Autrement dit, comment ces interjectifs participent-ils de l’argumentation dans l’interlocution instaurée d’office par le locuteur-narrateur ? Est-il possible, dans une perspective dialogique, d’inviter à une interlocution aux fins exclusives de faire étalage de ses affects personnels, sans viser en quelque manière, à en susciter de similaires chez l’auditoire, bien que le résultat de la prétention ne soit pas toujours garanti ?
De la valeur argumentative des interjectifs
Avant la mise au jour de l’argumentativité des interjectifs, il importe de rappeler succinctement la problématique à controverse autour des affects comme objet d’étude en matière d’argumentation. En effet, l’inscription des émotions dans les théories argumentatives n’a pas toujours fait l’unanimité et continue aujourd’hui encore d’emporter l’intérêt des linguistes, des analystes de discours et de l’argumentation. Les uns, qui consacrent la prééminence voire l’exclusive du « rationnel » dans l’argumentation, les relèguent parfois avec mépris, à la périphérie de l’art oratoire comme moyen pour l’orateur de persuader son auditoire, notamment en raison de leur caractère jugé dolosif. Les autres au contraire, regardant toujours au même but à atteindre, considèrent les affects comme pertinents, tant que par leur pouvoir, ils peuvent contribuer d’une manière efficace à atteindre ce but.
Au terme du chapitre sur « Le pathos ou le rôle des émotions dans l’argumentation », Amossy (2000, p. 163) note cependant une évolution positive vers la légitimation des émotions comme constitutives de l’art de persuader par la parole. Surtout, pour ce qui nous occupe ici au premier chef, l’auteur précise les catégories et modalités d’inscription (dans le discours) des affects auxquels s’intéresse l’analyse argumentative :
Elle étudie […] les topiques qui provoquent une émotion chez l’allocutaire sans la désigner directement. Elle se penche aussi sur l’expression de l’émotion dans le discours : l’affectivité s’inscrit dans la matérialité du texte à partir des désignations lexicales du sentiment, mais aussi à travers les effets de style qui le disent et le communiquent, comme l’interjection ou la répétition (Amossy, 2000, p. 182).
L’interjection est donc bien objet d’étude en analyse argumentative, y compris lorsque le résultat de l’opération empathique, savoir la tentative de transfert sur l’auditoire, du ressenti du locuteur n’est pas toujours garanti. Tel est le cas des interjectifs employés par Birahima dans le corpus proposé précédemment. Ils expriment principalement (mais non exclusivement) ses sentiments vis-à-vis des événements dont il rapporte le récit. D’une manière générale, ces morphèmes peuvent être classés en deux groupes. D’un côté, celui à signification stable et unique ; c’est le cas de Walahé ! Comme formule de serment, cet interjectif traduit toujours la distance zéro entre l’énonciateur et le contenu asserté par son énoncé qu’il revendique sur l’honneur comme authentique, ou absolument vrai, sauf cas de dérision. À ce titre, il peut être paraphrasé en termes performatifs explicites comme « Je jure » suivi (ou précédé selon le cas) d’une expansion modalisée précisément par la formule performative. Ainsi des énoncés (1), (4) et (9) pour les emplois non associés. L’énoncé (9) à titre d’exemple.
Dans une des factions ULIMO sous le commandement du colonel Papa le bon, l’enfant-soldat, le capitaine Kid vient de perdre la vie, abattu à l’un des nombreux postes de contrôle. Le colonel Papa le bon, à la lucidité complètement aliénée par une intoxication éthylique, a désigné au hasard, dans l’aveuglement de la beuverie, une pauvre femme qu’il accuse d’avoir « mangé l’âme » de l’enfant-soldat. Évidemment, la coupable tente de réfuter l’accusation d’homicide. Elle « tente » seulement, car chez le colonel Papa le bon, le bénéfice de la présomption d’innocence jusqu’à ce que la culpabilité du prévenu soit matériellement établie n’est qu’une vue de l’esprit, et ses accusations ont valeur de verdict sans appel. Mais tentative ou pas, il ne fait aucun doute que toute réfutation d’accusation est toujours, en quelque manière, pour le mis en cause, une forme de plaidoirie visant à se disculper et à convaincre de son innocence, autant qu’une tentative d’emporter, in fine, l’issue du procès : « Walahé ! C’est pas moi. J’aimais Kid. Il venait manger chez moi » (p. 68). On le voit bien. L’exclamation ici vaut prestation de serment quant à l’authenticité présumée du contenu asserté par la suite.
Cet interjectif, en tant qu’il fonctionne comme un intensif de certification sur l’honneur, ne peut modifier précisément que le contenu en procès d’authentification. À ce propos, un autre exemple n’est pas de trop : « Le hasch, il le conservait pour les soldats-enfants, ça les rendait aussi forts que de vrais soldats. Walahé ! » (p. 81). Dans la mesure où il s’agit là d’une confidence de quelqu’un qui a expérimenté personnellement cette pratique en sa qualité d’enfant-soldat, l’affirmation revêt de fait, l’autorité de la chose qui s’impose en soi, comme réalité tangible de la doxa au sujet de tous les conflits armés utilisant les enfants comme chair à canon. Il s’en suit que cette confession ne peut être que « vraie », au sens où la vérité traduit une parfaite adéquation entre l’énoncé d’un fait et le fait lui-même. Et l’énoncé (1) en atteste encore, car qui mieux que Birahima lui-même, peut rendre témoignage des difficultés de mobilité de sa propre mère marchant « sur les fesses », ou par à-coups, « du fait de l’ulcère qui l’avait physiquement diminuée » ?
Par ailleurs, en (4), seul lui Birahima peut encore tenter de persuader de la puissance de l’étreinte de sa défunte mère autour de son bras, une étreinte si forte que pour la rompre au réveil, il a fallu l’effort conjugué de « Balla, grand-mère et une autre femme. Walahé (au nom d’Allah) ! C’est vrai ». Mais il y a mieux. En effet, en raison de sa dimension cultuelle liée notamment à l’invocation de Dieu, Être suprême tout d’intégrité, de probité et de vérité (du moins, telle est la représentation que les fidèles se font de lui d’après les Saintes écritures), l’interjectif confère a priori au discours, par le seul fait de sa citation, tout le poids du sacré qui est censé en faire la preuve des preuves au bénéfice de ce qui est affirmé.
Dans sa Rhétorique et argumentation, J.-J. Robrieux (2000) passe en revue une série d’arguments poursuivant tous, chacun avec sa spécificité, le but que s’assigne l’orateur en fonction du mécanisme intrinsèque informant chaque argument. On pourrait y ajouter l’argument de la foi qui repose sur l’invocation de Dieu et son autorité, à titre de preuve irréfutable de la sincérité et de l’authenticité de ce que l’on avance au cours d’une interaction verbale.
En effet, la crainte de Dieu[1], certes variable d’une société à une autre à travers le monde, n’y est pas pour autant moins diffuse. Et les fidèles en général, comme dans une sorte de transfert psychologique, croient toujours pouvoir jouer d’intimidation sur les autres, et arriver ainsi à infléchir leur position en faveur de leur propre point de vue, par l’invocation de sa Toute-Puissance, la présomption de l’assurance de l’existence, et donc corrélativement, de la crainte de Dieu, étant censée copartagée au point que son invocation dans l’argumentation passe pour être la preuve qui s’impose en soi. Autrement dit, Dieu omniscient, omniprésent et omnipotent, et donc craint à ce titre, ne peut être cité à la rescousse dans une situation de solennité ou de gravité, que comme preuve absolue de sincérité et de vérité. Quel sacrilège téméraire serait-ce en effet que le contraire se produisît ! L’argument de la foi s’enracine donc dans un présupposé psychologique à la fois transubjectif et transindividuel, d’où précisément toute sa valeur quasi consensuelle et universelle.
On perçoit là, sans doute, les risques de manipulation de l’auditoire par l’orateur sollicitant un substrat psychologique censé être partagé à l’échelle universelle, mais dont la disparité dans l’interprétation peut paradoxalement être un témoignage à charge, tant la formule par abus de citation, y compris par des personnes dont la vie n’est pas toujours d’une exemplarité recommandable, a été, pour ainsi dire, désacralisée. En tout cas, quelle que soit sa position dans l’énoncé (antéposition, enclitique ou postposition), le morphème interjectif (Ducrot, 1980) Walahé !, grâce à sa valeur de serment, assume une fonction d’intensif de certification de l’unité linguistique qu’il accompagne. Par ailleurs, il est censé crédibiliser concomitamment le contenu du message délivré sous son autorité sacrée.
Mais au-delà de la technique discursive d’authentification par invocation de l’autorité de Dieu, c’est en réalité l’ensemble du procès assertif lui-même qui a, à terme, une valeur perlocutoire dans l’interlocution. L’assertion n’est donc jamais vraiment gratuite en discours. Kerbrat-Orecchioni observe dans ce sens que « dans une perspective interactionniste, l’assertion consiste (donc) :
1. à faire savoir au destinataire que l’on estime vrai l’état de choses correspondant au contenu propositionnel,
2. en prétendant faire partager cette opinion par le destinataire (et à modifier du même coup son « bagage cognitif »),
3. et si la situation communicative le permet, de manière à obtenir de ce destinataire une prise de position explicite, et de préférence positive, sur le contenu asserté (2001, p. 59).
Mais nous l’avons déjà noté, ce rôle de modalisateur est aussi tenu par les autres morphèmes interjectifs qui constituent le deuxième groupe dans le classement que nous annoncions. Ce sont Faforo ! et Gnamokodé ! deux modalisateurs à significations variables.
Ainsi, Faforo ! qui, selon Birahima, veut dire « sexe du père/de mon père/cul de mon papa » (p. 10), peut traduire une exaspération ou, pour rester dans le registre d’expression, un ras-le-bol, lorsqu’il exprime une mise en congé forcé, ou une éconduite sans ménagement. C’est notamment le cas quand le narrateur semble ressentir comme une surdétermination de l’extérieur, toujours corrosive de son libre arbitre en tant que démiurge. Dans un tel contexte, il signifie alors « Allez-vous faire foutre ! » ; « Allez au diable ! », ou « Foutez-moi la paix ! ». Telle est l’interprétation qui s’impose à travers l’énoncé (3) : « Peut-être je vous parlerai plus tard de la mort de ma maman. Mais ce n’est pas obligé ou indispensable d’en parler quand je n’ai pas envie. Faforo (sexe du père) ! ». Cette signification en contexte peut être partagée avec Gnamokodé ! comme dans l’extrait suivant : « Les enfants-soldats qui étaient morts n’étaient pas des copains. Je les connaissais pas, c’est pourquoi je ne fais pas leur oraison funèbre. Et je ne suis pas obligé. Gnamokodé ! »
A priori, ce parti pris de discrimination informationnelle, de la part de Birahima, en fonction de la qualité des liens entre lui et un personnage tiers dans son adresse à l’auditoire, apparaît dans la perspective conversationniste comme une violation de la maxime de quantité au sens de Grice. Cette maxime repose en effet sur la règle d’exhaustivité dont le respect incombe principalement à l’adressé en situation d’interrogation, dans la mesure où l’évaluation en est faite à partir d’une « intervention réactive » (Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 94).
En réalité, au cours de l’interlocution, cet impératif pèse sur les interactants en raison notamment de la réciprocité du statut discursif locuteur/allocutaire, si bien que l’un et l’autre seraient passibles de poursuite pour rétention délibérée d’informations susceptibles d’élargir le champ cognitif de l’auditoire. Ainsi, en soumettant la dédicace d’une oraison funèbre des victimes de la guerre à une clause affective intimiste, Birahima décide de priver son auditoire de bien des informations lors de cette interlocution qu’il a lui-même initiée et instaurée avec cet auditoire. Toutefois, dans la mesure où, en sa qualité de démiurge, il définit les règles des échanges, s’autorisant ainsi à faire subir à l’auditoire une tyrannie discursive en rupture avec certaines règles de la conversation, du fait précisément du caractère unilatéral de la décision sur ce qui doit être porté ou non à la connaissance de l’auditoire, le procès pour « délit » de déficit d’informations semble, sur la forme, sans objet, et illégitime quant au fond, donc perdu d’avance.
Bref, au niveau de l’interprétation, Faforo et Gnamokodé peuvent encore se rejoindre, notamment dans l’expression d’un acquiescement dubitatif, et surtout railleur et dédaigneux. Tous deux sont traduisibles soit par « N’importe quoi ! » ou « Foutaise ! », soit par « Mon œil ! », ou encore « Quelle sottise ! ». Rappel d’un exemple : malgré son armure de sortilèges, le colonel Papa le bon a succombé à la mitraillette à bout portant de Kid, enfant-soldat capitaine. Devant l’étonnement inquiet des inconditionnels du pouvoir d’invulnérabilité supposé des fétiches, Yacouba, l’expert grigriman de service a tenté de justifier ce camouflet. L’extrait suivant traduit le jugement de Birahima sur l’explication du grigriman : « Yacouba a expliqué : le colonel avait transgressé des interdits attachés aux fétiches […]. Le sacrifice de deux bœufs aurait empêché la circonstance. Faforo ! »
Un autre intérêt, syntactique celui-là, de l’emploi de ces formules réside dans leur capacité à thématiser tout ou partie de l’énoncé, ce qui leur confère une valeur moralisatrice. Ainsi, dans l’extrait ci-après, Faforo, par son contenu notionnel, a une incidence sur le substantif casernement : « Le casernement des enfants-soldats, faforo ! On se couchait à même le sol sur des nattes. Et on mangeait n’importe quoi et partout ». Comme on peut le voir, la postposition de l’interjectif au substantif, après cette courte pause syndétique, lui confère cette expressivité affective axiologique, lieu de dénonciation d’un abus de langage, le casernement réservé aux enfants-soldats ne répondant pas, a priori, aux standards d’un véritable casernement dans l’institution et la fonction militaire. Il s’agit donc là d’une description à fonction quasi pénale, puisqu’elle prend, corrélativement, le caractère d’un réquisitoire contre les conditions de vie difficiles des pensionnaires.
Dans l’énoncé (2) au contraire, l’incidence modalisatrice de Gnamokodé, qui ponctue l’énoncé en phase terminale, affecte l’interprétation globale, puisqu’elle porte, non pas tant sur le phénomène de la mort, que sur son inéluctabilité, toujours avec cette note de raillerie insidieuse, notamment au sujet de la croyance répandue en la pratique des « mangeurs » d’âmes. En effet, selon cette croyance, « Quand on a mangé ton âme, tu ne peux plus vivre, tu meurs par maladie, par accident. Par n’importe quelle malemort ». Et le narrateur de s’exclamer « gnamokodé ! ». Le morphème peut aussi servir à exprimer une répugnance ou une aversion mêlée de blâme voire de condamnation. C’est le cas de cet autre extrait, avec cette suspicion légitime d’anthropophagie au cours du rite initiatique du jeune lycaon :
L’initiation du petit lycaon se fait dans un bois. Il porte des jupes en raphia, ça chante, danse et ça coupe fort les mains et les bras des citoyens sierra-léonais. Ça consomme après une boule de viande, une boule de viande qui est sûrement de la chair humaine. Cette boule sert de délicat et délicieux repas de fin de fête aux initiés. Gnamokodé (putain de ma mère) (p. 189).
Mais le contexte ne suffit pas toujours à donner une signification précise. À preuve, dans l’extrait suivant, on peut hésiter entre une compassion autocentrée sur l’énonciateur, et une résignation totale, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’une désinvolture dédaigneuse, ou d’une moquerie dubitative par rapport à la causalité simpliste d’une société où règnent toutes les formes de l’irrationnel et la superstition en particulier : « J’ai blessé maman, elle est morte avec la blessure au cœur. Donc je suis maudit, je traîne la malédiction partout où je vais. Gnamokodé ! ». Cette observation au sujet des situations d’incertitude dans le procès d’assignation de sens vaut aussi pour Faforo.
Pour soutenir l’effort de guerre, Prince Johnson a grand besoin de ressources financières. Son stratagème : organiser le rapt, la séquestration, la mutilation et même le meurtre de certains employés, cadres expatriés ou autochtones de la compagnie américaine de caoutchouc, afin de contraindre le président de ladite compagnie à accepter l’offre d’un contrat de sécurité de l’ensemble de son personnel. Après plusieurs enlèvements, le président a fini par décoder le message et accepter d’ouvrir des négociations pour leur futur partenariat, d’autant que deux de ses collaborateurs se trouvaient encore entre les mains de leurs bourreaux. L’extrait à venir décrit l’état d’esprit du maître ravisseur au terme des négociations : « Johnson avec de grands éclats de rire les frappa sur les épaules. Puis les blancs sortirent du camp à cinq, trois plus deux. Il y avait les cinq têtes sur les dix épaules. Faforo ! » Quelle interprétation donner ? Blâme ? Impuissance ? Admiration contrainte devant l’efficacité du cynique stratagème, ou tout cela à la fois ?
Toutefois, ces cas où l’hésitation et l’incertitude sont permises sont rares, et le morphème Faforo, on l’a vu, peut exprimer divers sentiments et jugements. Par exemple, il peut être porteur de l’idée d’un grand gâchis et d’une profonde indignation à travers la répétition du verbe tirer. Celui-ci décrit l’activité favorite des enfants-soldats. C’est à l’occasion de la cérémonie d’hommage à la mémoire du capitaine Kid par ses frères d’armes, le jour de son inhumation : « Et puis les enfant-soldats se sont alignés et ils ont tiré avec les kalach. Ils ne savent faire que ça. Tirer, tirer. Faforo ! ». Encore un exemple (hors corpus) des significations de contexte avec walahé avant de terminer.
Le théâtre des guerres ethniques constitue un terreau fertile où prospèrent bien évidemment les « fauteurs de guerre ». Mais la guerre profite également à certains rebuts sociaux, débrouillards invétérés qui ont réussi à développer une formidable capacité d’adaptation aux plus grands périls, si bien qu’ils hantent tous les lieux de conflits. S’y ajoutent les enfants-soldats, autre catégorie de « privilégiés » tirant l’essentiel de leurs subsides de leur statut. Yacouba et Birahima en font partie ; l’un comme grigriman, l’autre en qualité d’enfant-soldat. Ils viennent de se voir offrir l’opportunité d’exercer ce qu’ils savent le mieux faire, après une période d’inactivité. Réaction :
Nous avons été appelés, nous avons pris du service aussitôt. Yacouba, le bandit boiteux sauta sur une jambe et cria Walahé ! Allah était pour nous. Nous pouvions reprendre du service. Yacouba fut installé comme grigriman et moi je rejoignis les enfants-soldats (p. 213).
Dans un tel contexte, la valeur du morphème va bien au-delà de son rôle premier de certification d’une information sur la foi supposée en Dieu, pour exprimer un immense bonheur mêlé d’une infinie gratitude, autant que d’un profond soulagement, tous trois traduisibles, a minima, par cette autre exclamation « Dieu soit loué ! ».
Conclusion
De ce qui précède, il ressort que la signification originelle de chaque interjectif en définit les conditions d’emploi dans le discours, si bien que, là où par exemple, une certification à valeur de serment sur la foi en Dieu sied, l’expression du ras-le-bol ne saurait évidemment convenir. Quant aux positions de ces morphèmes, les extraits proposés ont bien montré leur variabilité, celle-ci semblant n’obéir à aucune règle grammaticale, si ce n’est celle des effets de style. C’est également sous cet angle discursif que doivent être rangés les emplois associés, véritables lieux de « cocktail émotionnel », sentiments et ressentiments s’y trouvant à la fois mêlés sans qu’aucun ne prenne le pas sur les autres. En revanche, au niveau statistique, la disparité numérique dans les occurrences avec cinquante cas pour Walahé est révélatrice du rapport de l’orateur au contenu de son propre discours. Et c’est ici que ces interjectifs modalisateurs assurent au discours et à travers lui, leur argumentativité, entendu que l’interlocution est toujours une invitation au partage ; ou mieux, un exercice de partage, un désir d’inter-influence des partenaires à la communication, une tentative d’« aliénation » mutuelle en toute bonne ou mauvaise foi. Que cette invitation au partage se solde parfois par un échec, cela est établi. En tout cas, en ce qui concerne Birahima, l’étude a montré que la convocation des morphèmes interjectifs africains n’obéissait pas à un simple besoin d’originalité du dire, mais également, et au-delà, à travers cette interlocution propre au contage qui suppose communion avec l’auditoire, à la fois à un désir et à un souci d’emporter l’adhésion de l’auditoire par rapport à ses propres points de vue ; ses jugements et jugements de valeur ; ses émotions. Autrement dit, l’exposé d’émotions de l’orateur sans autre finalité qu’un pur épanchement est assurément trop gratuit pour être envisageable dans le cadre d’une interaction verbale ayant solennellement affiché ses prétentions dialogiques dès l’étape phatique. En livrant ses émotions à l’auditoire, Birahima a mis un point d’honneur à en expliquer les circonstances, si bien qu’on aboutit de fait, à un procès de légitimation, tant au niveau de l’orateur lui-même, qu’à celui de l’auditoire invité implicitement à en faire siennes.
Bibliographie
Amossy Ruth. 2000. L’argumentation dans le discours. Paris : Nathan/HER.
Ducrot Oswald. 1980. Les mots du discours. Paris : Les Éditions de Minuit.
Kerbrat-Orecchioni Catherine. 1990. Les interactions verbales, Tome 1. Paris : Armand Colin.
Kerbrat-Orecchioni Catherine. 1996. La conversation. Paris : Seuil.
Kerbrat-Orecchioni Catherine. 2001. Les actes de langage dans le discours. Paris : Nathan/VUEF.
Martin Robert. 2002. Comprendre la linguistique. Paris : Quadrige/PUF.
Robrieux Jean-Jacques. 2000. Rhétorique et argumentation. Paris : Nathan/HER.
- Il va de soi que ceci n’est recevable que pour les communautés humaines qui croient en Dieu ↵