Citoyenneté numérique en Côte d’Ivoire : le cas de Vincent Toh Bi Irié
Akoua Adayé Nadia KRA et Abdoul Karim KONÉ
Introduction
L’avènement du web 2.0[1] inaugure la création d’un lieu de socialisation par excellence. En effet, les individus ont la possibilité d’interagir, d’échanger avec des personnes du monde entier, d’être informés sur les événements qui ont lieu et de donner leur avis. On partage désormais ses préférences, ses opinions et ses activités avec les autres. Il se crée même des communautés en ligne pour échanger et réfléchir sur un sujet donné. Aussi, ces deux dernières décennies, les notions de valeur, responsabilité, droit et devoir ont été mises en avant dans les interactions en ligne. On parle de plus en plus de citoyenneté numérique.
Faisant référence à l’utilisation responsable et active des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les citoyen·ne·s dans le but de participer à la vie sociale, politique et économique de leur société (Gebran et Vaziaga, 2017), la citoyenneté numérique englobe un large éventail d’activités, notamment la participation citoyenne, la sensibilisation de la population sur un certain nombre de fléaux, la sensibilisation aux enjeux numériques et la compréhension des médias sociaux.
La présente contribution traite de la citoyenneté numérique comme nouveau répertoire d’actions et analyse des mobilisations citoyennes. Qu’est-ce que la citoyenneté numérique? Comment se manifeste-t-elle dans le discours de Vincent Toh Bi Irié? Telles sont les questions auxquelles la présente étude tente de répondre.
Définition de la citoyenneté numérique
La citoyenneté est une construction historique non figée dont les composantes ont accompagné le processus d’instauration et de différenciation des institutions étatiques (droits civiques, politiques, sociaux). La montée en puissance du web 2.0 au cours de cette dernière décennie a contribué à repenser la notion de citoyenneté. À la traditionnelle conception socio-historique de la citoyenneté s’ajoute désormais l’adjectif numérique. En effet, les médias numériques offrent désormais des possibilités uniques aux usager·e·s de s’engager activement, de s’exprimer et d’apporter des changements tant en ligne que hors ligne.
Traduit du terme anglais Digital citizenship, la citoyenneté numérique désigne la « relation à l’ordre politique au sens large, relation médiatisée par les technologies numériques, et dont les formes, les lieux et les enjeux varient dans le temps et dans l’espace » (Greffet, Wojcik, 2014, p. 152). Elle renvoie donc à la manière dont les internautes interagissent en ligne sur des sujets sensibles à caractère politique ou social. Cette définition renvoie à deux types d’appropriation : l’une centrée sur les usages des technologies numériques et l’action publique dans ce domaine, l’autre orientée vers la participation politique et sociale en ligne. La citoyenneté numérique suppose donc la capacité de naviguer dans les environnements numériques de manière sécuritaire et responsable et de s’engager activement dans ces espaces. Les deux composantes de cette définition permettent d’inclure la diversité des acteurs et actrices qui participent à la diffusion de la notion de citoyenneté numérique.
Citoyen numérique : portrait d’un acteur social connecté
Dans les espaces numériques, les utilisateur·trice·s peuvent entreprendre diverses actions qui permettent d’établir différents profils de citoyen·ne·s usager·e·s du numérique. Il se dégage quatre principaux profils de citoyens usagers du numérique selon Cassells et al. 2016.
Le premier profil concerne les consommateur·trice·s. Sous ce profil se retrouvent les citoyen·ne·s usager·e·s du numérique dont les actions principales en ligne se résument à naviguer, rechercher, lire, écouter, regarder, vérifier et évaluer les informations.
La seconde catégorie concerne les médiateur·trice·s. Il s’agit des usager·e·s dont l’activité principale en ligne consiste à partager et commenter des informations.
Sous le troisième profil sont rangés les créateur·trice·s de contenus. Cette catégorie regroupe des usager·e·s dont les actions en ligne reposent sur la mise en avant de pratiques, de services et produits à travers des blogs, forums, etc.
Le quatrième et dernier profil concerne les usager·e·s transformateur·trice·s de la société. Ce profil concerne les citoyen·ne·s usager·e·s qui participent à la construction d’un projet de société, promeuvent les actions en faveur de la santé pour tou·te·s, l’inclusion, la protection de l’environnement, la lutte contre les inégalités, etc. Ce type de citoyen·ne usager·e du numérique contribue à faire évoluer le contexte et sa communauté hors ligne à travers ses actions en ligne. Ce sont les internautes se retrouvant sous ce profil qui sont appelé·e·s citoyen·ne·s numériques. S’il est vrai que le degré et les formes d’engagement varient d’une personne à une autre en fonction de ses intérêts, du contexte, de sa maîtrise des codes et conventions sociales, des langues parlées et de son aisance à prendre la parole en ligne, les citoyen·ne·s numériques ont cependant un ensemble de traits caractéristiques. En effet, ce sont des personnes constantes et régulières dans leurs actions et engagements, qui font preuve de compétence et d’efficacité, qui sont courtoises, tolérantes, respectueuses et inclusives. Mais le·a citoyen·ne numérique est avant tout une personne informée et éclairée, éthique et responsable, libre et cohérente, c’est-à-dire une personne en accord avec les croyances et valeurs de sa communauté.
Cadre méthodologique. L’analyse du discours numérique
L’analyse du discours numérique comme son nom l’indique s’intéresse aux productions discursives issues du numérique. Fondée sur l’analyse du discours, elle s’intéresse à l’analyse des processus de mise en discours de la langue dans un environnement technologique. En effet, les discours numériques, en raison de leur singularité, requièrent un processus de théorisation particulier. Selon Paveau, « le développement des productions verbales sur internet et la naissance des cultures numériques ont en effet produit de nouvelles formes textuelles discursives […]. Pour que les interprétations de ces discours ne restent pas sans clivage, il nous faut repenser la théorie du discours » (Paveau, 2011, en ligne). Aussi propose-t-elle de sortir des approches logocentrées du langage pour prendre en compte l’ensemble des données humaines et non humaines qui président à l’élaboration des discours numériques. Pour cela, elle détermine trois notions qui constituent les outils d’approche du discours numérique. Il s’agit des notions de technologie discursive, d’écologie du discours et d’environnement du discours.
Comprendre la technologie discursive
Le discours numérique, comme nous l’avons déjà mentionné, naît et/ou évolue dans un environnement numérique qui en conditionne les structures et formes particulières, lui donne sa légitimité et garantit son existence. En tant que pratique discursive, l’univers numérique ne constitue pas un simple support, mais aussi un outil de conditionnement du langage. Pour comprendre et analyser le discours numérique, il faut saisir ce que Marie-Anne Paveau appelle la technologie discursive. Elle la définit ainsi :
L’ensemble des processus de mise en discours de la langue dans un environnement numérique, reposant sur des dispositifs de production langagière constitués d’outils informatiques en ligne ou hors ligne (programmes logiciels, API, CMS) et proposés dans des appareils (ordinateur, téléphone, tablette) (Paveau, 2017, p. 335).
Selon Marie-Anne Paveau, la notion de technologie discursive fait suite à celle de technologie cognitive pour rendre compte, dans la perspective d’une cognition externe, de la contribution d’instruments matériels dans l’élaboration des prédiscours (cadres préalables à la construction des discours). La technologie discursive permet de rendre compte des discours numériques natifs en permettant de prendre en compte le fait que l’énonciation n’est plus exclusivement le fait d’une mise en marche humaine de la langue. Le langage devient le fruit d’une collaboration humain-machine où l’humain et le non-humain se côtoient et se confondent. Elle fournit les dispositifs théoriques et méthodologiques qui président à l’analyse des discours numériques. La technologie discursive implique non seulement une modification, mais également une totale redéfinition des outils linguistiques à prendre en compte dans la description du discours. Avec le discours numérique, les phénomènes linguistiques et les notions qui permettent d’analyser les discours subissent de profondes mutations. La prise en compte de la technologie discursive permet de rendre compte des technodiscours dans leur ensemble, à savoir sur les plans morpho-lexicologique, énonciatif, discursif et sémio-discursif. La technologie du discours fonctionne alors comme un outil opératoire dans l’analyse du discours numérique, car elle participe à la compréhension de l’élaboration, du conditionnement et de toutes les spécificités distinctives des écrits numériques natifs.
L’écologie du discours
Étudier le discours numérique consiste à voir les choses sous un angle nouveau, à orienter son regard vers l’observation de nouveaux phénomènes linguistiques, à envisager le langage autrement, bref, à sortir des approches logocentrées du langage (Paveau, 2017, p. 129). La notion d’écologie du discours est une approche d’analyse du discours qui prend pour objet non plus les seuls éléments langagiers, mais l’ensemble des environnements dans lesquels ils s’inscrivent. Cette notion repose sur l’idée que les discours sont constitutivement intégrés à leur contexte et ne peuvent être analysés qu’à partir de leur seule matière langagière, mais comme composites, métissant de manière intrinsèque du langagier et du technologique, du culturel, du social, du politique, de l’éthique. Cette notion est présentée par Marie-Anne Paveau comme particulièrement nécessaire à l’analyse des discours numériques natifs. À cet effet, elle évoque plusieurs raisons dont le fait que les formes technolangagières possèdent des composantes technologiques qu’une analyse logocentrée écarterait, mais aussi le fait que la production et la réception discursives en ligne impliquent des gestes d’écrilecture de l’internaute qui sont inséparables des énoncés. Elle mentionne aussi le fait que les technodiscours possèdent une dimension relationnelle qui fonctionne à des degrés et dans des configurations diverses comme des liens techniques vers d’autres énoncés. L’approche écologique du discours radicalise la conception du langage centrée sur ses contextes de production en intégrant des éléments non linguistiques à l’objet d’analyse. En effet, l’approche écologique du discours s’inscrit dans une approche postdualiste dans laquelle il n’existe pas de rupture d’ordre entre linguistique et extralinguistique, discours et contexte, et dans laquelle l’ordre du langage et celui de la réalité sont conçus comme formant un continuum. Paveau considère la perspective postdualiste comme particulièrement inspirante pour l’analyse du discours numérique, car dans cette perspective, les ordinateurs, programmes et applications sont susceptibles de participer à la production du sens (2017, p. 130). Pour elle, cette approche intègre une symétrie entre l’ordre du langage et celui de la réalité qui remet en cause les conceptions logocentrés de l’analyse du discours mainstream, en proposant une étude de la langue centrée sur ses contextes de production. Cette perspective modifie l’objet de l’analyse du discours qui n’est plus le seul discours, mais l’ensemble des éléments de l’environnement. Dans la conception écologique, le contexte extralinguistique est repensé comme un écosystème où s’élabore un discours et non pas comme un arrière-plan du discours qui le déterminerait. L’agent énonciatif se trouve alors distribué dans l’écosystème numérique et non plus défini comme la source de la production verbale. Cette conception invite également à repenser la notion de support. En effet, la notion d’écologie du discours écarte la notion de support, car dans les univers numériques, il n’existe qu’un seul ordre qui est le technolangagier, au sein duquel le techno- et le discursif sont co-intégrés, sont contributeurs à la production technodiscursive de manière égale et doivent donc être analysés comme tels. La notion d’écologie du discours est une notion qui élargit le dispositif linguistique devant être pris en compte dans l’analyse des écrits numériques natifs, et oriente vers une conception symétrique du rapport entre langage et technologie, sans laquelle il serait difficile, voire impossible de comprendre le fonctionnement des écrits numériques natifs.
La notion d’environnement dans le discours numérique
En considérant l’approche postdualiste du discours, la notion de contexte apparaît obsolète, car trop rattachée à la conception logocentrée du langage. Marie-Anne Paveau recommande alors le terme environnement. Dérivée de l’approche cognitive des discours, la notion d’environnement désigne « l’ensemble des données humaines et non humaines au sein desquelles les discours sont élaborés » (2017, p. 165). Cette notion se présente comme une alternative à celle de contexte qui apparaît plutôt restreinte, car uniquement centrée sur les paramètres sociaux, historiques et politiques. L’environnement est donc une extension du contexte à des données beaucoup plus larges et plus spécifiques des écrits numériques natifs. Selon Paveau, c’est une notion centrale en analyse du discours numérique, car elle permet de rendre compte de l’aspect composite des discours en considérant la technique comme un composant structurel du discours (2017, p. 166). De cette conception, nous retenons que l’environnement dans le discours numérique est susceptible de renvoyer à des réalités diverses et variées. En effet, selon la définition du terme donnée plus haut, l’environnement pourrait aussi bien être constitué des appareils utilisés dans l’élaboration des discours à savoir les ordinateurs, les tablettes, les smartphones, etc., ou des environnements moins visibles comme les logiciels abritant les programmes et systèmes d’exploitation et les algorithmes qui organisent le traitement des informations. Mais l’environnement peut aussi renvoyer aux diverses plateformes de communication qu’offre l’univers numérique, dans lesquelles s’élaborent les interactions en fonction des visées des interlocuteurs. Les discours sont élaborés aussi bien via les réseaux sociaux comme X (ex-Twitter) ou Facebook, les blogs, les forums, qui ont chacun leurs spécificités et contraintes. L’environnement recevra alors une configuration différente selon que le discours est produit via l’une de ses plateformes. L’environnement des discours numériques peut aussi être visuel, en raison de l’utilisation des vidéos et des images fixes ou animées choisie comme mode d’élaboration et de traitement discursif. L’environnement dans sa dimension humaine doit prendre en compte l’énonciateur humain et tout l’univers spatio-temporel dans lequel il se trouve, à savoir le moment et le lieu où il choisit d’interagir avec l’autre via le numérique. La notion d’environnement conçue et envisagée comme une extension de celle de contexte, à travers la prise en compte de l’univers technologique dans lequel naissent et évoluent les écrits numériques natifs, se présente alors comme une réalité aux multiples facettes, car ne pouvant être configurée qu’en fonction des multiples outils communicationnels offerts par l’univers numérique lui-même.
Le corpus d’étude
La présente analyse se base sur un corpus natif numérique extrait de la page Facebook de Vincent Toh Bi Irié. Les corpus numériques natifs sont élaborés dans les univers discursifs numériques. Ils font référence à une collection de données ou de documents numériques qui sont produits de manière native dans un environnement numérique. Ces corpus sont généralement créés dans le cadre de recherches linguistiques ou d’analyses textuelles. Les corpus numériques natifs peuvent inclure des messages textuels en ligne, c’est-à-dire des conversations sur les réseaux sociaux, des commentaires sur des forums, des chats en ligne, etc., des documents natifs (fichiers numériques créés directement en ligne dans des formats comme des documents Word, des présentations PowerPoint, des feuilles de calcul Excel, etc.); des données de médias sociaux tels que des tweets, des publications sur Facebook, des vidéos YouTube, etc. Ces corpus sont souvent utilisés pour étudier les tendances linguistiques, les schémas de communication en ligne ou pour développer des modèles de traitement du langage naturel. L’analyse de ces corpus peut fournir des perspectives précieuses sur l’évolution du langage dans les contextes numériques et sur les comportements en ligne.
Le corpus de notre étude est constitué de trois discours extraits de la page Facebook de Vincent Toh Bi Irié, fonctionnaire ivoirien qui fut directeur de cabinet au ministère ivoirien de l’Intérieur avant d’être nommé préfet d’Abidjan en 2018. Il démissionna officiellement de son poste le 28 août 2020 après deux ans de service. Ses actions menées en faveur de la société lorsqu’il était préfet d’Abidjan en ont fait une figure emblématique de l’administration et l’une des personnes les plus influentes du pays. Sa page Facebook compte 374000 abonnés au 15 mai 2024 et on peut y lire environ une vingtaine de publications mensuelles.
Manifestation discursive de la citoyenneté numérique chez Vincent Toh Bi Irié
La manifestation discursive de la citoyenneté numérique chez Vincent Toh Bi Irié se traduit par la diffusion de contenus concernant des questions éthiques, sociales et politiques.
L’engagement aux valeurs citoyennes et à la défense des droits
La citoyenneté numérique implique la mise en pratique de principes éthiques, sociaux et civiques à partir du numérique. Elle contribue à promouvoir et à renforcer les valeurs citoyennes (Lacombled, 2013). Ainsi, Vincent Toh Bi Irié, citoyen numérique, promeut la sensibilisation de l’engagement civique et l’inclusion.
Citoyenneté numérique et engagement civique
La citoyenneté numérique encourage la participation active des citoyen·ne·s aux discussions ainsi que la contribution à des causes civiques. Vincent Toh Bi Irié, dans un post Facebook datant du 3 juillet 2020 et intitulé “TCHAI, PARDON, ALLEZ VOUS INSCRIRE SUR LA LISTE ÉLECTORALE !!!!!“, sensibilise les un·e·s et les autres à aller accomplir un devoir civique, notamment celui de s’inscrire sur la liste électorale.
Dans un discours au niveau de langue relâché, Vincent Toh Bi Irié sensibilise sur la nécessité et l’importance de cet acte civique à travers les segments suivants :
– « Va t’inscrire sur la liste électorale ouais, si tu aimes vraiment ton pays ! » (Statut Facebook du 03/07/2020, Fig. 2).
– « Mais j’ai compris une chose : si tu participes au choix du Président, du Sénateur, du Député, du Maire, tu peux te lôgô dans pays-la. Donc les gars, il reste 24 heures. ALLONS NOUS INSCRIRE SUR LA LISTE ÉLECTORALE pahé y a des gens ils pensent qu’ils sont plus yêrê que leurs amis à Abidjan ici. » (Statut Facebook du 04/07/2020, Fig. 3).
En utilisant l’impératif, le citoyen numérique Vincent Toh Bi Irié insiste donc sur l’importance de la présence sur la liste électorale, car pour lui, ne peut être considéré comme bon·ne citoyen·ne que celui ou celle qui aura accompli ce devoir civique. Aussi s’adresse-t-il à tou·te·s, car le niveau de langue permet à tous types de citoyen·ne·s de s’y retrouver.
Citoyenneté numérique et inclusion
La citoyenneté numérique, se référant à la responsabilité, à l’éthique des technologies de l’information et à la valorisation de la diversité, implique de promouvoir l’inclusion de toutes les voix, cultures et identités dans le monde numérique, favorisant ainsi un environnement en ligne équitable, respectueux et représentatif. Cela se manifeste chez le citoyen numérique Vincent Toh Bi Irié qui, par le mélange de langues (français soutenu et argot ivoirien), arrive à faire passer son message à toutes les composantes de la société ivoirienne. En effet, en Côte d’Ivoire, l’argot appelé nouchi est un mélange subtil de français et de langues ivoiriennes qui permet de montrer la diversité culturelle de ce pays. Il est parlé par une partie importante de la population, notamment la jeunesse, mais aussi des personnes n’ayant pas fait de longues études. Par conséquent, l’utiliser pour sensibiliser la population sur une question d’une importance capitale, notamment celle de l’inscription sur la liste électorale, permet de faire passer le message à une majorité, mais aussi de montrer la diversité linguistique de la Côte d’Ivoire. À travers le nouchi, l’homme ou la femme politique, l’universitaire ou le·a citoyen·ne lambda se trouvent concerné·e·s par le message véhiculé, car ce langage constitue une valeur linguistico-culturelle commune à tous les Ivoirien·ne·s. La phrase suivante traduit cette inclusion : « ALLONS NOUS INSCRIRE SUR LA LISTE ÉLECTORALE pahé y a des gens ils pensent qu’ils sont plus yêrê que leurs amis à Abidjan ici ». Dans cette phrase, Vincent Toh Bi Irié fait usage du nous inclusif qui s’élucide en [je+tu+eux] pour montrer que chacun·e doit être concerné·e par l’inscription sur la liste électorale. Cette phrase pourrait se traduire de la manière suivante : « ALLONS NOUS INSCRIRE SUR LA LISTE ÉLECTORALE parce que certaines personnes pensent qu’elles sont plus intelligentes que les autres ici à Abidjan ».
Citoyenneté numérique et transmission des idées politiques
La citoyenneté numérique désigne également la capacité de s’engager positivement de manière critique et compétente dans l’environnement numérique, en s’appuyant sur les compétences d’une communication et d’une création efficace pour pratiquer des formes de participation sociale respectueuses des droits de l’humain et de la dignité. En effet, être citoyen·ne numérique engagé·e revient à s’intégrer au sein d’une communauté solidaire de pensée et de débat. Cette intégration passe par le partage des similarités individuelles, qu’elles soient politiques, sociales, culturelles et même linguistiques.
Dans le but de diffuser le plus largement possible ses messages et de transmettre des valeurs ou des idées politiques, Vincent Toh Bi Irié utilise très souvent un langage familier. En effet, il mobilise ce niveau de langage lorsqu’il veut expliquer des termes qui surgissent souvent dans les débats publics et/ou inciter ses followers à mener certaines actions. Ainsi, dans le contexte des débats politiques précédant les élections présidentielles de 2020 en Côte d’Ivoire, il publie un post sur Facebook à travers lequel il explique certains termes et expressions récurrents dans les débats en français familier. Mais, au-delà du langage utilisé, les publications de Vincent Toh Bi Irié révèlent un schéma discursif assez intéressant dans le processus de transmission de ses idées politiques. En effet, il débute par une exposition de faits : « Chez nous en Côte d’Ivoire, il y a une langue française spéciale lorsque nous menons les débats politiques ou d’opinion. » Puis vient le processus cognitif qui se manifeste par les explications des termes et concepts. Tenter de fournir une explication tient du processus de compréhension du fait évoqué et de facilitation de la transmission des idées. Il propose ainsi des formes de traduction du français au français (fig. 3) :
– « Je m’inscris en faux contre vos propos » : chez nous on dit : « regarde un menteur comme ça »;
– « Nous combattrons vos idées et vos opinions » : chez nous : « si tu es garçon vient on va se mesurer ».
Enfin, vient l’action citoyenne et politique qui consiste à faire des propositions pour remédier au fait exposé. Il termine en effet ses explications en proposant les conditions nécessaires à des débats politiques apaisés. Il affirme ainsi à la fin du post du 28/12/2020 :
La langue française n’est certes pas une langue facile à manier par le grand nombre, mais l’éducation au civisme passera également par une certaine éducation politique de fine argumentation et de tolérance au sein d’une certaine classe politique et de la jeunesse. Quelle que soit la langue utilisée, la mesure et le respect doivent être les bases d’un débat politique ouvert.
À travers ses affirmations, Vincent Toh Bi Irié illustre son positionnement dans le débat qui prévaut, à savoir celui de leader d’opinion et de citoyen engagé dans la réforme des idées politiques.
Conclusion
L’appropriation du numérique dans le contexte de la citoyenneté en Côte d’Ivoire rend compte d’une relation à l’ordre politique et social au sens plus large en raison des différentes interfaces qui en assurent la mise en place. Les plateformes numériques constituent désormais un espace à part entière dans l’expression de la citoyenneté. Aujourd’hui, le web 2.0 représente, en Côte d’Ivoire, un important répertoire d’actions et de mobilisations citoyennes. On y rencontre des acteurs et actrices engagé·e·s à l’image de Vincent Toh Bi Irié qui use des opportunités technologiques offertes par le numérique pour diffuser ses convictions et croyances profondes au service de la société ivoirienne. Par ailleurs, cette montée en puissance des actions citoyennes dans les univers numériques reflète les apories d’une relation entre technologie numérique et démocratie en Côte d’Ivoire. Elle est également révélatrice d’une volonté de dépasser la référence à l’État comme acteur central de la construction d’un cadre social et politique qui soit démocratique.
Références bibliographiques
Cassels, Dorothy, Gilleran, Anne, Morvan, Claire et al., 2016. Élever des citoyens européens. Développer la citoyenneté active avec eTwinning. Bruxelles : Bureau d’assistance européen eTwinning. URL : https://liseo.france-education-international.fr/index.php?lvl=notice_display&id=40506, consulté le 16 mai 2024.
Gebran, Ziad, Vaziaga, Camille, 2017. Politique et citoyenneté : comment tirer parti de la révolution- numérique? Fondation Jean Jaurès [site]. URL : https://jean-jaures.org/publication/politique-et-citoyennete-comment-tirer-parti-de-la-revolution-numerique/, consulté le 16 mai 2024.
Greffet, Fabienne, Wojcik Stéphanie, 2014. La citoyenneté numérique, perspectives de recherche, Réseaux 184-185, p. 125-129. DOI : https://doi.org/10.3917/res.184.0125
Lacombled, David, 2013. Digital citizen : manifeste pour une citoyenneté numérique. Paris : Plon.
Paveau, Marie-Anne, 2011. Que veut dire travailler en analyse du discours en France en 2011 : épistémologies, objets, méthodes, Actes du colloque Enelin II (Encontro de Estudos da Linguagem), Pouso Alegre, Brésil. URL : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/246/files/2010/07/conf%C3%A9rence-pouso-87.pdf
Paveau, Marie-Anne, 2017. L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques. Paris : Éditions Hermann.
- L’expression Web 2.0 désigne l’ensemble des techniques, technologies et fonctionnalités permettant une interactivité entre les internautes et une simplification de la navigation (https://www.wearecom.fr/dictionnaire/web-2-0/). ↵