Les artifices du discours populiste : décryptage des tactiques de mobilisation politique

Badreddine EL-KACIMI

 

Introduction

Le monde islamique, s’étendant du nord de l’Afrique à l’extrémité orientale du Moyen-Orient, a été le théâtre de fluctuations politiques au cours de la dernière décennie, marquées par des vagues de mouvements populaires connus sous le nom de Printemps arabe. Ces soulèvements ont abouti au renversement de certains régimes et ont transformé certaines nations en zones de conflits civils.

Au Maroc, la sagesse politique du Palais et l’initiative rapide du roi ont permis d’apaiser les tensions populaires par le biais de réformes constitutionnelles. Cela a évité des répercussions graves sur la sécurité et la stabilité de l’État. Les élections ont également joué un rôle clé en produisant une nouvelle élite politique, avec le Parti de la Justice et du Développement (dorénavant PJD) émergeant non pas en tant qu’opposition, mais en tant que majorité gouvernementale.

Cette transition représentait une opportunité qualitative pour le parti islamique au Maroc, mettant à l’épreuve son expérience dans la gestion d’institutions publiques et de secteurs vitaux. C’était également un test pour évaluer la sagacité et la sagesse dans la résolution de nombreuses questions en suspens accumulées au fil des décennies, surtout avec le « Mouvement du 20 février »[1] qui continuait d’agir parmi les classes marginalisées, attendant des réformes concrètes.

Le gouvernement était confronté à deux réalités délicates : poursuivre les cas de corruption et engager des poursuites judiciaires contre les responsables, ou fermer les yeux sur ces problèmes au risque de prendre des décisions injustes et de perdre la confiance du peuple. Le PJD a opté pour la seconde option, initiée sous le slogan afa laho ama salaf (« Dieu pardonne le passé »).

Cela a entraîné des réformes sans précédent, visant à réduire les dépenses de l’État, privatiser des secteurs et mettre en œuvre des politiques dictées par le Fonds Monétaire International après l’obtention d’un prêt important.

Pour faire accepter ces politiques, un discours populiste a été essentiel. Ce discours visait à convaincre les masses de la nécessité de ces réformes pour maintenir la stabilité de l’État et lutter contre la corruption et tahakom (« le contrôle »). Cette période se caractérisait par la personnalisation du conflit, avec des discours simplistes, une violence verbale, des moqueries, l’utilisation d’outils religieux, de jugements éthiques et de stéréotypes par la diabolisation, la victimisation et la dramatisation.

L’objectif de cette analyse est de déconstruire le discours du leader du PJD, figure populiste pendant presque deux mandats gouvernementaux. Nous chercherons à disséquer ce discours, à étudier les stratégies de communication sous-jacentes, à identifier les enjeux en matière de persuasion et de manipulation des croyances publiques, tout en comprenant comment il opère à travers une étude discursive.

Revue de la littérature et question de recherche

Au fil des décennies, le populisme est devenu un sujet central de débat en science politique, transcendant les frontières géographiques et les clivages idéologiques. Il s’exprime de différentes manières en Europe, en Amérique latine et en Afrique du Nord, prenant des formes variées, de l’opposition politique à une politique gouvernementale. Par exemple, en Europe, un populisme de droite xénophobe a émergé, caractérisé par des revendications nationalistes (Arter, 2011; Betz, 1994; Carter, 2005; Mudde, 2007), tandis qu’en Amérique latine, le populisme adopte souvent une approche inclusionniste, promouvant la sécurité sociale et l’intégration des identités ethniques.

La définition du populisme a longtemps été sujette à divergence, oscillant entre des approches normatives englobantes et des approches empiriques descriptives. Cette dualité, entre complétude et clarté, a posé des défis. Récemment, une définition basée sur des attributs politiques, qu’ils soient institutionnels ou idéationnels, a gagné du terrain. Par exemple, dans l’approche institutionnelle, le populisme est défini comme une stratégie politique où un leader s’adresse directement à une masse hétérogène de partisan·es, contournant les organisations intermédiaires établies (Canovan, 1982).

La définition du populisme demeure un défi complexe en raison de sa diversité manifeste dans ses formes et ses contextes, transcendant les frontières géographiques, les époques historiques et les clivages idéologiques. Trois approches conceptuelles éminentes, tirées de la littérature en science politique et en sociologie, définissent le populisme respectivement en tant qu’idéologie, style discursif et forme de mobilisation politique.

Le populisme en tant qu’idéologie est centré sur le clivage entre deux groupes homogènes et antagonistes dans la société : le peuple pur versus l’élite corrompue (Mudde, 2004). Le populisme soutient que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple, mettant en avant la souveraineté populaire et opposant la vertueuse volonté générale à la corruption morale de l’élite.

Cette approche considère le populisme comme une idéologie centrée sur le mince (Mudde, 2007; Hawkins, 2010; Pauwels, 2011; Stanley, 2008), ce qui signifie qu’elle ne fournit pas de réponses complètes à toutes les questions socio-politiques et peut être compatible avec d’autres systèmes de croyances politiques plus larges, tels que le socialisme ou le libéralisme.

Une approche alternative considère le populisme comme un style discursif ou une rhétorique qui présente la politique comme une lutte morale et éthique entre le peuple et l’oligarchie (Barr, 2009). Dans une perspective comparative, le populisme est conceptualisé comme un discours manichéen attribuant une dimension morale binaire aux conflits politiques (Hawkins, 2010). Ce style se caractérise par une exagération passionnée, une méfiance prononcée et une vision du monde conspiratrice apocalyptique. Hofstadter explique que la prédominance de ce style en politique américaine est en partie due à l’absence de racines et à l’hétérogénéité de la vie américaine et, surtout, à sa recherche particulière d’une identité sécurisée (Kazin, 1995). Bien que son analyse se concentre sur les États-Unis, des notions similaires de conspiration et d’urgence sont visibles dans d’autres cas de populisme en dehors de ce pays (Taggart, 2000, p. 103). Malgré des similitudes évidentes entre les approches idéationnelles et discursives, des différences subtiles ont des implications théoriques et méthodologiques significatives, guidant les chercheur·euse·s vers des enquêtes empiriques différentes. Les unités d’analyse et les échelles de mesure dans l’étude du populisme sont impactées; considérer le populisme comme un style discursif suggère une opérationnalisation graduelle plutôt qu’une simple dichotomie populiste/non-populiste. Cette définition permet de mieux suivre les variations dans les niveaux et les types de politique populiste au sein et entre les acteur·trice·s politiques (Hawkins, 2009; Pauwels, 2011), car les acteur·trice·s politiques  peuvent plus facilement façonner leur style rhétorique que leur idéologie officielle (Deegan-Krause et Haughton, 2009).

Contrairement aux approches idéationnelles et discursives, certain·es chercheur·euse·s adoptent une perspective du populisme en tant que stratégie politique, explorant trois variantes axées sur les choix politiques, l’organisation politique et les formes de mobilisation. En Amérique latine, l’ethnopopulisme est défini comme englobant des politiques économiques spécifiques et des modes de mobilisation de masse (Madrid, 2008). De plus, le populisme est considéré comme la mise en œuvre de politiques soutenues par une fraction importante de la population, mais qui finissent par nuire à ses intérêts économiques.  Ainsi, le populisme est perçu comme une stratégie par laquelle un·e leadeur·euse personnaliste cherche ou exerce le pouvoir gouvernemental basé sur un soutien direct de larges secteurs de partisan·es principalement non organisé·es.

Les partisan·es de cette perspective mettent l’accent sur l’identité des leadeur·euse·s politiques et leur relation avec d’autres acteur·trice·s politiques. Ils ou elles soutiennent que les partis populistes se caractérisent par une structure centralisée dirigée par un·e leadeur·euse charismatique fort·e (Taggart, 1997). Cependant, le leader ou la leadeuse populiste typique se présente souvent comme un outsider, acquérant une importance politique indépendamment d’un parti établi (Barr, 2009).

Cette étude se focalise sur les discours d’Abdelilah Benkirane[2], le secrétaire général du PJD, lors de ses sorties médiatiques ou ses rassemblements électoraux sur la période 2011-2017, notamment : le meeting électoral pour les communales et les régionales, de Taza, d’Oujda et de Fès, le 4 septembre 2015.

Le choix du corpus résulte de sa position éminente en tant que chef du gouvernement marocain (2012-2017). Ces discours spécifiques seront soumis à une analyse discursive, considérée comme un outil critique incontournable pour décrypter les stratégies rhétoriques. Nous en présentons des extraits en arabe marocain (darija), transcrit en alphabet latin, dont nous présentons une traduction personnelle en note[3].

Nous proposons d’examiner en effet comment l’acteur politique populiste, souvent issu d’une histoire oppositionnelle et dépourvu d’une expérience gouvernementale, justifie son identité discursive sur des attitudes stéréotypées et rituelles. En se concentrant davantage sur la manière dont le leader populiste exploite la crise pour remettre en question l’élite et les institutions démocratiques, d’une part, et se présente comme une alternative authentique et charismatique, d’autre part.

Stigmatiser autrui : tactique de diabolisation

La diabolisation de l’élite corrompue ou des opposant·es constitue un élément inhérent au discours populiste. La source du mal est souvent délibérément laissée floue, évitant une détermination précise du coupable, laissant ainsi planer l’impression qu’une force occulte agit dans l’ombre, ourdissant des complots (Charaudeau, 2011). Par ailleurs, cette source maléfique peut être représentée par des individus ou des groupes perçus comme adversaires en raison de leur affiliation à un parti, une idéologie ou tout simplement en tant que membres d’un groupe désigné. Cette diabolisation engendre une méfiance publique, éliminant les barrières morales et cherchant à dépeindre l’autre comme moralement inférieur, criminalisant ses opinions, radicalisant le discours et polarisant la société (Lamizet, 2005). Le processus discursif de diabolisation, tel que décrit, consiste à explorer les intérêts du public, confronter ces intérêts avec le groupe à diaboliser, défendre les intérêts du public en accusant le groupe diabolisé d’opposer des intérêts communs, introduire des termes disqualifiants de manière concise et mémorable, répéter fréquemment ces termes dans le discours et enfin, radicaliser les attaques jusqu’à stigmatiser l’opposé (Amossy, 2015) :

tajar jorido fasad jorido istiġna’ çan ħajat sijasija çan mas’olijat had tajar çašaša fi hada balad almowtinin hadoma baġjin išawšo çla šaçb çla dimocratija çla ħokoma hantoma indoro bi anfosikom…maši bħal li kajamši ijib fasidin okajqol lihom ana naħmikom sijasijan oqanonijan ħta çlaš dar bajda makanš fiha mašakil qbal li anahom makanoš kajnin waf tanǧa ġtasboha ġtisaban wqafna fwǧhom ħit çandhom ġarad bikom ħit f aẖer ašno ġadi jawqaç ħna çadad mahdod walajni mowatinin çadi maski. (Benkirane, campagne électorale, meeting de Taza en 2015)[4]

Dans ce passage, l’auteur fait allusion aux individus corrompus au sein d’un courant politique opposé, précisément en l’occurrence au Parti de l’Authenticité et de la Modernité (désormais PAM) au Maroc. L’émergence récente de ce parti, résultant d’une coalition de petits partis attirant des dirigeants d’autres formations politiques, laisse transparaître l’idée que son instauration aurait été favorisée par le Palais, notamment du fait de la proximité entre son leader, Ali Al-Himma et le monarque (Kirhlani et Desrues, 2009). Une analyse du contexte de sa création révèle son dessein de combler le vide laissé par le parti de gauche lors de la gouvernance alternance[5]. Les élections ont corroboré cette tendance en le positionnant au cinquième rang. L’objectif sous-jacent était également de contrer l’ascension du PJD, source d’inquiétudes croissantes pour le Palais (Bennani-Chraïbi et Jeghllaly, 2012).

Il convient de souligner que les critiques formulées par l’émetteur ne se limitent pas à cette dimension politique. Celui-ci énonce une série d’accusations, suggérant que ce courant politique s’est détourné de la vie politique au sens de la gestion des affaires publiques. Au lieu de se consacrer à des projets de développement tels que la réduction du chômage, l’amélioration du revenu, l’accroissement du pouvoir d’achat des citoyen·ne·s et l’amélioration des services publics, ce courant semble actuellement focalisé sur l’acquisition du pouvoir, l’enrichissement personnel et la prise de contrôle des leviers du pouvoir, nourrissant ainsi des inquiétudes quant à de possibles répressions et restrictions des libertés.

L’émetteur va jusqu’à avancer que ce courant politique s’oppose à l’application des principes démocratiques, favorisant implicitement la répression et la limitation des libertés. En cas d’accès au pouvoir, il pourrait compromettre des acquis sociaux tels que la liberté d’expression et l’égalité des chances. Pour étayer sa thèse, le leader islamiste encourage les masses à comparer les conditions de Casablanca et Tanger avant l’avènement de ce parti, suggérant ainsi que ces villes ne rencontraient pas de problèmes majeurs auparavant. Toutefois, il convient de se demander si cette affirmation reflète fidèlement la réalité ou si elle ne constitue pas une exagération dénuée de fondement solide.

Il appert que le recours à l’exagération et à la menace relève d’une stratégie perfide qui dépeint l’ennemi comme la source même du mal. Parallèlement, l’orateur s’efforce de se présenter publiquement tel un bienfaiteur et un conseiller éclairé de la nation, assumant la posture d’un agneau sacrificiel accablé de tous les maux, endossant ainsi le fardeau de l’échec et de la responsabilité des méfaits liés à la corruption.

Il est perceptible que le leader islamique façonne son image en tant que sauveur, mettant l’accent sur la valeur inhérente du courage, et proclamant son engagement envers les déshérités et les nécessiteux de la population. Il se déclare prêt à défendre les intérêts et à s’opposer résolument à la corruption. La modulation de la voix change sensiblement lorsque l’orateur cherche à souligner la puissance de son parti et les efforts considérables déployés pour dissuader les corrupteur·trice·s. Son discours adopte une tonalité robuste, teintée de fermeté et parfois d’une certaine nervosité. En revanche, lorsqu’il évoque le peuple, sa voix s’adoucit, son visage exprimant une combinaison de tristesse et de regret. Il convient de souligner que le montage vocal et les expressions faciales doivent être adaptés en fonction des fluctuations émotionnelles afin d’influencer les émotions et de susciter la croyance en ce que l’orateur avance, favorisant ainsi l’empathie.

En synthèse, selon ce qui a été précédemment énoncé, une dualité polaire semble se dessiner. D’une part, le Parti islamique se présente comme un projet social et de développement dévoué au bien commun. D’autre part, l’autre courant, représenté par le PAM, est dépeint comme le symbole du danger, de l’avidité et du mal.

La tactique de victimisation : le peuple pitoyable

La diabolisation des coupables et la victimisation du peuple sont deux éléments étroitement liés dans les discours politiques, utilisant l’imagerie de la victimisation comme stratégie pour mobiliser la population autour d’un projet politique en la mettant en garde contre des menaces perçues, souvent à travers la création d’un bouc émissaire (Charaudeau, 2011). Les individus se considèrent victimes de divers maux tels que la délinquance, la perte du pouvoir d’achat, le chômage, la division sociale, l’injustice, la corruption, l’inégalité des chances, le déclin de l’éducation et de la santé.

La construction sociale de la figure de la victime se fonde sur une rhétorique de la victimisation, nécessitant un travail rhétorique considérable. Bien que l’importance de la rhétorique soit reconnue, peu d’études de ce type ont été réalisées dans le champ de la victimologie. Toutefois, les analyses interactionnelles, communicationnelles et discursives de la victimisation mettent en lumière trois dimensions principales sans forcément s’appesantir sur la théorie rhétorique (Orkibi, 2019). D’abord, l’appel à l’émotion constitue le premier composant, probablement le plus évident, de la rhétorique de victimisation. Ensuite, la construction des identités collectives participe à la rhétorique de victimisation, où la perception du collectif en tant que victime forme la base de la culture du groupe, incluant l’identité, la communication, l’unité, la solidarité et des objectifs partagés (Bar-Tal et al., 2009). Ainsi, la victimisation, en tant que pratique discursive et sociale, justifie moralement la confrontation avec un·e adversaire perçu·e comme agresseur·euse polarise entre eux et nous, renforce la solidarité du groupe face à une menace et mobilise le groupe, tout cela constituant des éléments pertinents même dans des contextes politiques où le statut de victime est plus symbolique qu’officiel :

lyom f maghrib had intikhabat machi ‘adiya lyom kajan joj tayarat fsira’ bin hizb li kantamo lih wbin hizb akhar li makay’amanch bikom wla hta bdimocrtaiya omakaykhafch mankom fmara. Samħo lija (il pleure) klami majkon klam djal sijasi howa klam ǧaj man qalb djali samħo lija ila t’atart ana insan çatifi waẖa sijasa manaqdarš nẖabi ta’tor djali walakin ana rani kanatkalam okolkom katšaçro rani maši kanatkalam rani kanatqataç bali dono ana ra’is ħokoma rah man idara bajt djalo man idara itisal bnas wali kajalamni ktar maši milafat kobra djal dawla hija matalib soġra djal sokan li makanaqdarš nstajab liha okanaçtadar. Lyom ana hazin ma’raftch ach waqa’ fhad bled, ma yaqa’o fhad madina omo lqora dyal maghrib (Benkirane, campagne électorale, meeting de Fes en 2015)[6]

Dans ces propos, Benkirane explique que les élections en cours se démarquent nettement des précédentes, revêtant un caractère unique et crucial. Il souligne que cette distinction repose sur la présence de deux pôles politiques distincts. Le premier est représenté par le PJD, défendant un projet de développement social réformiste. En revanche, le second parti, précédemment évoqué, a pour objectif la monopolisation du pouvoir, servant ainsi des intérêts personnels. L’orateur cherche à sensibiliser le public quant à l’impératif de la mobilisation et de la participation active pour induire un changement. Il s’efforce de faire comprendre à la population qu’elle risque de devenir victime de l’autre parti, qu’il qualifie d’oppresseur. Toutefois, il est possible que dans ses paroles, une certaine exagération soit présente, étant donné qu’aucune élection au Maroc n’a jusqu’à présent omis la compétition entre au moins deux partis. La division politique a constamment figuré dans le jeu politique, avec des divergences partisanes, des différences de visions et de programmes électoraux, ainsi que des arrière-plans idéologiques et intellectuels toujours présents. Le Maroc reconnaît pleinement la pluralité des partis politiques et, depuis l’indépendance, les conflits ont émergé successivement entre le Mouvement national et le Palais, puis entre le Palais et la gauche, suivis de la confrontation entre la gauche et le courant islamique, avant de se transformer en un conflit ouvert. Les transformations ultérieures ont privé les partis de leur identité idéologique, rendant difficile leur reclassification.

Dans le dessein de susciter une connexion émotionnelle entre lui-même et les destinataires de son message, l’orateur fait usage de l’émotion, voire des larmes, pour témoigner de son empathie. Il cherche à faire ressentir à son auditoire qu’il comprend les souffrances des Marocains et les épreuves qu’ils pourraient endurer en votant pour ce parti ou en s’abstenant totalement de voter. Par conséquent, il est impératif de se rallier du côté de la JD afin de ne pas laisser de possibilité à l’autre parti de prendre les rênes du gouvernement ou de former une majorité parlementaire.

En ce qui concerne la transition de son identité politique, qui pourrait être associée à l’hypocrisie, à la déception, à la vente d’illusions et de promesses, à celle d’un homme ordinaire et sincère, sa déclaration, « klami majkon klam djal sijasi howa klam ǧaj man qalb djali » (« Mes paroles ne sont pas politiques, mais elles émanent de mon cœur »), atteste de son engagement à la transparence. Elle indique qu’il ne cherche ni à mentir ni à tromper. Ce qu’il exprime n’est pas le fruit de spéculations ou de manipulations. Il apparaît donc ému et soucieux de la situation des citoyen·ne·s, les décrivant comme de simples victimes marginalisées, appauvries, et dont les intérêts sont manipulés.

Le champ sémantique de la désolation est véhiculé par des termes tels que samħolija (« pardonnez-moi »), qalb (« cœur »), t’atart (« je suis touché »), çatifi (« sensible »), kanatalam (« je souffre »), katšaçro (« vous vous sentez »), kanatqataç (« je souffre énormément »), etc. L’utilisation de ces termes vise à susciter la compassion et la pitié, incitant les spectateur·trice·s à s’apitoyer sur les malheurs de l’orateur. L’hyperbole est également employée pour exagérer certains termes dans le but de produire une forte impression. La répétition de certains termes vise à mettre davantage l’accent sur ses propos.

De plus, le leader islamiste continue d’exploiter les ressources linguistiques en faisant usage de la première personne du singulier et en utilisant la ponctuation expressive, particulièrement les phrases exclamatives et interrogatives, afin de rendre sa communication plus pathétique.

L’utilisation d’émotions pour interpréter et anticiper des événements potentiellement dangereux est une stratégie qui permet de victimiser le peuple, mais aussi de diaboliser ceux et celles qui sont soupçonné·es d’être des ennemi·es intérieur·es, représenté·es par les partis de gauche et les libéraux, en particulier le PAM et le Parti socialiste (PS).

De l’autre côté, il est crucial de souligner la crédibilité et la transparence de l’orateur en déclarant qu’il est un homme droit qui veille à la gestion des affaires de son pays et ne ménage aucun effort pour cela. Sa déclaration « De l’administration à la maison, et de la maison à l’administration » indique que l’homme est responsable et raisonnable, respectant ses limites. Il confirme cela en reconnaissant qu’il n’a pas réglé un certain nombre de dossiers et de problèmes liés aux marginalisé·es et aux pauvres du peuple, créant peut-être une image d’humilité, d’autant plus que ses paroles sont empreintes de regret et de remords.

Dramatise beaucoup, minimise souvent

Dans le domaine de la communication, l’expression émotionnelle, qu’elle soit véhiculée par des mots, des images ou des gestes, ne garantit pas toujours la manifestation effective de l’émotion (Chaibi, 2020). L’objectif du locuteur est d’affirmer sa crédibilité et son attrait à travers un processus d’identification, particulièrement crucial en politique (Mayaffre, 2003). Cependant, la persuasion repose fondamentalement sur la dramatisation, exploitant les émotions pour susciter une adhésion passionnée (Charaudeau, 2008). Ce processus, relevant du pathos, vise à toucher l’auditoire de manière à le séduire ou à l’alerter. Il commence par dénoncer le déclin en utilisant des formulations simples et menaçantes, suscitant ainsi l’angoisse. Ensuite, il identifie une source de mal indéterminée, suggérant des complots ourdis par une entité dissimulée dans l’ombre, telle que la classe politique. Enfin, le locuteur se présente en tant que sauveur puissant, adoptant un discours oratoire provocateur :

Oqararna nrafço daçm çan mahroqat w asbaħat mizanija djalna namodağ joħtada bih qolt ħna f ħaja ana naqtarida man sanduq naqd dawli 60 maljar djal darham wa mšina kanatfawdo mçahom oǧaw šafo awdaç. Ra chofto kolchi, hamdo lilah, khdina ijra’at daroriya f maslahat bled. Bach nkon wadah m’akom. Dawla awlawiya khasha tkon qwiya. Arb’a chotanbir, ima tnajho aw tsaqto. hadok li kayqolo ana masbah tfa, masbah ra mdawi ktar.‘adala watanmiya nabdo cha’b.‘adala watanmiya sawt horiya, sawt istiqama, sawt ma’raka.ikhwana, ‘adala watanmiya fi harb dad lfasad. Tayar akhar mafih ghir fasidin wal’aghbiya (Benkirane, campagne électorale, meeting de Oujda en 2015)[7]

Le leader présente la décision d’annuler le soutien des carburants comme une mesure difficile mais inévitable, justifiée par la nécessité de sauver l’État de la faillite. Il évoque la situation critique du fonds de réserve et de la sécurité sociale, les scandales de corruption, l’échec des réformes et les troubles sociaux dus à la précarité économique. Cependant, il insiste sur la réussite de sa décision, affirmant que le pays est maintenant un modèle de développement : « mizanija djalna namodağ joħtada bih » (« Notre budget est un modèle à suivre »).

Il justifie le recours au Fonds monétaire international en mettant en avant les risques politiques associés aux conditions imposées par le FMI, soulignant que ces conditions ne servent pas les intérêts du peuple mais accélèrent la privatisation des services. Il affirme que la décision a permis de redresser le budget du pays, malgré les hausses de prix et les impacts sur les secteurs de la santé et de l’éducation.

Le leader semble reconnaître les conséquences sociales de sa décision, soulignant l’augmentation du coût de la vie, les pressions sur les services publics, et les manifestations. Il attribue ces difficultés à la nécessité de sauver le pays de l’effondrement et de préserver sa stabilité et sa sécurité. Il met en avant les négociations difficiles pour obtenir le prêt, soulignant la perspicacité et la sagesse de son gouvernement.

En utilisant un ton clair et direct, le leader cherche à créer un sentiment d’urgence et à dramatiser la situation. Il présente la date du 4 septembre comme un tournant décisif entre le bien et le mal, la démocratie et la dictature, le développement et la décadence : « Arb’a chotanbir, ima tnajho aw tsaqto » (« Le 4 septembre, vous réussirez ou échouerez »). La responsabilité est attribuée au peuple, appelé à lutter contre la corruption et à soutenir la justice et le développement.

Le discours est marqué par l’utilisation de figures de style telles que l’antithèse « tnajho vs tsaqto » (« réussirez » vs « échouerez »), la métaphore « adala watanmija nabdo cha’b » (« La justice et le développement sont le pouls du peuple »), l’énumération « adala watanmiya sawt horiya, sawt istiqama, sawt ma’raka.ikhwana, adala watanmiya fi harb dad lfasad et la répétition sawt » (« Le Parti Justice et Développement est la voix de la liberté, la voix de la droiture, la voix de la bataille. Mes frères, le PJD est une lutte contre la corruption ») visant à mettre en évidence le message central du parti et à créer une distinction positive par rapport aux autres. Ces techniques visent à renforcer l’impact du message, à rendre les idées mémorables et à susciter une réponse émotionnelle.

Le populisme à la marocaine : hypnose magnétique

Le discours populiste prévalant dans les discours du leader du PJD a peut-être réussi à établir une connexion émotionnelle avec les masses en se présentant comme le sauveur et le protecteur. Cependant, cette stratégie n’aurait pas été efficace sans personnaliser le conflit et semer la peur parmi le public, le rassemblant autour d’un projet visant à lutter contre la corruption, souvent présenté sous une forme « djihadiste ».

Bien que les discours populistes puissent partager une forme similaire et des techniques de communication communes, leurs objectifs diffèrent. Selon nous, le recours intensif au populisme au Maroc visait à sécuriser la transition démocratique en rétablissant temporairement la confiance du peuple pour apaiser les mouvements de protestation et restaurer la stabilité de manière pacifique.

Il convient de noter que la montée du populisme au Maroc n’est pas le fait de l’opposition, mais plutôt de la majorité au pouvoir, en particulier du PJD, qui a bénéficié de son fondement islamique et d’un passé politique sans tache de corruption.

Malgré ses succès apparents, le discours populiste a également été utilisé pour imposer des réformes d’austérité qui ont principalement profité aux grandes entreprises, notamment dans le secteur des carburants. Cette approche a alimenté la désillusion du peuple et aggravé la crise politique.

En somme, l’expérience du PJD n’a pas répondu aux attentes du peuple et a plutôt exacerbé la crise politique au Maroc, caractérisée par un manque de confiance dans la politique et un déclin de l’engagement partisan. La défaite du PJD aux élections récentes reflète cet échec, mettant en péril le processus de transition démocratique initié lors du printemps arabe et soulignant la nécessité de réformes plus profondes pour restaurer la confiance publique.

Conclusion

Le populisme au Maroc, comme ailleurs, surgit en période de crise et de mécontentement, cherchant à conquérir le pouvoir par des stratégies émotionnelles et simplificatrices. Il se caractérise par la victimisation, la théâtralisation et la création d’une opposition émotionnelle, tout en mettant en avant un·e leadeur·euse charismatique perçu·e comme un·e sauveur·euse. Comprendre ce phénomène nécessite une analyse contextuelle approfondie, mettant en lumière son impact sur la perception publique et les dynamiques politiques.

Pour le cas du leader du PJD, une connexion émotionnelle est établie avec les masses en se présentant comme un sauveur contre la corruption, bien qu’il ait également utilisé la peur pour mobiliser le public. Malgré ses succès temporaires, son utilisation de réformes d’austérité a alimenté la désillusion populaire et exacerbé la crise politique au Maroc. La défaite du PJD aux élections récentes met en danger le processus de transition démocratique, soulignant le besoin de réformes plus substantielles pour restaurer la confiance publique.

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  1. Le mouvement du 20 février 2011 au Maroc a pris forme dans le cadre du « Printemps arabe », revendiquant des réformes politiques, sociales et économiques. Se distinguant par sa nature pacifique et son accent sur la réforme plutôt que sur le renversement du régime, les revendications incluaient une gouvernance plus transparente, une équité sociale accrue, la lutte contre la corruption et l'élargissement des libertés individuelles. Bien que des réformes aient été instaurées, des débats persistent quant à leur portée et à l'évolution du processus de démocratisation au Maroc.
  2. AbdelIlah Benkirane, né le 2 avril 1954 à Fez, est un homme politique marocain. Il appartient au Parti de la justice et du développement et en est actuellement le secrétaire général. Il a occupé le poste de chef de gouvernement du 29 novembre 2011 au 5 avril 2017.
  3. Nous avons tenté de rester fidèle au sens et à l'esprit du texte, en faisant des ajustements structurels et lexicaux pour résoudre les problèmes de temporalité, de syntaxe et de style. Les particularités lexico-sémantiques de la darija ont également été prises en compte pour assurer une traduction authentique dans le contexte marocain. De plus, la translittération a joué un rôle crucial pour rendre compte de la prononciation et de l'intonation propres à la darija, enrichissant ainsi la compréhension des discours politiques dans cette langue.
  4. « Ce courant encourage la corruption en exemptant la politique de ses responsabilités. Ce courant se cache dans ce pays. O citoyens! Ils veulent déranger le peuple, la démocratie et le gouvernement. Nous ne sommes pas comme ceux qui vont chercher les corrompus et les protéger politiquement et juridiquement. Ils ont violé les villes de Casablanca et de Tanger, mais nous les avons affrontés. Leur but, c'est vous, ils veulent que le Maroc devienne comme l'Égypte et la Tunisie. »
  5. L'alternance consensuelle est une expérience politique vécue par le Maroc de 1998 à 2002, lorsque la monarchie a convenu avec l'opposition de gauche de participer au gouvernement pour la première fois depuis des décennies. L'expérience a pris fin en 2002 avec la nomination d'un Premier ministre extérieur aux partis politiques.
  6. « Aujourd'hui, au Maroc, les élections ne sont pas des élections habituelles, car il y a une polarisation réelle; un vrai conflit entre le courant auquel nous appartenons et un autre courant qui ne croit pas en vous, ne croit pas en la démocratie et ne vous craint pas. Je suis désolé, mes paroles ne sont pas celles d'un politicien, mais elles viennent de mon cœur. Excusez-moi si je suis ému, car je suis une personne sensible. Je ne peux pas cacher l'effet que cela me fait, vous pouvez tous sentir que je ne parle pas, mais que je souffre. Ne pensez pas que je suis le chef du gouvernement, je suis comme vous, de la maison au bureau et du bureau à la maison. Ce qui me blesse le plus, c'est que j'ai réglé les grands problèmes de l'État, mais je n'arrive pas du tout à répondre aux simples revendications du peuple. Je m'excuse! Aujourd'hui, je suis triste parce que je ne sais pas ce qui se passe dans ce pays, ce qui se passe dans cette ville, qui est Um al-Qura au Maroc. »
  7. « Nous avons décidé d’annuler le soutien des carburants. Le budget est devenu un modèle à suivre. J'ai dit qu'il fallait créditer au Fonds monétaire international 60 milliards de dirhams. Nous sommes allés négocier. Ils sont venus pour vérifier la situation. Vous avez tout vu, Dieu merci. Nous avons pris les mesures nécessaires dans l'intérêt de l'État. Je serai clair avec vous. L'État est prioritaire, car il doit être fort. La Justice et le Développement sont le cœur du peuple. Ceux qui disent qu'ils vont éteindre la lampe, la lampe devient plus lumineuse. Quatre septembre, soit vous réussirez soit vous échouerez. Justice et Développement est la voix de la liberté, la voix de la droiture, la voix de la bataille. Mes frères, le PJD est une lutte contre la corruption. L’autre courant ne contient que des corrupteurs et des idiots. »

Pour citer cet article

El-Kacimi, Badreddine. 2024. Les artifices du discours populiste : décryptage des tactiques de mobilisation politique. Magana. L’analyse du discours dans tous ses sens, 1(1), 227-257. DOI : 10.46711/magana.2024.1.1.8

Licence

La revue MAGANA. L’Analyse du discours dans tous ses sens est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.