Discours et polyvalence morphosémantique en contexte numérique africain : une analyse technolinguistique des emplois de Hakimi et les bruits sur Facebook

Franck Rostov TSAMO DONGMO

 

Introduction

En contexte épistémique africain, la question discursive se pose avec beaucoup d’acuité et questionne désormais des approches pluriversalistes qui tendent à doter le champ africain sur l’analyse du discours de ses propres repères, concepts, théories, méthodes et corpus discursifs. Notre contribution dans ce sens, sous l’angle de l’écologie numérique, repose sur un corpus recueilli chez des locuteurs africains en activité sur le web 2.0. C’est ainsi qu’à la faveur des rapports entre la langue et le numérique, la linguistique a peu à peu intégré une approche écologique et postdualiste dont se réclament l’Analyse du Discours Numérique (ADN) et, l’un n’allant pas sans l’autre, la technolinguistique. Le fait linguistique en contact avec les environnements socionumériques est ainsi soumis à ce qu’il conviendrait de nommer une variation technolinguistique. Dans ce travail, il est question de procéder à une « description technolinguistique » (Paveau, 2017, p. 140) du sens de deux expressions natives élaborées sur Facebook par des énonciateurs africains : Hakimi et les bruits. À ce sujet, nous nous appuyons sur le « lieu de corpus » Facebook (Bibie-Émerit, 2016) qui a la particularité d’assurer une grande circularité numérique de ces deux technodiscours.

Au regard de la souplesse sémantique et de la polyréférentialité numérique des emplois socionumériques de ces deux expressions en contexte africain natif, ce travail pose comme toile de fond le décentrement du sens en analyse technolinguistique; d’où la question suivante : s’il est avéré que la langue est sans cesse soumise à une variation, quel est l’apport de la variable socionumérique dans la circularité du sens des mots en contexte africain? Il nous semble que dans une analyse technolinguistique décentrée et située, l’élaboration et la négociation du sens des mots sont complexes, car fortement tributaires de l’identité des sujets numériques en activité ainsi que leurs univers référentiels.

Pour mieux saisir le faisceau de significations inhérent aux deux expressions, nous nous appuyons sur la méthode technolinguistique via les volets de la variation morphologique et sémantique, laquelle méthode est inscrite en creux dans les travaux de Marie-Anne Paveau sur l’Analyse du Discours Numérique. La méthode de collecte de données choisie est celle de l’extraction écologique par capture d’écran, car cette méthode de recueil des données écraniques constitue « l’alternative dont dispose les chercheur·euse·s pour présenter – dans un texte notamment – toutes les matérialités technosémiotiques observables dans un environnement numérique connecté » (Djilé, 2021, p. 5834).

L’analyse de ce travail repose sur trois articulations. Après quelques prolégomènes conceptuels sur le cadrage théorique de la technolinguistique et la généalogie dénotative des expressions Hakimi et les bruits, nous allons mettre en évidence la radiographie morphologique et sémantique du nom propre Hakimi et examiner la souple circularité sémantique du figement les bruits en contexte numérique africain.

Prolégomènes théoriques et conceptuels

Cette première section consistera à situer brièvement les repères théoriques de la méthode technolinguistique et à souligner les emplois dénotatifs des expressions qui meubleront notre étude.

L’approche technolinguistique en sciences du langage : efforts de filiation

Une parenté complexe et plurielle semble fonder l’existence même d’une approche dite technolinguistique en sciences du langage, tant ses liens de filiation sont départagés entre l’analyse du discours numérique et les linguistiques poststructurales.

D’une part, la technolinguistique emprunte les bases théoriques de l’Analyse du Discours Numérique. Marie-Anne Paveau conçoit et intègre le concept de technolinguistique au sein de l’appareillage théorique de l’ADN dans laquelle il fonctionne comme une méthode de description et d’analyse de l’écriture numérique native et des affordances communicationnelles élaborées dans le vaste spectre de l’écologie numérique, afin qu’il soit un « dispositif qui permette de penser ses conditions et pratiques de production, ses traits formels et sa contextualisation sociale » (Paveau, 2017, p. 140). Sous cet angle, la méthode se limite à la détermination des marqueurs langagiers et composites des productions natives sur le numérique. Ainsi, cette filiation existante entre la technolinguistique et l’ADN ne nous semble pas convenir à l’orientation que nous voulons accorder à cette discipline qui se veut autonome et partie intégrante de la linguistique externe.

D’autre part, une parenté étroite se dessine également entre la technolinguistique et les linguistiques poststructurales. Du point de vue morphologique, le mot technolinguistique est formé des entités techno- (technologie/numérique/web 2.0) et linguistique. Il s’agit, à première vue, de l’étude scientifique de la langue employée dans les environnements numériques. En effet, l’essor des théories poststructurales a donné lieu à l’opérationnalisation de quelques disciplines du langage se revendiquant de la linguistique externe, car ayant en commun le contexte extralinguistique de production et d’interprétation comme cheval de bataille : sociolinguistique, psycholinguistique, pragmatique, ethnolinguistique. C’est dans ce paradigme que nous situons la technolinguistique.

En réalité, à la ferveur de la globalisation, les interactions sur le web 2.0 semblent être une reconfiguration des échanges langagiers de la vie courante, qu’ils soient dans un contexte psychoaffectif (psycholinguistique), conversationnel (pragmatique), social (sociolinguistique) ou culturel (ethnolinguistique)[1]. Dans ces cas précis, la langue subit l’influence des variables extralinguistiques ou en est l’influenceuse. Il en est de même pour la technolinguistique, une approche qui, selon nous, naît d’une co-influence entre les éléments langagiers et les éléments technologiques en vue de donner lieu à l’élaboration d’une écologie numérique semblable à « un dispositif au sein duquel la production langagière et discursive est intrinsèquement liée à des outils technologiques (appareils, logiciels, applications, plateformes » (Paveau, 2012, p. 106). Nous parlons donc d’une variable technolinguistique étroitement liée à une dimension diamésique impliquant un ensemble de facteurs qui impulsent une variation linguistique due au mode ou canal de transmission de la communication, à savoir le web 2.0 (Wüest, 2009, p. 147). C’est sur la base de ce préalable théorique que nous voulons examiner les technodiscours Hakimi et les bruits, non sans avoir préalablement fait le point sur leur sens.

Hakimi et les bruits : précis de dénotation conceptuelle

À la base, les expressions Hakimi et les bruits en circulation dans les environnements numériques ont donné naissance à deux théories profanes dont les emplois tendraient à altérer leurs sens respectifs.

Hakimi se réfère à un nom propre de personne d’origine arabe. Dans le cadre de ce travail, il est associé au footballeur marocain Achraf Hakimi, par qui le patronyme a acquis le statut de technodiscours dans l’écologie numérique. C’est l’une des variantes du patronyme Hakim, de rang divin dans la cosmogonie arabe. Le nom serait également rattaché à la ruse, car attribué à « celui qui est sage, avisé, savant. C’est l’un des 99 noms divins » (Tosti, 2023)[2]. En effet, le patronyme serait devenu viral sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, en rapport avec une ruse mise en place par le footballeur, laquelle consistait à mettre l’entièreté de sa fortune au nom de sa génitrice en vue d’éviter de partitionner ladite fortune avec sa compagne en cas de divorce. Est-ce que cela suffit pour autant pour faire dire que son nom, dès la naissance, le prédisposerait à faire face à une telle situation? C’est en tout cas ce que semble confirmer les captures d’écran ci-dessous où il est intéressant de confronter une source vérifiable (figure 1) à l’autre reconstituée par l’imaginaire populaire (figure 2).

Ce préalable étymologique s’avère incontournable dans l’élaboration onomastique de ce patronyme, car les sèmes définitoires de Hakimi obtenus jusqu’ici permettront plus bas de les confronter avec les usages socionumériques en vue d’en déduire une constante sémantique.

Le second technomot de cette étude est l’expression les bruits, qui apparaît généralement dans une séquence syntaxique plus complète : Je suis dans les bruits. Dans un sens dénotatif, le bruit peut être défini comme tout son audible provenant d’une source quelconque. Dans un prisme communicationnel, il fait référence à toute interférence, perturbation ou distorsion qui affecte la transmission, la réception ou l’interprétation d’un message entre un émetteur et un récepteur. En effet, le bruit en communication relève d’un trouble que l’on n’a pas souhaité produire (émetteur), transmettre (message) ou recevoir (récepteur). Il va sans dire que les sources internes ou communicationnelles du bruit se situent sur trois pôles : le destinateur à travers une expression peu claire, des barrières linguistiques ou une incohérence du message; le récepteur, via des distractions, des perceptions erronées ou un manque d’attention; le message, au moyen d’une ambiguïté linguistique; d’où les deux captures d’écran suivantes constituées d’une publication principale et de son augmentation discursive.

Les premières tentatives de compréhension de cette séquence technodiscursive butent sans cesse sur les aveux d’ignorance des un·e·s et sur des réactions assez hermétiques des autres sujets numériques. Tout porterait à croire que ces usages numériques sont géographiquement situés et par conséquent décentrés de la norme académique. En d’autres termes, l’emploi de cette « expression des Camerounais » relève d’une des propriétés définitoires du bruit : une terminologie complexe ou un contenu mal structuré qui rend l’interprétation difficile pour le destinataire. C’est ce qui nous pousse à explorer plus bas les facteurs externes à l’origine du bruit impliquant, entre autres, le milieu ambiant et les barrières physiques.

Hakimi : du nom propre à l’idéologème de la misogynie à l’africaine

Deux articulations structurent cette section : l’analyse technolinguistique des formes et contenus du mot Hakimi sur Facebook et les valeurs culturelles, idéologiques et sémantiques qui lui sont associées.

Un nom propre multiforme

L’étude du nom propre en sciences du langage a jusqu’ici fait l’objet de considérations descriptives sous le prisme onomastique et discursif dans le cadre de l’analyse cognitive du discours. Le volet numérique inhérent à ce travail n’est pas en reste. Il s’agit précisément d’examiner les propriétés technolinguistiques liées à l’émergence de nouvelles formes comme Hakimiste, Hakimisme, Hakimien, #Hakimi, #Hakimé, #Hakimer.

En premier lieu, nous sommes dans un prisme lexicographique, entendu comme la science de l’analyse des unités lexicales d’une langue déterminée, lesquelles sont considérées dans leurs formes et leurs significations et aboutissant à l’élaboration de dictionnaires de langue. En effet, l’élaboration numérique du patronyme Hakimi sur Facebook laisse à observer une grande valse de catégories morphologiques construites par les locuteurs natifs en vue de configurer les différentes variantes de sa circularité. On peut donc lire des dérivés comme Hakimiste, Hakimisme, Hakimien, Hakimie observables dans les deux captures d’écran ci-dessous.

Les modifications suffixales, -iste, -isme, -ien et -ie apportées au radical Hakim- attestent du caractère souple de la langue employée dans les environnements numériques. Les uns renvoient à une doctrine, un mode de pensée, voire un « chemin », les autres se réfèrent à l’identité des personnes adeptes de cette doctrine (figure 5) tandis que le dernier connote une communauté de peuplement dans laquelle vivraient lesdites personnes (Figure 6). C’est en vertu de la souplesse morphologique des technodiscours que les sujets se font sans cesse passer pour des innovateurs dans la graphie des mots, de façon à faire de leurs discours natifs d’internet une sorte de « dictionnaire amoureux » autour d’un mot, comme c’est le cas pour Hakimi  (Paveau, 2006, p. 150).

D’autre part, la dimension morpholexicologique du discours numérique est centrée sur la prise en compte des caractéristiques formelles, visuelles et expressives d’un mot dans l’univers digital, c’est-à-dire un technomot. Selon Paveau, « on appellera technomot un élément lexical simple ou composé cliquable, c’est-à-dire dirigeant l’écrilecteur d’un texte-source vers un texte-cible, relevant d’une autre situation énonciative » (2017, p. 337). Dans cette catégorie, nous mettons en exergue les hashtag #Hakimi, #Hakimé, #Hakimer, qui sont mis en relief dans quelques technodiscours comme l’attestent les deux captures d’écran ci-dessous.

En réalité, la fonctionnalité du hashtag assure la circularité et la pérennité numérique du segment technolangagier #Hakimi, mis en évidence par les sujets afin que leur activité discursive soit traçable dans l’écologie socionumérique. En qualité de technomot porteur de la circularité numérique du phénomène en vigueur, le hashtag est un marqueur technolangagier, car il permet le marquage numérique du slogan de la campagne sur la plateforme Facebook. Il est aussi un facteur d’investigabilité pour ceux qui l’utilisent au sein de l’écologie numérique, dans la mesure où il facilite la liaison entre les différents locuteurs natifs qui l’emploient; en cela, il permet d’accéder à un jeu de données qui rassemble l’ensemble des énoncés contenant le même hashtag. Enfin, il a aussi valeur d’archivage et de documentation numérique de ses emplois antérieurs, en favorisant la reprise du contenu des traces générées par #Hakimi de façon automatique, suite à l’interaction d’autres utilisateur·trice·s numériques antérieur·e·s.

Hakimi ou un vecteur de misogynie en contexte africain?

Au regard des variantes technomorphologiques du patronyme Hakimi abordées plus haut, cette section de l’article entend esquisser une analyse des incidences sémantiques de ces emplois numériquement situés comme laudatifs chez les hommes au détriment des femmes.

Loin des considérations purement formelles, les usages locutifs de Hakimi en contexte numérique dessinent une réelle tendance à la promotion de l’idéologie masculine à la limite de la misogynie. Les captures ci-dessous constituent un point de départ d’analyse.

À travers les emplois de Hakimi sur Facebook, il se dégage une constante de nature culturelle en contexte africain : il y a migration du sens. Hakimi semble revêtir le manteau de l’expression de la masculinité et, par ricochet, de la promotion d’un discours dégradant, misogyne à la limite. Cette représentation exogène des rapports hommes-femmes en Afrique semble épouser les réalités du contexte familial et social africain dans lequel l’idéologie patriarcale se fonde sur l’infériorisation, voire l’asservissement des femmes au profit de l’homme qui jouit d’une légitimité naturelle et conventionnelle à travers le qualificatif de « chef de famille » inscrit dans les codes de la famille de plusieurs pays à l’instar du Sénégal, du Cameroun, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Mali, etc. Il est donc difficile de concevoir que le « chef » et pourvoyeur des ressources puisse perdre la face dans une bataille juridique liée au partage des biens après un divorce.

Les extraits ci-dessus dessinent le spectre d’une bataille basée sur le genre. Or, il nous semble que « la différence entre elle et l’homme n’est pas de nature (essentialisme), mais de naissance (existentialisme) » (Fone, 2023, p. 128). En effet, la (re)présentation numérique des démêlés judiciaires entre Hakimi et sa compagne et la stratégie élaborée par ce dernier pour « sécuriser sa fortune » sont vectrices de la construction d’un discours patriarcal. Les sujets numériques de sexe masculin semblent célébrer une victoire matérielle sur les présupposées tendances calculatrices des femmes : en prenant Hakimi comme modèle et comme « vrai africain » (figure 10), le technodiscours autour de ce dernier n’est qu’élogieux. Par contre, celui autour de sa compagne tend à faire la peinture d’un échec pour la femme considérée comme profiteuse, « escroc » (figure 10) avec des intentions liées à une « TED », c’est-à-dire une « Tentative d’Extorsion par le Divorce » de la fortune de ce dernier, comme le souligne un sujet numérique (Figure 9). Les énonciateurs numériques mettent en évidence l’image d’une société africaine patriarcale selon laquelle la femme ne jouirait d’aucune indépendance du fait de ses tâches quotidiennes essentiellement ménagères et de ses aspirations économiques uniquement fixées sur la fortune de son mari qu’elle ne tardera pas à détourner à la moindre occasion; d’où l’idée pour l’homme de la protéger, quitte à le faire à travers l’aide d’une autre femme : sa maman.

En plus de présenter une image patriarcale, machiste, et l’un n’allant pas sans l’autre, avare sur le numérique, les captures d’écran inscrivent en creux la théorie d’un complexe d’Œdipe désormais rattachée à l’image de Hakimi. Un complexe œdipien d’un nouveau type qui procèderait par des tendances affectives de Hakimi pour sa mère non pas par le crime sur son père, mais plutôt par privation des ressources matérielles et financières de sa compagne au profit de sa mère : somme toute, une autre sorte de mort.

Les bruits ou la victoire d’un figement festif

Dans la dernière section de cette réflexion, nous nous intéressons à l’expression les bruits relevés dans notre « e-corpus », laquelle semble chargée de diverses connotations en fonction des usages locutifs et fonctionnels entre les locuteurs numériques.

Les bruits ou l’ambiance à l’africaine

Je suis dans les bruits deviendrait-il désormais synonyme de je suis dans l’ambiance? C’est à première vue ce que les captures d’écran s’emploient à mettre en évidence.

Les bruits connoteraient l’ambiance propre au weekend, lequel est fortement caractérisé par des évènements d’envergure festive, mouvementée et toutes autres activités associées.

Les bruits ou atmosphère festive semble charrier d’autres sèmes subsidiaires et contextuels, car immédiatement rattachés à la fête, comme en témoignent les extraits du corpus. L’ambiance peut se faire dans un bar en pleine consommation d’alcool (figure 11); dans un milieu dansant différent du domicile de résidence (figure 12) ou alors dans une situation d’aisance financière (figure 13). Dans les trois cas, « être dans les bruits » suppose être émotionnellement, physiquement et matériellement prêt à faire la fête. La négociation du sens du technodiscours est ainsi soumise à une grille hétérogène d’éléments ou de variantes qui mettent en exergue une variation linguistique d’ordre endogène, c’est-à-dire un changement de sens influencé par le contexte extralinguistique dans lequel se trouvent les sujets discursifs au moment de l’énonciation. Bien qu’il soit largement admis que les bruits renvoient à l’ambiance, on ne saurait limiter les mutations de sens propres aux technodiscours.

D’autres cas de référenciations paradigmatiques

Dans une réflexion antérieure, nous avons mis en évidence le fait que l’analyse des technodiscours est efficiente lorsqu’elle opère par une grille de « référenciations paradigmatiques » en vue de déterminer « la valse de catégories référentielles qui participent de la souplesse sémantique d’une expression » (Tsamo Dongmo, 2023, p. 385). Ce procédé nous semble convenir à la circularité numérique de l’expression les bruits dont le faisceau de significations s’étend au-delà de la seule connotation de l’ambiance; d’où les captures d’écran ci-dessous.

Le dernier prisme pour déceler l’implicite inhérent au logotype les bruits explore l’autonymie ou la construction du discours publicitaire en tant que discours d’imposition, d’existence et de légitimation d’un nouveau produit de consommation.

Dans les captures d’écran ci-dessus, le technodiscours les bruits est extirpé de son contexte festif pour être réinvesti dans le genre discursif de nature publicitaire. Puisqu’il est en tendance sur le numérique au moment de son énonciation, il est associé à des produits publicitaires à des fins de marketing et donc de vente efficiente desdits produits. En effet, l’apparition d’une nouvelle marque ou d’un nouveau produit est presque toujours accompagnée d’une intention de communication autonymique qui vise à l’affirmer et à l’imposer chez les consommateur·trice·s, en vue de la démarquer des autres déjà existantes. Dans le cas de les bruits, l’entreprise de légitimation d’un cabinet de lecture (figure 14) et la communication promotionnelle autour d’un film (figure 15) s’y appuient comme leviers marketing en procédant par la substitution des formes langagières normalement attendues à leur place; d’où l’effet produit lorsque les mots fautes et succès cèdent la place à un nouveau technodiscours qui fait davantage sens. Dans ce cas, le principe de l’autonymie s’active pour justifier les changements paradigmatiques. Une telle stratégie discursive de commercialisation du nom de marque se justifie « parce que la marque est nouvelle, méconnue, remise en cause par sa reprise dans le vocabulaire courant, par un changement de nom ou mise en danger par sa forme » (Berthelot-Guiet, 2015, p. 104).

Conclusion

Cette réflexion a porté sur les enjeux du décentrement du sens des unités linguistiques en analyse technolinguistique dans un contexte numérique africain. En s’appuyant sur les propriétés morphologiques et sémantiques des technodiscours Hakimi et les bruits tirés de Facebook, elle a tenté de montrer que le numérique est un espace de communication qui assure la visibilité des discours pensés, élaborés et publiés par des locuteurs africains sur le numérique en rapport avec les thématiques de patriarcat et d’ambiance. L’écologie numérique garantit ainsi le postulat de l’intelligibilité de ces technodiscours par les efforts de conceptualisation des chercheur·euse·s dotés d’une posture discursive, postdualiste et située, voire décentrée de l’habituelle norme linguistique imposée par les académies occidentales. Le technodiscours, quelle que soit sa forme ou sa référence, fait sens; un sens négocié en fonction des réalités culturelles, idéologiques, historiques et géographiques des locuteurs qui les émettent. Dans ce sens, les technodiscours Hakimi et les bruits, une fois revêtus des propriétés de souplesse morphologique et de flexibilité référentielle, deviennent désormais légitimes dans la diversité de leurs emplois.

Références bibliographiques

Berthelot-Guiet, Karine, 2015. Analyser les discours publicitaires. Paris : Armand Colin.

Bibié-Émerit, Laetitia. 2016. La notion de lieu de corpus : un nouvel outil pour l’étude des terrains numériques en linguistique. Corela 14-1. DOI : https://doi.org/10.4000/corela.4594

Djilé, Donald. 2021. La capture d’écran face aux fils de discussion étendus sur Facebook. Fórum linguist!co, 18, p. 5828-5842. DOI : https://doi.org/10.5007/1984-8412.2021.e79653

Fone, Thomas. 2023. Déconstruction du discours patriarcal dans Memoria de la melancolía de María Teresa León. Hybrides, vol 1, Num 2, p. 124-144. URL : https://revuehybrides.org/thomas-fone-a8-dec-2023/

Paveau, Marie-Anne. 2006. Les prédiscours. Sens, mémoire, cognition. Paris : Presses Sorbonne nouvelle. DOI : 10.4000/books.psn.722 

Paveau, Marie-Anne. 2012. Réalité et discursivité. D’autres dimensions pour la théorie du discours. Semen, 34, p. 95-115. DOI : https://doi.org/10.4000/semen.9748

Paveau, Marie-Anne. 2017. L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques. Paris : Hermann.

Tosti, Jean. 2023. Nom de famille Hakimi. URL : https://www.geneanet.org/nom-de-famille/HAKIMI

Tsamo Dongmo, Franck Rostov. 2023. « C’est de ça qu’il s’agit » ! Sens, [dé]mémoire et circularité d’un technodiscours souple. Langues & Cultures, Vol. 04 /Num. 01, p. 380-396. URL : https://www.asjp.cerist.dz/en/article/226305

Wüest, Jakob. 2009. La notion de diamésie est-elle nécessaire? Travaux de linguistique, 59, p. 147-162. DOI :
https://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2009-2-page-147.htm



  1. Le rapport entre le binôme ADN en Afrique et ethnolinguistique en contexte numérique pourrait également être objet de débat avec l’élément culturel comme point d’intersection.
  2. https://www.geneanet.org/nom-de-famille/HAKIMI

Pour citer cet article

Tsamo Dongmo, Franck Rostov. 2024. Discours et polyvalence morphosémantique en contexte numérique africain : une analyse technolinguistique des emplois de Hakimi et les bruits sur Facebook. Magana. L’analyse du discours dans tous ses sens, 1(1), 49-75. DOI : 10.46711/magana.2024.1.1.3

Licence

La revue MAGANA. L’Analyse du discours dans tous ses sens est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.