Enjeux de la qualité des acteurs et actrices de l’éducation dans une perspective de Laudato si’
Hervé DJILO KUATE
Introduction
L’œuvre de l’éducation a la légitimité certaine et l’efficacité incontestable d’être d’une importance capitale pour tout humain. Elle est conduite par l’éducateur ou l’éducatrice qui, par sa personnalité, la parole et par l’exemple, forme et éduque l’enfant, lui communique ses pensées en lui révélant le vrai, le beau et le bien. L’humanité se métamorphose dans tous les secteurs de la vie. Il convient de s’interroger individuellement et collectivement afin de créer une vraie alliance entre humanité et création.
Nous savons qu’en règle générale, on n’enseigne pas ce que l’on veut, on n’enseigne pas ce que l’on sait, on enseigne ce que l’on est. C’est par la personnalité et le tempérament de chaque éducateur ou éducatrice que les objectifs assignés seront atteints. Les moyens utilisés par les uns et les autres pour réussir varient avec les individus. Pour exercer une influence effective sur les enfants, certaines conditions sont indispensables. L’éducateur ou l’éducatrice doit posséder des qualités physiques, intellectuelles, professionnelles, morales et spirituelles que nous examinerons. Il faut aussi préciser que la responsabilité dans ce cheminement est partagée. En effet, l’enfant éprouve beaucoup de difficultés pour saisir la pensée de l’éducateur ou de l’éducatrice. Il éprouve aussi les mêmes difficultés pour transmettre sa propre pensée.
Aussi, nous voulons montrer que l’école dans la plupart du temps se borne à combattre l’ignorance et dans cette lutte, elle ne tient pas assez compte de la différence de qualité entre un savoir-assimilé et celui ingurgité. Elle se penche moins sur la nécessité de créer des aptitudes que sur l’urgence d’entasser les connaissances. Elle dresse plus qu’elle ne forme. Au lieu d’élever une mémoire mécanique, incertaine, fugace, incapable d’évoquer à volonté les données enregistrées, il est vraiment passionnant de former une mémoire intelligente, tenace, qui va à l’essentiel des idées dans leur ordre logique et dans leurs relations. D’où la nécessité pour l’éducateur ou l’éducatrice d’avoir une connaissance sûre sur les structures mentales de l’enfant et de leur évolution. C’est d’ailleurs ce que nous fait remarquer Jean Piaget lorsqu’il dit : « l’intelligence ne consiste pas en une catégorie isolable et discontinue de processus cognitifs. Elle n’est pas, à proprement parler, une structuration parmi les autres : elle est la forme d’équilibre vers laquelle tendent toutes les structures dont la formation est à chercher dès la perception, l’habitude et les mécanismes sensori-moteurs élémentaires » (Piaget, 2007, p. 16). C’est ce que nous avons appelé la qualité de l’éduqué-e.
Qu’est-ce que l’encyclique Laudato si’?
Dans l’encyclique Laudato si’, François (2015) énumère les actions à mener, même les plus humbles et les plus insignifiantes. L’encyclique dont il est question est un document de 246 numéros, subdivisé en six chapitres et qui parle de l’écologie dans sa globalité.
Dans le 1er chapitre, le pape jette un regard sur la crise écologique actuelle; la pollution due aux moyens de transport, aux fumées des industries, aux dépôts des substances, au réchauffement climatique. François invite les populations et surtout les consommateurs et consommatrices à une prise de conscience sur ces dangers.
Au chapitre 2, il souligne la complexité de la crise écologique et les solutions que l’on peut atteindre, mais aussi la sagesse religieuse qui pourrait dégager un langage propre. Il relève la dignité incomparable de chaque être humain. L’être humain grandit en lien avec trois êtres : un lien avec Dieu, un lien avec l’humain et un autre avec la terre.
Au chapitre 3, François parle de la racine humaine de la crise écologique qui se situe en l’humain. Il constate un « paradigme technocratique », c’est-à-dire le pouvoir technologique qui met l’être humain à la croisée des chemins. Il note qu’il y a cependant un manque d’éducation appropriée à l’utilisation de ce pouvoir qui s’étend sur les plans éthique et spirituel.
Au chapitre 4, François s’étend aux dimensions humaine et sociale. Il parle d’une « écologie intégrale ». Les recherches partielles de l’écologie aboutiraient à des solutions partielles. C’est pourquoi une vue d’ensemble doit être privilégiée pour obtenir des résultats d’ensemble. Les lois seules ne suffisent pas pour protéger l’environnement, encore faut-il réellement qu’elles soient appliquées. Le chapitre se termine en relevant deux principes : celui du bien commun et celui de la justice entre générations.
Au chapitre 5, le Pape trace les grandes lignes de dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons. Il déplore le fait que, jusqu’à présent, il n’existe pas d’actions efficaces d’un leadership international. Il conseille des mécanismes de contrôle, des révisions périodiques et des sanctions liées au non-respect des clauses internationales.
Le chapitre 6 souligne l’éducation et la spiritualité écologiques. Le pape remarque que les êtres humains sont capables de se dégrader à l’extrême, mais peuvent aussi se dépasser, opter de nouveau pour le bien et se régénérer. Il n’y a pas de système qui annule complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté. Pour l’auteur, l’éducation pour l’alliance entre l’humanité et l’environnement doit être promue. Ici, François se tourne particulièrement vers la famille pour jouer ce rôle. D’autres milieux éducatifs tels que l’école, les séminaires, les colloques et la catéchèse doivent favoriser, non pas une limitation suite aux règles établies, mais plutôt un changement de mentalités et une évolution des consciences.
Les qualités de l’éducateur ou l’éducatrice dans la perspective de Laudato si’
L’encyclique parle de la conversion écologique qui prend naissance de façon individuelle et consiste à protéger l’humain et la création. Ceci passe aussi par une consommation responsable des ressources. C’est finalement aux consommateurs et consommatrices, parmi lesquels se trouve l’éducateur ou l’éducatrice, de prendre en main la liberté et sortir de l’utilitarisme. Pour y parvenir, l’éducateur ou l’éducatrice a besoin de certaines qualités.
Des qualités physiques de l’éducateur ou de l’éducatrice
Les disgrâces du corps, les imperfections de la vue, de l’ouïe, de la voix, de la prononciation peuvent rendre difficile la fonction d’éducateur et d’éducatrice. Les enfants sont sans pitié. Ils ont vite fait de tourner l’éducateur ou l’éducatrice en ridicule. Un bon état physiologique est donc indispensable à l’éducateur ou l’éducatrice qui ne peut pas remplir ses devoirs avec une santé défectueuse. Les études personnelles et les diverses préoccupations qu’exige la charge de l’éducation ne tardent pas à maintenir l’éducateur ou l’éducatrice dans un état de surexcitation et d’énervement qui peut influer sur le sommeil, primordial pour l’équilibre nerveux d’un individu. Il peut en résulter des névroses avec dépression mentale, l’incapacité d’attention et de réflexion, la perte de mémoire et une diminution du pouvoir de la volonté.
Ces défauts du corps ne sont pas cependant des obstacles incontournables. Ceux qui en sont affligés réussissent souvent dans leurs salles de classe, alors que certain-e-s éducateurs et éducatrices, possédant tous leurs moyens physiques, n’arrivent pas toujours à se faire respecter.
L’état nerveux est primordial. Il faut une présence d’esprit continuelle, une attention soutenue, un effort de mémoire, de pensée, d’imagination considérable. Il y a aussi la fatigue résultant de la parole, les conditions du travail dans l’incompréhension, l’inattention, l’étourderie, le bavardage des éduqué-e-s qui entraîne une dépense considérable et peut énerver. Une santé déficiente, un équilibre physiologique qui laissent à désirer amènent à la surcharge et à la dépression. On présente des inégalités d’humeur sans plus être maître de soi. Une mauvaise santé doit donc être écartée et chaque éducateur ou éducatrice doit être très vigilant.e et très attentif (ive) à son état physiologique.
La vue
Pour se rendre compte de la conduite des éduqué-e-s, ceux et celles à qui nous voulons communiquer les objectifs de Laudato si’, l’éducateur ou l’éducatrice a besoin d’une vue normale. Cette qualité est importante, car les enfants se livrent au désordre, au mal, à la dissipation et se pervertissent lorsqu’ils se rendent compte que l’éducateur ou l’éducatrice ne voit pas tout ce qui se passe. Parfois, l’éducateur ou l’éducatrice à bonne vue, mais il ne voit pas par manque d’attention et d’esprit d’observation. Les enfants sont constamment en action, ils bougent, ils se parlent, s’interpellent, se taquinent mutuellement, aux dépens et en présence de l’éducateur ou l’éducatrice non averti-e- L’éducateur ou l’éducatrice doit avoir les yeux ouverts et bien ouverts. Qu’il découvre tous les petits complots; les différents cas de jeux qui circulent lorsqu’il fait la classe; qu’il décèle tous les défauts, toutes les taquineries et toutes les sources de désordres. Le regard a une grande puissance éducatrice. Il plonge jusqu’au fond de l’âme, il fait cesser le désordre, provoque le repentir, excite à l’accomplissement du devoir. Il encourage, stimule, blâme, ordonne et défend. Il y a vraiment une vertu dans le regard de l’éducateur ou l’éducatrice.
L’ouïe
L’oreille doit être un auxiliaire avisé de l’œil. L’éducateur ou l’éducatrice, pour pouvoir communiquer, doit entendre. On ne peut parler de conversion écologique sans en entendre parler. L’ouïe décèle tous les murmures, même les chuchotements les plus discrets. L’éducateur ou l’éducatrice devra entendre les conversations à voix basse, il sera au courant des réponses fausses ou des paroles impertinentes. Qu’il ou elle découvre tous les bruits qui provoquent le désordre ou qui sont la manifestation d’un esprit d’insubordination. Avec un maître ou une maîtresse un peu sourd-e, il y aurait toutes sortes de désordre en classe. D’ailleurs, lors de la conférence des évêques du Japon, ils ont, pour leur part, rappelé qu’« Entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, c’est vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance » (Conférence des évêques du Japon, 2001).
La voix
Elle a une puissance extraordinaire. C’est elle qui doit communiquer les objectifs de Laudato si’ aux enfants. Il faut noter que la parole va droit à l’esprit et au cœur. Elle pénètre jusqu’au fond de l’âme qu’elle éclaire, entraîne, conduit et maîtrise. Elle est un pouvoir qui soulève et qui soutient tout. L’éducateur ou l’éducatrice, grâce à l’exercice, doit donner à sa voix toute la sonorité et toute la force qu’elle peut acquérir. La clarté et l’intention sont les deux qualités essentielles d’une voix. La clarté évite une parole sourde, rauque, caverneuse qui est déplaisante en elle-même et ne retient pas l’attention. Le ton varie avec l’effet à produire. Un ton uniforme engendre l’ennui. Le maître ou la maîtresse ne doit pas avoir l’air de réciter des phrases ou des leçons apprises par cœur. Il faut que sa voix passe avec aisance du grave au doux, du plaisant au sévère; qu’elle vibre sous le coup de l’émotion qu’il ou elle communique à l’auditoire.
De la dignité extérieure
La bonne tenue amène le respect des éduqué-e-s. Ils saisissent à première vue certains défauts extérieurs et sont portés à mépriser les éducateurs ou les éducatrices qui en sont affligés. L’éducateur ou l’éducatrice devra être digne dans sa personne, vêtu.e convenablement, sans prétention et sans négligence. Ses habits seront toujours propres et séants. Ni dans un sens ni dans un autre, la tenue ne doit attirer l’attention. Cette tenue sera pleine de gravité et de simplicité. L’éducateur ou l’éducatrice aura un air calme, modeste et tranquille qui annonce la possession de soi-même et dénote une volonté forte qui se contient.
Les manières ne doivent ni être excentriques ni être des manies. Les enfants notent facilement la manie verbale, la manie du geste et de l’attitude. Ils relèvent tout impitoyablement et avec une exactitude dont on est souvent étonné. L’éducateur ou l’éducatrice évitera donc les manies et les tics : gestes désordonnés, habitudes de se croiser les jambes, de se mettre la tête dans les mains, de pousser des cris, de frapper du poing ou du pied. Les manières seront aisées, distinguées, d’une noble simplicité. Même dans les moments d’abandon, l’éducateur ou l’éducatrice ne permettra rien qui porte attente à sa dignité, il ou elle évitera l’affectation, l’attitude compassée et solennelle qui annonce une vanité prétentieuse, expose au ridicule et éloigne les éduqué-e-s.
La personnalité d’un éducateur ou d’une éducatrice doit être d’une étonnante complexité. Rien n’est à négliger. Si la fonction est exigeante pour le physique et l’extérieur, elle ne l’est pas moins pour les qualités intellectuelles et morales.
Des qualités intellectuelles et des connaissances professionnelles
Des qualités intellectuelles, le savoir est essentiel, car ce qui prime avant tout, ce sont les qualités de l’esprit et du cœur. C’est, en un mot, la personnalité. Pour éduquer les autres, il faut être soi-même éduqué. Une intelligence ouverte, un savoir sûr et étendu sont les conditions de l’autorité et de l’influence. On peut surmonter l’imperfection physique et dominer une déficience nerveuse. On peut même garder son autorité malgré certaines manies. Mais, il est impossible de remédier à l’impression, une fois donnée, de l’ignorance. Non pas que l’éducateur ou l’éducatrice se pose en un connaisseur imperturbable.
Il est tout de même nécessaire qu’il ou elle ignore certaines choses pour que les éduqué-e-s se rendent bien compte que la science est infinie. Mais, son prestige s’en ressent lorsqu’il s’embarrasse à propos des petites choses insignifiantes et lorsqu’il ou elle affirme des erreurs dont les éduqué-e-s eux-mêmes ou elles-mêmes voient la fausseté. Si l’éducateur ou l’éducatrice se rend compte de sa faiblesse, il ou elle perd toute son assurance et donne un spectacle lamentable. Le résultat est pire s’il ou elle veut s’imposer par la crainte. Avec Lerbet Georges nous pensons qu’« enseigner c’est faire naître un intérêt et y répondre; toute leçon doit être une réponse désirée qui s’introduit dans un organisme bien préparé à le recevoir » (1971, p. 69). L’éducateur ou l’éducatrice pourrait interroger sans livre et sans notes, mais il est normal qu’il se serve d’instrument, qu’il ou elle soit à l’aise et qu’il ou elle fasse sentir qu’il ou elle sait, non seulement ce qu’il ou elle doit enseigner, mais bien au-delà.
La valeur d’un éducateur ou d’une éducatrice se maintient et se perfectionne par l’étude. Étudier permanemment est l’un de ses devoirs. Le maître ou la maîtresse peut ainsi augmenter son savoir par des lectures diverses, par des relations avec les personnes plus instruites ou par des conférences pédagogiques. Certaines qualités sont indispensables à l’éducateur ou l’éducatrice : l’art de raconter, l’art de lire et l’art d’écrire par exemple. L’éducateur ou l’éducatrice doit travailler sa mémoire qui est un instrument de grande valeur. C’est par la mémoire que l’esprit s’enrichit, se meuble et sans cesse augmente ses conquêtes. Sur le plan écologique, pour vivre une « conversion écologique » tant au niveau personnel que communautaire, la grande question est de rendre possible une « profonde conversion intérieure » (François, 2015, n°217). L’imagination est excellente en soi et rend à l’éducateur ou à l’éducatrice les services les plus précieux. Il faut la développer en évitant qu’elle ne soit pas trop vive. Cependant, un jugement droit et sain doit être l’apanage d’un-e bon(ne) éducateur ou éducatrice. La formation intellectuelle et morale est une œuvre de raison. Il faut bien connaître les éduqué-e-s avec leurs qualités, leurs faiblesses, leurs défaillances, leurs besoins d’activités et leurs ressources. Il faut savoir distinguer le degré de malice ou de bonté de leurs actes et donner une direction appropriée à leurs caractères et à leur âge. Ce jugement peut, pour l’éducateur ou l’éducatrice, prendre le nom de tact qui se compose de quatre éléments : l’esprit d’observation, le savoir-être, le bon sens pratique et la sensibilité.
L’éducateur ou l’éducatrice, bien plus que tout autre travailleur, doit posséder des connaissances relatives à son métier. Dans le cas de l’éducation écologique, il ou elle doit se mettre à l’école du savoir dans ce domaine, car cette éducation tend à inclure une critique des “mythes” de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale; elle tend également à s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond. Par ailleurs, des éducateurs ou éducatrices sont capables de repenser les itinéraires pédagogiques d’une éthique écologique, de manière à faire grandir effectivement dans la solidarité, dans la responsabilité et dans la protection fondée sur la compassion (François, 2015, n°210).
Le manque de formation professionnelle serait nuisible à la fois à l’éducateur ou l’éducatrice et à l’enfant. À l’éducateur ou l’éducatrice qui agirait comme un empirique et un routinier, à l’enfant qui subirait les conséquences. Ces connaissances, dans ce domaine, peuvent fortement s’appuyer sur la psychologie de l’enfant appliquée à l’éducation, la pédagogie générale, la méthodologie et les doctrines pédagogiques. Dans les domaines classiques, elles sont acquises parfois à l’école normale et c’est pourquoi, elles doivent être sans cesse rafraîchies et maintenues à jour par des lectures, des conférences pédagogiques et des causeries avec des éducateurs ou éducatrices expérimenté-e-s. Ainsi, nous pourrions dire que c’est non seulement à une conversion, mais à la mise en œuvre concrète de cette conversion, à un changement de style de vie, à un changement de civilisation, à une citoyenneté écologique.
L’éducateur ou l’éducatrice, qui veut accomplir sa tâche dans le cadre écologique avec succès, saura profiter de toutes les occasions pour se perfectionner. Mais, la connaissance des méthodes ne l’empêchera pas d’être personnel(le), car plus originale sera sa parole, plus attentivement elle sera écoutée. Rien ne vaut le naturel, surtout en éducation où il faut être vivant dans ses regards, dans ses gestes et dans ses paroles si l’on ne veut rebuter ces créatures éprises de vie et de mouvement que sont l’enfant et le jeune homme ou la jeune femme.
L’esprit d’observation, de contemplation et les qualités morales de l’éducateur ou de l’éducatrice
Ici, nous voulons montrer que la grande préoccupation, pour vivre une « conversion écologique » tant au niveau individuel que communautaire, est surtout de rendre possible une « profonde conversion intérieure » (François, 2015, n°217). Pour que cela soit possible, il faut être imprégné d’« une mystique qui nous anime ». Cette contemplation de la création va permettre de découvrir à travers chaque chose un enseignement que Dieu veut transmettre, parce que pour le croyant ou la croyante, contempler la création (ce qui implique la vue), c’est aussi écouter un message. Le chemin de cette mystique passe par la contemplation du monde. Une contemplation qui se fait de l’intérieur, qui vient du cœur. Il y a tout un travail à faire de ce point de vue.
Être observateur ou même contemplateur partout, est une qualité indispensable à l’éducateur ou à l’éducatrice. Celui-ci ou celle-ci en a vraiment besoin pour connaître ses élèves, apprécier leur conduite en classe et en récréation, leurs paroles, leurs actes, leur tenue, se rendre compte de leurs connaissances, leurs aptitudes; juger de l’effet que produisent sur eux les éloges, les réprimandes, les succès et les échecs. Dans le cadre écologique, il faut réintroduire, rééduquer les enfants à la contemplation. Cela suppose de reprendre goût au temps qui passe et au silence, dans un monde où les choses vont vite dans un vacarme à la limite assourdissant. Rééduquer sur le long terme face à la brièveté des événements, œuvrer à l’intériorité grâce au silence face aux bruits des sollicitations extérieures, aider à la persévérance dans une activité face à l’attirance du pitonnage continu, voilà une mission éducative qui nous semble intéressante.
Pour ce faire, l’éducateur ou l’éducatrice a besoin de se connaître lui-même ou elle-même, analyser ses pensées, ses paroles, ses actes, la valeur des procédés et méthodes qu’il ou elle emploie, chercher les causes du succès ou de l’insuccès de ses leçons; apprécier le résultat de ses conseils et de ses exhortations, l’état de la discipline, l’efficacité du système d’émulation, l’esprit général de la classe. Ces observations lui fourniront la matière d’un fructueux examen de conscience pédagogique. Il ou elle en a enfin besoin de se souvenir afin d’améliorer constamment ce qu’il ou elle a à faire. Il y a aussi l’aspect de la réflexion qui est importante, car c’est elle qui forme l’intelligence, fait éviter les actes inconsidérés, les jugements a priori. Elle forme la sensibilité en la modérant, dirige le cœur, surveille ses mouvements et lui trace la route à suivre. Elle discipline les sentiments et fortifie le cœur. Elle forme la volonté et maintient l’éducation dans le calme et la sérénité.
Le Pape François, dans Laudato si’, fait l’interpellation suivante :
nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi. Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres intérêts; elle provoque l’émergence de nouvelles formes de violence et de cruauté, et empêche le développement d’une vraie culture de protection de l’environnement (François, 2015, n°229).
Ce faisant, la douceur doit être unie à la fermeté. C’est par elle que l’on touche les cœurs des enfants. Il faut tâcher de se faire aimer si on veut se faire craindre. Le bon éducateur ou la bonne éducatrice se considère comme le remplaçant des parents. Il soutient, encourage, console dans les peines et dans les difficultés. Patient-e, il ou elle sait comprendre les enfants et faire la part des choses. Il ou elle ne peut pas atteindre ses objectifs s’il ou elle est moqueur ou moqueuse et sarcastique. Mais, que sa bonté ne dégénère pas en une bonhomie ridicule qui tolère tout, excuse tout, qui met les principes sous les pieds par crainte d’affronter les volontés adverses ou d’éprouver certaines difficultés ou même par amour de la tranquillité. Il faut savoir fermer les yeux sur les fautes sans conséquences. La véritable bonté est délicate, intelligente, impartiale et constante. Elle est ferme et sans faiblesse. L’écologie humaine implique aussi quelque chose de très profond : la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un environnement plus digne.
Solidarité du savoir, fermeté, équilibre du caractère et esprit de justice et dignité morale
L’éducateur ou l’éducatrice doit être soi- même pour s’imposer. Les emportements, les colères, les menaces à tout propos, les cris et les apostrophes, les coups de baguette sur la table, n’ont jamais donné grand ascendant sur une classe. Si de pareils déchaînements altèrent avec le laisser-faire et le laisser aller, les enfants tournent l’éducateur ou l’éducatrice en ridicule. Il faut que l’éducateur ou l’éducatrice sache se contenir et se dominer parce qu’il faut absolument qu’il ou elle soit juste. La probité et la loyauté de l’éducateur ou l’éducatrice doivent être au-dessus de tout reproche. Par son amour de justice et de vérité, il traitera chaque enfant selon ses mérites et ses droits, sans jamais se laisser influencer par des considérations d’intérêt personnel. Il ou elle ne sera attiré-e ni par l’impulsion du moment ni par des sentiments instinctifs de sympathie ou d’antipathie. L’éducateur ou l’éducatrice doit exiger de chaque enfant ce qu’il peut donner, le traiter selon ses aptitudes, ses qualités, ses défauts, son caractère; les enfants sont particulièrement sensibles à l’injustice. Ils ont le sens naturel de l’égalité.
L’éducateur ou l’éducatrice, sujet aux éclats, ne peut pas être juste. Celui qui est émotif, sentimental, risque fort de ne pas l’être. L’éducateur ou l’éducatrice ne doit pas non plus faire des préférences. L’autorité est assurée lorsqu’on a la saine réputation d’être juste. Cette justice ne sera pas aveugle. C’est pourquoi de nos jours, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres (François, 2015, n° 49). L’enseignant-e aura un sens psychologique aigu. Beaucoup de finesse et d’adresse sont indispensables. L’éducateur ou l’éducatrice tiendra compte de chaque personnalité et de l’ambiance générale. Faire preuve d’un tact psychologique, bien connaître les enfants, savoir parler et manœuvrer, selon qu’ils sont grands ou petits, connaître chaque enfant en particulier, ne pas s’adresser de la même manière au timide, au nerveux, à celui qui est choyé ou gâté à la maison et à celui qui est brutal, violent ou farceur. L’enfant déteste quiconque agit en fourbe. Veiller à ce qu’il ne soit pas méfiant et que la confiance soit détruite, car sans confiance, point d’éducation.
L’éducateur ou l’éducatrice recherchera ceux ou celles qui dominent le groupe afin d’établir avec eux ou elles un lien d’amitié. Il faut occuper à tout moment les enfants et faire sa préparation soigneusement. Ne jamais se détourner de sa tâche pendant les heures de classe.
Que l’éducateur ou l’éducatrice enseigne ce qu’il ou elle est, c’est-à-dire qu’il ou elle est partout et toujours l’exemple. Cette dignité morale de l’éducateur ou de l’éducatrice, qui est une leçon continuelle pour l’enfant, se compose de plusieurs éléments : l’éducateur ou l’éducatrice est simple dans sa mise, réservé-e dans ses regards, calme, bon-ne, doux ou douce, affable. Il ou elle est ainsi la maîtrise de soi-même et inspire estime et respect.
L’urbanité des manières exige la réserve, exclut le genre glacial qui éloigne les sympathies, le genre vantard qui parle trop de soi et ne trouve que matière à critiquer chez les autres. La correction du langage évite toute expression grossière ou inconvenante dans toute conversation.
L’intégrité morale enfin, est l’émanation de toute la personnalité de l’éducateur ou de l’éducatrice dans ses paroles, ses actes et dans toute sa conduite. Il ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater, parce qu’elles suscitent sur cette terre un bien qui tend à se répandre toujours, parfois de façon invisible. En outre, le développement de ces comportements nous redonne le sentiment de notre propre dignité, il nous porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de faire l’expérience du fait qu’il vaut la peine de passer en ce monde (François, 2015, n° 212).
Toutes les qualités morales de l’éducateur ou de l’éducatrice se résument par son caractère. C’est en général par le caractère que l’humain exerce sur les autres une influence plus ou moins grande. Le caractère, facteur essentiel de succès, est formé de l’ensemble des qualités intellectuelles et morales. Il implique surtout des éléments moraux : douceur, fermeté, prudence, justice, dignité, esprit de sacrifice, dévouement, bonne humeur et entrain. En un mot, il faut la maîtrise et le gouvernement de soi-même. Le caractère qui doit se perfectionner sans cesse ne sera ni violent ni timide.
L’esprit de prudence réside dans les relations avec les élèves, dans les relations avec le public et dans les rapports avec les collègues. L’éducateur ou l’éducatrice veille à sa tenue, a ses paroles, à ses actes. N’avoir avec les parents et les autorités que des relations nécessaires. Se garder dans une localité de critiquer son prédécesseur, de trouver mauvais et de détruire systématiquement ce qu’il avait organisé. Les réformes les plus indispensables doivent se faire lentement et presque insensiblement. Vivre dans une parfaite charité avec ses collègues, se rendre service, demander conseil aux plus expérimenté-e-s; se garder de tout dénigrement surtout devant les élèves et devant le public, se réjouir du succès de tous et de toutes. Ne pas rechercher la popularité aux dépens des autres et au détriment de la discipline générale. Faire de son mieux ce dont on est chargé, respecter surtout les décisions et les ordres du responsable des lieux, un idéalisme indispensable.
Toutes ces qualités physiques, intellectuelles et morales ne suffisent pas si l’éducateur ou l’éducatrice n’était porté-e par l’amour de son métier, l’affectation pour l’enfance et l’intérêt pour ses progrès et enfin, par la foi en sa haute mission.
Certaines qualités physiques ne dépendent pas de nous : la taille, la prestance, l’extérieur agréable, l’acuité des sens, une voix sans défaut. D’ailleurs, les qualités physiques sont presque toujours insuffisantes si elles ne sont accompagnées de qualités intellectuelles et morales.
Mais, nous pouvons nous donner un extérieur avenant, nous exercer à donner à la voix plus d’étendue et de souplesse et corriger les défauts de prononciation. Nous pouvons aussi améliorer notre santé en aérant souvent les milieux de travail, en exerçant, sans comprimer, les poumons, en nous promenant au grand air, en pratiquant la respiration profonde, en mangeant une nourriture légère et de bonne qualité et en prenant un repos suffisant. Pas de veilles prolongées. Se coucher tôt et se lever de bonne heure.
Les qualités intellectuelles peuvent s’acquérir par des études personnelles, les préparations des classes, les causeries et les conférences et par la culture des facultés et des exercices destinés à créer certaines habitudes intellectuelles. On peut toujours améliorer sa conduite et acquérir de solides qualités. Il faut toujours avoir à l’esprit que « l’enfant est moins apte au travail pendant les périodes de forte croissance » (Claparede, 1951, p.112).
Les qualités de l’éduqué-e dans la perspective de Laudato si’
L’apprentissage de l’intériorité, avec sa connaissance et la prise en compte dans la conduite de la vie, semble n’avoir pas été une préoccupation majeure dans les formations initiales. Cependant, nous pouvons comprendre quelle est sa place majeure dans l’éducation de notre jeunesse. Déjà au n° 63, le pape François estimait : « Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité ».
L’école se propose de donner des connaissances aux élèves. Celles-ci devraient être mises à la portée de l’enfant. L’éducateur ou l’éducatrice doit tenir compte des seuils de compréhension de l’enfant et calquer son enseignement sur la façon dont procède normalement la pensée enfantine. L’enfant, en effet, éprouve beaucoup de difficultés pour saisir notre pensée, même lorsqu’elle paraît adaptée. Il éprouve aussi les mêmes difficultés pour transmettre sa pensée propre. Quand on méconnaît ces données, on tombe dans les méfaits pédagogiques importants. L’école dans la plupart du temps se borne à combattre l’ignorance. Et dans cette lutte, elle ne tient pas assez compte de la différence de qualité entre un savoir assimilé et un savoir ingurgité. Elle se penche moins sur la nécessité de créer des aptitudes que sur l’urgence d’entasser les connaissances. Elle dresse plus qu’elle ne forme.
Au lieu de façonner une mémoire mécanique, incertaine, fugace, incapable d’évoquer à volonté les données enregistrées, c’est vraiment passionnant de former une mémoire intelligente, tenace, qui va à l’essentiel des idées dans leur ordre logique et dans leurs relations. D’où la nécessité pour l’éducateur ou l’éducatrice d’avoir une connaissance sûre sur les structures mentales de l’enfant et de leur évolution.
Le savoir enfantin et le savoir adulte
Le savoir de l’enfant est différent de celui de l’adulte. Celui-ci a déjà un savoir élaboré, résultat d’un effort de réflexion soutenue. L’esprit de l’enfant est friand des données concrètes et sensible au tangible, au vécu, à l’observable. Le mécanisme de la pensée adulte et celui de la pensée de l’enfant sont tout autres. Le processus de l’opération intellectuelle n’est pas le même puisque l’un procède par abstraction, l’autre agit sur le concret. De plus, l’effort de l’enfant est fragile, d’où une différence de rendement. Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un “bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui non seulement ne résoudrait pas les problèmes, mais en ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger de l’être humain un engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité (François, 2015, n°118).
Ainsi, aucun effort qui veut précéder la maturation n’est possible. S’exprimer en termes abstraits à l’endroit d’un enfant, c’est perdre inutilement le temps. C’est aussi en vain qu’on chargerait sa mémoire de définitions. Dans l’exemple, une île est une terre entourée d’eau de tous les côtés, trois noms : terre, eau, côtés expriment chacun une idée générale inaccessible par l’enfant d’un bas âge. Nous dirions plutôt que l’adulte a des idées, l’enfant, des images. Or, l’idée est générale, l’image est particulière. L’idée relève de l’intelligence, l’image, des sens et de l’imagination. L’adulte pense par idées abstraites, l’enfant par images concrètes; la phrase adulte est une synthèse et la pensée de l’enfant est pour un temps inapte à la synthèse et insensible à la logique.
Le rôle de l’école
Le pape François, dans son encyclique Laudato si’, invite à prendre conscience de la réalité que nous vivons et à agir de manière responsable pour la sauvegarde de la maison commune. Les écoles doivent s’engager sans faille et jouer un rôle primordial pour soutenir les engagements de la communauté internationale, en développant au sein de chacune d’elles, grandes ou petites, des projets éducatifs structurants permettant une éducation de qualité et surtout une prise de conscience de chaque élève qu’il peut devenir un acteur de la sauvegarde de la maison commune.
À l’école, l’enfant doit apprendre à penser. Or, le problème de la pensée, c’est le problème capital de l’enseignement. Qu’est-ce qu’enseigner? Quels buts visons-nous par cet acte, avec cette action? L’école remplit un double but : faire acquérir les connaissances, d’une part et former l’esprit, d’autre part.
L’enfant doit acquérir les connaissances en partant des mécanismes de base que sont l’expression, la lecture, l’écriture et le calcul. Il apprend les différentes techniques des langues, toutes les disciplines qui concourent à l’étude du milieu. Cette acquisition des connaissances constitue la matière de l’enseignement ou les contenus des programmes. L’école doit surtout contribuer au développement de l’esprit. Dans cette formation, on développe l’intelligence par la réflexion, l’évaluation globale, le raisonnement, l’observation, la comparaison, et on aboutit à la synthèse. Il s’agit ici de la compréhension, de la manière d’enseigner, des méthodes. L’éducation doit être pensée au-delà de l’école. À l’appel du pape François, elle doit rejoindre les jeunes dans leur milieu de vie.
Dans cette logique, il faut qu’à l’école, l’enfant exerce son action sur les choses et son intelligence par la langue. Il y a donc, d’une part, l’action qu’il exerce sur les choses, de l’autre, la langue qu’il assimile. L’enseignement est ainsi une étude du milieu dans laquelle on suscite, à travers la langue, l’activité des élèves sur les choses. Le milieu suscite des pensées. Par l’intuition, l’observation, par des procédés d’excitation de la pensée, l’esprit interroge les choses. On atteint la compréhension et on s’exprime, c’est-à-dire qu’on extériorise ce que l’on a pensé.
La pensée de l’enfant
Cette pensée est sollicitée par des objets, des situations concrètes, par l’observation. L’enfant doit exprimer ce qu’il pense. Il pourrait aussi l’écrire, par exemple, dans une observation d’une gravure, ne pas envisager exclusivement une énumération des détails qui n’est qu’un inventaire des connaissances, mais arriver à la véritable formation de l’esprit par l’observation qui pose des problèmes. En définitive et presque toujours, il faut trois stades dans une leçon : une évaluation résultant d’une observation globale, légère, conduisant à une énumération qui n’est qu’un inventaire de connaissances. Cette première phase est suivie d’une observation réelle qui pose des problèmes qui font réfléchir. Enfin, des synthèses ou des interprétations.
Enseigner, c’est donc apprendre à observer et à s’exprimer. Toute leçon reposera sur l’observation. Celle-ci n’est pas suffisante, car l’intelligence se forme surtout par l’expression de la pensée. À l’école, l’enfant doit absolument exprimer sa pensée. Dans nos écoles en général, presque toutes les leçons ne s’arrêtent qu’au premier stade, à la phase de l’énumération, de l’inventaire des connaissances. On n’atteint jamais la phase ultime, qui est la formation de l’esprit.
S’agit-il par exemple d’une leçon d’élocution sur le petit déjeuner du matin? Par des gravures ou des dessins tracés en hâte au tableau, une servante habillée d’un tablier bleu, pose sur la table une tasse de café au lait bien fumant? Dans un coin, est blotti un chat. La servante se retire. Le chat monte sur la chaise et de sa patte, renverse le lait qui le brûle. La leçon commence par l’énumération de ce que l’on voit sur la gravure : une servante, une tasse de lait, un chat blotti dans un coin. Mais; elle ne s’arrête pas là. Que fait le chat? Voilà un problème qui fait réfléchir. Les éduqué-e-s expriment plusieurs opinions : le chat guette la servante; le chat fait semblant de dormir; le chat dort; le chat a faim; le chat surveille le départ de la servante; le chat veut voler… D’autres questions analogues sont possibles. Le chat se brûle. Il souffre. Avez-vous pitié de lui? Il a mal fait; c’est un voleur. Il mérite d’être puni. Le chat avait faim. La servante ne lui a pas donné du lait. Il a voulu seulement manger. Il ne mérite pas d’être puni… L’école doit créer ou développer toutes les aptitudes dont les élèves sont capables.
Les aptitudes
De nombreux penseurs dont Descartes et Helvétius ont estimé que les esprits sont égaux et que la différence du savoir ne provient que de la différence des méthodes. Ainsi, les différences qui s’accusent dans les intelligences proviendraient de l’éducation. Ces théories résistent à peine à l’expérience. Les esprits, de même que les tempéraments ou les caractères, varient d’un individu à l’autre. Dans une classe, on constate chez les enfants une grande variété de disposition ou d’aptitudes. Chaque école peut générer des projets locaux, nationaux et internationaux dans lesquels sont reliés éducation formelle et non formelle, afin d’élargir la vision d’une éducation au service de la transformation sociale de nos élèves, de nos enseignants et donc de nos familles. Cela implique aussi de reconnaître ses propres erreurs, péchés, vices ou négligences, et de se repentir de tout cœur, de changer intérieurement (François, 2015, n°218).
L’aptitude est très malaisée à définir. Dans la notion d’aptitude, entre la notion de corrélation. Celle-ci serait le rapport qui existe entre plusieurs manifestations psychologiques.
Un-e élève à des aptitudes particulières lorsqu’il ou elle excelle pour une matière, alors qu’il ou elle est moins doué-e pour les autres. Il est presque impossible de déterminer un indice de corrélation. Ainsi, les résultats de l’étude de l’aptitude sont souvent imprécis. Il reste cependant parfois possible de déterminer, soit par des corrélations soit par des observations ou des constatations, certaines aptitudes des enfants : l’aptitude au dessein, à la musique… Il y a par exemple corrélation entre l’aptitude à l’orthographe et la mémoire visuelle.
La tâche essentielle de l’école est de susciter et de développer au maximum les aptitudes inhérentes en chaque enfant. De nos jours, la préparation à la vie s’évalue plutôt en termes d’aptitudes que de connaissances. Tous les membres d’une société doivent être aptes à penser logiquement et à s’exprimer, à prendre des initiatives et à agir. Tout adulte doit continuer à apprendre pour s’adapter à l’évolution capricieuse de nos sociétés modernes. L’école moderne adoptera, pour la formation de l’esprit des élèves adultes de demain, des méthodes qui apprennent à penser.
Apprendre à penser et à s’exprimer devient fondamental dans un monde où règnent sciences et techniques, où les relations de tous les jours sont de plus en plus complexes. L’école jusqu’ici est celle de la passivité où le psittacisme est le garant d’une mémoire mécanique. Si réciter n’est pas penser, il vaut mieux que l’élève puisse interroger le monde, qu’il apprenne à penser d’abord par une approche globale des problèmes, puis par leur analyse. Il en distinguerait les différents éléments avec leurs relations, puis par une synthèse bien appropriée, et ces problèmes seraient résolus. Par cette méthode, l’élève comprend avant d’apprendre et développera sans nul doute son aptitude à penser, à s’exprimer et à agir; aptitudes si indispensables à notre monde tumultueux.
En définitive, trois étapes dans ce cheminement : comprendre globalement, analyser pour connaître, faire la synthèse pour résoudre et agir.
Il s’agit bien aussi d’accompagner les enfants, tantôt en les devançant, tantôt en les suivant, tantôt en se mêlant à eux. Ceci permettra de rejoindre le Pape François dans Amoris Laetitia, où il propose la trilogie “accompagner, discerner, intégrer” comme en écho aux étapes précédentes (François, 2016).
Ainsi, le savoir appris par l’élève doit aboutir au savoir-faire. Ainsi, l’école utilisera des méthodes propres à développer chez l’enfant les aptitudes à l’action et à l’esprit d’initiative. L’école actuelle fait des élèves de simples exécutants. On donne des ordres pour obtenir ce que l’on veut : la concession est propre, le jardin bien entretenu, les classes décorées, parfois par l’éducateur ou l’éducatrice lui ou elle-même. La bonne école veut que les éduqué-e-s se décident ensemble et d’eux-mêmes ou elles-mêmes, à réaliser tel ou tel travail. Tels élèves établissent les besoins, leurs priorités, en choisissant un, puis s’organisent. Le groupe définit les moyens à utiliser, établit le calendrier des opérations, repartit les responsabilités et exécute les tâches. Ainsi, l’action est motivée, organisée et conduite par les jeunes qui ne sont plus de simples exécutants, mais que l’école prépare à devenir de futurs coopérateurs et coopératrices plein-e-s d’initiatives.
L’école devrait inventorier, à l’aide de ses élèves, les différentes tâches susceptibles d’être exécutées au cours de l’année et en établir les priorités. Elle encouragerait les élèves à s’organiser et à mener à bien tous ces travaux par leurs initiatives personnelles. Elle leur apprendrait ainsi à agir et favoriserait en eux l’esprit de créativité.
Conclusion
Le Pape François, dans son encyclique déclare que « Tout est lié ». Ceci se justifie notamment, non pas seulement dans les aspects environnementaux, mais aussi, et surtout dans les aspects sociaux, car selon lui, « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (François , 2015, n°37). Il faut dire que l’éducateur ou l’éducatrice, en raison de sa mission, doit recevoir une formation très soignée et très complète dans plusieurs secteurs possibles. Ni la formation physique, intellectuelle et morale ni l’éducation professionnelle ne seront négligées. L’éducation étant une science et un art, l’éducateur ou l’éducatrice ne doit pas être maintenu-e dans un empirisme dont les conséquences sont déplorables. Il ou elle sera donc formé-e pédagogiquement. C’est une question de loyauté et de justice, et une condition de succès dans l’apostolat. L’éducation n’est pas qu’une affaire de principe. Elle repose également sur la production de méthodes, d’outils, et d’édition, au service des objectifs innovants de l’éducation. Les écoles surtout confessionnelles, compte tenu de leur responsabilité, doivent contribuer à l’expérimentation et à la diffusion de méthodes pédagogiques nouvelles.
L’école devrait adopter des méthodes pour favoriser l’éducation permanente. Elle cesserait d’être le lieu exclusif où l’on apprend. L’école ne saurait plus n’être qu’un lieu où on entasse les connaissances, où celles-ci sont entonnées de force ou ingurgitées comme qui verserait dans un entonnoir. L’école devrait plutôt donner aux élèves une méthode de prospection, de classification et d’utilisation des connaissances. Apprendre aux enfants à prendre des notes, à rechercher un document à partir d’un fichier, à travailler à partir d’une table de matières. Il faut apprendre à l’enfant à apprendre. Il faut qu’il sache comment continuer à apprendre seul après l’école.
Si l’élève apprend à penser, à s’exprimer et à agir, s’il est muni d’esprit d’initiative et s’il sait continuer à apprendre tout seul après l’école, il s’adaptera sûrement dans notre monde toujours en perpétuelle mutation et sera un être humain averti dans la lutte pour le changement et la protection de la maison commune.
Références
Claparede, Édouard. 1951. Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale. Genève : Délachaux et Niestle.
Conférence des évêques du Japon. 2001, Reverence for Life. A Message for the Twenty-First Century.
Lerbet, Georges. 1971. Introduction à une pédagogie démocratique, Paris : Centurion.
Pape, François. 2015. Laudato si, encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, Paris : Cerf.
Pape, François. 2016. Amoris lætitia. Paris : Cerf.
Piaget, Jean. 2007. Psychologie de l’intelligence. Paris : Armand Colin.