Stratégies pour une intégration effective de la métalangue dans l’enseignement-apprentissage de l’anglais au Burundi

Marie-Immaculée NDAYIMIRIJE et Félix TUNGUHORE

 

Introduction

Depuis la réforme de 2013 qui a instauré, au Burundi, le système d’éducation fondamentale et post-fondamentale[1] (loi n° 1/19/ du 10 septembre 2013, articles 38, 81), l’enseignement des langues étrangères a connu une revalorisation significative, tant au niveau quantitatif que qualitatif. Sur le plan quantitatif, le kiswahili est venu s’ajouter au français et à l’anglais, deux langues à statut de langue étrangère, enseignées et d’enseignement dans le système éducatif burundais depuis la période des indépendances. En outre, les volumes horaires hebdomadaires desdites langues ont été revus à la hausse à tous les paliers du système.

Sur le plan qualitatif, l’innovation a consisté en une volonté manifeste, pour le ministère de tutelle, de changer les manuels de cours pour les remplacer par d’autres avec des contenus supposés « mieux répondre aux besoins créés par un monde moderne, réel, et de plus en plus globalisé » (Préfaces dans les guides du maître, série Domaine des Langues). Un aspect supplémentaire de l’innovation a été l’orientation des pratiques de classe vers une méthodologie axée sur la communication comme objectif global de l’apprentissage desdites langues – du moins en théorie.

Pour l’essentiel, de tels changements ont été motivés par le fait que le Burundi a intégré l’East African Community (juillet 2007) et cela permet au peuple burundais d’entrer en contact avec les autres qui s’expriment dans des langues différentes. L’apprentissage de ces langues est donc dicté par un besoin réel de communication (article 137 du statut de l’EAC).

Au Burundi, il faut cependant reconnaître que l’objectif d’une maîtrise de la communication dans les langues étrangères (LE), surtout dans son mode oral, est entravé par un environnement linguistique « défavorable » à la pratique langagière. Pour ne citer que deux raisons principales, il y a d’abord le fait que la quasi-totalité de la population burundaise parle le kirundi comme langue maternelle, ce qui limite l’utilisation extensive des langues étrangères sur le territoire national. Ensuite, le contact avec ces langues est généralement confiné au milieu scolaire.

Pédagogiquement, ceci implique une grande responsabilité de la part de l’enseignant·e qui doit tout faire pour maximiser la pratique de la communication pendant les leçons – ce qui n’est pas toujours en adéquation avec le temps imparti à ce volet et à la structure des activités d’apprentissage ainsi que leur distribution dans le guide du maître (Ndayimirije, 2015, p. 240-247). C’est paradoxal, mais c’est un phénomène qui s’inscrit dans les conditions pour le moins contraignantes dans lesquelles s’exerce généralement l’enseignement-apprentissage de l’anglais LE dans les pays à moindres ressources (Harmer, 2007, p. 22-23; Sundari et al, 2017; Mayora, 2006, p. 2; Karras et Wolhuter, 2010).

Avec le temps, et grâce aux formations reçues, les enseignant·e·s ont compris qu’ils ou elles doivent parfois user de leur ingéniosité pour trouver des compléments aux manuels de cours. Du reste, de telles initiatives pédagogiques leur sont formellement demandées dans le souci de pourvoir aux objectifs des programmes et pour mieux répondre aux attentes des apprenant·e·s.

Si tel est le cas, on observe, cependant, que les enseignant·e·s ne sont pas suffisamment outillés en termes d’autonomisation dans la recherche d’options supplémentaires de solutions et de stratégies pédagogiques. Ces dernières viendraient pallier les facteurs qui enfreignent le développement de leurs compétences communicatives (voir infra).

Les enseignant·e·s reconnaissent et apprécient, dans les livres, la présence de consignes sur la manière de mettre en pratique les techniques d’enseignement proposées ou de manager certaines situations de classe (par exemple : enrichir ou adapter les contenus). Toutefois, l’étude documentaire, que nous avons effectuée, a révélé que les guides du maître restent muets sur l’importance du modèle de la langue enseignée et la façon de s’en servir pour compenser de possibles lacunes et/ou déficits résultant des curricula eux-mêmes. À titre d’exemple, il n’y a pas de directives sur la manière de procéder à son amélioration quantitative et qualitative, au-delà de ce qui est proposé dans les livres de cours.

Le présent article estime qu’il s’agit d’une lacune qui nuit à la possibilité pour l’enseignant·e d’être plus entreprenant·e et pour l’apprenant·e de mieux progresser dans son apprentissage des compétences audio-orales. Nous nous interrogeons sur la négligence d’un tel aspect et soulignons son importance dans le cadre d’une méthodologie qui voudrait promouvoir la communication dans la langue enseignée. Nous suggérons aussi des stratégies pour son intégration et son exploitation effective à des fins d’apprentissage.

Dans sa démarche méthodologique, l’article fait recours à une triangulation qui combine la recherche documentaire, l’observation de classe et une réflexion sur la place qu’occupe la métalangue dans les programmes de formation initiale des enseignant·e·s de langues étrangères au Burundi. Dans une perspective de faisabilité et de gestion de l’espace, l’une des trois langues étrangères enseignées au Burundi a été sélectionnée pour notre étude : l’anglais au (post) fondamental.

Compréhension des concepts

La communication

Pour aborder notre problématique, on retiendra la définition de l’approche communicative, donnée par Savignon (2001), qui met en relief l’échange d’informations sur fond de possibilité d’interprétation et d’un certain désir de connaître ou d’obtenir un service des interlocuteurs.trices (Harmer, 2007, p. 20-21, Savignon, 2001, p. 14-15). À titre d’exemple, l’enseignant·e peut communiquer avec sa classe pour élucider des réponses à ses questions, vérifier si les élèves ont compris, s’il peut continuer ou pas, annoncer la fin d’une leçon, etc. Un·e élève peut communiquer en vue d’exprimer sa confusion ou sa bonne compréhension.

Vue sous cet angle, la communication incorpore alors deux aspects fondamentaux à sa réalisation, à savoir l’interaction et la négociation, du moins dans sa version orale (Savignon, 2001, p. 14-15; Harmer, 2007, p. 20-24, 75). Il va sans dire que ces sous-compétences demandent à leur tour une certaine maîtrise de la langue enseignée dans ses volets lexical et grammatical. Elles sont donc à construire chez l’apprenant·e dont on attend qu’il ou elle participe activement aux activités de pratique de la communication.

La métalangue

Le caractère parfois vague des définitions disponibles au sujet de « métalangue » et les quelques désaccords relevés sur son utilité dans l’apprentissage d’une langue (Alderson et al., 1997) ne sont pas de nature à faciliter la précision de ce concept. Mike (2016, p. 144) considère ainsi que c’est un terme imprécis qui pourrait se définir simplement comme « toutes formes de langage utilisées pour parler d’une langue ». L’auteur estime que, dans son sens large, la « métalangue se réfère aux expressions basiques de grammaire telles que les mots, les phrases, les sujets, les verbes, etc., les termes techniques propres à la linguistique appliquée, comme ‘‘phonologie’’, ‘‘orthographe’’, ou même d’autres, non techniques, comme ‘‘personne, correct’’, etc. » (ibid.). Ces trois dimensions de la métalangue sont reprises par Guangwei (2011) dans sa description du concept. Delamotte-Legrand, lui, rejoint l’idée de Mike et souligne que « Pour de nombreux enseignants, les moments d’analyse […] se réduiraient à faire de la grammaire, c’est-à-dire à expliciter et à verbaliser, à l’aide d’une terminologie particulière […] le fonctionnement de la langue » (Delamotte-Legrand, 1994, p. 166).

Gombert, pour sa part, donne une définition qui semble être très claire : « La métalangue est une langue […] qui sert elle-même à parler d’une langue, une langue dont le lexique se compose de l’ensemble des mots qui permettent de se référer à l’activité linguistique » (Gombert, 1990, p. 11).

Ainsi, bien que la métalangue soit différemment définie, tous les auteurs et autrices convergent sur le fait que c’est une langue qui parle d’une autre langue. Nous pouvons lire par exemple chez Benveniste que

La langue de la grammaire, qui décrit l’usage des formes de la langue, est une métalangue : parler de substantif, d’adverbe, de voyelle, de consonne, c’est une métalangue. Tout le vocabulaire de la métalangue ne trouve application que dans la langue (Benveniste, 1974, p. 35).

Dans cette multiplicité de considérations, la capacité de l’enseignant·e d’anglais à dispenser des savoirs sur la langue enseignée, d’une part, et à communiquer convenablement dans celle-ci, d’autre part, est l’aspect qui nous intéresse ici.

En vue de proposer notre propre définition, il sied peut-être de rappeler que par sa nature, la profession enseignante a pour objet de transmettre des connaissances et des savoirs sélectionnés et échelonnés dans le but de contribuer au développement intégral de l’individu – en l’occurrence l’apprenant·e dans toutes ses dimensions humaines (cognitive, affective, culturelle) (Heaton, 1985, voir ‘Foreword’). Dans l’exercice de sa profession, l’enseignant·e reçoit et transmet des messages verbaux et non verbaux, avec tout naturellement une prédominance de ceux de la première catégorie. Dans une classe de langue, ces messages sont censés véhiculer, d’une part, les éléments de la langue enseignée qui sont destinés à l’apprentissage, c’est-à-dire les nouveaux savoirs linguistiques et culturels. D’autre part, il y a ceux qui sont destinés à être révisés pour diverses raisons. Par extension, la métalangue sert à maintenir une bonne communication, mais aussi à développer chez les apprenant·e·s les aptitudes requises pour l’expression relative à des objectifs ponctuels dans une situation de classe.

Fonctions de la métalangue

Parlant des fonctions pédagogiques de la métalangue, il convient de garder à l’esprit les éclairages qui viennent d’être présentés. Sa définition présage d’ores et déjà que la métalangue joue un rôle considérable, voire crucial dans la transmission des savoirs et connaissances. De manière générale, son utilisation à bon escient facilite la compréhension par les apprenant·e·s des messages véhiculés par l’enseignant·e au sujet d’un aspect, item, ou point-clé d’une leçon (Gower et Walters, 1988, p. 26) ainsi que des actes de communication à l’instar de ceux repris et développés dans l’ouvrage de Heaton (1985). Pour cette raison, la métalangue doit être d’un niveau simple et clair pour être accessible aux apprenant·e·s. Une matière bien assimilée, dans notre contexte, ne peut que développer la capacité linguistique des apprenant·e·s, leur permettant de mieux s’exprimer et, de surcroît, réussir leurs épreuves d’évaluations formative et sommative.

Dans sa forme verbale, la métalangue dépend d’un nombre de facteurs. Parmi ces éléments, la vitesse de transmission, la (dé)contraction des formes, la distorsion des sons en vue de leur simplification ainsi que le choix des termes, structures et figures de style qui constituent des caractéristiques importantes dans la transmission du modèle linguistique dans la LE (Sundari, 2017, p. 4). Elle représente une source de croissance de leur faculté réceptive et productive de la langue enseignée, ce qui lui confère un potentiel dans la réduction d’un recours excessif à la langue native chez les apprenant·e·s.

La métalangue offre donc des opportunités non seulement d’apprentissage, mais aussi de production d’un modèle « authentique » de la langue enseignée autant chez l’enseignant·e que chez l’apprenant·e (Gower et Walters, 1988, p. 25). Ceci nous amène à nous aligner sur la pensée de Yaguello qui évoque, pour sa part, la fonction poétique de la métalangue :

La fonction poétique […] peut s’insérer dans une fonction esthétique au sens large, qui comprendrait toutes les formes d’expression artistique. Seule la fonction métalinguistique est inséparable du langage puisque centrée sur le code de son fonctionnement (Yaguello, 1981, p. 29).

Quand les apprenant·e·s disposent suffisamment de ressources pour s’exprimer, ils ou elles se sentent en confiance et veulent prendre des initiatives de nature productive en posant par exemple des questions, en formulant des avis et des commentaires, en exprimant des sentiments, etc. qui vont tous dans le sens de réduire la prédominance du rôle central de l’enseignant·e dans le processus d’apprentissage.

Dans le contexte burundais qui nous est familier, quelques questions nous viennent à l’esprit en rapport avec la métalangue d’une LE : quelle place occupe la métalangue dans les compétences attendues de l’enseignant·e? Est-ce un volet qui est reconnu dans les programmes de formation initiale et/ou continue des enseignant·e·s? Si oui, quelles sont les caractéristiques qui lui sont attachées? Comment peut-on les observer chez les enseignant·e·s, les contrôleurs et contrôleuses de la qualité, les formateurs et formatrices des enseignant·e·s et les encadreur·e·s des stages? Le terme, fait-il partie du langage usuel du processus de formation des formateurs et formatrices et d’encadrement des stages ou même des visites pédagogiques de routine par les administrations scolaires?

Pour répondre à ces questions, nous avons consulté la grille d’évaluation conçue par la Direction de l’assurance qualité à l’École normale supérieure du Burundi et soumise aux étudiant·e·s pour qu’ils ou elles donnent leurs appréciations par rapport aux prestations de leurs enseignant·e·s. Sur un total de 23 critères d’évaluation, aucun ne fait expressément référence à la notion de métalangue. Cependant, quelques rubriques semblent faire plus ou moins référence à cette dernière sans être pour autant explicites : (1) l’enseignant·e donne des explications claires, (2) l’enseignant·e interagit adéquatement avec les étudiant·e·s.

Les défis pratiques

Pratique de la communication

Dans l’enseignement-apprentissage d’une LE, la communication est une compétence dont l’acquisition demande de la patience puisqu’elle se construit au fil du temps. Elle passe par des procédés et stratégies dont la réussite dépend de l’ingéniosité de l’enseignant·e et implique la collaboration, voire la complicité des apprenant·e·s. Elle se construit grâce à l’acquisition progressive des savoirs, mais aussi des savoir-faire dans la langue enseignée. Les premiers comprennent les formes de la LE (lexies, grammaire, sons, phrases, textes, fonctions, etc. et leurs références sémantiques (Harmer, 2007, p. 27-33). Les seconds sont plus complexes et impliquent la mise en opération généralement concomitante et circonstanciée des premiers. De plus, ils impliquent des instances d’interaction, réelle ou supposée, ainsi qu’une utilisation cohérente des éléments linguistiques et supra-linguistiques. Une telle compréhension s’avère nécessaire pour l’enseignant·e afin de répondre de façon appropriée à un objectif spécifique de communication. Ici, on est déjà loin de la phase des mots et expressions, voire des phrases isolées, dans l’instance de pratique discursive de la langue, donc sur le canal de la communication.

Dans l’enseignement de l’anglais au Burundi, ce 2e volet constitue un apport significatif de la réforme dans le sens où il fait une démarcation d’avec les approches antérieures qui n’attachaient aucune importance à la pratique langagière centrée sur la recherche du sens. Mais faudrait-il aussi que la formation des enseignant·e·s et l’élaboration des curricula soient en adéquation avec cette nouvelle orientation (Ndayimirije, 2018)?

Pratique de la métalangue

Dans ce processus, l’enseignant doit « manipuler » la langue d’enseignement (le médium) en vue de faire passer le message et interagir avec les apprenant·e·s pour faciliter l’acquisition des savoirs et savoir-faire. Ce qu’il dit et fait en ces circonstances relève de la métalangue (Gower et Walters, 1988, p. 25), connue aussi sous la terminologie de « métalangage ».

Une analyse de la grille utilisée dans l’observation d’une leçon pendant les stages montre des rubriques où l’encadreur ou l’encadreuse évalue la qualité des explications et la maîtrise de la matière par le ou la stagiaire. Ce qui nous intéresse le plus, ce sont les explications. Il s’agit de voir si le ou la stagiaire utilise des exemples, répète ce qui est difficile, souligne les points centraux, donne des détails, identifie les points clés, suggère des implications pratiques, etc.

Dès lors, la question que l’on peut se poser est celle de savoir si les enseignant·e·s à leur tour font intervenir la notion de métalangue au cours de leurs enseignements. La réponse peut être trouvée à travers une analyse des maquettes de cours. En les parcourant, nous constatons que nulle part on ne développe cette notion; mais curieusement, il est demandé que le ou la stagiaire s’en serve alors qu’il n’en sait rien. Il y a lieu de se demander si une insertion de cette notion dans les programmes et les enseignements n’est pas une question d’intérêt commun à tou·te·s les enseignant·e·s quel que soit leur domaine de formation. D’après nous, la réalisation de la métalangue est accomplie à travers les explications, l’appréciation des réponses et autres apports individuels ou collectifs des apprenant·e·s, les corrections et autres démarches de l’enseignant·e dans la poursuite de son ou de ses objectif(s) pédagogique(s).

Les circonstances de communication suggèrent que la métalangue est davantage une forme « authentique » de la LE au vu du caractère généralement non prévisible des comportements des apprenant·e·s en général et de leur feedback en particulier, ce qui génère chez l’enseignant·e responsable une attitude de « garde-à-vous » en tout temps et en tout lieu pour répondre, résoudre, discuter, conseiller, expliquer… selon la nature du besoin qui se fait sentir dans sa leçon. Ceci est en cohérence avec le principe de l’approche communicative appliquée à l’enseignement des langues selon lequel il faudrait « créer » pour les apprenant·e·s des occasions authentiques de rencontre avec la LE (Savignon, 2001, p. 13-28).

Résultats des enquêtes

Visites des écoles post-fondamentales

Lors d’une visite de terrain organisée par l’ENS dans 3 provinces du pays du 23 au 27 janvier 2019 sous les directives de la Direction de l’assurance qualité (tableau 1), nous avons recueilli des informations utiles à la compréhension de la problématique au centre de notre attention. Les facteurs suivants ont été rapportés pour leur entrave à la pratique de la communication dans les écoles : les retards récurrents dans l’approvisionnement en manuels de cours, les classes pléthoriques, une hiérarchisation subjective des compétences linguistiques, ainsi que des procédés et procédures méthodologiques qui ne favorisent pas une pratique effective de la communication. À cela s’ajoute l’inexistence, sinon la rareté, des opportunités de formation pendant l’emploi. Ces mêmes facteurs ont été épinglés dans un atelier qui s’est tenu dans les enceintes du Centre d’études des langues au Burundi de l’Université du Burundi (CELAB) du 14 au 18 décembre 2019 sur la didactique des langues au Burundi, corroborant ainsi les résultats de notre enquête.

Il faut préciser ici que la présentation des données du tableau est sélective. Elle tient compte des seuls éléments intéressant la problématique du présent article.

Manuels scolaires

Concernant les manuels de cours, il sied de souligner que l’anglais qu’ils contiennent – sans considération du modèle – s’avère une source additionnelle d’apprentissage de l’anglais dont les destinataires ont besoin. Ils permettent non seulement d’installer les savoirs, mais aussi de maintenir un contact avec les explications, les autres exemples et exercices y relatifs; bref, avec la langue enseignée tout court. Ceci est d’autant plus important qu’il y a dans le système éducatif burundais des enseignant·e·s non qualifié·e·s et d’autres moins qualifié·e·s (Ndayimirije, 2015, p. 115-120, 168).

Initiatives des enseignant·e·s

Comme ils l’ont rapporté eux-mêmes, les enseignant·e·s doivent parfois user de leur ingéniosité pour pourvoir aux besoins liés à l’expression et ainsi répondre aux attentes des apprenant·e·s. Mais sans bibliothèques dignes de ce nom dans leurs zones ou écoles, ils ou elles reconnaissent être parfois à court d’idées. À titre d’exemple, ils ou elles doivent gérer des classes pléthoriques alors que la pédagogie des grands groupes est une recommandation plutôt récente dans les programmes de formation des institutions formatrices des enseignant·e·s à tous les paliers.

Autonomisation des enseignant·e·s

Une recommandation importante issue des échanges sur la didactique des langues au Burundi est de travailler dans le sens d’une autonomisation des enseignant·e·s en matière de recherche. Celle-ci serait centrée sur les options supplémentaires de solutions et stratégies pédagogiques capables de pallier les faiblesses des programmes et les lacunes dans leurs propres compétences communicatives.

Techniques d’enseignement

Concernant les techniques d’enseignement, notre analyse documentaire des curricula (nous avons privilégié la série Domaine des langues qui est utilisée au palier fondamental et dans la section Langues du palier post fondamental) a révélé une certaine incohérence entre les procédés y énoncés et les objectifs et approches prônés par les programmes. À titre d’exemple, on ne peut pas espérer développer l’expression orale avec le jeu de rôles et le travail en groupes comme seules techniques d’apprentissage et pratiques de l’expression orale – même si leur place dans l’approche communicative est reconnue (Savignon, 2001, p. 22-23; Harmer, 2007, p. 161-163) – quand il n’y a pas de place pour la production, d’une part, et l’interaction et la négociation du sens, d’autre part (Sundari, 2017). De plus, au cours des activités pratiques, une grande responsabilité du travail à faire semble reposer sur le rapporteur ou la rapporteuse du groupe sans que des consignes soient fournies sur la manière de (se) répartir le travail et maximiser les chances de pratique linguistique.

Une telle situation montre que la pratique de la communication reste précaire et que l’acquisition des ressources nécessaires à son renforcement est limitée aux apports du manuel de cours et des apprenant·e·s eux-mêmes et elles-mêmes. Les manuels sont généralement maigres quand ils ne sont pas « artificiels » (Gowers et Walters, 1985, p. 25). Les deux techniques évoquées en amont sont toujours mises en relief dans la préface des guides du maître des nouveaux programmes.

La matière

Une autre considération concerne la matière elle-même. Il y a des volets linguistiques qui sont omis (le volet écoute), négligés (le volet expression écrite) ou développés superficiellement (le volet expression orale) au profit des contenus grammaticaux et lexicaux. Pourtant la réforme dans ce domaine proclame la promotion des quatre compétences langagières que sont l’expression écrite, l’expression orale, la compréhension des textes écrits, ainsi que la compréhension à l’audition dans le dernier cycle du fondamental (7e, 8e, 9e) et au post fondamental (1e, 2e, et 3e terminales).

La combinaison de ces facteurs entraîne chez les lauréat·e·s du post fondamental des résultats médiocres dans les compétences relatives à l’expression alors qu’ils ou elles sont presque à l’aube de leurs études universitaires. C’est une situation qui inquiète, outre les enseignant·e·s dans les universités, les autorités au haut niveau de l’Éat. La récente révision des maquettes de cours pour les niveaux de baccalauréat à l’Institut de pédagogie appliquée (Université du Burundi) et à l’ENS (Retraite de Banga du 22 au 27 septembre 2019) s’en est beaucoup inspirée.

Encadrement des stages dans les écoles (post) fondamentales

Sous cette rubrique, nous prenons en compte la métalangue telle qu’observée dans son exécution lors des stages effectués par les étudiant·e·s inscrit·e·s dans les programmes de Mastère de l’ENS. Nous avons participé à leur encadrement. Le volet enseignement desdits stages (durée de 3 semaines) s’est déroulé dans les classes du post fondamental en Mairie de Bujumbura du 28 janvier au 22 février 2020. Au total, les stagiaires pour l’anglais étaient au nombre de 38 et placé·e·s sous la responsabilité de 8 enseignants·encadreurs et enseignantes·encadreuses. Officiellement, il faut un minimum de 8 leçons pour que le stage soit effectif. Toutes les classes choisies par les stagiaires appartenaient à la section Langues et l’enveloppe horaire variait de 8h à 10h par semaine. La recommandation officielle est que chaque stagiaire reçoive un minimum de 5 visites réparties sur toute la période du stage pour une évaluation objective de sa performance. Bien que certain·e·s parmi ces étudiant·e·s avaient déjà une expérience dans l’enseignement, ou étaient déjà des enseignant·e·s, ces détails ont été omis dans notre tableau pour des raisons d’éthique.

La lecture du tableau montre qu’un nombre total de 30 leçons ont été observées, dont la plupart étaient centrées sur l’étude des textes, l’apprentissage de la grammaire et du vocabulaire. Ceci est une preuve supplémentaire que la tendance dans l’organisation des leçons est de respecter la ligne tracée par les guides du maître.

 Concernant la collecte des données, la procédure consistait en une prise de notes des formules langagières et autres aspects d’intérêt pendant la leçon. L’enquêteur ou l’enquêtrice suivait la leçon avec sa casquette d’encadreur ou d’encadreuse de stage dédoublée de celle d’observateur.trice – assis·e tranquillement dans la partie arrière de la classe. Il convient de souligner l’évitement délibéré chez les stagiaires du recours au kirundi, malgré les sollicitations des élèves à ce niveau. Loin d’être une méconnaissance du rôle positif de la langue native dans l’apprentissage des langues étrangères, il s’agissait de mettre en application une consigne couramment recommandée par les concepteurs et conceptrices des programmes et les formateurs et formatrices en didactique de l’anglais LE en la matière, eu égard au niveau d’anglais déjà atteint (ou supposé atteint) au post-fondamental.

Les résultats obtenus sont catégorisés en modèles de communication « faibles » et en modèles de communication « appréciables ». Les premiers contiennent diverses erreurs dont l’occurrence était presque systématique chez les stagiaires. Les seconds étaient plus soignés et les auteurs et autrices semblaient être conscient·e·s du rôle que leur métalangue jouait dans la qualité de leurs performances et leurs rapports avec les apprenant·e·s.

Modèles faibles (les erreurs sont en italique)

De façon générale, la métalangue illustrée dans cette catégorie manifestait l’usage des formes non structurées ou mal structurées ainsi qu’une prédominance du questionnement et des instructions dans la dispense des leçons.

Par ailleurs, concernant l’aspect comportemental, il a été noté ce qui suit chez les enseignant.e.s-stagiaires:

  • un évitement des phrases interrogatives;
  • une préférence pour la lecture et l’écriture au tableau des explications, y compris des exemples, des renvois aux notes au tableau noir ou dans les cahiers de notes pour la plupart des réponses, ou le cas échéant, des recours aux élèves;
  • une préférence pour les réponses brèves, parfois à caractère superficiel;
  • une attitude plutôt négative face aux erreurs des élèves quand elles sont repérées;
  • et enfin, une tendance à progresser rapidement d’une étape à une autre pendant la leçon.

Chez la plupart des élèves, on pouvait lire des sentiments de désarroi, de frustration à peine voilée et une certaine démotivation qui pouvait générer un certain degré d’indiscipline dans la classe en général.

Communication à modèles de métalangue appréciables

Dans le cas de deux stagiaires, l’enquêteur a noté une certaine flexibilité et une variation dans les formes utilisées, que ce soit au niveau des questions, des instructions, ou des appréciations des réponses des élèves, etc. Aussi, les stagiaires n’hésitaient pas à donner des explications, commentaires et réponses plus élaborées, ce qui semblait susciter l’intérêt des élèves. Contrairement aux autres, ces stagiaires s’assuraient d’aviser les apprenant·e·s sur la nature des interventions qu’ils ou elles allaient faire, de leur statut en termes d’importance, etc., notamment leur valeur dans le cadre des notes prises ou des savoirs transmis. Par occasion, les stagiaires attiraient l’attention des apprenant·e·s sur la terminologie utilisée, sur ce qu’il fallait dire et ce qu’il ne fallait pas dire en parlant des savoirs et notions nouvellement présentées. On a remarqué aussi une attitude généralement positive en rapport avec les erreurs de forme chez les élèves.

Ces deux modèles de métalangue (réussi et non réussi) qui viennent d’être présentés nous permettent de tirer certaines conclusions sur la façon de gérer cette situation d’enseignement-apprentissage. D’une part, l’échec dans la transmission des savoirs peut se justifier par le fait que dans le cursus de formation, l’étudiant·e n’aura pas été bien formé·e à la notion de métalangue, et de surcroît, à sa plus-value dans l’apprentissage de l’anglais LE. D’autre part (pour la réussite), le candidat ou la candidate – qui a deux statuts (enseignant·e et stagiaire) – a pu copier le vrai modèle chez ses enseignant·e·s, même si ces dernier.e.s ne développent pas cette notion en classe. Nous l’avons dit plus haut, la notion de métalangue se trouve dans les pratiques de l’enseignant·e alors qu’elle ne figure pas dans la théorie, ce qui fait que l’étudiant.e-stagiaire réussit ou échoue selon qu’il a pu imiter et intérioriser les pratiques de classe de son enseignant·e qui est en même temps son modèle.

Si nous paraphrasons et épousons l’idée de Gombert, le modèle réussi de la métalangue est lorsque la langue parvient à parler d’elle-même (Gombert, 1990, p. 11) en termes très clairs dans la transmission des connaissances linguistiques. Dans le contexte des stages, cela se manifeste dans les exemples, les illustrations et commentaires fournis par l’enseignant.e-stagiaire. Il utilise des formules et du style appropriés selon l’objectif qu’il veut atteindre.

Propositions d’intégration

Pistes pour une prise de conscience chez les enseignant·e·s

Dans un contexte comme celui du Burundi, il va sans dire que l’enseignant·e – surtout quand il ou elle est qualifié·e – constitue une source importante d’apprentissage, dans son rôle de personne-ressource, d’où la nécessité de le former à cette responsabilité à côté des autres multiples rôles qu’il ou elle est appelé·e à assumer dans l’exercice de son métier (Harmer, 2018, pp. 108-110; Prodromou,1994, p. 21). Les pistes suivantes semblent prometteuses d’une prise de conscience des contributions de la métalangue dans l’action pédagogique, en particulier dans l’apprentissage de l’anglais au Burundi:

  • identifier et aligner la métalangue comme un thème d’importance dans la formation initiale des enseignant·e·s. Un tel pas est susceptible de stimuler la curiosité, sinon un intérêt accru des formateurs et formatrices pour ce volet à la fois linguistique et pédagogique. Il serait couvert dans les cours d’expression orale, de compréhension à l’audition et de didactique spéciale. Les futur·e·s enseignant·e·s seraient amené·e·s à découvrir les relations qui existent entre enseigner une LE et communiquer dans celle-ci. Ils ou elles devraient en plus percevoir comment la métalangue intervient dans l’accomplissement des divers rôles associés à la profession;
  • inscrire la métalangue dans le volet « autonomisation de l’enseignant·e » et lui conférer cet objectif, en plus de l’objectif de médiation qu’elle doit jouer dans la transmission des savoirs et connaissances; l’inscrire au niveau des interactions avec et parmi les apprenant·e·s;
  • montrer que la métalangue est une source supplémentaire d’apprentissage et de renforcement de l’anglais dans le contexte burundais en particulier; responsabiliser l’enseignant·e sur la qualité à la fois de son modèle linguistique et celui de ses apprenant·e·s;
  • organiser des échanges informels entre collègues et des observations de classe collégiales pour une mutualisation des expériences de la métalangue;
  • équiper les bibliothèques en ouvrages de référence;
  • attirer l’attention des étudiant·e·s sur les contributions de la métalangue;
  • multiplier les occasions d’expression orale des apprenant·e·s à travers une gamme variée d’activités de pratiques interactives de la langue pour un renforcement de leurs compétences communicatives.

Stratégies pour une exploitation pendant l’apprentissage

En application du principe de l’approche communicative selon lequel l’apprenant·e doit être responsabilisé·e pour contribuer efficacement à son processus d’apprentissage, il est clair que l’enseignant·e doit trouver des mécanismes pour stimuler l’intérêt de ses apprenant·e·s sur la métalangue. En même temps, il lui faut imaginer des stratégies pour évaluer l’influence de celle-ci sur la performance de ses apprenant·e·s tant au niveau de l’accomplissement des tâches qui leur sont données qu’au niveau de leurs aptitudes linguistiques dans la langue enseignée. L’attention sur la métalangue peut naître et grandir si l’enseignant·e essaie ce qui suit :

  • attirer l’attention des apprenant·e·s sur la production du sens et l’importance relative des termes, structures, figures de style utilisés pour enseigner, parler d’un concept, d’une notion ou d’un acte de communication spécifiques inhérents aux objectifs du programme;
  • planifier, lors de la préparation des leçons, les formes de langage, les formules linguistiques et autres éléments langagiers qui sont critiques à la compréhension de messages axés sur la transmission et/ou à l’exécution des activités d’apprentissage ou autres tâches ciblées (par exemple : comment former les groupes, se répartir le travail, disposer les notes dans les cahiers). Il s’agit donc ici d’éviter l’improvisation. Celle-ci n’est pas propice à l’évaluation de leur influence sur l’apprentissage (une étape parfois omise !); par exemple, en rapport avec la vitesse avec laquelle l’apprenant·e s’exprimer, l’effort mental qu’il fournit ainsi que l’état de son moral. Cela est nécessaire pour responsabiliser les apprenant·e·s;
  • réfléchir préalablement sur le développement d’un système de feedback à l’apprentissage et à la communication;
  • encourager les apprenant·e·s – déjà informés sur les éléments indispensables à la performance des activités réceptives et productives – à coopérer avec leurs enseignant·e·s et camarades de classe.

Une mention particulière est peut-être nécessaire pour les classes de débutant·e·s où l’aspect « communication » est encore d’un niveau très élémentaire. L’enseignant·e pourrait construire un système où les apprenant·e·s reproduiraient les mots ou structures clés de la leçon ou d’un exercice d’expression vers la fin de la leçon.

Conclusion

Si l’option pour une approche communicative et un objectif de communication dans l’enseignement-apprentissage des langues étrangères au Burundi peut constituer une mesure révolutionnaire dans ce domaine, des efforts restent encore à fournir pour accompagner cette réforme. Ils seraient orientés vers une identification et une meilleure compréhension des facteurs d’influence dans le développement des compétences linguistiques et langagières. Dans le présent article, la métalangue a été ciblée et présentée comme un facteur inhérent au métier d’enseignement des langues et dont la prise en compte pourrait impacter positivement la compétence communicative des apprenant·e·s, mais aussi des enseignant·e·s. Des attitudes réflectives devraient être adoptées par les enseignant·e·s et leurs formateurs.trices dans le souci d’intégrer ce volet dans leurs préoccupations professionnelles visant à parer aux lacunes éventuelles des outils et démarches pédagogiques qui leur sont proposés. Dans cette perspective, il a été proposé de valoriser le statut de la métalangue comme ressource utile au développement de la compétence langagière sous toutes ses formes, assurant à la fois les multiples fonctions que requièrent l’enseignement, l’éducation, l’apprentissage, la formation et l’évaluation/encadrement pédagogiques. Ce serait une grande contribution à la réforme éducative de 2013.

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  1. Les niveaux fondamental et post fondamental ici correspondent respectivement aux cycles inférieur (4 ans) et supérieur (3 ans) d’avant la réforme. Suite à la réforme, le cycle inférieur (donc le cycle fondamental dans le présent article) dure désormais 3 ans.

Pour citer cet article

Ndayimirije, Marie-Immaculée et Tunguhore, Félix. 2020. Stratégies pour une intégration effective de la métalangue dans l’enseignement-apprentissage de l’anglais au Burundi. MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs, 1(1), 215-242. DOI : 10.46711/mashamba.2020.1.1.10

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Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/mashamba.2020.1.1.10

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ISSN : Version en ligne

2630-1431