Appel volume 2, numéro 1 : « Interculturalité, contemporanéité et interdisciplinarité en action : vision plurielle »
Coordination
Dossier coordonné par Fulgence MANIRAMBONA et Rémy NDIKUMAGENCE.
Présentation
L’histoire des relations interhumaines révèle que des superpuissances politico-économiques et religieuses notamment imposaient leurs civilisations aux autres sociétés dites « inférieures », « primitives », « barbares », etc. En corollaire, il se développait des concepts d’universalité et de globalisation réducteurs qui convergent à refuser explicitement ou implicitement d’inclure dans l’humanité d’autres singularités. Si derrière le concept de l’universalité se profile la condamnation des autres expressions de l’humanité au silence ou à leur anéantissement. La globalisation, quant à elle, sous-entend l’homogénéisation des cultures de l’humanité pour dire que des cultures des minorités n’avaient pas droit de cité. Ainsi se distinguaient des communautés aux civilisations/cultures dominantes et d’autres aux civilisations/cultures dominées. Selon les premières, seules leurs visions du monde, leurs propres valeurs et traditions sont valables et applicables à l’échelle universelle alors que les secondes sont sommées de se taire ou d’être inféodées aux premières. Mais cette conception a été battue en brèche par des chercheuses et chercheurs convaincu·e·s de l’indispensable complémentarité des cultures, qu’elles soient « dominantes » ou « dominées ».
Grâce à cette évolution des mentalités, il s’est développé des valeurs nouvelles associées à l’interculturel. Parmi celles-ci figurent la reconsidération de l’autre, la valorisation de la culture d’autrui, le respect des pensées de l’autre. Ces valeurs fondées sur la nécessaire symbiose des cultures et sur l’intemporalité de l’interculturel ont intéressé et intéressent encore des chercheurs et chercheuses sur divers plans.
Sur le plan social, l’interculturel trouve son fondement dans la nécessaire interaction entre l’humain et ses semblables, dans des échanges indispensables entre des communautés humaines proches ou éloignées. En effet, compte tenu de la position de l’humain dans sa société, il est perçu comme un être inachevé, toujours en train d’arriver ou de venir. Il ne peut ni faire le tour de la connaissance de lui-même ni le tour de la connaissance de l’autre. Il a sans cesse besoin de l’autre, parce que c’est ce dernier ou cette dernière qui peut réellement voir son visage et sa nuque, son thorax et son dos. Cette prise de conscience de l’incomplétude déductible du fondement de l’interculturel permet d’affirmer que le paradigme « interculturel » est bénéfique à tout être humain et même à l’humanité tout entière. Oscar Bimwenyi Kweshi abonde dans le même sens : « Les hommes, en acceptant leurs propres limites, et en acceptant qu’ils peuvent être complétés par d’autres, en allant vers les autres pour apprendre, pour en savoir davantage sur eux-mêmes, et en laissant venir vers eux les autres pour apprendre eux aussi ce qui les intéresse, les hommes participent à ce que d’aucuns appellent “le rendez-vous du donner et du recevoir” » (2013, p. 68).
D’après le même auteur, l’interculturel se résume en une reconnaissance mutuelle, en une réhabilitation de la dignité de l’autre en ce qu’il ou elle a et ce qu’il ou elle est fondamentalement. Brièvement, « toute ‘‘image de soi’’ que propose le sujet est soumise à la reconnaissance d’autrui. Reconnaissance inscrite elle aussi dans la dialectique du même et de l’autre » (Blanchet, 2005, p. 10). Cette inter-relation sociétale indispensable et continuelle est confirmée par l’observation que l’interculturel « circule dans toutes les sociétés, les irrigue, mélangeant les discontinuités et les appropriations, avançant comme une eau qui coule en s’étalant, imposant son omniprésence, et, aujourd’hui sa visibilité » (Rafoni, 2003, p. 21).
Sur le plan épistémologique, le concept « interculturel » a émergé dans les années 1970 et n’a pas tardé à être reconnu comme un autre domaine de recherche. Il est un concept insinuant une co-construction mobilisant des ressources propres à des cultures différentes ou, une reconnaissance des phénomènes de contact entre les cultures différentes, débouchant sur un dépassement de la simple addition des traits culturels impliqués. C’est dire que l’interculturel se distingue du pluriculturel, du transculturel et du multiculturel, car il permet une ouverture de chaque culture à toutes les autres dans une logique de complémentarité. Ladmiral et Lipianski partagent l’avis selon lequel « Le terme implique l’idée d’inter-relations, de rapports et d’échanges entre cultures différentes. Il faut moins le comprendre comme le contact entre deux objets indépendants (deux cultures en contact) qu’en tant qu’interaction où ces objets se constituent autant qu’ils communiquent » (1989, p. 10). Ainsi, la recherche interculturelle s’est-elle érigée en un champ pluridisciplinaire au milieu des années 1980. Pensons à la création de centres consacrés aux études interculturelles tels que le Centre pour les équipes de recherche et d’études des situation interculturelles (CERESI) de l’Université de Toulouse Le Mirail, l’Association internationale pour la recherche inter-culturelle (ARIC) et les publications qui sont consacrées à cette notion (Rafoni, 2003, p. 15). Ce caractère pluridisciplinaire sur fond de l’inter-relation est ressentie dans la conception étendue de l’interculturel. Il est l’« ensemble des processus – psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels, etc. – générés par les interactions de cultures, dans un rapport d’échanges réciproques et dans une perspective de sauvegarde d’une relative identité culturelle entre des partenaires en relation » (Clanet, 1989, p. 21).
En éducation formelle, en didactique des langues et des littératures, l’intégration de l’interculturel date du « début des années 1970, suite à la massification scolaire qui rendait l’école plus sensible aux problèmes éducatifs propres aux enfants d’origine étrangère » (Ndikumagenge, 2015, p. 11). La part de cette ouverture à la culture de l’autre sans pour autant s’aliéner est mise en exergue en didactique des langues par Abdallah-Prétceille (2004, p. 61) qui, dans Éducation interculturelle, oppose la perspective culturaliste et la démarche interculturelle. La perspective culturaliste met l’accent sur les connaissances culturelles et linguistiques en s’appuyant sur l’ethnographie tandis que la démarche interculturelle repose sur la capacité à repérer le culturel dans le discours d’autrui. En d’autres termes, comprendre les cultures consiste à apprendre à penser à l’Autre sans l’anéantir, sans entrer dans un discours de maître afin de sortir du primat d’identification et du marquage.
En littérature, le paradigme « interculturel » retient une attention particulière des chercheurs et chercheuses, des écrivains et écrivaines. Dans Éducation et communication interculturelle, M. Abdallah-Pretceille et L. Porcher qualifient la littérature de « lieu emblématique de l’interculturel » (1996, p. 162). Le texte littéraire peut constituer un moyen d’accès à des codes sociaux et génériques d’autrui, à des modèles culturels venus d’ailleurs, car, quelle que soit sa langue d’expression, il renferme souvent une représentation du monde et des valeurs partagées entre cultures. La mise en évidence de cette interculturalité dans certains écrits passe par l’altérité qui est au centre des œuvres littéraires. C’est ainsi que certain·e·s écrivain·e·s recourent à l’intertextualité et à la transgénéricité, perçues comme stratégie syncrétiste qui font fi des frontières et reconstruit l’identité interculturelle.
Visiblement, l’interculturel est un domaine de recherche qui intéresse des chercheurs et chercheuses d’horizons différents. Patrick Denoux, cité par Rafoni (2003, p. 20-21), exprime un avis similaire lorsqu’il répertorie les champs d’application des études interculturelles tels que l’éducation interculturelle et la pédagogie, la psychologie interculturelle, la personnalité interculturelle, l’imaginaire interculturel, les relations interculturelles (intra-nationales et internationales). Les études interculturelles explorent des disciplines étendues qui nécessitent la création des sous-disciplines comme la sociologie interculturelle, la linguistique interculturelle dont chacune est marquée par la spécificité de son approche.
Le présent appel à contribution espère ainsi créer une synergie interdisciplinaire au sein de laquelle littéraires, linguistes, didacticien·ne·s, sociologues, anthropologues, traductologues, etc. pourront échanger, discuter et se contredire parfois sur la base des réflexions pertinentes et des méthodologies originales dans l’optique de faire émerger le ou les sens de l’interculturel.
Axes de réflexion
Le Centre de Recherche et d’Études en Lettres et Sciences sociales (CRELS) – rattachée au Département de Langues et Sciences Humaines de l’École Normale Supérieure du Burundi –, qui porte le projet, propose les axes non exhaustifs ci-après :
- manifestation de l’interculturel à travers les productions littéraires des auteurs et autrices contemporain·e·s ;
- mondialisation culturelle/littéraire à l’époque contemporaine ;
- échange indispensable des cultures en didactique des langues et cultures étrangères ;
- approches méthodologiques en vogue sur l’interculturel depuis le dernier quart du 20ème siècle à nos jours ;
- sources orales et imbrications des genres ;
- traduction d’une langue vers d’autres langues et mise en relation des cultures dans une perspective interculturelle ;
- contribution de l’interculturel dans l’anéantissement des stéréotypes, des clichés et autres représentations (mentales ou sociales) à l’origine de la discrimination ou de l’exclusion de l’autre ;
- etc.
Conditions de soumission
La revue Mashamba publie en langue française, mais accepte également des textes rédigés en swahili. Elle pratique l’évaluation par les pair-e-s (peer-review) et dispose d’une politique anti-plagiat arrimée à celle du Grenier des savoirs. Nous invitons les auteurs et autrices à lire les instructions et à déposer leur proposition dans le formulaire en ligne : https://www.revues.scienceafrique.org/formulaire/.
Chronogramme
Date de lancement de l’appel : 18 avril 2021
Date limite de réception des résumés (en ligne uniquement) : 20 juin 2021
Réponses aux auteurs et autrices après évaluation de la proposition : 15 juillet 2021
Réception des textes complets : 15 octobre 2021
Date de publication du volume : 01 mars 2022
Comité de rédaction
Comité scientifique
Références
Ajili, Hammadi. 1988. « Attraits, limites de l’interculturel. Réflexion sur une notion mal définie ». Dans Hommes et migrations n°113, juin 1988, p.14-23.
Blanchet, Philippe. 2004. L’approche interculturelle en didactique du FLE : cours d’ued de didactique du français langue étrangère de 3e année de Licences. Haute Bretagne, Université Rennes 2, 2004-2005.
Carreira, M-H A et Cristóvão, A (dir.). 2009. L’enseignement du portugais et des cultures d’expression portugaise : contributions à un dialogue interculturel. Paris : Presses universitaires de Vincennes.
Clanet, C. 1990. L’interculturel en éducation et en sciences humaines, 1e édition, Toulouse : Presses universitaires du Mirail.
Clanet, C. 1993. L’interculturel. Introduction aux approches interculturelles en Éducation et en Sciences Humaines, 2e édition. Toulouse : Presses universitaires du Mirail.
Collès Luc. 2013. Passage des frontières : études de didactique du français et de l’interculturel, Louvain-la-Neuve (Belgique) : Presses Universitaires de Louvain.
Da silva, Lúcia. 2009. « La traduction littéraire de l’enseignement supérieur : un apprentissage de l’interculturalité. Le cas des références culturelles dans Mémoire de Antonio Laobo Antunes ». Dans M-H. A. Carreira et A. Cristóvão. L’enseignement du portugais et des cultures d’expression portugaise : contributions à un dialogue interculturel. Paris : Presses universitaires de Vincennes, p.17-26.
Frame, Alexander. 2008. Repenser l’interculturel en communication. Performance culturelle et construction des identités au sein d’une association européenne. Thèse de doctorat, Université de Bologne.
Kasanda, Albert (dir.) 2013. Dialogue interculturel. Cheminer ensemble vers un autre monde possible. Paris : L’Harmattan.
Keast, J. (dir.). 2007. Diversité religieuse et éducation interculturelle : manuel à l’usage des écoles. Strasbourg : Edition du Conseil de l’Europe.
Kerzi, J. et Vinsonneau G. 2004. L’interculturel : principes et réalités à l’école, Bayeux : Sides.
Ladmiral, J. R., Lipiansky, E. M. (dirs.). 1989. La communication interculturelle. Paris : Amand Colin.
Mariet, F. 1999. « Le difficile interculturalisme des médias ». Dans Abdallah-Pretceille M., Porcher L. (dirs). 1999. Diagonales de la communication interculturelle. Paris : Éd. Anthropos, p. 193-207.
Rafoni, Béatrice. 2003. « La recherche interculturelle : état des lieux en France ». Dans Questions de communication. Interculturalité, en ligne depuis 2015, p. 13-26.
Tarin, René. 2006. Apprentissage, diversité culturelle et didactique : FLM, LS ou LE. Tournai(Belgique) : Editions Labor.