Paramètres psychopédagogiques à l’épreuve de l’enseignement des langues maternelles au Cameroun. Quels impacts et quels rendements?

Gabriel MBA et Céphanie Mirabelle Gisèle PIEBOP

 

Introduction

Avec sa presque triple centaine d’unités ethnico-linguistiques, le Babel linguistique camerounais (Tadadjeu, 1990) présente un panorama complexe, qui ne rend pas toujours aisée l’application des modèles didactiques liés au bi-plurilinguisme. À cause des résultats peu reluisants et sans cesse dégringolant de la scolarisation dans les langues officielles que sont le français et l’anglais (Pasec, 2016, p. 29), tout comme avec l’expansion de plus en plus menacée de ces dernières (Nzessé, 2005, p. 174-175, Piebop, 2019), la France a, en ce qui la concerne, consenti à adhérer à l’idéologie du partenariat linguistique gagnant-gagnant avec les langues africaines (Mbondji-Mouelle, 2012), afin de fixer de nouvelles bases qui pourront favoriser l’apprentissage du français et rebooster de la sorte les succès scolaires.

C’est dans cette optique que l’AUF et ses organismes partenaires accompagnent des projets comme ELAN ou APPRENDRE dans les pays africains et au Cameroun précisément. Ces projets se préoccupent de l’implantation et du développement du bi-plurilinguisme dans les écoles. Or, il s’avère que cette entreprise demeure loin d’être une sinécure au Cameroun; ceci dans la mesure où elle s’implante dans un contexte sociolinguistique extrêmement complexe, où les langues introduites dans les écoles ne sont pas toujours les langues maternelles des apprenant-e-s. Ce qui crée automatiquement de nombreuses frustrations, oppositions et préjugés qui, au final, plombent et diluent l’impact des enseignements. Les représentations négatives des non-natifs contrastent avec celles des natifs qui accueillent très favorablement l’enseignement des langues nationales. À cela, s’ajoute le contexte récent de l’entreprise qui, de ce fait, entraîne de nombreux ânonnements et des pratiques pédagogiques qu’il ne serait pas inutile de mettre en exergue.

Ainsi, la tâche qui incombe à la présente étude consiste à examiner les facteurs et surtout les démarches méthodologiques concrètement mises à contribution dans le processus de transmission des langues maternelles camerounaises aux apprenant-e-s. Ainsi, pour le compte du bi-plurilinguisme, quels sont les éléments qui bénéficient aux apprenant-e-s au cours de ce procédé d’acquisition des langues maternelles, les préparant à une meilleure compréhension des langues officielles? Étant donné les spécificités sociolinguistiques qui caractérisent les acteurs et actrices de l’enseignement-apprentissage au Cameroun, n’est-il pas nécessaire pour les guides-enseignant-e-s de langues maternelles d’allier à leurs activités linguistiques, pédagogiques et didactiques, de solides bases neuroscientifiques? Sinon, comment construire ou appliquer une pédagogie effective sans cerner au préalable les types d’individus à former, leurs environnements d’intervention et leurs besoins? Sans cette identification et compréhension des éléments qui gênent ou favorisent l’apprentissage, serait-il possible d’expérimenter une pédagogie et une didactique des langues maternelles camerounaises efficientes et efficaces? La réponse, anticipée et provisoire guidant les investigations, entrevoit une issue négative à cette dernière préoccupation. Mais, avant de passer à l’épreuve de l’expérimentation ou de la vérification, il serait judicieux de planter le décor dans lequel se déroulera la suite des analyses?

Contextualisation de l’étude

La présente étude est une réponse aux préoccupations sous-tendant le troisième appel à projets de recherche APPRENDRE (Appui à la Professionnalisation des Pratiques ENseignantes et au Développement de REssources) initié par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et ses organisations alliées : l’Agence française de Développement (AFD), l’IFEF (Institut de la Francophonie pour l’Éducation et la Formation), ELAN (École et LAngues Nationales)- Afrique. Elle a pour objectif de développer et de rendre plus performantes les pratiques professionnelles éducatives et surtout le bi-plurilinguisme dans huit pays de l’Afrique subsaharienne, à savoir : le Bénin, le Burundi, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la République Démocratique du Congo, le Sénégal, et le Cameroun qui justifie la raison d’être de cette étude. Celle-ci découle de la thématique du projet intitulé : Représentations sociales des langues enseignées (nationales et officielles) et incidences sur l’acquisition et le transfert de compétences interlangues.

Le projet est une suite conséquente à la théorie selon laquelle la maîtrise d’une langue maternelle facilite l’apprentissage de plusieurs autres, car elle fournit aux apprenant-e-s les distances nécessaires pour mieux appréhender les mécanismes de fonctionnement d’autres langues. Cette position paraît d’autant plus pertinente que Makouta Mboukou insiste, tout au long de ses recherches, sur le fait que « celui qui n’a pas appris à raisonner sur la parfaite ordonnance des schèmes structuraux de la langue maternelle ne saura jamais analyser l’organisation syntaxique de la langue étrangère » (1973, P. 93). Qui plus est, le projet d’insertion des langues nationales dans le système scolaire vient de la traduction en actes des dispositions des instructions officielles qui voudraient former un type de Camerounais-e solidement enraciné-e dans sa culture et prompt-e à s’ouvrir vers l’extérieur. Ce désir est matérialisé par de nombreux textes, à l’instar de la décision n° 004/2004 du MINEDUC intégrant les langues nationales dans le système éducatif camerounais. Voilà pourquoi le gouvernement camerounais a opté, depuis plus d’une décennie, pour l’expérimentation et l’insertion de ces langues dans les premières années du cycle primaire pour l’apprentissage des notions clés telles que le calcul, la lecture-écriture, l’éveil, avant de faire suivre graduellement par l’utilisation des langues officielles comme véhicule d’enseignement. Dans la même lancée, les langues nationales ont été insérées dans les classes du secondaire, afin d’enraciner davantage les élèves dans leurs cultures. Pour le Cameroun, il est surtout question d’améliorer les rendements scolaires et de renforcer les pratiques bi-plurilingues qui, jusque-là, font du français et de l’anglais, les deux langues officielles d’enseignement.

Cette réorientation est en grande partie inspirée des échecs persistants des élèves, car les résultats rapportent pour un échantillon de 2 880 élèves de 270 écoles primaires du Cameroun, des performances en langue française de 51,2 % en dessous du même seuil en lecture et compréhension à la fin du cycle et de 70,3 % en dessous du seuil en langue française en début du cycle. Une situation qui inquiète considérablement Pasec, étant donné que c’est au-delà du seuil « suffisant » qu’il

considère que les élèves disposent en principe des connaissances et compétences indispensables pour poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions. En deçà, les élèves risquent de multiplier les difficultés lors de la poursuite de leur scolarité : ils sont plus susceptibles de découragement et d’abandon scolaire ou de connaître des difficultés encore plus importantes dans la suite de leur scolarité, s’ils la poursuivent (Pasec, 2016, p. 29).

Ce revirement découle également des études sur les langues de scolarisation en Afrique subsaharienne francophone (Lascolarf) dont les conclusions des travaux menés en 2010 confortent la position selon laquelle l’usage du bilinguisme scolaire réduit l’échec scolaire tout en favorisant un meilleur développement cognitif et affectif de l’apprenant-e, parce qu’il/elle recourt à une langue qu’il/elle connaît et qu’il/elle maîtrise pour améliorer l’acquisition des langues secondes (Mbala Ze et Wamba, 2010).

Ainsi, dans un contexte camerounais caractérisé par une pluralité de langues en contact, il s’agit pour l’étude de maximiser les ciblages les plus adéquats de formation, de qualité et adaptés à l’éducation bi-plurilingue. Autrement dit, il est question d’identifier et de résorber les insuffisances actuellement observées sur le terrain et d’y proposer des orientations méthodologiques novatrices, contextualisées et plus efficaces comme fondements des outils didactiques à transposer dans les salles de classe de langues maternelles au Cameroun. Et justement, l’une de ces approches tire son essence des neurosciences cognitives.

Cette approche apparaît comme un facteur essentiellement innovant dans l’enseignement-apprentissage en général et des langues en particulier. Cela paraît d’autant plus justifiable que la pluralité de langues du Cameroun, pays aux 239 langues (Bikoi, 2012), constitue l’un des facteurs qui contraignent le gouvernement, au lendemain des indépendances, à choisir des langues étrangères (français et anglais) plutôt que des langues endogènes. D’ailleurs, l’érection de ces langues étrangères en langues officielles constitue à elle seule une situation suffisamment complexe. Cette situation fait germer de nombreux stéréotypes et surtout des préjugés chez l’extrême majorité des non-natifs des langues enseignées, qui développent de ce fait de nombreuses représentations et attitudes haineuses quant à l’apprentissage des langues maternelles. Ce qui entrave grandement les activités d’enseignement-apprentissage. À ce titre, les neurosciences pourraient compléter les approches actionnelles et communicatives en cours, ainsi que les efforts déjà fournis par les acteurs impliqués dans l’enseignement et la formation. Les formateurs seraient mieux outillés pour connaître le circuit cognitif des différent-e-s apprenant-e-s afin de les motiver davantage, ou alors de détecter les éventuels troubles dont ils pourraient faire l’objet, afin de les réorienter à bon escient. Ce qui permettra d’obtenir de meilleurs résultats. Pour ce faire, il faudrait en connaître les fondements et les contours.

Quelques repères théoriques et historiques

Si le projet d’enseignement des langues nationales dans les écoles a fini par prendre corps au Cameroun, c’est grâce à la conjugaison d’une multitude de contributions venant des projets, d’organismes chevronnés, d’ONGs, des linguistes et autres aménageurs linguistiques. L’on peut citer entre autres le PROPELCA (Programme Opérationnel pour l’Enseignement des Langues au Cameroun), ELAN-Afrique, ANACLAC (Association Nationale des Comités de Langues Camerounaises), BASAL (Basic Standardisation of All unwritten Languages), SIL (Société Internationale de Linguistique), CERDOTOLA (Centre international de Recherche et de Documentation sur les Traditions Orales et le Développement des Langues Africaines), etc.

Néanmoins, il est à reconnaître que cette entreprise doit sa concrétisation en grande partie aux résultats positifs du projet PROPELCA piloté par Maurice Tadadjeu qui, depuis 1978, n’a cessé de travailler d’arrache-pied pour promouvoir l’enseignement des langues camerounaises et de militer pour la mise en valeur de l’héritage culturel camerounais.

À cet effet, quatre modèles d’enseignement ont été établis sur le socle théorique du trilinguisme extensif. À ses côtés, les divers apports de Sadembouo et Mba ont consisté entre autres, à développer les types de pédagogies préconisés pour l’enseignement des langues maternelles comme langue première ou seconde en contexte multilingue camerounais (Tadadjeu, Sadembouo, Mba, 2004). Tous ces efforts et ceux de bien d’autres chercheurs et chercheuses, ont fini par convaincre l’État, tel que le témoigne la décision n° 004/2004 du MINEDUC portant intégration des langues maternelles dans le système éducatif. Cette décision a favorisé et déterminé l’ouverture de la filière langues et cultures camerounaises à l’École normale supérieure de Yaoundé en 2008 par arrêté n° 08/223/MINSUP/DDS du 03 novembre 2008 et l’introduction de la matière langues et cultures nationales dans les curricula du cycle secondaire de l’enseignement en 2009.

Pour assurer la réussite de la mise en œuvre de cette entreprise d’enseignement des langues maternelles au Cameroun, Mba (2006) met un point d’honneur à informer et à sensibiliser sur la nécessité de se mettre résolument à l’apprentissage des langues maternelles. Il s’agit de corriger au plus vite les imperfections qui accompagnent encore la mise en œuvre de l’entreprise proprement dite (Tamanji, 2008, p. 170), ceci d’autant plus que « seule une généralisation de la pratique de l’usage, à l’oral et à l’écrit des langues maternelles dans les systèmes éducatifs peut véritablement être le moteur du développement attendu de chaque communauté, de tout État et de toute nation ».

Pour encourager cette initiative salutaire, le programme ELAN-Afrique, coordonné par l’AUF, se dédie depuis quelques années à l’encadrement de l’enseignement des langues nationales dans une cinquantaine d’écoles dans le cycle primaire en Afrique.

Fil conducteur de cette étude, au même titre que l’enseignement des langues maternelles, la neuroscience cognitive peut être identifiée comme « une discipline scientifique et domaine de recherche qui a pour objectif d’identifier et de comprendre le rôle des mécanismes cérébraux impliqués dans les différents domaines de la cognition (perception, langage, mémoire, raisonnement, apprentissages, émotions, fonctions exécutives, motricité… » (Berthier et al., 2018, p. 18). Les notions des neurosciences se situent au carrefour des disciplines, ainsi que le démontrent les prestations du laboratoire Langaj. Pour apporter son aide aux personnes nécessiteuses, ce laboratoire s’implique dans des programmes de recherche, mettant à la fois en exergue la psychologie cognitive (qui s’occupe de la gestion de la mémoire, de l’attention, des rythmes…), la boucle audiovocale (qui étudie la relation écoute-voix et les nombreux mécanismes inhérents à l’expression orale), la neurostimulation (qui prend en compte les émotions, les sens, les sons impliqués dans le processus d’encodage linguistique) et la psycholinguistique (qui développe les méthodes adaptées aux contextes des langues enseignées)…

On décèle ainsi en les neurosciences, une pluri et une interdisciplinarité qui, mises à profit, ne pourraient qu’améliorer l’enseignement du bi-plurilinguisme en contexte spécifique camerounais. Ceci dans la mesure où elles affinent non seulement la compréhension d’un processus d’apprentissage dans la construction des savoirs, mais également les actes pédagogiques. Ce qui a pour atout de développer en fin de compte, des pratiques plus efficientes à adapter pendant la formation des formateurs et formatrices. On comprend donc qu’en s’appuyant sur les progrès considérables réalisés dans le domaine de l’imagerie cérébrale, les neurosciences peuvent désormais contribuer à expliquer les stratégies favorisant la construction efficace des savoirs chez les apprenant-e-s, de même que la compréhension et l’explication des origines de certains troubles qui retardent ou entravent les apprentissages. Étant donné les effectifs déjà très hétérogènes des classes du fait du plurilinguisme et du multiculturalisme du contexte sociolinguistique qui caractérise le Cameroun, cette approche semble d’une importance non négligeable.

Un autre point d’entente qu’il convient d’établir est celui du concept de neuroscience qui ne devrait pas se confondre à celui de neuroscience cognitive. En effet, à la différence des neurosciences qui consacrent leur carrière à l’étude des mécanismes biologiques gouvernant la vie des neurones, sans jamais se préoccuper de leur importance éventuelle pour les facultés cognitives (Bénédicte Dubois, 2017, p. 1), les neurosciences cognitives doivent leur nom à cette particularité de relier le niveau comportemental et le niveau neuronal, en passant par le niveau cognitif. Voilà pourquoi le dessein de comprendre les fonctions cognitives qui incombent aux recherches en neurosciences cognitives est réparti en deux tâches, à savoir : observer le comportement en termes cognitifs (mémorisation, déplacement de l’attention, imagerie mentale, programmation motrice…), d’une part et associer chacun des processus aux variations de l’activité neuronale mesurée, d’autre part.

Les neurosciences entrevoient l’apprentissage à la fois sous une forme biologique et sous une forme cérébrale. Pour illustrer la première, le neuroscientifique canadien Steve Masson recourt à l’imagerie selon laquelle

pour se déplacer, l’apprenant doit pousser les branches de ses bras en plus d’écraser l’herbe et les petits arbustes avec ses pieds. Le passage répété du marcheur crée progressivement un sentier qui est de plus en plus facile à emprunter. Bien vite, ce sentier devient une voie privilégiée pour passer rapidement du point A au point B. En contrepartie, si l’apprenant n’emprunte plus ce sentier pendant un certain temps, les herbes, les arbustes et les arbres y reprennent lentement leur place et le sentier disparaît progressivement (Massson, 2016, p. 18-19).

Il fait là référence aux mouvements similaires qui s’effectuent dans le cerveau lorsqu’on apprend. En fait, l’activation régulière du cerveau lors de l’exercice de la tâche amène l’apprenant-e à développer des chemins ou sentiers neuronaux qui faciliteront et accéléreront la vitesse d’accomplissement de la tâche demandée. Par contre, le manque d’entraînement affaiblira graduellement, jusqu’à extinction, les connexions neuronales liées à cet apprentissage.

Par ailleurs,

Au niveau cérébral, apprendre, c’est modifier ses connexions neuronales. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un élève est incapable de répondre à une question ou de résoudre un problème qu’il n’a rien appris […] c’est peut-être que les réseaux de neurones qui ont commencé à s’établir dans son cerveau ne sont pas assez consolidés pour que l’on puisse observer des changements dans sa façon de répondre ou d’accomplir une tâche (Masson, cité par Dubois, 2017, p. 3).

Les neurosciences fondent leurs perceptions sur 04 facteurs nécessaires et incontournables dans le processus d’enseignement-apprentissage. Ce sont l’attention, l’engagement actif, le retour d’information et la consolidation. Ces facteurs seront évidemment utiles pour les investigations, car l’attention est un dispositif qui permet de sélectionner des informations afin de faciliter l’apprentissage. À ce titre, elle module massivement l’activité cérébrale des apprenant-e-s à travers ses trois variantes que sont l’alerte, l’orientation et le contrôle exécutif. Pour ce qui est de l’engagement actif, il aide à se mobiliser par exemple, au moyen de l’alternance, des apprentissages et de tests qui évaluent le niveau d’acquisition de la langue par les apprenant-e-s et les poussent à apprendre leurs leçons (Stanislas Dehaene, 2007). Le retour d’information, feed-back ou encore les signaux d’erreur et de surprise, fonctionne grâce à un organe appelé cortex dont le rôle consiste à générer mentalement des prédications et de les intégrer. Il reçoit en contrepartie des informations sensorielles qui permettent de mettre en évidence la prédiction générée. Il en découle alors un signal d’erreur qui va se disséminer dans tout le cerveau et tâcher de corriger ou améliorer la prédiction suivante. Ainsi, l’apprentissage se déclenche lorsqu’un signal d’erreur révèle le caractère erroné d’une prédiction. Pour rendre un apprentissage viable et permanent, il demeure impératif de le consolider. On peut réactiver une nouvelle information à travers la répétition ou le réinvestissement. Au cas contraire, elle tombe dans l’oubli, comme l’a représentée plus haut la métaphore de la forêt de Masson (2016) avec la repoussée d’arbres et d’herbes sur le sentier précédemment tracé par le passage régulier de l’apprenant-e. La maîtrise du fonctionnement de ces 4 piliers de l’enseignement, notamment par les formateurs et les formatrices, permet de les exploiter à fond et de façon appropriée.

La mémoire fait également partie des centres d’intérêt des neurosciences. Elle a pour rôle de faire usage des 05 sens humains pour encoder des messages, de les emmagasiner, pour ensuite développer des moyens de les restituer ou les récupérer. Si l’on se fie au modèle MNESIS (modèle néostructural intersystémique de la mémoire) de Francis Eustache (2016), le cerveau est composé de plusieurs déclinaisons de mémoire que sont : la mémoire de représentation à long terme, la mémoire de représentation à court terme et la mémoire procédurale.

La mémoire de représentation à long terme est composée de la mémoire perceptive (souvenirs, odeurs, goûts, images…), de la mémoire sémantique qui constitue la culture générale, les connaissances accumulées au cours de la vie (mots, concepts, dates, règles, sens, etc.), de la mémoire épisodique (celle des souvenirs des événements et du temps vécus : fêtes, scènes, saisons sèches, etc.).

La mémoire de représentation à court terme ou mémoire de travail est plus limitée, car elle mobilise et retient les informations utiles à toutes les activités cognitives (chercher un mot dans un dictionnaire, se repérer, effectuer un calcul mental, discuter…). Elle possède 03 facultés : la boucle phonologique (qui retient les mots, les numéros de téléphone pour les composer par exemple), le calepin visio-spatial (qui amène à se représenter des scènes visuelles et à garder un lieu à l’esprit), l’administrateur central (qui coordonne le fonctionnement de la boucle phonologique et du calepin visio-spatial).

La mémoire procédurale, quant à elle, est une mémoire d’action qui permet d’acquérir des habiletés : conduire une bicyclette, jouer au football, balayer la salle de classe, tricoter, travailler dans les champs, etc.

Tel qu’on peut le constater, sans prétendre à l’exhaustivité sur la question, encore moins renier les apports des notions actuellement mises à contribution dans l’enseignement des langues nationales au Cameroun ou même d’autres concepts, ce travail participe d’une volonté de mise à jour des recherches sur le cerveau, dans le but d’inspirer les formateurs et formatrices des formateurs et formatrices – mais aussi les formateurs et formatrices eux-mêmes et elles-mêmes –, à s’appuyer sur la plasticité cérébrale pour élaborer des outils didactiques et pédagogiques plus opérants dans leurs pratiques de classes des langues maternelles au Cameroun.

Méthodologie et collecte des données

L’étude met en lumière la faisabilité de la prise en compte et de l’intégration des données neuroscientifiques cognitives dans les processus d’enseignement-apprentissage des langues maternelles au Cameroun. À cet effet, une recherche de type empirico-déductif, précisément qualitative et quantitative, s’est avérée la plus idoine. De plus, l’approche neuroscientifique cognitive de l’enseignement des langues se démarque de par son caractère innovateur, une raison supplémentaire pour laquelle sa mise en évidence sollicite les apports concomitants des approches chiffrées (quantitatives) et descriptives (qualitatives).

Pour aboutir à des données fiables, il a été question dans un premier temps de se fier, tel que le recommande Martinet (1969, cité par Blanchet, 2000, p. 34), « non pas à l’intuition du linguiste, mais à l’observation du comportement des locuteurs ». C’est ainsi qu’en supplément d’une étude documentaire, une pré-enquête est parue nécessaire, afin de renforcer et de reformuler, mieux ajuster les hypothèses de travail. D’ailleurs, Couvreur et Lehuede reconnaissent l’efficacité de cette méthode de travail, lorsqu’ils stipulent que « les méthodes qualitatives sont riches d’enseignement dans la phase exploratoire d’une enquête quantitative… en préalable à une enquête quantitative, les entretiens individuels non directifs peuvent permettre de dégager des pistes nouvelles et de compléter les hypothèses de travail initiales » (2002, p. 17). Allant dans cette lancée, des questionnaires ont été adressés aux échantillons d’élèves choisis, ainsi qu’à d’autres acteurs de l’éducation, précisément les inspecteurs et inspectrices en charge du suivi de l’enseignement des langues maternelles et des enseignant-e-s. Ces questionnaires ont été suivis d’entretiens en présentiel et en distantiel notamment, eu égard au contexte sanitaire de Coronavirus qui prévaut. Ce qui a permis de perfectionner les attentes de départ, ainsi que certaines formulations contenues dans les questionnaires.

Ces réglages effectués venait l’étape de soumission des questionnaires épurés exclusivement aux enseignant-e-s et apprenant-e-s des écoles pilotes expérimentant l’enseignement des langues maternelles dans les régions du Littoral (avec le douala et le bassa dans les villes de Douala et Edéa), de l’Ouest (avec l’enseignement du ghomala’ à Bandjoun, Bafoussam et Baham), du Centre (avec l’enseignement de l’éwondo à Yaoundé et à Obala) et de l’Extrême-Nord (avec l’enseignement du fulfulde à Maroua et à Guidiguis). Le délai de couverture de tous les établissements primaires concernés s’est étendu du mois de janvier à février 2021.

Au milieu du mois d’avril et à des proportions quasi identiques aux précédentes, une seconde vague de questionnaires destinée cette fois aux apprenant-e-s et enseignant-e-s du secondaire a été disséminée dans les lycées et collèges des zones cibles du Centre, de l’Ouest, du Littoral et de l’Extrême-Nord couvertes par les sondages. L’activité s’est poursuivie jusqu’au milieu du mois de mai 2021. Après ont suivi le dépouillement et les analyses.

Dépouillement et analyse des données

En rapport avec les apprenant-e-s, 300 questionnaires par langue enquêtée ont été soumis pour remplissage, à raison de 150 pour le primaire et 150 pour le secondaire, soit un total de 1500 questionnaires dispatchés dans les écoles primaires, les lycées et collèges privés et publics.

En ce qui concerne le bassa, pour l’enseignement primaire, voici les écoles publiques de la ville d’Édéa : École Publique d’Ekite (30 apprenant-e-s), École publique d’Ekite village pilote (28 apprenant-e-s), École publique de la gare groupe II (30 apprenant-e-s), école publique annexe groupe 1-B (30 apprenant-e-s), école publique annexe Groupe 3 (31 apprenant-e-s). Le secondaire a impliqué le lycée d’Akwa (28 répondant-e-s), le lycée de New-Bell (31 répondant-e-s), le lycée de la Cité des palmiers (28 répondant-e-s), le collège Chevreuil (30 répondant-e-s), le collège Libermann (13 répondant-e-s) et le lycée bilingue d’Edéa (20 répondant-e-s).

Pour la langue duala, les enquêtes au niveau du primaire concernaient les écoles publiques de la ville de Douala expérimentant déjà le projet ELAN-Cameroun, à savoir : l’école publique de Bonamikano groupe 1 (30 répondant-e-s), l’école publique de Bomkoul PK 17 (20 répondant-e-s), l’école publique de Bépanda Omnisport (30 répondant-e-s), l’école publique de New-Bell-Aviation groupe 1 (35 répondant-e-s), l’école publique de Deido groupe 1 (35 répondant-e-s). Pour le secondaire, les établissements ciblés étaient le lycée bilingue de Bonassama (50 élèves), le lycée bilingue de Deido (50 élèves), le lycée d’Akwa (50 élèves).

Pour ce qui est de la langue éwondo, au niveau primaire, ce sont : l’école publique d’Étoudi (50 élèves), l’école publique de Mballa II (50 élèves) et l’école publique de Nkolbisson (50 élèves). Au secondaire, l’étude couvrait le collège de la Retraite (50 répondant-e-s), le lycée bilingue d’Etoug-Ebe (50 élèves), le collège Victor Hugo (25 élèves) et le lycée d’Obala (25 élèves).

Quant à la langue fulfulde, elle s’expérimentait dans les établissements scolaires de la région de l’Extrême-Nord, tels que l’école publique de Doualaré (50 élèves), l’école publique de Louggol 2 (50 élèves), l’école publique de Founangué 1 (50 élèves). Le secondaire impliquait le lycée de Meskine (50 élèves), le lycée de Guidiguis (50 élèves), le lycée bilingue de Maroua Domayo (50 élèves).

La région de l’Ouest, qui expérimentait l’enseignement du ghomala’, a sollicité pour l’enseignement primaire, l’école publique de Tseghem (30), l’école publique de Mbem (30), l’école publique annexe de Demgo (30), l’école publique de Baho (30), l’école publique Djiopa (30). Les établissements du secondaire impliqués étaient le lycée bilingue de Baham (29), le lycée bilingue de Gouache (29), le lycée de Batoukop (30), le lycée bilingue de Yom (31) et le lycée classique de Bafoussam (31).

Les questionnaires en eux-mêmes étaient constitués de 83 questions ouvertes et fermées pour les élèves et 64 de même nature pour les enseignant-e-s. Elles étaient distribuées dans quatre sections inégales, en fonction des informations sollicitées.

Ainsi, la section portant sur l’identification des apprenants a révélé la particularité de la zone ghomala’, où les effectifs étaient dans l’ensemble homogène du fait de l’appartenance de la quasi-totalité des apprenant-e-s au sous-groupe grassfield-Est bamiléké et du fait de l’usage de cette langue dans les interactions familiales. En dehors de cette exception, toutes les autres zones de recherche ont révélé des publics cibles fortement hétérogènes, avec parfois des élèves appartenant à plusieurs ethnies différentes dans une seule classe. Ce fut par exemple le cas de l’école publique de New-bell-Aviation, où aucun élève, non seulement de l’effectif enquêté, mais également dans toutes les classes de langue douala, n’appartenait ne serait-ce qu’à une ethnie sawa, pour ne pas parler de la langue douala elle-même. L’essentiel des effectifs était constitué d’élèves bamum, bamiléké, toupouri, massa, bassa, d’ethnies centrafricaines, nigérianes, etc. Une telle configuration sociolinguistique dans les classes est de nature à réactiver les stéréotypes et principalement les préjugés (Amossy et Herschberg, 1997), qui remettent au goût du jour la menace à l’unité et à l’intégration nationales que le gouvernement mit un point d’honneur à contourner depuis les lendemains des indépendances en instaurant le français et l’anglais, plutôt que des langues endogènes, comme langues officielles et de scolarisation. Cette vision paraît d’autant plus prégnante que les 15 questions de la rubrique identification des représentations vis-à-vis des langues nationales et les 10 autres liées aux langues officielles révèlent à environ 87 % des cas dans l’ensemble des régions sondées, que les élèves et les parents non natifs des langues enseignées qui sont d’une écrasante majorité, demeurent très hostiles à l’enseignement des langues choisies dans leur zone.

Les principales raisons en sont qu’ils éprouvent de la frustration et du mépris envers les langues identitaires. Pire encore, ils suspectent un projet gouvernemental de tribalisme et d’assimilation de leurs langues et cultures. Dans le même ordre d’idées, environ 92 % des apprenant-e-s L2 à Ln des langues enseignées dans leurs zones trouvent que ces langues sont « inutiles », dans la mesure où elles n’ouvrent la voie à aucune opportunité professionnelle réelle ou d’autres natures. Pour ces raisons et bien d’autres, 82 % à peu près de ces enfants répondent qu’ils ne sont pas motivés à apprendre ces langues. Des actes de brutalité de 04 parents de l’école publique de Bépanda Omnisport sur un maître et une maîtresse de leurs enfants sont là pour en témoigner. Cela étant, ils ont exigé la mutation de leurs enfants des classes expérimentales vers les classes ordinaires où l’enseignement se fait en anglais et en français : « Je n’envoie pas mon enfant à l’école pour apprendre le douala! », « Ca me sert à quoi? », « Pourquoi ce n’est pas aussi le tuki qu’on enseigne? N’importe quoi!», « N’enseignez plus ces bêtises à mes enfants. Retirez-les de cette classe, ou je les retire de votre école! Il y a des écoles partout ». Tels sont, entre autres, les propos rapportés par les maîtresses et maîtres, victimes des agressions.

Dans cette atmosphère polluée de représentations négatives et négationnistes, de préjugés et de suspicions qui entraînent à leur tour des scènes d’intolérance et de violences, il devient clair que le processus d’enseignement de ces langues nationales se retrouve d’office confronté à des blocages qui, de toute évidence, impacteront négativement le processus d’apprentissage. Dans ces conditions, le processus neurocognitif se trouve peu enclin à produire de bons résultats. En effet, les enfants qui, encouragés par leurs parents, sont d’office mécontents et offensés de ce qu’on leur impose la langue maternelle d’une ethnie autre que la leur. Ils n’ont pas assez de volonté pour activer leur processus de mémorisation, apprivoiser et canaliser leur attention, ou encore inhiber les automatismes ou erreurs de la pensée. Ainsi, le travail de l’enseignant-e de langues nationales restera régulièrement improductif, car n’ayant pas la volonté d’apprendre, l’apprenant-e négligera les devoirs de systématisation ou de réinvestissement que lui donnera l’enseignant-e à faire en classe ou à la maison. La consolidation étant un des piliers de l’enseignement, il devient clair que sa négligence par les apprenant-e-s favorisera leur échec, car le manque de volonté favorise le manque d’exercices d’entraînement, qui à son tour, conduit à l’affaiblissement progressif des connexions neuronales responsables de l’apprentissage des langues (Masson, 2016).

Pareillement, dans la mesure où les allogènes nourrissent généralement des représentations négatives à l’endroit des langues enseignées, il s’en suit un désintérêt pour les apprentissages et c’est ce qui justifie les résultats mitigés livrés par l’examen des 8 questions de la section auto-évaluation des compétences en langues nationales. Même si le niveau général ou moyen de compétence se répertorie dans le palier assez bien, les détails présentent une frange non négligeable des populations cibles (environ 23 %) qui possède des compétences nulles ou très faibles dans les langues maternelles, parce qu’ayant des notes situées dans l’intervalle [0-5]. Celles situant leurs notes dans l’intervalle [5-10] demeurent les plus nombreuses (environ 37 %). Ces pauvres rendements témoignent de ce que, animés par des préjugés et autres représentations incriminant les langues enseignées et suspectant l’État d’un projet savamment orchestré de tribalisme et de colonisation des « ethnies indésirables » du Cameroun (Piebop, 2019), les élèves demeurent peu attentionnés et engagés dans les activités de classe de langue maternelle. Or, l’attention et l’engagement actif constituent pourtant des éléments déclencheurs et de dynamisme dans l’apprentissage, dans la mesure où ils régulent les activités mentales que sont l’alerte, l’orientation et le contrôle exécutif, tandis que l’engagement actif assure la mobilisation qui permet de tester immédiatement ou alternativement la fiabilité des connaissances apprises. Par conséquent, des défaillances à ces niveaux créent chez les élèves des perturbations neuronales qui vont considérablement tronquer les étapes de l’engagement qui risquent demeurer passives, si jamais elles sont mobilisées, tout comme les étapes du feed-back des informations et de fixation des apprentissages. À l’hégémonie souvent constatée des langues officielles sur les langues nationales dans la système éducatif, avec en prime la dévitalisation de ces dernières (Mba, 2006; 2017), une autre hégémonie se dessine entre les langues nationales enseignées.

Au niveau de la rubrique évaluation de la didactique bi-plurilingue, rares sont les élèves (y compris ceux qui ont affirmé être compétents et avoir de bonnes notes dans les langues maternelles), qui sont parvenus à établir les différences ou les similarités entre les structures déclaratives, interrogatives, négatives et les groupes nominaux des langues officielles et celles les langues maternelles qu’ils apprenaient. Subséquemment, la plupart (environ 78 %) ont purement et simplement ignoré les questions qui leur demandaient de se justifier par des productions linguistiques concrètes dans les langues nationales apprises et leurs équivalents en langues officielles. Une telle attitude témoigne de ce que l’interlangue, voire le transfert linguistique, n’est pas effectif, et que les interférences subsistent. Les neurosciences cognitives pourraient justement apporter une remédiation à ce genre de problème, car il est en principe question de mettre en marche et de renforcer le circuit mental linguistique et métalinguistique des élèves, de modifier les connexions neuronales par des activités d’orientation et de motivation, afin de les disposer davantage à accueillir et à s’investir résolument dans le processus d’enseignement/apprentissage des langues maternelles. Ces résultats amènent à comprendre que les apprentissages ne fournissent pas les résultats à la hauteur des attentes. Et si tel est le cas, on ne pourrait ne pas y voir des problèmes ou des troubles d’apprentissage survenus avant ou pendant le processus d’apprentissage et auxquels des solutions pourraient être apportées à travers une bonne maîtrise du fonctionnement du cerveau des apprenant-e-s. La tâche du formateur ou de la formatrice consisterait à détecter ces anomalies et à les réorienter à travers des activités spécifiques guidées qui mettraient en marche leur « instinct linguistique ». Mais, encore faudrait-il que l’enseignant-e en connaisse le fonctionnement et soit suffisamment outillé-e pour les enclencher et les maintenir en travail afin d’en tirer le maximum de bénéfice.

La première section du questionnaire adressé aux enseignant-e-s, intitulée Identification sociolinguistique des enquêtes, communique les informations selon lesquelles des 154 enseignant-e-s du primaire et du secondaire, seul-e-s 77 ont reçu une formation en langues maternelles. Cela s’est fait dans l’ensemble à l’ENS de Yaoundé qui, prioritairement, forme des enseignant-e-s pour le secondaire. Ainsi en ont profité 20 enseignant-e-s de la zone éwondophone de la région du Centre, 28 enseignant-e-s de la zone dualaphone du littoral, 08 enseignant-e-s de la zone fulfuldephone de l’Extrême-Nord, 08 enseignant-e-s de la zone ghomala’aphone de l’Ouest et 13 de la zone bassaphone du Littoral, soit un taux de 50 %. Le reste des enseignant-e-s sont pour la plupart des vacataires recrutés sur des bases aléatoires comme l’aptitude à communiquer oralement dans les langues enseignées, etc., des diplômé-e-s de linguistique française ou africaine, des diplômé-e-s des centres linguistiques du pays, ou des comités de développement des langues nationales, etc. On conclut que la majorité des pratiques didactiques dans les classes de langues maternelles se font de manière hasardeuse et non conventionnelle par ces enseignant-e-s non professionnalisés, surtout s’ils/elles ne sont pas assez volontaires, engagé-e-s et téméraires pour s’auto-(in)former ou consulter des professionnels. Si un nombre si élevé d’enseignant-e-s ne sont pas imprégné-e-s de la pédagogie et de la didactique des langues maternelles, les résultats en demi-teinte relevés n’en sont qu’une suite logique. En plus des traditionnelles pratiques, ils ou elles ne seraient pas régulièrement être mis-e-s à jour sur des innovations, telle la récente approche par compétence (APC), ou même sur l’intervention des sciences cognitives dans la facilitation de l’enseignement- apprentissage.

Par ailleurs, l’examen de la rubrique évaluation de l’enseignement-apprentissage du bi-plurilinguisme par les enseignant-e-s a donné l’occasion de constater que plus du quart des enseignant-e-s impliqué-e-s dans les enquêtes a reconnu ne rien savoir de la didactique bi-plurilingue qui, pourtant, constitue le sous-bassement de l’enseignement en contexte camerounais. D’autres encore (environ 27 %), ont fourni des définitions approximatives de cette notion. Le reste a vu en ce concept un processus d’enseignement simultané de deux ou plusieurs langues; l’enseignement d’une langue à travers d’autres; ou encore l’enseignement dans un espace multilingue et l’utilisation de ces langues par des individus en situation de communication. Dans l’ensemble, ils/elles ont exposé leurs méthodes didactiques qui, parfois, contrastaient dans 45 % des cas, avec le modèle APC (Approche par compétences) actuellement en vigueur au Cameroun. Ils/elles préféraient par exemple dicter ou écrire entièrement les leçons au tableau, sans réelles interactions avec les apprenant-e-s, sous prétexte qu’ils/elles n’étaient pas attentionné-e-s et volontaires du fait de la pluralité de leurs origines linguistiques. Pour des raisons similaires, certain-e-s ne consolidaient pas leurs savoirs, argumentant que les élèves étaient réticents à ces langues, et qu’il n’était plus alors d’aucune utilité de gaspiller du temps et de l’énergie à leur donner des devoirs qu’à coup sûr, ils ne feront pas et que même les parents ne pourront les aider à faire, car ne les comprenant pas ou ne voulant pas de ce projet d’enseignement des langues maternelles à l’école. Cependant, ces enseignant-e-s auraient peut-être agi autrement s’ils/elles s’étaient imprégné-e-s des concepts neuroscientifiques qui démontrent que tout est possible dans l’apprentissage des langues. Ce d’autant plus que, compte tenu du jeune âge des apprenant-e-s qui, dès leur naissance, possèdent déjà une impressionnante base de données linguistiques qui décroissent à l’adolescence, autour de 17 ans (Dehaene, 2007). Il est donc juste question de savoir manipuler convenablement le circuit motivationnel mental qui va mettre les élèves en confiance et les pousser à se surpasser pour obtenir les résultats attendus.

En dehors des enseignant-e-s, les inspecteurs et inspectrices chargé-e-s du suivi des expérimentations sur les langues nationales, encore appelé-e-s « points focaux » au niveau de l’enseignement primaire, ne sont pas moins concerné-e-s par ces imprégnations des avancées méthodologiques. Cela éviterait des scénarii curieux comme celui observé pendant les enquêtes sur la langue douala, où en plus d’être non natif du douala, le point focal de l’école publique de Bonamikano n’en est pas imprégné, ne serait-ce que de l’alphabet de la langue duala enseignée. Ses origines ngemba créent une grande distance linguistique avec la langue duala dont il est censé évaluer l’enseignement. Pour briser la glace pendant les enquêtes de terrain au mois de février, ce point focal s’est trouvé régulièrement obligé de demander aux petit-e-s débutant-e-s de la SIL, du CP et du CEI « comment on dit bonjour » ou « au revoir en duala », en plein milieu du deuxième trimestre. Cet état de choses frustre énormément les enseignant-e-s, qui n’ont d’ailleurs pas manqué de le souligner dès l’entame de l’enquête. De même, il n’est pas de nature à rassurer et motiver les élèves, car comment évaluer une langue dont on ne sait rien du tout? Pour ce point focal, il sera difficile d’apporter l’assistance nécessaire aux maîtresses et maîtres qu’il est censé encadrer. Même au cas idéal où il cernerait des notions de didactique et de pédagogie, les stimulations et autres techniques d’orientation seraient mal à propos, sans compter que son inaptitude à comprendre la langue enseignée donnerait lieu à un dialogue de sourds lors des présentations des leçons modèles par exemple, ou des carrefours pédagogiques. Comment comprendrait et vérifierait-il l’adéquation du vocabulaire ou de la syntaxe de l’expression des enseignant-e-s qui, pour un bon nombre, ne sont pas eux/elles-mêmes déjà des locuteurs natifs du duala?

Dans cette situation, il va sans dire que les élèves ne sont plus, presque tous, psychologiquement disposés à faire confiance et à prendre au sérieux un enseignant-évaluateur qui n’a pas la maîtrise de son objet d’enseignement et qui, au lieu de contrôler, informer et renseigner les enseignant-e-s et les élèves, se fait plutôt renseigner par ceux/celles-ci. Un tel scénario didactique demeure voué à un rendement hasardeux, même si les germes d’une pédagogie inversée naissent. En effet, un apprentissage, quel qu’il soit, s’avère efficace lorsque l’apprenant-e est suffisamment mis-e en confiance et motivé-e pour conquérir les savoirs. Sur un axe purement psychologique, la motivation renvoie à « ce qui pousse un sujet à agir pour satisfaire ses besoins, ses désirs, ses intérêts » (CNDP, p. 20). Barbot et Camatarri (1999, p. 66) y voient une attitude envers l’apprentissage et une capacité à apprendre de façon indépendante. Autrement dit, lorsque l’apprentissage paraît déjà dénué de visée utilitaire (facteur suffisamment motivant et efficace dans l’apprentissage des langues en particulier) pour de jeunes élèves de 5 à 20 ans et particulièrement non-natifs et non-natives qui voient en l’enseignement de cette langue une injustice; des légèretés venant des formateurs ou formatrices sont de nature à les décourager davantage. Par conséquent, il est impératif pour l’enseignant-e d’intégrer à la fois les dimensions cognitives et affectives dans ses activités, s’il/elle tient à amener efficacement l’apprenant-e à acquérir des savoirs linguistiques et à les mettre en œuvre ou à les réutiliser dans d’autres situations d’intervention.

Quelles solutions?

Les analyses ont permis de se rendre à l’évidence, à cause de la circulation tous azimuts des biens et des personnes, de la forte pluralité linguistique qui caractérise le Cameroun, que le projet d’insertion des langues dans les systèmes éducatifs primaire et secondaire rencontre de nombreuses difficultés, au rang desquelles celles des méthodologies didactiques et pédagogiques qui ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Il s’est dégagé des analyses que les élèves, les enseignant-e-s et toutes les autres parties concernées n’ont parfois pas les dispositions d’esprit et même du corps requises pour mener à bien les activités qui leur incombent. Les rubriques des questionnaires relatives à l’évaluation des élèves par les enseignant-e-s d’une part, et l’auto-évaluation des élèves, d’autre part, ont prouvé que pour moult raisons, les élèves, à environ 45 % des cas, ont des difficultés à mémoriser, à systématiser, à s’approprier les bagages notionnels des langues maternelles enseignées et à les redéployer adéquatement dans des contextes interactionnels.

À ce titre, une approche individualisée s’avère d’appoint si l’on souhaite obtenir des résultats plus satisfaisants. Dans un contexte hyper-plurilingue où se côtoient au quotidien les multiples locuteurs de 239 langues endogènes (Binam bikoi, (ed), 2012), il serait plus approprié d’allier aux méthodes didactiques actionnelles et communicatives déjà en vigueur et prônant une approche par les compétences (APC), une approche personnalisée. Ceci parce que les apprenant-e-s viennent d’horizons bigarrés et, même au cas contraire, diffèrent psychologiquement et cognitivement les uns des autres, des raisons supplémentaires pour que les stratégies d’apprentissage se diversifient pareillement. Autrement dit, si les implications neuronales cognitives des apprenant-e-s sont avivées et intensifiées, l’acquisition des langues maternelles se verra facilitée. L’enjeu principal réside dans la construction du savoir des apprenant-e-s, compte tenu de la variété linguistique, culturelle et individuelle qui spécifie les classes.

L’étude suggère donc des moyens de mise en œuvre soutenant la prise en considération des neurosciences cognitives dans les modules de formation des formateurs et formatrices. Ce qui aura pour objectif de mettre à jour les connaissances, les méthodes didactiques et de redéfinir la perception de la classe en tant qu’espace d’enseignement. L’étude questionne également la relation existant entre les neurosciences cognitives (psychologie, boucle audiovocale ou phonologie, neurostimulation, psycholinguistique, etc.) et la valorisation des procédés à la fois socio-affectives, cognitives et méta-cognitives (vocabulaire personnalisé) dans l’enseignement-apprentissage de langues maternelles. Pour plus de pragmatisme, ces théorisations pourraient se décliner en une multitude de pratiques.

Tel qu’on l’a déjà théorisé dans les sections précédentes, la mémoire est une fonction primordiale d’apprentissage, car c’est à elle que revient la tâche d’encoder (acquérir de nouvelles informations au moyen des cinq sens), de stocker (maintenir dans le temps les informations apprises) et de récupérer (restituer l’information par un processus défini) les informations. À cet égard, l’enseignant-e se devrait de maîtriser la constitution et le fonctionnement des trois représentations de la mémoire que sont : la mémoire de représentation à long terme, la mémoire de représentation à court terme et la mémoire procédurale (Francis Eustache, 2016). Conscient-e de l’importance de ces fonctionnalités, l’enseignant-e peut, et ce de plusieurs façons, contribuer à développer une meilleure mémorisation chez l’apprenant-e, que ce soit en créant des représentations mentales (se faire le film d’un texte en langue maternelle), en enrichissant l’encodage par des réalisations sensori-motrices (mémoriser des lettres ou les noms des objets en les touchant), en multipliant des modalités de représentation (expériences, manipulation d’objets, divers supports de cours, des textes audio et vidéo en langue maternelle…), en offrant différentes situations (un mot ou concept peut être revu plusieurs fois avec différents points de vue et supports…), en exprimant des émotions (mettre en scène un texte écrit ou oral), en faisant des liens avec les connaissances personnelles (référence à soi/ mémoire épisodique…), en faisant des liens avec des représentations mentales (technique des mots clés, méthode des lieux…), en établissant des rapports avec des pré-aquis (rappel de notions précédant celles à étudier…), etc.

Il est aussi utile pour l’enseignant-e d’user de stratégies neuro-cognitives pour conduire les apprenant-e-s qui, pour le présent cas, sont de très jeunes débutant-e-s des classes de SIL, CP ou CEI… et des adolescent-e-s des lycées et collèges, à mémoriser méthodiquement des vocabulaires associés aux hyper-thèmes dans des textes à visées variées (description, information, injonction, narration, argumentation, théâtre, etc.). Ce qui participerait d’un procédé mental dont l’objectif consiste à conférer un ordre particulier aux nouvelles notions à connaître. Ceci revient à les initier au sens de l’organisation. Son mode procédural consiste à construire le sens d’un système de mots et de référer à son champ lexical.

Toujours en relation avec le volet lexical, l’acquisition convenable des compétences dépend de l’amélioration des outils cognitifs des apprenant-e-s. Pour ce faire, ces derniers ou ces dernières « doivent disposer d’un lexique mental, suffisamment riche de procédures et d’accès suffisamment sûrs pour pouvoir en faire usage au moment le plus opportun du vocabulaire adéquat » (Vigner, 2001 , p. 56). Un lexique mental, rappelle Dao Anh Huong,

n’est pas un inventaire de mots à signification unique, mais de mots auxquels sont associées de très nombreuses informations. Phonologique, orthographique, syntaxique, sémantique. Pour le dire autrement, c’est tout ce qui aide à sa connaissance par un canal d’accès quelconque et tout ce qui permet d’appréhender les spécificités d’insertion dans un énoncé, dans un texte (Dao Anh Huong, 2010, pp. 135-136).

On comprend donc qu’amener les élèves à s’approprier le lexique mental des langues maternelles enseignées paraît d’autant plus important qu’exceller dans la lecture par exemple, tient au fait de traduire les surfaces lexicales en représentations notionnelles, tout comme réussir dans l’écriture c’est négocier un dispositif conceptuel en une suite linguistique autour de laquelle gravite un vocabulaire spécialisé. À ce titre, la réussite des interactions communicatives dépend de la richesse ou de la pauvreté du répertoire lexical des élèves. De plus, étant entendu que la compétence lexicale demeure indissociable de la compétence grammaticale, si l’on se réfère à Hagège (1996, p. 69) qui affirme que « le berceau naturel des phrases sont des textes et dialogues », l’acquisition d’une bonne compétence lexicale par l’élève garantit en conséquence sa bonne connaissance des règles d’agencement des mots, des accords et assure sa production de bonnes et belles tournures stylistiques.

En outre, pour alléger la réalisation des leçons portant sur la lecture dans les langues maternelles par exemple, l’enseignant-e devrait également s’affairer à faire fonctionner la théorie du recyclage neuronal de Dehaene (2007). Il s’agit d’une théorie qui valorise le fait que la lecture spécialise certaines parties du cortex visuel dans l’identification des chaînes des lettres qu’il rattache ensuite au langage. De la sorte, une partie du cerveau localisée à l’intersection du lobe occipital et temporal nommée « région de la forme visuelle des mots » ou plus métaphoriquement « boîte à lettres du cerveau », se consacre graduellement à la reconnaissance des visages, des formes géométriques et des objets. Apprendre à lire consiste donc finalement à recycler un morceau de ce cortex, afin qu’une partie des neurones qui s’y trouvent réorientent leurs préférences vers la reconnaissance des lettres.

Par ailleurs, un enseignement de langues maternelles, appliqué aux réalités socioculturelles, économiques, politiques, historiques et même géographiques du Cameroun, devrait contraindre l’enseignant-e à garder constamment à l’esprit que les apprentissages se font au service de la communication. Au moyen des méthodes de travail variées (situation de communication, textes, documents, pédagogie inversée, exercices adaptés, induction, déduction…), il/elle devrait rester soumis-e à un questionnement permanent : quelles sont les notions les plus pertinentes à enseigner/apprendre? À quoi les notions abordées servent-elles dans la communication? Comment les intentions qu’elles servent peuvent-elles être exprimées? De la sorte, il sera question de cultiver, d’entraîner les apprenant-e-s à la conscience permanente du « réflexe fonctionnel » dans toutes les activités d’apprentissage. Cette conscience perpétuelle provoque en eux/elles la stimulation nécessaire pour les pousser à se surpasser afin de comprendre les mécanismes de fonctionnement et les caractéristiques des systèmes linguistiques des langues enseignées. L’élève qui sait qu’il va utiliser les langues douala, ewondo, ghomala’, fulfuldé, basaa, pour compter de l’argent qu’il gagnera au cours d’une compétition ou dans un marché périodique de la région, constitué de populations exclusivement autochtones qui ne s’expriment que dans la langue maternelle qu’il apprend, où il ira faire des emplettes, paraît plus motivé-e que celui ou celle qui n’a aucune idée de l’utilité pragmatique et contextuelle de son apprentissage. On en déduit que le fondement neuroscientifique cognitif de l’approche fonctionnelle constitue également un atout dans l’enseignement des langues maternelles au Cameroun.

À côté de tout cela, prendre en compte les neurosciences dans l’enseignement des langues maternelles consiste aussi à aider les apprenant-e-s à développer des stratégies de structuration de l’information, afin d’en rendre aisées la compréhension et la mémorisation. Une telle organisation permet de soulager la mémoire de travail. Ceci peut s’illustrer dans le meilleur des cas à travers le classement par l’élève lui-même des informations clefs en utilisant des schémas, des plans, des tableaux, des cartes mentales…, des textes en langues maternelles camerounaises, par exemple. Ce type d’activités est d’ailleurs rendu plus commode lorsque l’enseignant-e développe au préalable la métacognition des apprenant-e-s en leur montrant comment travailler efficacement. On parle alors de stratégies cognitives qui réfèrent à des techniques utilisées par l’individu, afin de construire des conditions propices à l’exécution des processus d’apprentissage et, de la sorte, de garantir une bonne acquisition des connaissances (Bouret, 1999, p. 27).

On l’a vu, la réactivation ou la répétition aussi bien dans les épisodes d’apprentissage que dans la mémoire de travail demeure indispensable, en ceci qu’elle renforce la formation de nouvelles connaissances. Au cours de cet exercice, l’apprentissage « distribué » s’avère de loin plus productif et pérenne que l’apprentissage de masse, plus concentré ou regroupé, car « d’un point de vue cognitif, les capacités d’attention soutenue, les fonctions exécutives, la mémoire de travail, ne sont pas mobilisables de façon optimale sur de très longues durées » (Béndicte Dubois, 2017, p. 6). Cela paraît, pragmatiquement, d’autant plus sensé que les élèves, essentiellement des jeunes et des adolescent-e-s qui sont les principales cibles de l’apprentissage des langues maternelles, supportent rarement des leçons étendues sur de très longues durées. Autant alors, les fractionner en épisodes, afin de mobiliser davantage et plus utilement leurs fonctions cognitives.

En outre, l’attention n’étant pas facilement malléable parce que continuellement soumise à des forces de tous genres, des neuroscientifiques, tels que Jean Philippe Lachaux (2011), se sont affairés à traduire les récentes évolutions en termes d’exercices d’entraînements capables de mener des gens à leurs états attentionnels optimaux, quelles que soient leurs activités. Selon son modèle, l’enseignant-e devrait s’exercer à la canalisation de l’attention des élèves au moyen d’une variété de recettes, à l’instar de l’apostrophe, de la maîtrise de l’objet d’enseignement, des couleurs, de la variation d’outils didactiques (cours audio, vidéos, cours en dehors de la classe…).

Vu que le circuit de fonctionnement du cerveau se résume en 4 étapes (la prédiction, le feed-back, la correction et la nouvelle prédiction) formellement repérables à des lieux bien précis du cerveau par IRM, l’erreur, c’est-à-dire le fait de se tromper, de s’écarter de la vérité, devient assez raisonnablement pour le cerveau, une information importante dans l’apprentissage, au même titre que toutes les autres informations. Ceci parce que l’erreur aide l’individu à modeler ses modes de réponses et ses méthodes avec plus d’adéquation. À cet effet, l’enseignant-e en classe de langue maternelle devrait comprendre et tenir compte de son importance. Voilà pourquoi il/elle devrait éviter de pénaliser les erreurs des élèves, de peur que le stress ou la pression causée chez eux ou elles sape ou atténue leur motivation. En effet, explique Bénédicte Dubois, l’erreur « permet de changer nos modes de réponse et adapter nos stratégies. Subséquemment, il ne faut pas sanctionner l’erreur, car le stress inhibe l’apprentissage et tarit l’exploration. En revanche, l’approbation, la validation et les encouragements sont des feed-back efficaces pour apprendre » (2017, p. 9). Un feed-back normatif sur le modèle « Tu as raté l’exercice », « comment peux-tu être si faible! », « ça ne vaut pas la peine avec toi! « , etc. sont en général mal perçus par les élèves, surtout lorsqu’ils ont des handicaps particuliers ou sont convaincus de faire de leur mieux. A contrario, un feed-back informatif, dénué de tout point de vue comme « Voici tes points forts et tes points faibles », « tu as régressé de 5 points/ Tu as fait 10 fautes », ou plus galvanisants tels que « Tu as eu une sous-moyenne, mais tu feras mieux la prochaine fois », « Vous y étiez presque, un peu plus d’efforts », « du courage! »… possède, même implicitement, des termes de validation, d’approbation et d’encouragement qui sont plus féconds en matière de motivation et d’éveil d’attention.

Pour éviter et contrôler les erreurs et favoriser la maîtrise de la grammaire, de l’orthographe, de la conjugaison… liée à l’apprentissage de la langue maternelle, il serait aussi intéressant d’initier les élèves à l’inhibition des automatismes de la pensée, afin de raisonner convenablement. L’inhibition désigne une fonction cognitive qui agit pour assurer la maîtrise et la surveillance des actions. Ce qui consisterait pour l’enseignant-e, à proposer aux enfants des activités qui les forment à résister et à dominer les automatismes mentaux qui les conduisent à faire des erreurs. Des exercices variés de synonymie, d’homonymie, de paronymie, d’antonymie, de proverbes et autres analogies dans les langues maternelles enseignées, peuvent permettre d’atteindre cet objectif. Pareillement, les références aux signes (× = fois) et (- = moins) conduisent par exemple les cerveaux des apprenant-e-s à activer respectivement la multiplication et la soustraction, au lieu d’additionner ou de diviser par exemple. Les messages communiqués par les neurones sont les suivants : « Je vois ×, donc je multiplie », « quand il y a -, je soustrais ». C’est pourquoi les élèves trouvent 3×6 = 18 ou 25- 10= 15, plutôt qu’autre chose.

Au cours du développement de l’être humain surviennent des troubles qui peuvent s’avérer passagers ou permanents. La plupart de ces troubles sont d’ordre cognitif. Les troubles mentaux désignent les dysfonctionnements des fonctions cognitives. Selon Dubois, les fonctions cognitives renvoient à « des processus mentaux mis en œuvre à chaque fois qu’une information est reçue, stockée, transformée et utilisée » (2017, p. 11). Vus sous cet angle, la résolution des problèmes, la perception, la mémoire, les images mentales, le langage, le raisonnement et la prise des décisions… constituent des fonctions cognitives. Les dysfonctionnements des fonctions cognitives affectent des fonctions. Il s’agit de la dyslexie (trouble de l’acquisition de l’écrit), la dyscalculie (troubles d’acquisition des compétences numériques et des habiletés mathématiques), la dysphrasie (troubles de l’acquisition du langage oral), dyspraxies (troubles de la programmation de l’automatisation de l’orthographe), dysgraphie (trouble de l’automatisation du geste graphique), les troubles du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H)… Pour contribuer au diagnostic de ces déficiences chez les élèves dont il/elle a la charge, l’enseignant-e devrait, aux côtés des familles biologique et professionnelle, cultiver un sens accru de l’observation et des remontées d’informations factuelles. Ce qui lui permettrait de repérer ou de suspecter les difficultés d’apprentissage des élèves qui, par la suite, pourront être dépistés à l’aide d’outils validés, avant le diagnostic proprement dit qui relève des domaines médicaux, paramédicaux et des démarches plus rigoureuses.

Conclusion

L’étude s’attelait à démontrer, eu égard aux imperfections observées dans le projet d’enseignement des langues nationales dans les écoles camerounaises, que l’apprentissage, en général, et celui en milieu scolaire camerounais particulièrement caractérisé par son hétérogénéité linguistique devrait davantage intégrer les dernières avancées des neurosciences cognitives, pour plus d’efficacité. De ce fait, il devrait rendre indispensable un étaiement des pratiques langagières à travers des actions de renforcement à la fois internes et externes de nature métacognitive et métalinguistique, qui interpellent la conscience linguistique des apprenant-e-s. Il n’est nullement question ici de faire de l’exercice de la profession de psychologue et bien plus de neuroscientifique, la condition sine qua non pour exceller dans la profession d’enseignant-e de langues maternelles au Cameroun. L’étude cherche en effet à relever la réalité selon laquelle une pédago-didactique reste plus opérationnelle lorsque les formateurs ou formatrices intègrent, dans la formation, des connaissances actualisées inhérentes aux recherches sur le cerveau qui, sur la base de la plasticité cérébrale, examine l’usage d’émotions, les répétitions structurées, la gestion des rythmes… afin de renforcer la mémorisation générale, la concentration, la vigilance et l’intérêt plus prononcés pour les notions à apprendre.

Et justement, c’est à ce niveau de la formation que se retrouve l’un des goulots d’étranglement les plus dangereux pour l’enseignement des langues maternelles. La plupart des enseignant-e-s n’ont pas de formations adéquates. L’engagement à la formation des enseignant-e-s pris par ELAN-Cameroun demeure embryonnaire et très insuffisant pour ceux ou celles des enseignant-e-s qui parviennent à en bénéficier. Ce qui justifie les résultats en demi-teinte et que la présente étude tente d’améliorer. Dans le meilleur des scénarii, cette amélioration des résultats découlerait d’un syncrétisme disciplinaire où les neurosciences auront pour but de comprendre la nature, les origines et le pourquoi des opérations et actions accomplies par les élèves. La linguistique, quant à elle, élaborerait les précisions nécessaires à la conception des exercices; la didactique se consacrerait à la recherche et à la création des contextes et procédés les plus propices au déroulement des interactions engageant l’enseignant-e et l’apprenant-e.

Références

Amossy, Ruth et Herschberg-Pierrot. 1997. Stéréotypes et clichés. Paris : Nathan université.

Arrêté n° 08/223/MINSUP/DDS du 03 novembre 2008 portant création de la filière Langues et cultures camerounaises à l’École Normale Supérieure de Yaoundé I.

Barbot, Marie-José. Camatarri, Giovanni. 1999. Autonomie et apprentissage. Innovation dans la formation. Paris : PUF. 244p.

Berthier, Jean-Luc et al. 2018. Les neurones cognitifs dans la classe. Paris : ESF Sciences Humaines.

Binam, Bikoi (dir.). 2012. Atlas linguistique du Cameroun. Yaoundé : CERDOTOLA

Blanchet, Philippe. 2000. La linguistique de terrain, méthodes et théories : une approche ethno-sociolinguistique de la complexité. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

Bouret, Paul. 1999. Pour un enseignement stratégique. Le FDM, 307, 27-30.

Couvreur, Agathe et Lehuédé, Franck. 2002. Essai de comparaison des méthodes quantitatives et qualitatives à partir d’un exemple : le passage à l’Euro vécu par les consommateurs. Paris : Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC).

Dao Anh, Huong. 2010. Approche cognitive dans l’apprentissage des langues étrangères, sa conception et ses apports à l’acquisition des compétences linguistiques. Synergie pays riverains du Mekong, 2, 127-139.

Décision n° 004/2004 du MINEDUC intégrant les langues maternelles dans le système éducatif camerounais.

Dehaene, Stanislas. 2007. Les neurones de la lecture. Paris : Editions Odile Jacob.

Dubois, Bénédicte. 2017. L’apport des neurosciences cognitives dans l’éducation. Pas-de-Calais. Disponible sur : www.versunecoleinclusive.fr

Eustache, Francis. 2016. La Neuroéducation. La mémoire au cœur des apprentissages. Paris : Editions Odile Jacob.

Hagège, Claude. 1996. L’Enfant aux deux langues. Paris : éditions Odile Jacob, 298 p.

Lachaux, Jean-Philippe. 2011. Le cerveau attentif : contrôle, maîtrise et lâcher-prise. Paris : éditions Odile Jacob.

Loi n° 2004/019 relative à la gestion des langues au niveau des régions du Cameroun.

Makouta Mboukou, Jean-Pierre. 1973. Le Français en Afrique noire. Paris : Bordas.

Masson, Steve. 2016. Pour que s’activent les neurones. Cahiers pédagogiques. 527. 18-19.

Mba, Gabriel. 2006. Mother tongue integrity and official languages hegemony: the responses of politicians, intellectuals and language practitioners in Cameroon. Mbangwana, Paul et .al (eds). Language, Literature and Identity (168-175). Gottingen. Cuvillier Verlag.

Mba, Gabriel & Guewou, Irène. 2017. La dévitalisation du patrimoine linguistique en contexte urbain : une analyse de l’alternance codique dans les parlers ghɔmálá’ dans la ville de Yaoundé. Journal of the Cameroon academy of sciences, 13(3), 101-117.

Mbala Ze, Barnabé et Wamba, Sylvie. Rodolphine (dir.) 2010. Langues de scolarisation dans l’enseignement fondamental en Afrique subsaharienne. Rapport de l’équipe-Cameroun. Paris : AUF.

Mbondji-Mouelle, Marie-Madeleine. 2012. Plurilinguisme et partenariat linguistique en didactique du français langue seconde (FLS) au Cameroun. Syllabus Review, 3(1), 127-152.

Nzessé, Ladyslas. 2005. Politique linguistique et éducative au Cameroun et insécurité de la langue française. Francophonia, 014, 173-187.

PASEC, 2016. Performance du système éducatif camerounais. Compétences et facteurs de réussite au primaire. COFEMEN : Dakar.

Piebop, Gisèle. 2018. Langues nationales camerounaises et insécurité linguistique. Dans Augustin Emmanuel Ebongue et Angéline Djoum Nkwescheu (dir.), L’Insécurité linguistique dans les communautés anglophone et francophone du Cameroun (333-356). Paris : L’Harmattan.

Piebop, Gisèle. 2019. Problématique des parlers hybrides à l’heure de l’enseignement des langues maternelles au Cameroun. Revue des Lettres et sciences sociales, 16(3), 243-161.

Tadadjeu, Maurice. (s/dir.) 1990. Le Défi de Babel au Cameroun. Université de Yaoundé : Collection PROPELCA, No 53.

Tadadjeu, Maurice. Sadembouo, Etienne. Mba, Gabriel. 2004. Pédagogie des langues maternelles africaines. Yaoundé : éditions PROPELCA, N°144, -01, les éditions CLA

Tadadjeu, Maurice. 1981. L’Enseignement des langues au Cameroun. Université de Yaoundé : Éditions Provisoire.

Tamanji, Pius. 2008. A Sucess story in official bilingualism : Lessons for a mother tongue based multilingual education program in Cameroon. Revue Internationale des Arts, Lettres Sociales (RIALSS), 2, 151-171.

Vigner, Gérard. 2001. Enseigner le français comme langue seconde. Paris : Clé International.


Pour citer cet article

MBA, Gabriel et PIEBOP, Céphanie Mirabelle Gisèle. 2022. Paramètres psychopédagogiques à l’épreuve de l’enseignement des langues maternelles au Cameroun. Quels impacts et quels rendements?. MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/mashamba.2022.2.1.10

Licence

La revue MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/mashamba.2022.2.1.10

Télécharger le PDF de l’article

Partagez cet article


ISSN : Version en ligne

2630-1431