Manifestations et stratégies d’adaptation au changement climatique
Des indicateurs opérationnels pour la gouvernance de la ville de Ziguinchor (Sénégal)
Ibrahima MBAYE
Note : Une première version de cet article a été initialement publiée dans la revue Sciences humaines du CAMES à l’adresse http://publication.lecames.org/index.php/hum/article/view/811. Nous remercions le CAMES d’avoir autorisé cette nouvelle édition de l’article, qui ne contient que des modifications de forme. Toutes les illustrations ont été produites par l’auteur.
Introduction
Le changement climatique est défini comme l’évolution récente du climat sur une certaine durée, qu’elle soit due à la variabilité naturelle ou aux activités humaines (IPCC, 2007). Les scénarios les plus manifestes du changement climatique, prévus par les modèles climatiques globaux, sont, entre autres, l’augmentation de la température et du niveau de la mer (Stainforth et al., 2007; Desai et al., 2009; Wilbyet et al., 2009). En Afrique de l’Ouest, la plupart des projections climatiques sont favorables à une récurrence de la sécheresse au Sahel (Biasutti et Giannini, 2006). En ce 21e siècle, les empreintes individuelles et culturelles jouent un rôle important dans les rapports entre les sociétés et leur environnement (White, 2005). Les inégalités sociales et écologiques qui en découlent – ainsi que les perceptions communautaires de celles-ci à l’échelle locale – justifient, dans une certaine mesure, leur prise en compte dans le schéma décisionnel des politiques de développement durable (Agrawal, 1995; Laigle, 2005; Corbun, 2005; Cornut et al., 2007; Emelianoff, 2008; Mercer, 2010). Ainsi, face à une prise de conscience de plus en plus accrue des populations, ces inégalités sont de plus en plus socialisées (Batterbury, 2008; Jasanoff, 2010; Brace et Geoghegan, 2011; Crate, 2011; Granderson, 2014) au point d’exercer une influence manifeste sur les pratiques culturelles (CRZ, 2004). Les aménités environnementales sont donc assujetties aux spécificités individuelles et ethniques des groupes sociaux (Emelianoff, 2006).
Les réponses de la société aux changements climatiques traduisent concrètement les stratégies d’adaptation mises en œuvre par les communautés humaines (Arry et al., 2014) ainsi que celles des groupes de personnes spécifiques qui les composent (Dekens, 2007). Elles peuvent revêtir plusieurs formes qui sont fonction de la vulnérabilité structurelle (physique, socio-économique) des ménages soumis à l’épreuve (Brooks et al., 2005; Smit et Wandel, 2006; Engle, 2011; Birk et Rasmussen, 2014) et des contingences soudaines et multi-échelles associées au changement climatique.
En milieu urbain sénégalais et plus précisément dans la ville de Ziguinchor, le changement climatique est devenu une réalité. Parmi ses manifestations les plus évidentes figurent les inondations, la salinisation des parcelles rizicoles de l’espace périurbain et l’augmentation de la température de l’air. La ville de Ziguinchor, située à environ 450 km de Dakar, est localisée entre la Gambie, la Guinée-Bissau, la région de Kolda et l’océan Atlantique (figure 1a). Elle s’étend sur 12° 33′ 40″ de latitude Nord et 16° 17′ 00″ de longitude Ouest. Ces coordonnées géographiques lui confèrent le climat le plus humide du Sénégal (Sagna et Leroux, 2000) ainsi que le réseau hydrographique le plus dense du pays, composé du fleuve Casamance et de nombreux bolongs adjacents (anciens chenaux, temporairement remplis d’eau). La pluviométrie atteint en moyenne 1300 mm/an, contre une moyenne nationale de 700 mm/an. La température moyenne annuelle est de l’ordre de 26°C. La moyenne mensuelle varie entre 24°C (décembre-janvier) et 28°C (mai-juin). Ces températures relativement élevées provoquent une importante évaporation avec un maximum enregistré au mois d’avril. Ainsi, l’hygrométrie de l’air ambiant est relativement significative. La moyenne annuelle passe de 60% en saison sèche à 80% pendant la saison des pluies (ONAS, 2010).
Les problèmes environnementaux, associés à ce contexte écologique, ne sont pas négligeables. En effet, la ville de Ziguinchor est localisée sur un site d’implantation qui est un point de resserrement extrême du fleuve Casamance, lequel est dû à l’avancée vers le nord des bas plateaux méridionaux. La partie de la ville située sur les plateaux est essentiellement bâtie sur des sols ferrallitiques rouges et des formations sablo-argileuses, alors qu’on répertorie des sols gris et des vasières au niveau des dépressions fluviomarines. La capacité d’infiltration des sols est variable. Elle est assez bonne sur les plateaux et faible à nulle dans les zones basses, inondables (photo 1). On retiendra comme valeur moyenne 22 à 25 litres/m²/jour pour les sols ferrallitiques rouges des plateaux (ONAS, 2010).
La nappe superficielle qui alimente les nombreux puits de la ville s’écoule depuis les zones de plateau vers les zones basses, où elle est très souvent affleurante. Dans la zone de plateau, la nappe se trouve à une profondeur pouvant aller jusqu’à 20 mètres (ONAS, 2010). Suite au déficit pluviométrique des dernières décennies, on assiste à une baisse progressive du niveau piézométrique et à des phénomènes d’intrusions salines sur l’ensemble du bassin versant qui se traduisent par des conséquences néfastes sur les activités humaines, notamment la salinisation des parcelles rizicoles. Un tel contexte environnemental vulnérable est compliqué à cause de la situation démographique et socio-économique des populations défavorisées. En effet, la population de la ville de Ziguinchor, répartie dans 26 quartiers (figure 1b), est caractérisée par un taux d’accroissement annuel de 3% (Cissé et al., 2010).
Ainsi, en 2012, sa population qui était estimée à 293 213 habitant-e-s avoisinait 302 009 en 2013 et 311 069 en 2014, réparti-e-s sur une superficie de 9 km2, soit une densité moyenne d’environ 35 habitant-e-s au km2. Les indicateurs de niveau de vie et le type d’habitat sont, comme dans la plupart des villes africaines, à la défaveur des quartiers spontanés qui se créent. Il s’agit de quartiers non encore desservis en services sociaux de base et dont le niveau de vie des populations est très faible (ONAS, 2010). Les rares activités exercées par les populations sont centrées autour du secteur informel. Ainsi, l’activité professionnelle des chef-fe-s de famille enquêté-e-s tourne essentiellement autour de ce secteur où exercent 59%, contre 9% dans l’agriculture, 9% dans les professions libérales, 9% dans l’administration et 8% dans l’artisanat. Les chef-fe-s de famille retraité-e-s ou n’exerçant aucune activité sont de l’ordre de 6%.
Par ailleurs, la ville s’identifie aussi par le caractère polyglotte de sa population, perçu à travers la pluralité ethnique. Sur les 260 chef-fe-s de famille interrogé-e-s, 118 sont des Diolas (45% des observations), contre 20 Peuls (8%), 14 Wolofs (5%), 20 Manjacks (8%), 35 Mandingues (13%), 2 Soninkés (1%), 4 Baïnoucks (2%), 12 Mancagnes (5%), 1 Badiaranké (0%), 3 Balantes (1%), 15 Sérères (6%), 1 Maure (0%), 4 Sarakholés (2%), 6 Toucouleurs (2%) et 5 autres ethnies minoritaires (Mansouké, Pépel, Lébou, Ackou et Bambara) soit 1% des observations. Cette étude est une contribution sur les représentations individuelles (chef-fe-s de famille) des manifestations du changement climatique à différentes échelles de la ville de Ziguinchor. Elle a pour objectif d’évaluer l’impact du changement d’échelle sur les réponses individuelles de ceux-ci relatives aux manifestations et aux stratégies d’adaptation au changement climatique dans la ville de Ziguinchor, ainsi que sur la distribution des valeurs d’un indice empirique de vulnérabilité environnementale.
Matériel et méthodes
Les données de pluie et de température mensuelles, collectées sur la ville de Ziguinchor, proviennent de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile et de la Météorologie (ANACIM) basée à Dakar au Sénégal. Elles couvrent la période 1951-2014. La pluviométrie standardisée a été lissée avec une moyenne mobile décennale. L’indice sahélien de Lamb a été utilisé à cet effet pour mieux apprécier la variabilité interannuelle à interdécennale de la pluviométrie à Ziguinchor.
Ainsi, les anomalies positives (années humides) sont distinguées des anomalies négatives (années sèches) de la série pluviométrique. Cet indice se calcule selon l’équation suivante :
À noter que xi est le cumul pluviométrique de l’année i, x est la moyenne de la pluie annuelle sur la période 1951-2014 et δ est l’écart type de la série pluviométrique. Par ailleurs, deux séries trentenaires de température moyenne mensuelle sont comparées : 1951-1982 et 1983-2014.
Concernant les données sociales, une enquête quantitative a été réalisée en 2011 auprès de 260 chef-fe-s de ménage (hommes et femmes âgé-e-s de 25 à 84 ans) répartis dans les 26 quartiers de la ville de Ziguinchor, en raison de 10 ménages par quartier. Elle a permis de collecter des données relatives aux représentations individuelles des manifestations du changement climatique par les chef-fe-s de ménage. Les réponses de ces derniers sont centrées autour de la baisse de la pluviométrie, de l’augmentation de la température de l’air, de la salinisation des terres et des inondations. Par ailleurs, un indice empirique de vulnérabilité climatique a été construit à partir des réponses individuelles des chef-fe-s de famille. Pour chaque quartier, les 10 chef-fe-s de ménage interrogé-e-s permettent donc de recueillir 10 réponses individuelles. Les valeurs de l’indice empirique de vulnérabilité climatique sont ainsi établies à partir de ces réponses individuelles, variant entre 1 et 10. La valeur 1 correspond à une vulnérabilité climatique minimale, incarnée par la réponse d’un-e chef-fe de ménage d’un quartier, alors que la valeur 10 symbolise une vulnérabilité climatique maximale correspondant aux réponses cumulées des 10 chef-fe-s de ménage d’un quartier. La valeur moyenne de l’indice que nous pouvons en déduire est égale à 5. Ainsi, les 26 quartiers de la ville de Ziguinchor et les 18 ethnies que nous avons interrogées dans ces quartiers sont répartis selon trois classes de l’indice empirique de vulnérabilité climatique :
- la classe 1-4 correspond aux quartiers et aux ethnies faiblement vulnérables;
- la valeur 5 concerne tous les quartiers et les ethnies moyennement vulnérables;
- la classe 6-10 regroupe tous les quartiers et les ethnies qui présentent un niveau de vulnérabilité climatique élevé.
Dans la mesure où les réponses individuelles peuvent être différentes, nous avons jugé utile d’utiliser le khi2 comme test statistique. La significativité des différences associées aux réponses des chef-fe-s de ménage concernant les manifestations du changement climatique et les stratégies d’adaptation, proposées par ceux-ci et celles-ci, est appréciée selon un risque d’erreur égal à 5% (p < 0,05). Avec le logiciel Tanagra 1.4, le khi2 est établi sur un nombre d’observation n = 260, correspondant au Degré De Liberté (DDL), c’est-à-dire le nombre de chef-fe-s de ménage interrogé-e-s. Cette analyse statistique est réalisée à deux niveaux : le quartier et l’ethnie. Ce changement d’échelle va-t-il influer sur les réponses individuelles des chef-fe-s de ménage relatives aux manifestations et aux stratégies d’adaptation au changement climatique dans la ville de Ziguinchor. Va-t-il aussi influencer la distribution de l’effectif des quartiers et des ethnies selon les valeurs de l’indice empirique de vulnérabilité environnementale, lequel est construit à partir de ces réponses individuelles? Y a-t-il une concordance entre les manifestations scientifiques du changement climatique et celles relatives aux connaissances des populations?
Résultats et discussion
Manifestations du changement climatique et connaissances scientifiques
La ville de Ziguinchor a connu une forte variabilité interannuelle de la pluviométrie de 1951 à 2014, marquée par une tendance générale à la baisse (figure 2a) et l’alternance de périodes humides et de périodes sèches (figure 2b). Les périodes sèches correspondent à 44 années sur 64 en valeur absolue, soit 69% en valeur relative. Elles couvrent notamment les décennies 1970, 1980 et 1990.
Parallèlement à la baisse globalisée de la série pluviométrique (1951-2014), on observe une augmentation tendancielle de la température moyenne de l’air à Ziguinchor (figure 3).
Cette augmentation est plus manifeste à l’échelle mensuelle (figure 4). En effet, l’analyse comparative des séries 1951-1982 et 1983-2014 révèle en moyenne une augmentation de la température de l’air à Ziguinchor de 1, 26°C. Cette variation positive laisse entrevoir des disparités à l’échelle mensuelle. Ainsi, les données analysées montrent le passage d’une variation minimale de 0,83°C au mois de novembre à une variation maximale de 1,57°C au mois de mars.
Manifestations du changement climatique et connaissances des populations
À l’échelle des quartiers de la ville de Ziguinchor
L’importance des représentations individuelles du changement climatique dans le développement local et national est comprise depuis quelques années (Bord, O’Connor, Fisher, 2000; Krosnick et al., 2006). L’influence des facteurs culturels ou des perceptions communautaires des risques liés au changement climatique est encore relativement documentée (Pidgeon, Butler, 2009; Adger et al., 2012; Ahmad et al., 2012). Une étude a établi une relation significative entre l’augmentation de la température moyenne de l’air et le niveau de perception du risque lié au changement climatique (Jenkins et al., 2010).
À l’échelle des quartiers de la ville de Ziguinchor, la population cible de notre étude a une prise de conscience non négligeable des manifestations du changement climatique, car sur les 260 chef-fe-s de ménage interrogé-e-s, seul 01 les ignore. Toutefois, nous constatons une différence significative des représentations individuelles entre les manifestations du changement climatique, particulièrement la salinisation des terres, les inondations et la baisse de la pluviométrie (tableau 1.).
Augmentation de la température | Salinistion des terres | Inondations | Baisse de la pluviométrie | Ignorance | DDL | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | |
21 | 0,08 | 03 | 188,91 | 16 | 285,44 | 219 | 300,39 | 01 | 260 |
P=0,6117 >0,05 | P=0,000 <0,05 | P=0,000 < 0,05 | P=0,000 <0,05 |
Cette différence dans les représentations des aménités environnementales liées au changement climatique est le reflet de la pluralité ethnique des quartiers de la ville de Ziguinchor. Chaque catégorie sociale perçoit les manifestations du changement climatique selon son mode de vie. Ainsi, la salinisation des terres, les inondations et la baisse de la pluviométrie, associées au changement climatique, ne peuvent pas être socialisées de manière homogène par les populations concernées puisqu’elles sont différemment exposées à ces phénomènes naturels. En revanche, l’augmentation de la température s’individualise avec une différence statistiquement non significative (P = 0,6117 > 0,05). En effet, la ville de Ziguinchor est réputée par sa chaleur, devenue partie intégrante du vécu quotidien des populations. L’analyse révèle, par ailleurs, une catégorisation des chef-fe-s de ménage selon les représentations des manifestations du changement climatique. Ainsi, 84% des chef-fe-s de ménage interrogés dans l’ensemble des quartiers de la ville de Ziguinchor considèrent la baisse de la pluviométrie comme la manifestation du changement climatique la plus vécue, contre 8% pour l’augmentation de la température de l’air, 6% pour les inondations et 2% pour la salinisation des terres (figure 5).
Si nous considérons les classes de l’indice empirique de vulnérabilité climatique, il s’avère que les 26 quartiers sont faiblement affectés par les inondations, l’augmentation de la température de l’air et la salinisation des terres (tableau 2).
Classes de l’indice de vulnérabilité climatique | Manifestations du changement climatique | |||
Inondations | Augmentation de la température de l’air | Salinisation des terres | Baisse de la pluviométrie | |
1-4 (Faible) | 26 | 26 | 26 | 11 |
5 (Moyen) | 0 | 0 | 0 | 15 |
6-10 (élevé) | 0 | 0 | 0 | 0 |
La répartition de l’effectif des quartiers selon les classes de l’indice empirique de vulnérabilité climatique révèle que les 26 quartiers sont faiblement vulnérables aux inondations, à l’augmentation de la température de l’air et à la salinisation des terres. En revanche, on constate que 11 et 15 quartiers sont respectivement faiblement et moyennement vulnérables à la baisse de la pluviométrie. Cette classification trouve son explication dans les efforts déployés par la municipalité à travers les projets de pavage des quartiers de la ville et de raccordement de ceux-ci à un système d’assainissement (photos 2 et 3). En effet, la stratégie de gestion des eaux usées, pluviales et des ordures s’est nettement améliorée avec lesdits projets. Auparavant, il n’existait aucun dispositif d’assainissement soucieux de l’évacuation régulière des eaux pluviales et des enjeux environnementaux associés. Ainsi, face à l’obsolescence, voire l’inexistence d’un système d’évacuation adéquat, les populations, surtout celles des quartiers périphériques de la ville, étaient exposées à des risques d’inondations. Dans un tel contexte, les populations développent des méthodes certes empiriques de protection des terres et contre ces dernières (sacs de sable, diguettes), mais qui renforcent tout de même, plus ou moins, leur résilience face aux contingences climatiques.
Par ailleurs, l’une des caractéristiques les plus évidentes de l’ambiance climatique de la ville est, entre autres, la canicule qui sévit quasiment toute l’année. Ainsi, les variations de la température de l’air dans la ville selon les types de temps journalier, mensuel ou saisonnier sont très faibles, au point où les populations sont peu sensibles à celles-ci. Le recul de la salinisation des terres est aussi justifié par la restructuration progressive des quartiers de la ville et son étalement au détriment de l’espace périurbain. En revanche, une distribution hétérogène des effectifs des classes de l’indice empirique de vulnérabilité environnementale est manifeste avec la baisse de la pluviométrie. Cela se traduit concrètement par 11 quartiers faiblement vulnérables et 15 qui le sont moyennement. Cette classification s’explique par la diversité des sites d’implantation des quartiers à l’image des bas-fonds (photo 4), gage de vulnérabilité structurelle. À cela s’ajoutent les îlots de chaleur urbaine (effet d’urbanisme) et, par conséquent, du microclimat dans la ville.
À l’échelle des ethnies de la ville de Ziguinchor
La classification des ethnies selon l’indice empirique de vulnérabilité environnementale révèle une situation hétéroclite. En effet, si on considère les inondations, l’augmentation de la température de l’air et la salinisation des terres, on constate que toutes les ethnies interrogées sont faiblement vulnérables (tableau 3).
Classes de l’indice de vulnérabilité climatique | Manifestations du changement climatique | |||
Inondations | Augmentation de la température de l’air | Salinisation des terres | Baisse de la pluviométrie | |
1-4 (Faible) | 18 | 18 | 18 | 14 |
5 (Moyen) | 0 | 0 | 0 | 01 |
6-10 (élevé) | 0 | 0 | 0 | 03 |
La distribution de l’effectif des ethnies selon les classes de l’indice empirique de vulnérabilité climatique par rapport à la « baisse de la pluviométrie » montre que 14 ethnies sont faiblement vulnérables, contre 01 et 03 qui les sont respectivement moyennement et fortement. Cela atteste la prise de conscience des populations relative aux impacts positifs des travaux de restructuration des quartiers par la municipalité qui s’inscrivent dans l’amélioration de leur cadre de vie. Par ailleurs, ce vécu populaire, différencié de la baisse de la pluviométrie, reflète de fait la pluralité ethnique, la diversité des modes de vie et de la socialisation des questions environnementales. De surcroît, la capacité d’adaptation des ethnies face à la baisse de la pluviométrie varie selon les moyens dont elles disposent. Ainsi, selon les conditions de vie des populations, certaines catégories sociales peuvent être plus résilientes que d’autres, plus vulnérables, économiquement et socialement.
Stratégies d’adaptation face aux manifestations du changement climatique
À l’échelle des quartiers de la ville de Ziguinchor
Contrairement aux manifestations du changement climatique dont les chef-fe-s de ménage ont plus ou moins conscience, la moitié de la population interrogée (130 chef-fe-s de ménage sur 260) ignore les stratégies à mettre en œuvre pour atténuer les effets néfastes du changement climatique. Les stratégies révélées par la population pour faire face aux manifestations de ce dernier (inondations, augmentation de la température de l’air, baisse de la pluviométrie, salinisation des terres) sont multiples et variées. Il s’agit notamment de l’utilisation d’engrais, de la construction de digues, de l’usage de moustiquaires imprégnées, certainement pour se prémunir contre le paludisme qui s’associe aux inondations et le reboisement pour pallier au déficit pluviométrique. Ces stratégies sont significativement différentes à l’échelle des quartiers de la ville Ziguinchor (tableau 4).
Engrais | Digues | Moustiquaires | Reboisement | Autres | Ignorance | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | khi2 | Effectif | Effectif |
34 | 488,65 | 21 | 441,28 | 18 | 384,40 | 219 | 300,39 | 12 | 130 |
P=0,000 <0,05 | P=0,000 <0,05 | P=0,000 < 0,05 | P=0,000 <0,05 |
Ainsi, 50% des chef-fe-s de ménage interrogé-e-s sur l’ensemble des quartiers de la ville de Ziguinchor ignorent les stratégies à mettre en place pour s’adapter aux effets néfastes du changement climatique, contre 17% pour le reboisement, 13% pour l’utilisation d’engrais, 8% pour la construction de digues, 7% pour l’usage de moustiquaires imprégnées et 5% pour les autres stratégies (figure 6).
Ces différences relatives au vécu des stratégies d’adaptation au changement climatique traduisent la diversité des phénomènes naturels auxquels les quartiers sont soumis. Cette exposition est d’autant plus prégnante que le quartier est localisé dans un site écologiquement vulnérable.
Les quartiers qui jouxtent le fleuve Casamance ou localisés dans des bas-fonds (Santhiaba, Diéfaye, Kandé, Kandé Sibenck, Belfort…) sont exposés à des aléas différents de ceux des quartiers lointains (Kansahoudy, Kandialang Est, Kandialang Ouest…) ou implantés sur un site de bas plateau. Ainsi, l’appariement qui se distingue transparaît sur la vulnérabilité écologique des quartiers de la ville et, par conséquent, sur le caractère différencié des stratégies d’adaptation empiriques des populations pour faire face au changement climatique.
À l’échelle des ethnies de la ville de Ziguinchor
Au niveau ethnique, seule la stratégie liée au reboisement n’est pas différemment perçue (p = 0,18 26 > 0,05) par les ethnies. Cela signifie qu’elles ont la même représentation empirique du reboisement et de l’utilité de l’arbre. Concernant les stratégies relatives à l’utilisation d’engrais, construction de digues et l’usage de moustiquaires imprégnées, la tendance déjà observée à l’échelle du quartier s’est confirmée (tableau 5). La distribution de l’effectif des chef-fe-s de ménage selon des représentations des stratégies d’adaptation au changement climatique est hétérogène. De 34 chef-fe-s de ménage pour l’utilisation d’engrais, on passe à 21 pour les digues de protection, 18 pour l’utilisation des moustiquaires imprégnées, 45 pour le reboisement, 130 pour les ignorants et 12 pour les autres (sensibilisation, évacuation régulière des ordures…).
Tableau 5. Représentations des stratégies d’adaptation au changement climatique par les chef-fe-s de ménage selon les ethnies
Par ailleurs, si on considère individuellement les manifestations du changement climatique, on constate que les différences dans les stratégies d’adaptation sont plus manifestes (tableau 6). La distribution de l’effectif des chef-fe-s de ménage selon des représentations des stratégies d’adaptation au changement climatique est hétérogène. De 34 chef-fe-s de ménage pour l’utilisation d’engrais, on passe à 21 pour les digues de protection, 18 pour l’utilisation des moustiquaires imprégnées, 45 pour le reboisement, 130 pour les ignorant-e-s et 12 pour les autres (sensibilisation, évacuation régulière des ordures…).
Tableau 6. Représentations des stratégies d’adaptation au changement par les chef-fe-s de ménage selon les manifestations du changement climatique
Ce qui corrobore non seulement la diversité – partagée dans l’espace urbain – des phénomènes environnementaux auxquels les populations sont assujetties, mais aussi des marqueurs sociaux. Ce regard croisé – différencié selon les stratégies d’adaptation empiriques des populations – s’explique, entre autres, par la pluralité ethnique et des pratiques socio-culturelles qui se reflètent sur la socialisation des phénomènes naturels, ainsi que des stratégies à mettre en place pour atténuer leurs effets négatifs. Les groupes sociaux autochtones (Diola, Mandingue, par exemple) s’adaptent mieux que les Wolofs, Sérères, par exemple, puis qu’ils socialisent plus facilement l’espace urbain partagé.
Ainsi, au regard du nombre de chef-fe-s de ménage qui restent dans l’ignorance, les capacités d’adaptation des populations doivent être renforcées (ateliers de formation, campagnes de sensibilisation…) afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle dans l’élaboration des stratégies idoines de réduction de la vulnérabilité environnementale à l’échelle locale. Le renforcement des capacités d’adaptation des communautés humaines est donc plus que nécessaire et pressant (Yohannes, 2012). Dans ce sillage, il serait judicieux de faire ressortir le caractère différencié des stratégies d’adaptation développées par les catégories sociales ainsi que les spécificités des entités spatiales (Brody et al., 2008) dans l’optique d’une territorialisation des politiques publiques calquées sur les discontinuités socio-spatiales, les potentialités et les aménités environnementales des territoires.
Conclusion
Au total, la ville de Ziguinchor est exposée à une vulnérabilité environnementale liée au changement climatique. Parmi les manifestations évoquées par les populations figurent la récurrence des inondations, l’augmentation de la température de l’air, l’avancée de la langue salée et la baisse de la pluviométrie. Cela signifie que les manifestations du changement climatique sont connues par les populations à l’échelle de la ville de Ziguinchor même s’il s’agit d’une connaissance empirique.
L’indice empirique de vulnérabilité climatique, construit à partir des connaissances individuelles (chef-fe-s de ménage) et empiriques des manifestations du changement climatique, a montré que le passage de l’échelle du quartier à celle de l’ethnie entraîne concomitamment le passage d’un niveau de vulnérabilité homogène des quartiers et des ethnies à un niveau de vulnérabilité hétérogène. Le changement d’échelle a donc influé la distribution des effectifs des quartiers et des ethnies selon les classes de l’indice empirique de vulnérabilité environnementale. Ce changement d’échelle a aussi impacté sur la significativité des différences relatives aux représentations individuelles (chef-fe-s de ménage) des manifestations du changement climatique. En revanche, 50% des chef-fe-s de ménage ignorent les stratégies à mettre en œuvre pour atténuer les manifestations du changement climatique.
Références
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