Valorisation des interstices urbains à travers l’horticulture ornementale à Dakar : acteurs et retombées socio-économiques

Ibrahima NDIAYE, Ibrahima Faye DIOUF, Daniel GOMIS, et Sidia Diaouma BADIANE

 

Introduction

Au Sénégal, notamment dans la région dakaroise, le lien entre l’agriculture et la ville est analysé par des travaux de géographes depuis les années 1970 (Diongue, 2010). Le curseur est mis sur la diversité des systèmes agricoles urbains et périurbains et leur capacité à nourrir la ville, mettant ici l’accent sur sa fonction nourricière. Ces travaux d’Arnaud (1970), de Dubresson (1979), Bellot et Denis cités par Diongue (2010), ont analysé les circuits d’approvisionnement et les structures d’encadrement (Ngom et al., 2017). Aujourd’hui, la multifonctionnalité de l’agriculture urbaine (AU) et les contraintes liées au processus de métropolisation de la région de Dakar retiennent davantage l’attention (Ngom, 2017, Diouf, 2020). Ce processus de métropolisation s’accompagne d’une compétition autour du foncier, engendrant un effet paradoxal (Diop, 2023), une baisse progressive des espaces agricoles (Ba et al., 2023) et une demande croissante en produits agricoles. Dans ce contexte, la pérennisation de l’agriculture intra-urbaine est un défi à la fois alimentaire, environnemental mais aussi économique. L’agriculture joue un rôle essentiel dans le marché de l’emploi en milieu urbain (Chaléard, 2023). Dans la région de Dakar, elle participe à la réduction du chômage et à l’assainissement de la ville par le recyclage des déchets organiques (Tounkara, 2015, Ndienor cité par Ba, 2023). Malgré la présence des Niayes qui favorise le développement du maraîchage et de l’arboriculture, grâce à la présence de vallées asséchées, parsemées de lacs, la place de l’agriculture dans la région de Dakar est en sursis et elle se fait dans une grande précarité (Ba, 2023). La dynamique démographique[1], dans un contexte de métropolisation avec de grands travaux d’infrastructures urbains, réduit drastiquement les espaces agricoles dans la région.

Malgré tout, des initiatives demeurent et se déploient dans les interstices urbains, des espaces résiduels non bâtis de l’aménagement (Tonnelat, 2003). Ce sont des espaces publics appropriés par des tiers pour y développer des activités économiques. Elles peuvent prendre la forme d’une agriculture de plantes ornementales. Ce secteur de l’agriculture urbaine se positionne dans la production et la commercialisation de plantes, de fleurs et d’accessoires. Il représente un enjeu important en termes de création d’emplois, de revenus au profit de plusieurs acteurs et en termes d’environnement, d’amélioration du cadre et de la qualité de vie dans les villes (Radji et al., 2010).

En effet, avec un déficit de planification de l’espace urbain dakarois, cumulé à une densité importante (7 277 hab./km2), les interstices urbains deviennent des supports d’activités économiques. Roux (2015) insiste sur la convoitise des interstices urbains avec une hausse des initiatives visant à la réappropriation de ces espaces, notamment avec l’horticulture ornementale.

Comment l’horticulture ornementale s’inscrit dans l’espace urbain dakarois? Quels sont les acteurs qui la portent, pour quels enjeux économiques? Cette contribution se propose d’analyser la place de l’agriculture dans l’espace public à travers le déploiement de l’horticulture ornementale. Il s’agit d’analyser les pratiques socio-spatiales des agriculteurs dans l’espace urbain, en termes de stratégies d’adaptation, autour de pratiques quotidiennes déployées pour maintenir leur activité en ville (Robineau et al., 2014). Il s’agit aussi de mettre en lumière les apports économiques de cette activité pour les pratiquant·es.

Nous formulons l’hypothèse qu’au-delà des enjeux économiques en termes de créations d’emplois, le secteur de l’horticulture ornementale est aussi mobilisé comme un levier important dans l’aménagement urbain à travers un processus de végétalisation de l’espace urbain[2].

Dans une première partie, une caractérisation des espaces de culture ornementale dans la région de Dakar sera faite. Une seconde partie mettra en lumière les logiques individuelles et collectives des acteurs du secteur. Une dernière partie portera sur les apports économiques en termes de création d’emplois.

Méthodologie

La place de l’horticulture ornementale dans l’espace urbain est analysée en termes d’accès et de privatisation de l’espace public. Les travaux de De Magalhaes (2010) offrent une lecture des pratiques des acteurs, à travers les notions de « right of access », le « right of use » et « ownership/control » (Clément et Soulard, 2016). La notion d’accès est déclinée par Benn et Gaus (Li et al., 2022, p. 481) en « accès physique aux espaces, l’accès aux activités et à l’interaction, l’accès à l’information et l’accès aux ressources » (notre traduction). Cette grille permet d’appréhender les stratégies de déploiement de l’horticulture ornementale dans l’espace urbain dakarois et les logiques d’appropriation et de valorisation de l’espace public. En s’appuyant sur un travail d’enquête, cette étude a pour objectif de rendre compte des pratiques spatiales et des logiques économiques individuelles et/ou collectives observables dans la région de Dakar.

En raison du manque de données statistiques, on a procédé dans un premier temps par une prospection dans la région pour faire l’état des lieux des stations horticoles afin de collecter les premières données sur les acteurs potentiels de l’horticulture ornementale. Ce travail préalable a permis d’établir une base correcte d’échantillonnage pour les enquêtes auprès des producteurs. Le choix des sites enquêtés a été fait en prenant en compte la localisation dans les différentes communes selon un gradient centre-périphérie.

Tableau 1. Recensement des exploitations (source : Ibrahima Ndiaye, 2021)

Commune Exploitations recensées Exploitations enquêtées
Dalifort 50 23
Fass Gueule-Tapée-Colobane 11 2
HLM 42 17
Yoff 32 16
Ngor 35 13
Grand-yoff 42 15
Mermoz sacré-cœur 30 12
Ouakam 60 28
Hann bel-air 102 44
Patte d’Oie 87 31
Pikine 26 8
Wakhinane nimzatt 2 1
Rufisque 7 3
Mbao 18 4
Plateau 3 3
Point E 7 3
Golf sud 26 6
Total : 17 580 229

Sur une base de 580 stations horticoles recensées, réparties sur 17 communes, 229 pépiniéristes ont été enquêtés dans la région de Dakar. Les données sont collectées à l’aide de questionnaires destinés aux producteurs. Les enquêtes de terrains ont permis de renseigner sur le profil socio-professionnel des producteurs, les facteurs de production, les stratégies de déploiement dans l’espace urbain et les retombées socio-économiques du secteur de l’horticulture ornementale. L’analyse du profil socio-économique permet de comprendre les catégories d’acteurs présents dans le secteur et les logiques spatiales et économiques. Elle permet aussi de comprendre les pratiques économiques et entrepreneuriales.

Horticulture ornementale dans l’espace public dakarois

Les périmètres horticoles épousent les voies de communications terrestres, le long de l’accès principal (route de Ouakam, route de l’aéroport) et des autoroutes (autoroute Seydina Limamoulaye). Certaines exploitations sont localisées plus précisément autour des Cimetières (Cimetière Musulman de Yoff, celui de Saint Lazare De Bètanie), des Écoles (Centre de Formation Professionnelle Horticole de Camberène, Ecole Nationale de Police), des Entreprises (Senelec, ONAS), autour des Points d’eaux (Réserve Naturelle Urbaine de la Grande Niayes de Pikine et dépendance, le Lac de mariste) (Cf. carte 1).

Carte 1. Répartition des pépinières dans la région de Dakar

Source : DTGC 2014 / projection: WGS 84 Zone 28 N / réalisateur : Ibrahima Ndiaye

Les sites horticoles sont situés essentiellement dans le département de Dakar, notamment dans les communes situées dans la zone des Niayes. En effet, les espaces horticoles sont inégalement répartis dans la capitale sénégalaise, ainsi les communes de Hann bel air, Patte d’Oie et Grand Yoff occupent respectivement 61 % des superficies horticoles d’ornement. Ces communes se situent dans la zone éco-géographique des Niayes de la région de Dakar qui, par ses caractéristiques écologiques (adoucissement du climat, hydromorphie des sols, formations végétales d’affinité guinéenne, etc.) (Badiane et Mbaye, 2018), offrent des conditions favorables au développement de l’agriculture urbaine. Les autres stations sont disséminées dans les autres communes du département de Dakar, les communes de Ouakam 5 % (4960 m²), et HLM 4 % (3564 m²) occupent 16 % des surfaces; elles participent à l’évolution de la filière.

Enfin, Point E 1 %, Plateau 0,021 %, Rufisque 0,48  %, Wakhinane nimzatt 0,32 %, Pikine 2 %, Mermoz sacré-cœur 3 %, Yoff 3 % Ngor 3 % et Fass Gueule-Tapée Colobane totalisent 15 % de la surface totale. Les résultats d’enquêtes ont permis d’estimer la surface moyenne des stations horticoles par exploitation à 251 m². L’importance du nombre de sites dans l’espace urbain fait de cette pratique une activité importante du paysage urbain dakarois. Ce sont des portions de l’espace public qui sont appropriées pour des pratiques économiques et entrepreneuriales. Ces interstices urbains offrent à l’activité agricole des possibilités de déploiement pour répondre à des besoins multiples : une création de revenus pour les producteurs, des espaces verts dans les communes concernées et une diversité d’offres de plantes ornementales pour les habitants de la région de Dakar.

Le choix des sites de production de plantes ornementales se justifie par la situation stratégique de ces espaces qui offrent une disponibilité foncière et présentent moins de risques de déguerpissement selon les acteurs interrogés. La disponibilité du foncier constitue le véritable problème pour le développement du secteur de l’horticulture ornementale à Dakar. Les interstices situés dans les accotements, à moins de 5 m de la chaussée, aux alentours des équipements publics présentent, de l’avis des pratiquants, moins d’emprises sur l’espace public et favorisent une pérennité de leur activité. Ces espaces publics sont aménagés pour répondre aux besoins de la clientèle. De par leur localisation, les territoires horticoles sont, aux yeux des exploitants, des espaces-ressources appropriés.

Planche 1. Culture de fleurs sur les accotements, Route de Ouakam[3], 2023

Source : Ibrahima Ndiaye, 2023

Ces espaces horticoles sont présentés par les acteur·trices comme des « espaces verts » participant à l’embellissement de la ville. Ces dernier·es justifient leur présence dans l’espace public par cette fonction spécifique à la ville. Cette représentation positive de leur place dans l’espace urbain dénote avec la perception encombrante des autres activités informelles (garages, menuiseries, commerces…). Ces acteur·trices de productions urbaines participent à un processus de végétalisation le long des trottoirs et offrent des externalités positives à la ville. Les stations horticoles sont des espaces de biodiversité végétale, qui sont mis en scène dans l’espace public. Le soin accordé à l’agencement des plantes et des fleurs, selon la taille, les couleurs, les associations de variété de plantes, crée une cohérence visuelle assumée. Cette stratégie répond à la fois à une logique économique mais aussi de démarcation avec les autres activités économiques qui se déploient dans l’espace urbain. C’est une démarche qui s’apparente à une stratégie de négociation voire de consolidation de la place de ces acteur·trices dans l’espace urbain. L’horticulture ornementale, malgré les contraintes foncières, entretient ainsi une relation forte avec la ville. Elle participe à la production de la ville en se déployant dans quasiment toutes les communes de la région de Dakar. Elle repose aussi sur la captation de la rente économique liée à la ville.

Les différentes formes d’agriculture répondent aux multiples fonctions : production de revenus, création des emplois, construction du paysage, absorption des déchets organiques urbains, recréation du lien social (Aubry, 2014). Ces pratiques informelles, développées par des acteur·trices opérant normalement en dehors du cadre légal et réglementaire d’un pays (Loayza cité par Nicolini et al., 2019), répondent à des logiques socio-spatiales multiples.

Les acteur·trices de l’horticulture ornementale : entre logique individuelle et inscription dans des solidarités partagées

Le développement de l’horticulture ornementale comme activité marchande dans la ville de Dakar est une stratégie de renforcement des ressources financières des producteurs. Ces acteur·trices ont des niveaux académiques relativement faibles et peu de perspectives d’inscription dans les secteurs formels.

41 % des acteur·trices de secteurs interrogés affirment être « analphabètes » et 24 % ont le niveau primaire. C’est un profil essentiellement masculin (97 %) avec une cohabitation intergénérationnelle. En effet, les classes d’âge présentes oscillent entre 20 et plus de 50 ans. Le sex-ratio en faveur des hommes s’explique par la pénibilité du travail, essentiellement manuel, mais aussi par les contraintes sociales que subissent les femmes (Ba, 2017). En Afrique, un ensemble de croyances cantonnent la femme à un rôle de fille, d’épouse, de mère et grand-mère, et de ménagère avant d’être entrepreneure (Diop et al., 2022). Mais, aujourd’hui, elles trouvent leur place dans l’agriculture urbaine et développent des formes des pratiques agricoles autour du micro jardinage, quelquefois dans des systèmes de production hors sol et intra-domestique (Ba, 2017).

Les stations horticoles sont des espaces de coprésence avec une cohabitation de populations de diverses origines; une différence ethnolinguistique parmi les acteur·trices avec une prédominance de la communauté Sérère. Ces derniers représentent 83,4 %. Les 16,6 % restants sont composés de Diola, de Wolof, de Peul·es…. Issus majoritairement du bassin arachidier en crise, les exploitants Sérères[4] mobilisent leur capital culturel, leur savoir-faire lié à la pratique de la terre. Les réseaux de proximité inter-villageois de solidarité facilitent l’installation des nouveaux venus. Les acteur·trices interrogé·es affirment s’appuyer sur un réseau de connaissance à leur début pour le choix des sites, dans l’inscription dans la filière (achat des fleurs, fabrication de la fumure organique, confection des pots de fleurs…).

Les enquêtes révèlent que les producteurs jugés “qualifiés”, ayant acquis des compétences à la suite d’une formation certifiante, sont minoritaires avec 11 % contre 89 % pour ceux qui n’ont pas suivi une formation en horticulture. L’expérience des agriculteur·trices vient de l’observation et de l’apprentissage, d’abord en tant qu’ouvrier·es dans les pépinières et, ensuite, par le biais de la création de leur propre station horticole. La faiblesse du niveau académique est compensée par l’expérience dans la pratique.

Un pourcentage de 88 % se considère « non qualifié » en raison d’une absence de diplôme en horticulture. C’est ce qui expliquent leur recours au renforcement des capacités. 11 % de l’effectif total ont bénéficié de formation au niveau du Centre de formation professionnelle horticole (CFPH) de Cambérène ou du Centre d’Initiation et de Perfectionnement dans les métiers de l’Agriculture (CIPA) de Mbao. Ces centres disposent d’une reconnaissance par une attestation de technicien horticole de leur savoir-faire. Un processus de professionnalisation du secteur qui est de plus en plus concurrentiel. Deux statuts émergent, des producteurs « entrepreneurs » qui disposent des moyens de recruter un « Surga »[5]. Près de 59 % emploient une main d’œuvre saisonnière. La pluriactivité est très présente chez certain·es acteur·trices de la filière. Près de la moitié d’entre eux et elles, (57 %) cumulent, avec la production des plantes ornementales, une deuxième activité. Il s’agit de travaux d’entretien de jardins dans la ville (entretien des haies, des arbres, le débroussaillage) et parfois un travail de plantation dans les maisons familiales, dans des espaces publics communs (universités, ronds-points…), ou chez des privés (hôtels, des entreprises, des écoles). Cette diversification des sources de revenus participe de la consolidation de l’activité économique.

Ces acteur·trices s’inscrivent à la fois dans des logiques individuelles de productions et de ventes de plantes et de fleurs mais aussi dans des formes de solidarité. Les exploitants déclarent majoritairement gérer individuellement leur espace, soit 87 % d’entre eux. Certains (12 %) sont dans des logiques associatives. Il s’agit des Associations (3 %), de l’Association des Fleuristes Exploitants des Niayes (AFEN), “Guayou Bakh yi”, “Bokkou Diome” etc., mais aussi des GIE (8,73 %) comme les Cycas basé à Ouakam, le GIE Groupement des jardiniers des Almadies, le GIE “Diappal ma Diappou” et enfin des Entreprises (0,87 %) “Toolu yaye fati” et “Senegal jardin.” Cette situation s’explique souvent par le fait que la plupart des exploitations est installée sur l’emprise des routes et ne dispose pas de permis d’occupation. La forte croissance urbaine de la ville de Dakar et les enjeux économiques autour de la commercialisation des produits d’ornements poussent les acteur·trices à développer des stratégies de défense des intérêts de la filière dans un espace urbain aux pratiques concurrentielles. Les associations assurent un rôle de médiation, à travers des négociations avec les acteurs publics, les municipalités, afin d’asseoir la durabilité de la filière. Elles participent à la légitimation de la pratique dans l’espace urbain. L’approche collective participe à une dynamique de mise en réseau en facilitant à ses membres l’accès aux ressources importantes pour la filière, les pépinières, l’accès à l’eau et à la fumure organique.

Dans l’espace dakarois, cette forme d’agriculture urbaine constitue un important levier de développement, c’est un secteur d’activité qui remplit plusieurs fonctions, notamment la réduction du chômage en offrant des revenus aux acteur·trices de la filière (nombre d’emplois et caractéristiques de ces emplois). Elle participe à la stratégie d’inscription urbaine par des formes de territorialités multiples.

Les logiques économiques et entrepreneuriales

Le secteur de l’horticulture ornemental dakarois se caractérise par un mode de production manuel. La production nécessite un coût avec des dépenses destinées à l’achat d’intrants, d’engrais organiques, de produits phytosanitaires, pots, eau, électricité, sable etc. Le tableau 2 présente la répartition des exploitations selon le coût moyen mensuel et/ou par an. Il apparaît que 88 % des producteur·trices de plantes ornementales dépensent mensuellement 35.667.000 F CFA, soit 428.010.000 F CFA par an (tab. 2). En revanche, le coût moyen de production d’un exploitant revient à 302.500.

Image 1. Composition d’une station de l’horticulture ornementale

Source : enquêtes de terrain, 2023
  1. pots de fleurs fabriqués sur place à base de sable et de ciment;
  2. Terreau (fumier) produits à la partir de feuille d’arbres;
  3. Sachets plastiques et bouteilles d’eau recyclées.
  4. fleurs vendues;

Ainsi, le terreau coûte 60.000 F CFA par camion alors que les autres charges sont réparties ainsi qu’il suit : 2.500 F CFA pour les sachets plastiques, 30.000 F CFA pour le sable, 10.000 F CFA pour l’engrais organique et 5.000 F CFA pour les produits phytosanitaires. Dans certaines stations horticoles, situées dans les communes de Fass Gueule-tapée Colobane, Wakhinane nimzatt, Mermoz Sacré-cœur, Ngor, Yoff, Ouakam, Point E et Plateau, la taxe hydraulique pèse sur les dépenses. L’approvisionnement de ces sites se fait par le réseau d’adduction urbain.

La grande variété des gammes de produits avec une diversité florale permet de toucher une cible très variée. Les produits servent à la décoration intérieure et extérieure des maisons, à l’aménagement de l’espace public, aux clients dans les lieux de recueillement (cimetières). Les recettes issues de l’horticulture ornementale sont très variables et renforcent les revenus.

En effet, la répartition des recettes moyennes par mois et/ou par an est consignée dans le tableau 3.

Tableau 3. La recette moyen mensuel et ou ̸ an selon les producteur·trices (source : Ibrahima NDIAYE, enquête, 2023)

Recette moyenne mensuelle (Fcfa) Nombre Montant total ̸mois Montant total ̸an Recette moyenne (FCFA)
87500 11 962500 11550000 598.437
150000 34 5100000 61200000
250000 336 17250000 207000000
350000 69 24150000 289800000
450000 18 8100000 97200000
625000 22 13750000 165000000
875000 7 6125000 73500000
2000000 5 10000000 120000000
Total 202 85.437.500 1.025.250.000

Certaines stations horticoles mobilisent aussi des ouvrier·es agricoles. Le salaire moyen d’un ouvrier·e revient à 57.500 F CFA, assez proche des résultats de Dieng en 2020 (56.071 F CFA). Ainsi, en dépit des performances économiques, le secteur de l’horticulture ornementale demeure sans assistance et évolue dans l’informalité.

Les tableaux 4a et 4b montrent l’effectif des producteurs qui paient des taxes. L’analyse de ces tableaux révèle que 79 % des exploitants ne payent pas de taxes à la municipalité contre 21 % qui payent des taxes (tab. 4a). C’est dans seulement trois communes que les exploitant·es paient la taxe municipale : les communes de Ouakam, de Yoff et de Plateau. En fait, dans les deux premières communes, les exploitants paient des taxes mensuelles; tandis que dans la commune de Plateau, le paiement des taxes est journalier (tab. 4b). Ainsi, les taxes journalières s’élèvent à 300 F CFA, alors que les taxes mensuelles sont de 6000 F CFA. Ces taxes municipales sont collectées par les agents municipaux de la commune. Ces recettes participent de la contribution économique locale des différentes collectivités. Elles permettent aussi aux communes de contrôler le déploiement des activités économiques dans l’espace public. En effet, l’occupation de l’espace public est assujettie à une autorisation d’occupation de la voirie à titre temporaire. Le paiement de la taxe municipale participe de la reconnaissance et de la légitimation de l’activité économique dans ces différentes communes.

Tableau 4a. Le paiement des taxes (source : Ibrahima NDIAYE, enquête, 2023)

Communes Nombre Proportion
Ouakam 28 60 %
Yoff 16 34 %
Plateau 3 6 %
Total 47 100 %

Tableau 4b. Répartition des taxes par communes (source : Ibrahima NDIAYE, enquête, 2023)

Taxe Nombre Proportion
Oui 47 21 %
Non 182 79 %
Total 229 100 %

Ces taxes imposées par certaines municipalités qui restent assez marginales participent d’un processus de marchandisation de l’espace public.

La culture des plantes ornementales assure une fonction économique indéniable. Elle repose aussi sur des principes de durabilité. La fumure organique est le principal fertilisant utilisé. Elle est produite sur place à partir de la feuille de filao (Casuarina equisetifolia), des déchets verts (feuillage des plantes), de la bouse de vaches.

Discussion

L’horticulture ornementale s’inscrit dans la panoplie des activités informelles qui caractérisent le paysage urbain en Afrique subsaharienne. Cette activité, en mobilisant la ressource foncière offerte par les interstices, ne rompt pas le principe circulatoire de la ville. Elle occupe les accotements, entre le trottoir et les murs de séparation des édifices publics et/ou privés. Elle a une dimension entrepreneuriale importante, construite autour d’une filière créatrice de revenus et d’emplois. En effet, l’importance des sommes investies, des revenus déclarés et des emplois créés confirme les travaux de Dieng et al. (2020) sur l’importance de ce secteur économique dans l’espace urbain dakarois. Ces activités menées essentiellement par des hommes consolident la conclusion de Ba (2017) sur la sous-représentation, voire l’invisibilisation des femmes dans le segment de la production agricole à Dakar.

Ces stations horticoles sont principalement situées le long des voies de communication, plus précisément autour des Cimetières, des Écoles, des entreprises de même que des stades. La stratégie de localisation, au-delà de la disponibilité foncière, s’inscrit dans une logique commerciale (Steck, 2007). Cette logique économique de recherche de profit pose la question de l’appropriation de l’espace public et son détournement pour des logiques individuelles. La lutte contre le chômage à travers l’auto emploi est un des arguments avancés par des exploitants. Ces stratégies déployées par les acteur·trices du secteur recoupent les logiques économico-sociales de détournement des trottoirs à Yaoundé, bien décrites par Mbouombouo (2005). Cependant, ces acteur·trices ne semblent pas s’inscrire dans une marginalité urbaine (Mbouombouo, 2005, p. 247). La valorisation d’espaces interstitiels jadis utilisés comme dépotoirs d’ordures positionne ces stations ornementales comme des lieux de production de la ville. Ces espaces participent à combler le déficit d’aménagement urbain en renforçant leur fonction d’embellissement de la ville. Cette privatisation de l’espace public, loin d’être marginale, acceptée par les élus locaux, illustre un processus d’institutionnalisation de la pratique. Les acteurs publics les intègrent dans les programmes d’aménagement urbain pour répondre au déficit d’espaces verts dans la ville. Ces pratiques participent à changer le regard sur les activités informelles sur l’espace public. Leur inscription dans le paysage urbain est renforcée par les dynamiques collectives, d’entraide, sous des formes associatives et/ou coopératives de préservation des intérêts communs.

Finalement, cette réflexion prolonge les travaux de Dieng (2020) sur l’horticulture ornementale à Dakar en s’appuyant sur un échantillon plus important et en élargissant la réflexion sur l’intégration des stations horticoles dans l’espace urbain dakarois. Les exploitations de plantes ornementales couvrent certes des surfaces réduites, une étroitesse des emplacements qui s’observe également dans d’autres pays de la sous-région (Cissé, 1998; Brock et Foeken, 2006, cité par Radji et al., 2010), elles maximisent la valorisation des interstices et se consolident comme des aspects incontournables du paysage urbain dakarois.

Conclusion

Le secteur de l’horticulture ornementale met en exergue les contraintes foncières subies par l’agriculture urbaine. Il révèle aussi l’ingéniosité des producteurs et leurs capacités à valoriser des interstices urbains. Malgré l’appropriation de portions de l’espace urbain, les stations horticoles se distinguent des autres activités entrepreneuriales en participant au verdissement de la région de Dakar. L’apport économique de ce secteur favorise une extension en dehors de sites historiques des Niayes. Une meilleure organisation de la filière et sa reconnaissance accrue par des acteurs institutionnels permettrait de renforcer sa contribution économique dans le secteur de l’agriculture urbaine.

Références

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5 ͤ Recensement général de la population et de l’habitat. 2023, Rapport préliminaire de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie ANDS, 22p.

Situation Économique et Sociale de la région de Dakar. ,2021.Rapport de  l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie ANDS. 347 p.



  1. Capitale du Sénégal, Dakar est un espace métropolitain qui regroupe près du quart de la population sénégalaise en 2023, 4.004.427 habitant·es (ANSD, 2024).
  2. Le plan d’occupation du sol du plan directeur horizon 2035 prévoit 18,5 % pour la promotion de la végétalisation de l’espace urbain.
  3. Station horticole sur la route de Ouakam localisés entre le trottoir et le mur de clôture de l’école supérieur d’économie appliquée de Dakar (ESEA). L’occupation de l’espace se fait sur la longueur, entre 1,5 m à 2 m de large sur 40 à 50 m de long. La plaque indique à la fois la fonction de végétalisation de la ville mais aussi les offres de livraisons à domicile pour les clients.
  4. La tradition agropastorale est reconnue en « pays Sereer”, c’est une communauté porteuse d’une culture d’essence rurale (Pélissier, 1966).
  5. Surga : en wolof, le terme Surga « serviteur » renvoie à un ouvrier agricole, recruté à temps partiel et/ou payé à la tâche.

Pour citer cet article

NDIAYE, Ibrahima, DIOUF, Ibrahima Faye, GOMIS, Daniel et BADIANE, Sidia Diaouma. 2024. Valorisation des interstices urbains à travers l’horticulture ornementale à Dakar : acteurs et retombées socio-économiques. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 3(1), en ligne. DOI : 10.46711/naaj.2024.3.1.6

Licence

La revue NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/naaj.2024.3.1.6

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ISSN : Version imprimée

1840-9865

ISSN : Version en ligne

2630-144X