Les transitions socio-écologiques peuvent-elles changer l’agriculture?
Quelques enseignements de la circulation internationale des normes en matière d’agroécologie
Mehdi ARRIGNON
Introduction
Depuis 2012, le Ministère de l’agriculture français a fait sien le lexique de « l’agroécologie ». Un plan de « transition agroécologique » a été développé en une soixantaine d’actions. Ce plan pourrait paraître comme une nouvelle tentative de réconcilier les trois dimensions que le développement durable veillait déjà à associer traditionnellement : économique, social, environnemental (Lascoumes, 2012). Qu’est-ce que ce plan dit de « transition » apporte-t-il de neuf? A-t-il provoqué un changement de référentiel (Muller, 2000a) des politiques agricoles? S’il s’agit d’une politique comme les autres, alors on peut en analyser les partis pris théoriques, les référentiels (Muller, 2005) et in fine en évaluer les perdants et les bénéficiaires. Enfin, quel rôle les circulations internationales de normes en matière d’agroécologie ont joué dans le processus de réforme? Nous verrons que des transferts, des appropriations sélectives et des rétro-actions ont eu lieu entre pays du Nord et du Sud depuis les premières expériences latino-américaines et les premières théorisations sur l’agroécologie. Au cours du processus des conceptions variées et parfois conflictuelles, voire contradictoires, se sont opposées au regard des changements agricoles.
Les transitions socio-écologiques peuvent-elles donc changer l’agriculture? Pour proposer quelques enseignements autour du plan français de transition et de la circulation internationale des modèles en matière d’agroécologie, nous nous appuierons sur un bilan issu d’un travail collectif sur le « modèle agroécologique » tel qu’il a été pensé et appliqué en France (Arrignon et Bosc, 2020). Nous utiliserons le terme de « modèle » de manière critique en soulignant les importations, les traductions et les risques associés au transfert international des solutions d’action publique. En particulier, nous soulignerons en quoi le plan de transition agroécologique français a pu réutiliser des savoirs issus originellement de pays du Sud, originellement critiques à l’égard du modèle agro-productiviste dominant, pour n’en tirer que des enseignements marginaux. Dans la première partie, nous présenterons le plan français, ses partis pris et influences, avant de souligner dans la deuxième partie de l’article les échanges Nord-Sud et certaines réinterprétations dont l’agroécologie a pu faire l’objet depuis le début des années 2000.
France, le tournant tardif de l’agroécologie
Le secteur agricole n’a été impacté que très tardivement par les demandes sociales d’écologisation comme nous allons le voir dans cette partie.
La modernisation de l’agriculture en France : un chemin de dépendance historique et une prise en compte tardive des enjeux écologiques
Le secteur agricole n’a été impacté que très tardivement par les demandes sociales d’écologisation. Au début du XXe siècle en effet, la politique agricole française se caractérisait d’abord par une volonté politique de présence dans les campagnes comme l’atteste la création du Ministère de l’agriculture en 1881 (Muller, 2000b). Dès lors que, dans le modèle de développement adopté, l’agriculture n’était pas considérée comme un débouché industriel ou un réservoir de main d’œuvre, une politique visant à maintenir les équilibres ruraux s’imposait. En cohérence avec cette matrice normative, la politique agricole allait se structurer autour d’un premier référentiel visant à maintenir le maximum de paysans et paysannes à la terre, même si le prix à payer était celui d’une moindre modernisation de l’agriculture. Ces formes agricoles s’accompagnaient toutefois d’une grande difficulté physique considérable et d’un niveau de vie très bas; les conflits pour certains biens, notamment la terre, ont pu être forts comme l’illustrent les témoignages rapportés par Dumont (1946) et Weber (1983). C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi le modèle productiviste et la modernisation menée après la Seconde Guerre mondiale ont rencontré un écho si important dans le monde agricole par la suite – en porte-à-faux avec les demandes plus récentes d’écologisation.
Après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de pénurie alimentaire, de dévalorisation de l’image du paysan et de la paysanne et de reconstruction imposée entre autres par le plan Marshall, l’agriculture française a connu une modernisation accélérée (Alphandéry, Bitoun et Dupont, 1989). Les autorités ont abandonné la recherche de l’équilibre et le malthusianisme en faveur de l’expansion et de la modernisation. L’emploi d’intrants d’origine industrielle devait augmenter la production, le rendement de la terre, diminuer les coûts unitaires. Des experts tels R. Dumont (1946) préconisaient alors un certain niveau d’exode agricole et une amélioration de la productivité. Des apports extérieurs (énergie, engrais, nouvelles variétés et techniques) ont complété ou remplacé les ressources locales. Une forme de spécialisation et de division accrue du travail s’imposait. Le métier d’agriculteur et d’agricultrice se transformait profondément, l’exploitant·e familial·e en polyculture-élevage peu intensif cédant progressivement la place à l’exploitant·e spécialisé·e, améliorant et intensifiant ses méthodes dans un nouveau rapport au métier fondé moins sur le rapport au territoire et davantage sur la compétence technique (Bonny, 2020). La modernisation accélérée du secteur a conduit à la baisse des prix agricoles et à la chute du nombre d’exploitations et d’agriculteurs et agricultrices, d’où un fort changement social – le « référentiel modernisateur » s’imposant autant en agriculture que dans les autres secteurs de l’économie (Muller, 2014).
Les effets négatifs de l’intensification ne commenceront à être décriés publiquement que dans les années 1970. Ils le furent dans le rapport Noirfalise de 1974 commandé par la Commission européenne et le rapport de Jacques Poly en 1978 (Bonneuil et Frioux, 2013). Dans les années 1980-1990, sous l’effet de la globalisation des problèmes environnementaux, une nouvelle prise de conscience des conséquences écologiques et sociales de la modernisation de l’agriculture a contribué à l’émergence du concept de « développement durable » qui s’est imposé à la Conférence de Rio de juin 1992. C’est à la même époque que se multiplient en France les initiatives visant la mise en œuvre d’agricultures alternatives au modèle productiviste : agriculture durable, biologique, paysanne (Deléage, 2011). Ces dernières constituent une potentielle remise en cause de la logique industrielle et s’appuient sur un projet qui vise la promotion d’une relation plus pérenne entre les sociétés et les écosystèmes. Or, l’agrandissement des exploitations agricoles (1 263 000 exploitations agricoles lors du recensement français de 1979, 1 017 000 lors du recensement de 1988) et l’érosion démographique qui lui est associée ne permettent pas d’assurer cette relation. On voit alors à l’échelle de l’Union européenne se multiplier les projets de reconversion de l’agriculture dans le cadre des réformes successives de la Politique agricole commune (PAC), et notamment l’adoption de mesures agro-environnementales à partir de 1985. L’article 19 du règlement 795 de la PAC ouvre la possibilité d’accorder des primes aux agriculteurs et agricultrices mettant en œuvre des pratiques respectueuses de l’environnement (Delorme, 2004).
Mais le second pilier de la PAC, dédié à la politique de développement rural et à l’amélioration environnementale, reste sous-doté financièrement[1], et les tenant·e·s de l’agriculture productiviste résistent. L’appareil de développement agricole « conventionnel » invente ainsi en 1993 la notion « d’agriculture raisonnée » contre le principe d’agriculture biologique (Amant et al., 2015). Les partisan·e·s de cette « agriculture raisonnée » se mobilisent au sein du Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement qui regroupe des agriculteurs, agricultrices et acteurs économiques (Chambres d’agriculture, Crédit agricole) valorisant toujours la logique technicienne, l’agrandissement des exploitations et l’accumulation croissante du capital productif (machines, outils, intrants : Féret et Douguet, 2001). À la suite de la publication d’un rapport rédigé à la fin des années 1990 par le président de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de l’époque, « l’agriculture raisonnée » est considérée comme le nouveau standard de l’agriculture et elle devient pour l’essentiel « la nouvelle dénomination de l’agriculture intensive » (Amand et al., 2015, en ligne). L’agrandissement des exploitations agricoles se poursuit au début des années 2000 : 664 000 exploitations agricoles étaient comptabilisées en France lors du recensement agricole de 2000, et seulement 490 000 lors du recensement de 2010.
Le contexte européen joue de manière ambivalente sur les politiques françaises. En dépit de « verdissements » successifs en effet (Berny, 2011; Ansaloni, 2016; Aznar et al., 2016), la Politique agricole commune continue jusqu’en 2003 de distribuer des aides compensatoires qui encouragent les agriculteurs et agricultrices à intensifier les modes de production du fait du fort déséquilibre qui profite aux grandes cultures (Le Goffe et Mahé, 2001; Chatellier et al., 2003). Des Mesures agro-environnementales (MAE) sont mises en place, mais elles « vont avoir pour seul objectif de rémunérer les “services environnementaux” fournis par les agriculteurs » et agricultrices (Ansaloni, 2015, p. 11). Le « paiement vert » introduit en 2013 par l’Union européenne représente certes en moyenne 80 euros par hectare et par an versés à chaque agriculteur ou agricultrice en échange de pratiques bénéfiques pour l’environnement. Mais parallèlement au verdissement de la PAC, les politiques des États membres évoluent très lentement (Ansaloni, 2015), parfois dans un sens opposé aux pressions adaptatives de l’Union européenne (Caporaso, Cowles et Risse, 2000), ce qui contribue à compenser l’effet des paiements verts (Mesnel, 2020). L’évaluation des résultats environnementaux des instruments verts s’avère décevante au point que la Commission européenne reconnaît en 2018 avec euphémisme que le paiement vert « n’a pas pleinement atteint ses ambitions en matière d’environnement et de climat » (Commission européenne, 2018, p. 2). Au-delà des enjeux de politique publique, c’est bien le référentiel technique et social de l’agriculture qui semble difficile à faire bouger en profondeur (Ansaloni et Fouilleux, 2006).
Mais en 2012, le ministre français de l’agriculture Stéphane Le Foll a annoncé un tournant agroécologique majeur. « 2012 aura été l’année de la prise de conscience », annonce-t-il le 18 décembre 2012 lors d’une grande conférence nationale, « Agricultures, produisons autrement ». Il ajoute à cette occasion vouloir faire de la France un « modèle de l’agroécologie ». L’usage de ce terme est particulièrement étonnant dans la mesure où les premières expériences « agroécologiques » s’étaient fait connaître, en Amérique Latine et aux États-Unis notamment (Arrignon, 1987; Conway, 1987), comme des oppositions franches au modèle productiviste et conventionnel – comme nous allons le détailler par la suite. Comment expliquer le changement du ministère français de l’agriculture en 2012? Implique-t-il une requalification des politiques agricoles françaises, une prise d’inspiration inédite chez les pays du Sud, un tournant écologique longtemps annoncé, et repoussé, dans l’histoire de l’agriculture? Étudier ce tournant agroécologique annoncée en 2012, et la manière dont il associe enjeux environnementaux et économiques, sera l’objet de notre deuxième sous-partie.
Le développement durable mis en œuvre : le secteur agricole et le cas de l’agroécologie
La « transition agro-écologique » lancée en 2012 : des choix de termes significatifs?
Comment comprendre le tournant pris par le ministre français de l’agriculture? Le « plan agroécologique pour la France » lancé en 2012 peut paraître à première vue comme une tentative de réconcilier des intérêts sociaux, économiques et écologiques a priori contradictoires. L’article L.1 du code rural et de la pêche maritime précise en effet que l’agroécologie doit favoriser « l’autonomie des exploitations agricoles », permettre la combinaison entre la « rentabilité économique », la réduction de la consommation énergétique et des intrants, garantir aussi une meilleure utilisation des potentialités offertes par les écosystèmes naturels. Le mot d’ordre agro-écologique n’est certes pas tout à fait nouveau en France : quelques mois avant l’annonce du plan gouvernemental, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) avait rendu un rapport sur le sujet préparé en 2010-2012. D’après Michel Griffon, c’est en 2007, lors du Grenelle de l’Environnement, qu’ont particulièrement été mises en avant l’idée de « double performance » et la volonté d’utiliser les principes de l’écologie pour produire beaucoup tout en limitant les dégâts environnementaux (Griffon, 2014). Les entretiens au ministère confirment l’historicité de la réflexion : pour un chef de service rencontré pendant l’enquête[2], la tentative de coupler « efficacité économique et efficacité environnementale » est ancienne et ne suit pas forcément les variations électorales. Les assises de l’agriculture en 2007-2008 ou encore le rapport Chevassus-au-Louis pour le Centre d’analyse stratégique en 2009, commandité par le Premier ministre d’alors, ont annoncé depuis plusieurs années la volonté de réconcilier les enjeux agricoles et environnementaux. Mais d’où vient l’idée précise d’« agroécologie »? Car entre le « développement durable » porté par le ministère du même nom et l’« agriculture écologiquement intensive » défendue par des chercheurs tels Michel Griffon, il y a des différences potentielles; pour quelles raisons ce dernier concept a-t-il pu être préféré par Stéphane Le Foll?
Un changement qui met tout le monde d’accord?
La loi d’avenir pour l’agriculture, présentée en Conseil des ministres le 30 octobre 2013, a provoqué de vifs débats à l’Assemblée, autour précisément de la définition de l’agroécologie inscrite dans le texte : « système de production privilégiant l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires ». Selon le ministre, il s’agissait « d’intégrer la dimension écologique comme un élément de compétitivité ». La FNSEA, syndicat majoritaire, était pourtant plutôt rétive a priori à l’égard du plan[3] : « Le sujet du moment n’est pas l’agroécologie » indiquait le président de la FNSEA en 2013, Xavier Beullin[4]. Pour le ministère, l’usage du terme « agroécologie » aurait même rencontré auprès de la FNSEA l’inverse, dans un premier temps, de la réaction souhaitée : « Quand on parle de double performance, là ça fait plus sens, il y a moins de friction pour la FNSEA. Produire plus et mieux, avec moins, c’est bien pour eux. Mais c’est vrai que le terme ‘‘écologie’’ pose souci…[5] ». La prise en compte précautionneuse des attentes de la FNSEA peut s’expliquer au regard de la tradition historique de « cogestion » agricole (Muller, 2000b), et aussi du contexte syndical immédiat dans lequel s’inscrit Stéphane Le Foll. L’histoire du syndicalisme agricole en France a en effet toujours été liée en effet à l’histoire politique, et l’ancrage à droite du monde agricole n’est pas sans importance quant aux rapports avec les pouvoirs publics (Dubois, Facchini et Foucault, 2009). Dès la loi du 21 mars 1884 autorisant les syndicats professionnels, la stratégie du gouvernement Gambetta était de rendre la République populaire dans un monde rural où les monarchistes et les grands propriétaires de la Société des Agriculteurs de France dominaient. Le monopole de la FNSEA s’est imposé progressivement et il s’est confirmé avec la création en 1947 de l’autre grande organisation syndicale française issue de la FNSEA : le Centre national des jeunes agriculteurs, qui s’est donné comme objectif de moderniser les exploitations agricoles. Il faut noter que jusqu’à aujourd’hui, le couple FNSEA-CNJA reste majoritaire et tient la majorité des chambres d’agriculture (Le Guen et Cordellier, 2009). Après les années 1980 et 1990 où la Confédération paysanne en particulier a semblé grignoter le monopole de la FNSEA dans un contexte de montée des mouvements altermondialistes (Bruneau, 2004), les élections de 2007 ont permis aux listes FNSEA-JA non seulement d’enrayer l’érosion de leurs résultats (qui étaient passées d’environ 60,8 % en 1983 à 52,8 % en 201[6]), mais de progresser de nouveau. La FNSEA maintient sa majorité absolue et c’est la Coordination rurale qui progresse en 2013, un syndicat placé plus à droite que la FNSEA et qui dépasse les 20,49 % en 2013[7]. C’est dans ce contexte syndical et politique que Stéphane Le Foll présente donc son projet au début des années 2010, et on peut comprendre la justification de la « double performance » et de la « transition agroécologique » comme une volonté de maintenir le dialogue avec les courants syndicaux, FNSEA majoritaire et Coordination rurale en croissance, qui se disent toutes deux hostiles à l’égard de contraintes environnementales trop pesantes. Comme le confirme un enquêté au ministère, « il y a un an, les chambres d’agriculture ne voulaient entendre parler que de double performance, et aujourd’hui, elles parlent d’agroécologie ! […] Notre première étape, c’était d’éviter la cristallisation des jeux d’acteurs, de discuter de manière tranquille »[8].
A contrario, des associations opposées à l’intensification apprécient la nouvelle référence à l’écologie dans les mots du ministre, mais déplorent l’idée de « double performance » et d’intensification écologique : « L’intensification durable n’est pas la solution »[9]. L’association Terre et Humanisme se montre prudente : « C’est très bien si le ministère parle d’agro-écologie, c’est très bien… Mais je ne suis pas sûr que ça recouvre la même chose que nous »[10]. Le militant écologiste Fabrice Nicolino s’emporte, lui, en voyant le ministre tenter de réconcilier et considérer
[qu’]il ne s’agit plus de contester ce qu’il s’est passé. [Le ministère] ne dit évidemment pas un mot sur le système à l’origine du gigantesque merdier. Rien sur l’agro-industrie, ses pesticides, ses coopératives, ses chambres d’agriculture inféodées, ses céréaliers gorgés de subventions. Rien bien sûr à propos des centaines de milliers de kilomètres de haies arrachées, ou du remembrement au sabre d’abordage. Le ministre veut faire croire que, par la magie du verbe, les profiteurs d’hier seront les vertueux de demain[11].
Si le terme « agroécologie » tente une synthèse des intérêts dans une logique habituelle de développement durable (performance économique, durabilité environnementale, bien-être social), le problème soulevé par le désaccord syndical est celui de la conciliation entre des injonctions potentiellement contradictoires (2013).
Circulation des normes entre le Nord et le Sud : des rapprochements qui s’intensifient ou de nouvelles divergences?
L’utilisation par le ministère français de l’agriculture du vocable « agroécologie » est étonnante dans la mesure où le concept a longtemps été connoté comme engagé, anti-étatique, voire anti-impérialiste. D’après Abramovay « l’agro-écologie ne peut pas être la doctrine officielle au niveau d’un État » (Abramovay, 2007, p. 8). C’est toute l’ambiguïté d’un terme à la fois pensé comme un concept scientifique, militant et au service de l’action. Plusieurs publications de recherche (Wezel et al., 2009; Stassart et al., 2012) retrouvent l’origine du terme dans les écrits d’un agronome russe, Bensin (1928). De la fin des années 1920 jusqu’aux années 1960, Klages (1928), Friederichs (1930) puis Hénin (1967) utiliseront le terme pour appliquer les principes de l’écologie à l’étude de l’organisation et des productions agricoles. En 1965, le terme sera repris par un écologue et zootechnicien allemand (Tischler, 1965) avant de susciter, depuis les années 1970, un intérêt croissant au sein des sciences de la vie (zoologie, agronomie, physiologie des plantes, écologie…)[12]. Mais c’est surtout face à l’essor d’une mobilisation collective dénonçant les méfaits de l’intensification agricole (la « Révolution verte ») que la notion a trouvé son écho le plus fort dans les pays en développement.
L’agroécologie, une conception alternative de l’agriculture issue des pays en développement
Dans les années 1980, des agronomes et écologues en liens étroits avec divers réseaux d’acteurs investis dans une forme alternative de production et de développement local (Altieri, 1983; Gliessman, 1981; Francis, 1976; Vandermeer et al., 1990), en particulier en Amérique du Sud (paysan·ne·s et groupements d’agriculteurs et agricultrices, collectifs et ONG), dénoncent la modernisation à marche forcée de l’agriculture. Ils proposent de réviser les politiques agricoles et alimentaires dans un double objectif : préserver l’environnement, mais aussi repenser le développement rural en garantissant aux populations une autonomie alimentaire et une valorisation des ressources locales (Van Dam et al., 2012).
Comment l’agroécologie se définit-elle dans ce contexte[13]? Au cours des années 1980 et 1990, M. Altieri (1987), biologiste des écosystèmes et S. Gliessman (1990), écologue du végétal, proposent des textes pour en préciser les fondements scientifiques. L’agroécologie est d’abord définie comme un ensemble de méthodes et de pratiques, le socle d’une révision des liens entre agriculture et écosystèmes dont le but serait de garantir la préservation des ressources naturelles. L’agroécologie, évoquée dès le début du 20e siècle par les disciplines agronomiques et biologiques, peut être définie alors comme un ensemble disciplinaire alimenté par le croisement des sciences agronomiques (agronomie, zootechnie), de l’écologie appliquée et des sciences humaines et sociales telles que la sociologie, l’économie, la géographie (Tomich et al., 2011). Des effets d’optimisation sont postulés (en quantité et/ou qualité) par la prise en compte des interactions entre écosystèmes naturels et action culturale : on mise sur le renforcement de la diversité et des interactions biologiques entre tous les segments du système pour renforcer la production, mais aussi pour gérer autrement les risques sanitaires tout en limitant les dommages sur l’environnement – considéré non plus comme une contrainte externe, mais comme une ressource à part entière (Centre d’études et de prospective, 2013).
Le développement de l’agroécologie va ainsi de pair avec l’extension de l’échelle d’analyse : au-delà du champ cultivé, l’agroécologie considère l’agroécosystème. Ainsi, l’agroécologie est définie comme « l’application des concepts et principes de l’écologie à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables » (Thomas et Kevan, 1993, p. 1). Plusieurs concepts utilisés en écologie (résilience, association, diversité, services écosystémiques) apparaissent à cet effet dans les travaux d’agronomes dont la référence à l’agroécologie se renforce au cours des années 2000 (Bellon et Ollivier, 2011). Plus qu’une discipline, Eric Marshall (2011) conclut que l’agroécologie se situe au carrefour des disciplines scientifiques qui étudient de larges thématiques relatives à l’agro-écosystème – portant soit sur les relations des systèmes de culture avec les ressources (eau, sol, paysage, biodiversité) au sein des agro-écosystèmes, soit sur la conception de nouveaux systèmes de culture.
Cette présentation scientifique tend pourtant à masquer le lien consubstantiel de la recherche scientifique avec des expériences pratiques locales et des mouvements militants dans les pays du Sud en particulier. En effet, l’agroécologie ne peut pas être comprise sans faire la jonction avec les pratiques qui la portent et l’engagement des acteurs, des actrices et des militant·e·s qui la promeuvent. Pour Wezel et al. (2009), l’agroécologie puise d’abord ses fondements dans l’analyse des savoirs traditionnels, issus des exploitations familiales valorisant les ressources naturelles locales au sein des pays tropicaux et subtropicaux (Arrignon, 1987). Warner (2007) préconise une combinaison de savoirs empiriques portés directement par les agriculteurs et agricultrices des pays en développement. La pratique donne son unité à l’agroécologie : les différentes expériences dans les pays pauvres auraient toutes en commun de s’appuyer sur une nouvelle utilisation des fonctionnalités naturelles pour réduire le recours à l’énergie fossile et à la chimie de synthèse. Si bien que dans les années 1990 se développe l’hypothèse d’une « Révolution doublement verte », en opposition à la Révolution verte née en Inde sur des principes productivistes (Conway, 1987). C’est une posture doublement critique qui irrigue l’agroécologie : au plan scientifique, en tant qu’approche interdisciplinaire, elle bouscule les cloisonnements académiques; au plan social, parce qu’elle contredit la vision occidentale de l’agriculture moderne fondée sur l’uniformisation des pratiques, la spécialisation des productions, le recours intensif aux intrants.
Les figures idéales typiques de l’imbrication entre pratique et engagement circulent de l’Amérique latine (Stassart et al., 2012) aux autres continents par le biais notamment des forums altermondialistes au début des années 2000. En France, l’agroécologie a été fortement portée et importée par des associations lors du colloque international qui s’est tenu à Albi en 2008 à l’initiative de Nature et Progrès, des Amis de la terre et de la Confédération paysanne. On assiste alors à une intégration forte entre exposition des pratiques agricoles alternatives, expériences de terrain et engagement social et politique dans le contexte des mouvements altermondialistes. Le personnage le plus médiatique lié à l’agroécologie en France, Pierre Rabhi, incarne lui aussi ce lien fort aux pratiques, à l’engagement et au rapport réflexif aux pays du Sud. Son cas est intéressant parce qu’il est à la fois un militant et un acteur ayant éprouvé personnellement la circulation internationale. En voyage au Sahel en 1981, Rhabi y a rencontré Maurice Freund, propriétaire d’un hôtel dans le nord du Burkina et voyagiste engagé. Freund a proposé alors à Rabhi de donner une dimension éthique à son club de vacances, en y associant un centre de formation à l’agroécologie financé par les revenus touristiques[14]. En dépit des doutes quant à l’efficacité des techniques utilisées par Rhabi (Dumont et Paquet, 1988) la formule fut lancée en 1983 : chaque hiver, de décembre à février, Pierre Rabhi formerait une trentaine de paysan·ne·s par semaine au maraîchage, à l’élevage et au reboisement. Le président Thomas Sankara est informé de l’initiative et fait venir Rabhi à Ouagadougou en novembre 1986 pour lui proposer de jouer un rôle important dans le développement agricole du Burkina. « Sankara avait beaucoup d’estime pour Rabhi, il disait que c’était un prophète et un visionnaire », confie Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation dans le monde[15]. Mais l’expérience s’arrêta prématurément à la suite de l’assassinat de Sankara. Rhabi rentra en France, fonda en 1994 l’association « Les Amis de Pierre Rhabi » (qui deviendra « Terre et Humanisme » en 1991), et se présenta même à la présidentielle de 2002 – où il obtint 184 parrainages d’élu·e·s. Considéré comme artisan de l’altermondialisme, il fut invité au Forum social européen où il exposa son histoire, son enfance algérienne et la place que son souvenir de l’agriculture oasienne a pu jouer dans son approche de l’agroécologie. La manière dont il envisageait son rôle de « passeur » a été l’objet de plusieurs ouvrages (Rhabi, 1996, 2002, 2015).
Le caractère public, militant, associant des conseils techniques à une remontée en généralité politique – du mode de production agricole aux types d’échanges économiques et au partage des richesses – n’est pas fortuit chez Rhabi dans la mesure où le rapport entre pratique, science et engagement est à l’origine même de la réflexion agroécologique. Dans leurs premiers écrits, Altieri, comme Gliessman et Madison, s’appuyait déjà sur une dénonciation des impacts de la Révolution verte et mobilisait l’agroécologie comme critique socioenvironnementale et comme modèle alternatif de développement. « En tant qu’approche scientifique interdisciplinaire, écrivent Stassart et al., l’agro-écologie a une fonction critique : elle procéderait d’une remise en question du modèle agronomique dominant » (Stassart et al., 2012, p. 5) . D’après Stassart et al. (2012), le concept d’agroécologie se constitue donc comme un référent alternatif opposé au modèle biotechnologique qui constituerait l’aboutissement du processus d’industrialisation de l’agriculture. Le mouvement bouscule également par l’appel à une solidarité agricole renouvelée : par la constitution de nouveaux collectifs d’agriculteurs et agricultrices pour expérimenter de nouvelles pratiques, mais aussi par un meilleur dialogue avec firmes et filières de commercialisation – ce qui implique une logique de désectorisation, de re-diversification (Allaire, 2002) et de re-territorialisation de l’agriculture.
La question générale de cet article n’en ressort que plus troublante : pourquoi ce mouvement favorable au développement de l’agroécologie, d’abord issu de la critique environnementaliste et opposé au modèle économique et agricole dominant; pourquoi ce savoir scientifique émergent et d’abord minoritaire au sein du champ scientifique a-t-il été repris, du moins formellement, par le ministère français de l’agriculture en 2012? Certes, un certain consensus dans certaines fractions du champ scientifique et du secteur agricole au plan national et international est en cours de construction : agronomes, zootechnicien·ne·s, écologues, mais aussi militant·e·s d’agriculture alternative déplorent ensemble l’essoufflement du « modèle agro-industriel » (Centre d’Études et de Prospectives, 2013) ou « biotechnologique »[16] qui aurait entraîné de nombreuses « externalités négatives » pour l’environnement (déclin de la biodiversité, de la qualité de l’eau, dépendance aux énergies fossiles, production accrue des gaz à effet de serre, etc.) – sans compter les impasses techniques et productives (résistances aux traitements, course à la mécanisation et à l’endettement qui freine les possibilités de transmission des exploitations (Centre d’études et de prospective, 2013).
Pourtant, ce concept d’agroécologie, à la fois discuté dans le champ scientifique, porté par des figures militantes engagées, voire polémiques dans l’espace public[17], n’était pas forcément le plus fédérateur : pourquoi le ministre s’y est-il donc rallié, et au prix de quels usages, réappropriations, sur la base de quelles définitions concrètes? C’est le point de perplexité sur lequel nous proposons de porter le regard – en avançant quelques hypothèses sur les usages de l’agroécologie par le ministère français et ses effets ambivalents sur les politiques agricoles.
L’agroécologie dévoyée?
Le poids des mots, on le sait, n’est pas anodin, particulièrement en politique où les dynamiques contemporaines de forte médiatisation et personnalisation du discours confèrent au langage une performativité bien connue qu’elle procède du pouvoir évocateur de la sémantique en tant que telle (Austin, 1962; Cassin, 2018) ou de la position sociale du locuteur qui lui confère la « garantie de délégation dont il est investi » (Bourdieu, 1982, p. 105). Chercher à définir et saisir les spécificités des « transitions agroécologiques », appréhender leurs contours et leur portée oblige donc à s’interroger sur le sens des mots, leur origine, leurs usages sociaux comme politiques.
Le piège de la transition?
À maints égards, parler en politique de « transition » fait figure de commodité de langage. Assigner d’emblée aux politiques agricoles un « progrès » agroécologique pourrait sembler en effet présomptueux, trop optimiste et normatif. Parler de « conversion » rappellerait trop les préceptes de l’agriculture biologique en supposant, au sens littéral, un engagement reposant sur des croyances. Évoquer par ailleurs une révolution agroécologique pourrait prêter à des rappels historiques pas forcément opportuns (la politique de la « table rase » sous la Révolution française, la Révolution verte productiviste des pays en développement) par contraste avec le terme moins connoté de « transition » (Tassel, 2018). Raisonner en termes de « transition » permet donc d’évoquer un ensemble d’évolutions en cours, non pas une rupture, mais plutôt un moment charnière dont, à l’instar des démographes qui observent les transitions générationnelles (Keyfitz, 1995), l’on ne mesure ni ne contrôle encore la portée ou les effets. On pourrait aussi, pour poursuivre la comparaison sémantique, songer aux « transitions démocratiques » étudiées en Europe de l’Est depuis la chute en 1989 du mur de Berlin et qui ont donné lieu à des analyses axées surtout sur la conversion au libéralisme politique ou économique (Andreff, 2002).
Si la notion de transition fournit donc une occasion de revisiter l’impératif de changement tout en fournissant à l’agriculture une « nouvelle alliance à l’environnement » (Tassel, 2018), elle s’avère aussi récemment popularisée par divers mouvements sociaux attachés à la défense d’une prise de conscience écologique et de formes autonomes d’action et d’engagement citoyens. Depuis moins de dix ans se multiplient en effet diverses initiatives et expérimentations locales qui se réclament appartenir à un processus social et mondial de « transition », suscitant l’intérêt croissant des médias et universitaires pour un phénomène encore mal circonscrit : une nébuleuse de projets et d’initiatives citoyennes en faveur d’un appel à la « transition » qui réunit pêle-mêle des adeptes de la décroissance soutenable, des groupes de Slow Food et Slow Cities ou encore des défenseurs du Buenvivir en Amérique latine.
Ces coalitions à la fois agricoles et environnementales (Cottin-Marx, 2013) puisent en partie leurs racines et leur inspiration dans le mouvement originel des « villes en transition » (transition towns) initiée en 2006, en Grande-Bretagne, par Rob Hobkins. Pour cet enseignant agronome, féru de permaculture, il s’agissait d’abord d’expérimenter avec ses étudiant·e·s, et à la demande de petites municipalités (Kinsale, Totnes), divers scénarios de « descente énergétique » (Hopkins, 2006). Autrement dit, il s’agissait d’envisager les options permettant d’anticiper la pénurie prévisible d’énergie fossile, mais tout en évitant toute forme de catastrophisme décliniste. À la différence de la charte d’Aalborg qui avait promu, dès 1994, le concept de « villes durables », le mouvement des « villes en transition » s’apparente à une mobilisation là aussi internationale, mais à portée citoyenne parce qu’elle concerne les citoyens et citoyennes eux-mêmes et elles-mêmes. Les préceptes d’action sont pourtant proches : faciliter la qualité de vie, développer des transports sobres et peu énergivores, trouver une autonomie énergétique et alimentaire, favoriser la démocratie participative. Il y aurait désormais environ 2000 démarches officielles de transition recensées dans une cinquantaine de pays et fédérées sous la bannière du réseau International Transition Network.
La transition agroécologique s’inscrit ainsi dans un contexte d’effervescence autour des enjeux de transition (Bourg et al., 2016). L’appel à la « transition » prendrait-il à présent le relais de l’impératif désormais éculé de « développement durable », ce « lieu commun gestionnaire » (Barone et al., 2018) qui « après plus de 30 ans d’existence » ne serait plus « à la hauteur de la crise à laquelle il fait face » (Kraus, 2014, paragr. 1? Force est de constater que le terme a débordé largement l’espace des mobilisations citoyennes pour faire aujourd’hui l’objet d’un intense recyclage institutionnel. Sans prétendre à une analyse en règle des occurrences politiques de ce mot, on peut juste constater les références politiques croissantes à la notion de transition. Ainsi, parallèlement à la « transition agroécologique » qui nous intéresse ici, s’opérait aussi, du côté du ministère de français de l’écologie, une « transition écologique » qui rappelait en miroir l’objectif interministériel de conciliation entre agriculture et environnement. On peut noter aussi l’adoption en 2015 de la loi sur la transition énergétique, l’élaboration par l’Ademe de scénarios pour 2050 où figure l’enjeu de « transition post-carbone », la parution d’un rapport du CESE sur la « transition écologique et solidaire à l’échelon local » (Duchemin, 2017, p. 5), la création d’une plateforme citoyenne pour une transition agricole et alimentaire (Tassel, 2018) ou encore l’apparition d’un ministère éponyme de la « transition écologique et solidaire » à la place du précédent ministère de l’environnement[18].
Loin de nous l’intention d’inférer à tout prix un mimétisme artificiel entre action publique et mobilisations citoyennes; nous pouvons juste nous borner à constater certaines formes de porosité entre espace public et privé. D’autant que l’analyse du répertoire d’action des militant·e·s « transitionneurs » et « transitionneuses » apparaît plutôt atypique, loin des formes traditionnelles de mobilisation syndicale ou partisane. Ces collectifs citoyens cherchent en effet à promouvoir de nouvelles formes d’activisme écologique, sans violence ni conflit, mais en recourant plutôt à une stratégie assumée de « pollinisation » des politiques publiques (Jonet et Servigne, 2013) qui ne réfute pas les pouvoirs en place ni ne prétend participer aux institutions existantes. Faire éclore en quelque sorte de nouvelles pratiques, essaimer par effet domino, en misant sur l’exemplarité des projets.
Ces mouvements de « transitionneurs » et « transitionneuses » suscitent tout autant l’intérêt que la controverse. Comme le rappelle Fabrice Flipo (2013), un certain nombre de spécialistes des mouvements alternatifs soulignent les limites potentielles de telles mobilisations : trop petits pour peser significativement dans les rapports de force, les « transitionneurs » et « transitionneuses » perdraient leur temps à réinventer chacun dans leur coin ce que d’autres auraient déjà accompli ailleurs; ils devraient s’organiser et se fédérer pour trouver un vrai « débouché politique » au lieu de s’émietter de façon trop locale. On leur reproche, en somme, leur façon d’éluder la question politique : en répugnant aux conflits, en ne clarifiant pas suffisamment leur conception de la démocratie, leur rapport au capitalisme, à la mondialisation et au commerce international. Les mouvements de transition fonderaient ainsi leur action sur un pari consensualiste (Jonet et Servigne, ibid.) qui ressemble à la ligne de conduite impulsée par S. Le Foll en France : rassembler en évitant la conflictualité; défendre une vision positive et inclusive; ne pas critiquer, mais construire ensemble, car le manque de pétrole et les catastrophes climatiques concernent l’ensemble de la population – les partis et syndicats se chargeant déjà de la critique sociale et des revendications de justice et d’égalité. Une posture des « petits pas » que dénoncent certain·e·s partisan·e·s de l’agroécologie (Baret et Léger, 2008). Ces dernier·e·s regrettent en effet chez Hopkins le « déficit d’horizon politique et de planification à large échelle » par opposition au modèle défendu par F. W. Geels (2002), lequel entraînerait, grâce aux innovations et ruptures induites, une nécessaire « reconfiguration du système dominant » de croissance et de production.
Dans le Nord, une conception de l’agroécologie finalement très éloignée de la rupture annoncée avec le modèle productiviste
Sur un plan théorique, une approche de soutenabilité dite « faible » considère que toute production nécessite un stock de différents capitaux éventuellement substituables (Hartwick, 1977) : capital technique, capital naturel renouvelable, capital naturel non renouvelable, capital humain. Un même niveau de production peut être atteint par la substitution de deux facteurs : une diminution du capital naturel peut-être compensée par une augmentation d’un des autres facteurs (Solow, 1993). Mais l’approche de soutenabilité dite « forte » (Daly, 1990) considère à l’inverse que les capitaux ne sont pas tous substituables, que les améliorations techniques ne compenseront pas l’épuisement des ressources fossiles et que la seule méthode à suivre pour épargner l’environnement est de limiter l’usage des ressources naturelles et ralentir la course productive.
En ce qui concerne le débat sur la croissance ou la sobriété productive, le ministère français de l’agriculture est clair en ceci qu’il ne promeut pas du tout une décrue de la production agricole. Pour le ministre, même avec l’agroécologie, il faut bien mettre l’« accent sur la production et la compétitivité ». Pour l’un des agents du ministère, « Nous ce qu’on recherche vraiment c’est l’amélioration de la performance des exploitations. On n’est pas dans une décroissance. On est dans une approche pragmatique. Les besoins alimentaires vont augmenter. Donc il faut bien produire plus »[19]. Idem pour un autre enquêté au ministère : « On ne confond pas agro-écologie et décroissance »[20]. Ce positionnement recueille l’assentiment du syndicat majoritaire en France, dont l’un des représentants ne manque pas de rappeler : « Les agriculteurs, qu’est-ce qu’ils veulent? Ils veulent vivre du fruit de leur travail. Il faut rester raisonnable et pragmatique »[21].
Des militant·e·s, pourtant de plus en plus moins nombreux, concèdent le fait qu’être agriculteur ou agricultrice c’est avant tout chercher à produire : « Évidemment, quand on fait de l’agriculture on met le processus naturel à notre service »[22]. Mais au-delà de ce point d’accord, le débat se durcit et se cristallise dès qu’il est question du niveau de production souhaitable et de sa diminution potentielle. Le point de clivage concerne précisément – ce qui nous intéresse au premier chef pour cet article – le commerce international et la « vocation exportatrice de la France »[23] : là où des militant·e·s altermondialistes promeuvent la sobriété heureuse[24], la défense exclusive des filières courtes et par-là la limitation du commerce mondial et la baisse des exportations[25], la FNSEA à l’inverse dénonce le recul de la France dans le classement des pays exportateurs et soutient les apports de l’agriculture française à l’alimentation mondiale[26]. Dans ce débat, le ministre français maintient clairement le cap productiviste et exportateur, faisant de l’inscription dans le commerce international une préoccupation centrale :
Notre agriculture a vu sa présence reculer sur les marchés européens, voire internationaux, et ce en même temps que l’ensemble de notre industrie. Nous devons faire ce constat et nous persuader que l’enjeu du redressement pour notre pays passe autant par l’industrie que par l’agriculture, laquelle doit avoir les mêmes objectifs et bénéficier des mêmes mesures que celles qui valent pour le reste de l’économie [27].
Le conseil que le ministre – économiste de formation – envoyait aux agriculteurs et agricultrices était donc de comparer les coûts de la production conventionnelle (externalités) et tous les bénéfices des productions agroécologiques (meilleur rendement par une approche globale) pour estimer les gains qu’apporterait le passage à l’agroécologie.
L’idée est simple, et chacun doit pouvoir faire l’effort de la comprendre : si l’on baisse les consommations intermédiaires grâce auxquelles s’est construite l’agriculture depuis l’après-guerre, c’est-à-dire si l’on consomme moins d’énergies fossiles, moins de phytosanitaires, moins d’antibiotiques, le résultat est bon non seulement pour l’environnement, mais également pour l’équilibre économique des exploitations[28].
Ce sont précisément deux concepts économiques, la productivité et la compétitivité, qui permettent au ministère de présenter les enjeux environnementaux et économiques de manière liée : si pour une entreprise, quelle qu’elle soit, l’enjeu est de produire davantage en diminuant les coûts, cela s’appelle de la productivité et, à l’international, cela implique des gains de compétitivité. Dans l’agriculture, si les ressources naturelles sont intégrées par les agriculteurs et agricultrices comme des coûts, alors il est dans leur intérêt de diminuer l’usage de ces ressources coûteuses pour améliorer l’efficience de leur exploitation : « On essaye de dire aux agriculteurs que quand on pollue, on gaspille des facteurs de production ! Ça fait des coûts supplémentaires pour l’agriculteur »[29]. La présentation de l’agroécologie se fait alors dépolitisée, intégrative, non idéologique, au service de la seule performance[30]. « Le concept de l’agro-écologie est compatible avec une agriculture plus compétitive »[31]. Avec l’agroécologie, les pays du Nord continueront bien de vouloir réduire les coûts et produire plus – ce qui n’augure en rien une désintensification de la guerre commerciale dans la mondialisation (Pouch, 2012; Abis et Brun, 2020).
Un bilan qui peut encourager les pays du Sud à suivre leur propre voie de développement agroécologique?
La théorie des transferts et des circulations : s’inspirer de quoi exactement?
Il est normal qu’un concept de politique publique comme l’agroécologie subisse une modification lors des échanges internationaux. C’est toute la littérature sur les transferts et les circulations internationales de normes qui nous en informe. Pour Dolowitz et Marsh, le transfert de politique publique peut être défini ainsi : « Policy transfer is initiated by jurisdictions, international organisations, agencies, etc. in order to develop policy that adresses a particular policy issue/problem » (Dolowitz et Marsh, 2012, p. 339). Cette approche a été critiquée, car elle comporterait le risque de présenter les logiques de diffusion selon une vision trop descendante et trop uniforme : peut-on isoler un acteur unique qui serait à l’origine des transferts (Bulmer, 2007)? Le modèle proposé par Dolowitz et Marsh a été critiqué également pour la difficulté à définir ce qu’est un transfert « réussi » de politique publique (a succesfull policy) sans tomber dans une évaluation normative de la politique en question[32]. Le modèle a aussi été l’objet de discussions parce qu’il ne prendrait pas assez en compte les asymétries et les logiques de pouvoir entre les acteurs[33] – même si Dolowitz et Marsh rappellent qu’ils envisagent la possibilité de transferts contraints (Dolowitz et Marsh, ibid., p. 340; Dolowitz, 2010, p. 10).
C’est ainsi que l’approche par la « circulation internationale des normes et des idées » a été proposée pour compléter la littérature sur les transferts (Kaluzsinski Payre, 2013). Qu’ils soient sur le transfert ou sur la circulation internationale des idées, ces travaux ont tous en commun de s’intéresser à la dimension exogène de la fabrique de l’action publique et à la place qu’y occupent des sources extérieures. Ils montrent que les processus de construction, de diffusion et d’institutionnalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de croyances et de normes, entre une institution modèle et des importateurs, sont une logique de diffusion interinstitutionnelle très fréquente. Or, comme Delpeuch l’évoque, « le transfert d’une solution d’action publique d’un contexte à un autre implique toujours une transformation plus ou moins importante du modèle d’origine » (Delpeuch, 2009, p. 162). En effet, la finalité de l’emprunt est rarement la reproduction fidèle du modèle, mais le souci d’apporter une réponse à un problème politique. L’opération de transplantation engage des processus de traduction et d’emprunt sélectif qui entraînent immanquablement une mutation du modèle. Par ailleurs, la solution importée, une fois mise en œuvre, a généralement des effets imprévus : les problèmes qu’elle fait surgir dans le contexte de réception ne sont pas les mêmes que ceux qu’elle suscite dans le contexte d’origine (Deeg, 1995).
Le mot d’ordre agroécologique peut-il dès lors modifier un système et en laisser un autre inchangé? Les Policy Transfer Studies ont essayé d’expliquer pour quelles raisons tel emprunt affecte les caractéristiques fondamentales du receveur tandis que tel autre ne provoque que des mutations superficielles. Il en ressort que le fait d’importer un instrument de politique publique depuis un contexte où prédomine une certaine matrice cognitive et normative pour l’introduire dans un contexte où prévaut une autre configuration de normes, croyances et représentations, peut avoir pour effet de saper la légitimité de l’ensemble des cadres et des modalités d’action publique en vigueur dans le contexte de réception (Muller et Surel, 2000). Un effet fréquemment relevé dans la littérature est la complexification du contexte de réception : l’insertion d’apports exogènes y suscite des phénomènes tels que la cristallisation spontanée ou la création délibérée d’acteurs nouveaux, l’émergence d’attentes sociales nouvelles, l’apparition de nouveaux clivages et conflits (Westney, 1997). C’est ainsi que quelques précautions devraient être formulées si des pays voulaient s’inspirer de l’expérience française en matière agroécologique et prétendre transférer certains points d’un éventuel « modèle » français.
Le problème de l’éclatement des mesures
Pour éviter certains effets de la « puissance de conformation des politiques environnementales importées de l’extérieur » (Renou, Ba et Diallo, ici même), nous soulignerons dans cette partie comment les politiques environnementales promues dans les pays du Nord ont pu, en matière agroécologique, obtenir des résultats parfois tout à fait opposés aux attentes. En France, le premier problème du projet agroécologique présenté plus haut a été celui de l’éclatement des mesures. Si l’on détaille davantage le plan d’action gouvernemental, on peut lister en effet une foule de mesures, concernant à la fois l’enseignement agricole (révision des diplômes, formation des enseignant·e·s des lycées agricoles), la recherche et le développement, l’accompagnement technique des agriculteurs et agricultrices et la sensibilisation des agents du ministère. Un chantier visant la mobilisation des filières de distribution et de commercialisation des produits agricoles a été lancé ainsi que certaines aides aux agriculteurs et agricultrices (majoration des aides à l’installation pour les projets en agroécologie). Les dotations financières pour les jeunes agriculteurs et agricultrices ont été relevées lorsqu’ils et elles s’insèrent dans les circuits courts; des aides à l’investissement en cas de recherche de double performance ont été instituées. Le plan français a soutenu la création des « groupements d’intérêt économique et environnemental » (GIEE) – un label qui devrait permettre à des collectifs d’agriculteurs et agricultrices de bénéficier d’aides de manière préférentielle. Ces GIEE ne sont néanmoins basés que sur le volontariat : « l’État mise surtout sur eux pour impulser le changement »[34]. Au sein des collectifs d’agriculteurs et d’agricultrices récemment créés, qu’il s’agisse de GIEE ou de simples associations, se côtoient en effet producteurs et productrices « biologiques » et « conventionnel·le·s » : « Je travaille avec des conventionnels; j’ai une exploitation en céréales diversifiées qui est bio, mais je connais les produits, les doses »[35].
Par ailleurs, depuis 2015, des MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques) ont été mises en place dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune; les régions pourront introduire, si elles le souhaitent, des critères agroécologiques. Mais pour certain·e·s militant·e·s, cette nouvelle politique ne favoriserait pas véritablement la transition agroécologique en tant que telle : « personne ne sera exclue […]. En fait, on maintient encore les pratiques existantes sans vraiment faire de l’éco-conditionnalité »[36]. La volonté ministérielle de ne pas stigmatiser les agriculteurs et agricultrices à partir de leurs pratiques se retrouve dans la prétention à ne pas cliver agriculture et environnement, et donc à éviter de choisir, au sein du ministère, un portage de la réforme qui serait interprété comme un signal trop direct en faveur de l’environnement ou de l’économie. Le choix de nommer intuitu personae un·e chef de projet « agroécologie et développement de l’agriculture » au sein de l’inattendue Direction des affaires européennes procède d’un tel calcul – comme le reconnaît fort bien l’intéressé : « il fallait trouver une mission pas trop connotée, ni sur l’environnement, ni sur les filières ». En parlant de performance économique et environnementale, le ministre tente de fédérer; « quand on dit ‘‘produire plus, produire mieux’’, globalement tout le monde peut partager ça » indique-t-on au ministère[37].
Le problème du caractère exagérément intégrateur du programme français est de ne pas distinguer clairement les projets suffisamment écologiques et les autres. Une étude menée par Barbier, Derbez et Lamine (2020) au sein du projet « Observatoire des Transitions AgroÉcologiques » s’est intéressée à la diversité des projets pouvant être validés comme « agroécologiques » par le ministère français. Ils ont analysé à la fois l’appel à projet « Mobilisation Collective pour l’Agro-Écologie » (MCAE) lancé en 2013 par le ministère de l’agriculture, réalisé le suivi ethnographique de 16 projets lauréats et observé les processus régionaux de labellisation. Ils soulignent que :
Dans la construction de l’AAP [appel à projet ministériel] est recherchée une vision systémique et multi-acteurs de l’agroécologie, et une vision elle aussi ouverte de la transition agroécologique, les collectifs étant invités à construire leurs propres chemins et indicateurs. Au niveau des projets MCAE, on observe de fait une diversité de visions de l’agroécologie et de trajectoires […]. Des collectifs s’inscrivant dans des modèles agricoles « en recherche de légitimation », comme par exemple l’agriculture de conservation des sols, se saisissent de ces instruments pour appuyer leurs transitions. En ce sens, le caractère volontairement englobant de cette nouvelle catégorie d’action publique génère des effets paradoxaux de […] légitimation de modèles agricoles dont le caractère écologique est objet de controverses (ce qui est le cas, dans l’agriculture de conservation, pour certains modèles de sans-labour reposant sur un usage important du glyphosate) […] (Barbier, Derbez et Lamine, 2020, p. 49).
Leurs auteurs concluent leur étude en soulignant la grande diversité des projets réunis sous le label englobant d’agroécologie (y compris des pratiques utilisant de très controversés herbicides chimiques non sélectifs), en parlant même d’« indétermination » des instruments d’action publique mis en place pour la transition agroécologique en France (titre de leur chapitre).
Le risque d’un « colonialisme vert » avec de nouvelles définitions de l’agroécologie imposées par les institutions internationales?
La diversité des politiques menées en France au nom de l’agroécologie peut laisser songeur ou songeuse. Et la différence entre la flexibilité du terme dans le contexte des pays développés, et au contraire un risque de modèle unique imposé aux pays du Sud, peut amener à avancer avec précaution. Car pour les pays en développement, depuis une dizaine d’années, les injonctions à l’agroécologie sont légion – au point de parler d’une forme de « nouveau colonialisme vert » (Blanc, 2020). On peut noter en tout cas que les pressions au changement sur l’agroécologie se sont fait sentir de manière pressante au niveau mondial depuis la fin des années 2000. En 2011 Olivier de Schutter a fourni un rapport sur le sujet à l’Organisation des Nations unies. Les 18 et 19 septembre 2014 à Rome s’est tenu le premier symposium international de la FAO sur l’agroécologie, réunissant une trentaine de pays.
Promue par des institutions internationales, la notion de transition agricole risque, comme le rappelle Manon Tassel (2018), d’être « galvaudée » en figurant désormais en bonne place dans les préceptes néo-libéraux du New Public Management (Barone et al., 2018). C’est ainsi que Marie Habranski (2020) a montré comment le secteur agricole avait été intégré à la fin des années 2000 par les institutions internationales dans les réflexions sur la gouvernance globale du climat. Jusqu’à la Conférence des Parties (COP) de Durban en 2011, l’agriculture était pourtant quasiment absente des négociations sur le climat. Mais à la fin des années 2000 une fenêtre d’opportunité s’est ouverte en faveur de la mise à l’agenda des enjeux agricoles dans la gouvernance du climat. C’est dans ce contexte qu’a émergé la notion de climat smart agriculture (CSA), traduite en français par l’expression « agriculture climato-intelligente » ou « agriculture intelligente face au climat ». Depuis l’agriculture est progressivement devenue l’un des enjeux majeurs des COP de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
La FAO notamment n’a eu de cesse de montrer que l’adaptation de l’agriculture était un levier privilégié pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une série d’initiatives politiques a été lancée dans les pays en développement, notamment à Hanoï en 2012, puis à Johannesburg en 2013, à l’initiative de la FAO. L’ouverture au secteur agro-industriel privé a pourtant conduit un certain nombre d’organisations paysannes, de développement et des organisations proches de l’altermondialisme à pointer les responsabilités de la FAO dans une approche trop large des questions agroécologiques et des solutions au changement climatique, faisant la part belle à des multinationales réputées comme d’immenses pollueurs. En septembre 2014, lors du Symposium d’agroécologie, un réseau d’expert·e·s scientifiques a envoyé une lettre signée à la FAO pour lui signifier son opposition. Le document soulignait « l’évincement de la justice sociale et environnementale ». Peu de temps après, à l’approche de la COP21 de Paris en 2015, 355 ONG ont rédigé une « Lettre ouverte de la société civile à propos de l’Alliance Globale pour une agriculture intelligente face au climat » révélant notamment que « 60 % des membres du secteur privé de la Gacsa[38] opèrent dans le secteur des engrais. Certaines multinationales dont les impacts sociaux et environnementaux sont questionnables, telles que Monsanto, Walmart et McDonalds, ont même lancé leurs propres programmes ». Comme le conclut Hrabanski (2020, p. 206) « en faisant à la fois la promotion de la climat smart agriculture et de l’agroécologie, la FAO dépolitise les débats et défend une posture consensuelle ».
Or, à faire la place aux grandes entreprises du secteur de la chimie et de l’agroalimentaire, en adoptant des définitions tellement extensives de l’agroécologie qu’elles en perdent leur charge contestataire et alternative, en soutenant une approche faible de la soutenabilité qui ne remet pas en cause les principes de la mondialisation libérale en matière alimentaire, les institutions internationales risquent de soumettre les pays en développement et leur secteur agricole à des injonctions contradictoires. Comme le montre Bonny (2020), la modernisation de l’agriculture encouragée par les institutions internationales a conduit depuis soixante-dix ans à la baisse des prix agricoles et à la chute du nombre d’exploitations dans les pays où l’agriculture a une part importante. Si les appels à l’agroécologie sont aujourd’hui le reflet des nouvelles missions que beaucoup d’acteurs et d’actrices politiques, de citoyen·ne·s et d’associations donnent à l’agriculture, les objectifs de baisse des coûts et d’amélioration de la productivité continuent de peser. D’autant plus que la concurrence internationale est exacerbée, car tradeurs et tradeuses, courtier·e·s, industries de transformation et centrales d’achat de la grande distribution cherchent toujours à s’approvisionner à moindre coût sur le marché mondial. Bonny rappelle utilement à cet égard que
L’amélioration des rendements fut […] une des voies principales recherchées pour accroître les volumes produits, réduire les coûts moyens unitaires de production des denrées et améliorer les revenus agricoles. Les agriculteurs ont cherché à augmenter la production par actif, par ha et par animal, d’où un accroissement des intrants utilisés, un changement des variétés et le recours à des races animales plus efficientes en termes de production obtenue par unité d’aliment consommé […]. L’emploi d’intrants est aussi dû aux critères de qualité de plus en plus exigeants définis par l’aval. Organismes collecteurs, industries de transformation, grande distribution et consommateurs exigent tous des produits agricoles répondant à des critères stricts d’apparence, calibre, teneur en protéines et en contaminants tels les mycotoxines, etc., toutes demandes induisant souvent l’emploi d’engrais, pesticides et irrigation pour les satisfaire – et ce avec un volume suffisant. […] L’intensification paraît liée notamment aux rapports de prix et aux demandes des secteurs en aval. De la sorte, en matière d’évolution de l’agriculture, on ne peut pas incriminer principalement les firmes d’amont, les politiques agricoles ou les agriculteurs eux-mêmes. Ces derniers durent se moderniser, ou sinon disparaître. Mais paradoxalement ils semblent être passés d’une forme de retard à une autre. On jugeait naguère leurs pratiques trop traditionnelles, on déplore aujourd’hui leur modernisation (conventionnelle) excessive (Bonny, 2020, p. 166).
En étendant cette analyse à l’étude des rapports Nord-Sud, on pourrait conclure que les agricultures des pays en développement, longtemps sommées de se moderniser pour intégrer le marché mondial et fournir au meilleur prix des produits alimentaires calibrés pour satisfaire les critères sanitaires et de qualité des marchés du Nord (homogénéisation des produits, des calibres, aspects, saveurs) ne risquent-elles pas de voir se retourner les injonctions aujourd’hui – alors même que la pression aux coûts et la concurrence internationale restent inchangées?
Conclusion
Étudiant le cas de la France dans un premier temps, nous avons montré que ses politiques publiques avaient été longtemps rétives au tournant environnemental en matière agricole. Le changement accéléré de l’agriculture depuis la fin de la 2de Guerre mondiale s’est d’abord appuyé sur un référentiel modernisateur (Muller, 2000b) insistant sur l’intensification, la baisse des prix et l’insertion résolue des exploitant·e·s agricoles dans la compétition et les marchés internationaux. Le tournant pris en 2012 par le ministre français de l’agriculture Stéphane Le Foll qui annonçait un « changement majeur » et un verdissement inédit de l’agriculture française (« 2012 aura été l’année de la prise de conscience », annonçait le ministre) peut sembler à cet égard une rupture étonnante. Comment expliquer l’appel du ministère français à un tournant agroécologique?
Le changement du ministère français pouvait sembler d’autant plus surprenant que l’ « agroécologie » a d’abord été pensée comme un concept alternatif et militant contre les modèles de développement agricoles imposés par les pays du Nord. Le concept d’agroécologie, à la fois discuté dans le champ scientifique, porté par des figures engagées, voire polémiques, n’était pas forcément le plus fédérateur : pourquoi le ministre français s’y est-il rallié? Nous avons montré dans la deuxième partie de l’article que la notion de « transition », associé à l’agroécologie, a d’abord permis de décharger l’agroécologie d’une partie de sa dimension radicale et contestataire. En effet, parler de transition sous-entend un mouvement progressif plutôt qu’une révolution, un ensemble d’innovations graduelles plutôt qu’une rupture potentiellement conflictuelle. Nous avons vu ensuite que les projets validés depuis 2014 comme « agroécologiques » par le ministère français étaient très variés, et qu’une une conception de soutenabilité faible associée à l’agroécologie risquait de retoiletter à nouveaux frais, et ne faire que reproduire la vieille antienne des nécessaires gains de productivité et de compétitivité en matière agricole. Une approche faible de l’agroécologie autorise en effet le ministère à n’y voir qu’une manière d’utiliser les ressources naturelles de manière plus efficiente, réduire les coûts et continuer à produire plus en dépensant moins : « Le concept de l’agro-écologie est compatible avec une agriculture plus », synthétise le ministre [39].
Si l’on se place du point de vue des pays en développement, ce bilan critique du « tournant agroécologique » à la française peut encourager à se méfier des injonctions contradictoires que des institutions internationales peuvent leur adresser sous couvert d’agroécologie. Si l’agroécologie peut effectivement être un outil d’émancipation pour des travailleurs et travailleuses des pays du Sud en ceci qu’elle promeut les filières courtes et le respect des pratiques locales, une approche faible et dépolitisée de l’agroécologie risque au contraire de laisser inchangés les rapports de pouvoir entre agricultures des pays du Sud et marchés des pays du Nord, tant que ce sont ces derniers qui dictent les attentes, les calibres et les référentiels de production attendus sur le marché agricole mondialisé.
Références
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- En 2013, le second pilier ne représentait par exemple que 23,4 % du budget de la PAC, le pilier 1 dédié à l’organisation des marchés et aux paiements directs aux agriculteurs et agricultrices accaparant le reste, soit 76,6 % des crédits d’engagement de l’UE. Source : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/cap-reform/cap-financing/. ↵
- Entretien à la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, Ministère de l’agriculture, 22 avril 2015. ↵
- Le Figaro « Agriculture : la FNSEA prend une nouvelle fois pour cible Stéphane Le Foll », 25/03/2014. ↵
- La France agricole, « Xavier Beulin : ‘‘Le sujet du moment n’est pas l’agro-écologie’’ », 28 mars 2013, disponible en ligne sur :<lafranceagricole.fr>. ↵
- Entretien à la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, 22 avril 2015. ↵
- Sans les listes dissidentes classées comme « apparentées » par le ministère de l’Agriculture ↵
- La Coordination rurale s’est faite entendre par des pétitions contre des mesures environnementales – notamment contre les Zones de Non Traitement à proximité des riverains. ↵
- idem. ↵
- Les amis de la Terre, « Le loup dans la bergerie. Analyse de l’intensification durable de l’agriculture », octobre 2012. ↵
- Source : Entretien avec un administrateur de l’association Terre et Humanisme, 27 avril 2015. ↵
- F. Nicolino, « Le Foll invente « l’agriculture écologiquement intensive », Charlie Hebdo, 21 août 2013. ↵
- Voir l’historique dans : Centre d’études et de prospective, 2013. ↵
- Voir : C. David, A. Wezel, S. Bellon, T Doré, E. Malézieux, « Agro-écologie », Les mots d’agronomie [Disponible en ligne sur : mots-agronomie.inra.fr]. ↵
- Benjamin Roger, « Burkina Faso : Sankara, Rabhi et l’agroécologie », Jeune Afrique, 15 mai 2015. ↵
- idem. ↵
- Le terme est employé par Goodman, Sorj et Wilkinson (1987) et est repris par Pierre Stassart dans Van Dam et al., 2012, p. 26. ↵
- Sur les critiques à l’égard de Rhabi, par exemple, voir Kindo « Contre Pierre Rabhi », Médiapart, 12 juillet 2014. ↵
- Sous Emmanuel Macron, le terme « solidarité » a été retiré pour faire place à un simple « Ministère de la transition écologique ». ↵
- Entretien à la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, 22 avril 2015. ↵
- Entretien à la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, 13 avril 2015. ↵
- Entretien avec le président d'une section départementale UDSEA/FNSEA, 5 mai 2015. ↵
- Entretien avec un formateur militant au sein de l’association Terre et Humanisme, 13 avril 2015. ↵
- Vandewalle, « Blé : la France devrait maintenir sa vocation exportatrice », La France Agricole, n°3428, 23 mars 2012. ↵
- Rabhi, « Vers la sobriété heureuse », Actes Sud, 2010. ↵
- « Tout miser sur l’export accélérera la disparition des paysans » (Confédération paysanne), La France agricole, 18 avril 2014; « La Confédération paysanne pointe les risques de l’export de produits agricoles », Terre Dauphinoise, 16/04/2014. ↵
- Plassart, « Xavier Beulin, président de la FNSEA : ‘‘L’agriculture française est en train de décrocher et c’est aberrant’’ », Le Nouvel Économiste, 20/02/2015. ↵
- S. Le Foll, Déclaration au Sénat sur les enjeux du projet de loi d’avenir pour l'agriculture, l’alimentation et la forêt, Sénat, 9 avril 2014. ↵
- idem. ↵
- Extrait du discours de S. Le Foll lors d’une conférence de presse organisée pour la remise du rapport de M. Guillou, 11 juin 2013 (retranscription personnelle). ↵
- On notera la mobilisation significative du lexique de la productivité dans le discours du ministre : « C’est un principe qui n’est pas forcément celui de demander combien il a produit, mais comment il a fait pour produire cela avec si peu. Voilà l’enjeu. En faisant cela, nous entrons dans un autre processus qui est celui de la marge nette, la marge brute. Ce n’est plus seulement celui de la quantité produite, mais aussi celui de ce à quoi j’ai dû recourir pour produire ». Voici donc la conclusion à laquelle arrivait le ministre qui entendait « concilier cet engagement sur la performance économique et la performance écologique » grâce à l’argument fédérateur de la diminution des coûts (coûts pour le producteur et méfaits sur l’environnement étant symétriques). Source : xonclusion de la conférence nationale « Agriculture : Produisons autrement, 18 décembre 2012. ↵
- Le Figaro, « Stéphane Le Foll: ‘‘Le concept de l’agro-écologie est compatible avec une agriculture plus compétitive’’ », 17/02/2015. ↵
- Marsh et McConnell ont proposé d’évaluer trois types de succès : le « process success », le « programmatic success » et le « political success », mais cette distinction reste difficile à opérationnaliser (McCann, Ward, 2012). ↵
- Sur cette controverse, voir les échanges entre Benson et Andrew (2001) et Dussauge-Laguna (2012). ↵
- Entretien auprès du Collectif pour le développement de l’agroécologie dans l’Ain, 3 avril 2015. ↵
- Entretien auprès du Collectif pour le développement de l’agroécologie (AE) dans l’Ain, 3 avril 2015. ↵
- Entretien auprès du Collectif pour le développement de l’AE dans l’Ain, 3 avril 2015. ↵
- Entretien à la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, 22 avril 2015. ↵
- « Global Alliance for Climate-Smart Agriculture » (GACSA) ou, en français, Alliance Globale pour une agriculture intelligente face au climat. ↵
- Le Figaro, « Stéphane Le Foll: ‘Le concept de l'agro-écologie est compatible avec une agriculture plus compétitive’ », 17/02/2015. ↵