Analyse des biens et services écosystémiques des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye dans une optique de préservation

Aïssatou SÈNE, Birane CISSÉ, et Sidia Diaouma BADIANE

 

Introduction

Les zones humides sont des milieux divers, complexes, fragiles et extrêmement riches et utiles à la communauté (Bouscasse et al., 2011). Elles sont de véritables foyers de biodiversité et fournissent l’eau et la productivité dont des espèces innombrables de plantes et d’animaux dépendent pour leur survie. Elles offrent également d’importantes possibilités d’activités socio-économiques (Badiane et Mbaye, 2018). Malgré leur importance et leurs multiples fonctions, les zones humides ont fait et font encore l’objet de fortes pressions (pollution, drainage, irrigation, changement climatique…) qui conduisent à leur destruction. Dans les aires urbaines, les pressions exercées sur ces écosystèmes sont telles que l’urbanisation est considérée comme l’un des principaux facteurs de destruction des zones humides. La valorisation des services rendus par les écosystèmes est de plus en plus un motif pour justifier leur préservation au regard des bénéfices qu’elles procurent à la société. Elle souligne en particulier le lien entre la détermination des fonctionnalités des zones humides et l’évaluation économique des services rendus dans la perspective d’une aide à la décision en matière de protection et de gestion de ces zones humides (Bouscasse et al., 2011).

Le Sénégal abrite plusieurs zones humides qui se répartissent entre la plaine d’inondation du Sénégal, le complexe deltaïque du Sénégal, le Saloum et son delta, l’estuaire de la Casamance et les Niayes. Ces dernières s’étendent sur une bande de terre de 5 à 35 km de large pour une superficie estimée à 2759 km² (Ba, 2007). Les Niayes sont formées par une succession de petites dépressions humides (souvent transformées en lacs temporaires durant la saison des pluies) plus ou moins inondées par les pluies et surtout par la nappe phréatique des sables du quaternaire.

Les lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye sont des anciennes lagunes qui appartiennent à l’écosystème des Niayes. Ils sont situés dans la banlieue de Dakar et abritent de nombreuses activités telles que l’horticulture, la tannerie ou la pêche. En outre, ils contribuent à stocker les eaux pluviales pour réguler les inondations devenues récurrentes dans la banlieue. Ces zones humides urbaines sont très sensibles à la variabilité climatique (Dasylva et al., 2003; Aguiar, 2008; Ndiaye et al., 2024) et aux impacts des événements extrêmes (sécheresse et inondations). Les sècheresses persistantes enregistrées dans le pays depuis la fin des années 1960 ont contribué à l’assèchement de ces lacs. Les inondations récurrentes ces dernières années ont fortement perturbé ces lacs et menacé les activités économiques (Dasylva, 2009), à cause du drainage excessif des eaux pluviales tel que souligné par plusieurs usagers interrogés[1].

Les lacs subissent également les effets négatifs d’une urbanisation massive et déstructurée qui perturbent les fonctions et les services qu’ils rendent à leurs usagers (Diop et al., 2018; Sène, 2018; Kital et Cohen, 2024). En effet, les années de sécheresse en 70 et 80 ont entrainé l’installation de fortes concentrations de populations autour des lacs et sur les zones humides asséchées. Les communes installées dans ces espaces (Yeumbeul Nord, Wakhinane Nimzat et Malika) enregistrent actuellement une densité de la population la plus forte de la région de Dakar. Depuis le retour à la normale pluviométrique observée depuis le début des années 2000, les communes environnantes des lacs subissent des cycles répétitifs d’inondations à chaque saison de pluies avec de terribles conséquences socio-économiques et environnementales.

Les lacs endurent des perturbations au plan hydrologique et une dégradation de la qualité des eaux. La pérennité des activités socio-économiques autour de ces lacs est désormais menacée alors qu’elles constituent la source de revenus des centaines d’usagers. La multifonctionnalité des lacs (sources de revenus pour les populations locales, régulation des inondations, etc.) tend vers la rupture pour un seul usage de stockage d’eau. Comment ces lacs sont-ils utilisés? Quelle est la valeur économique de ces usages? Quels sont les effets des inondations sur ces usages? Quels sont les impacts de la dégradation de la qualité des eaux des lacs sur les activités économiques et leur pérennité? Pour aborder ces questions, cette contribution est structurée comme suit : la première partie est consacrée à la présentation des lacs et leurs usages, la deuxième partie présente les méthodes d’évaluation des services écosystémiques utilisées dans le cadre de cette étude ainsi que les résultats obtenus.

Présentation des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye

Les trois lacs étudiés font partie des formations lacustres situées sur la frange littorale de la Grande Côte du Sénégal. Il s’agit du lac Rose, du lac Tanma et du lac Mbeubeuss (figure 1). Leur genèse et leur évolution sont liées aux variations climatiques observées pendant le quaternaire récent, notamment les variations du niveau marin (Morin, 1975). Ces lacs se seraient mis en place lors de la transgression nouakchottienne (7000 à 4200 ans BP) durant laquelle la mer aurait pénétré l’intérieur des dunes pour former une lagune qui communiquait avec la mer (Ndao, 2005). La fermeture de la lagune intervenue durant la période subactuelle (1700 ans BP) a isolé cette unité qui évolue désormais comme des lacs alimentés essentiellement par les apports pluviométriques et la nappe phréatique des sables du quaternaire. Les trois lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye sont de petites unités, peu profondes et comparables à des étangs naturels avec une circulation d’eau lente voire nulle.

Tableau 1. Caractéristiques des lacs étudiés (source : Agence de développement municipal de Dakar, 2012)

Caractéristiques Périmètre (m) Volume (m3)
Lac Thiourour 2125 83400
Lac Warouwaye 3588 246500
Lac Wouye 3423 345300

Les lacs sont localisés dans la banlieue de Dakar (départements de Pikine Guédiawaye et de Malika) à cheval dans les communes de Wakhinane Nimzat (Thiourour), Yeumbeul Nord (Warouwaye) et Malika (Wouye).

Figure 1. Localisation des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye

Planche 1. Quelques usages dans la zone des lacs

A : maraîchage; B : pêche; C : tannerie; D : drainage des eaux de pluie; source : enquêtes de terrain, 2017

Méthodes d’évaluation des BSE des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye

Diverses techniques de monétarisation des services écosystémiques ont été développées et classées en plusieurs catégories (Dupras, Revéret et Hie, 2013; Mavsar et al., 2013; TEEB, 2010; Bielsa et al., 2009). Parmi elles, les méthodes directes d’estimation (les méthodes basées sur les prix de marché, sur les coûts, la méthode des prix hédonistes) et les méthodes indirectes (les méthodes contingentes et la méthode de transfert) qui reposent sur des marchés hypothétiques adaptés aux biens et services écosystémiques qui n’ont pas de marché permettant leur valorisation monétaire. Les biens et services écosystémiques analysés dans le cadre de cette étude sont les services d’approvisionnement (SA) et de régulation (SR) dont les méthodes directes permettent d’évaluer leur valeur économique. L’évaluation des SA a été effectuée sur la base de la méthode des prix de marché et permet d’estimer la valeur économique des BSE qui sont vendus ou achetés sur les marchés. Pour les services de régulation, la méthode basée sur les coûts de remplacement a été utilisée. Elle permet d’attribuer une valeur monétaire du bien et service écosystémique identifié par le biais des prix des biens ou services de substitution.

Échantillonnage des usager·es enquêté·es

Cette étape a débuté avec les recherches de statistiques sur la taille des populations. Sur la base des investigations effectuées sur le terrain et des échanges avec les usager·es rencontré·es, la population des trois lacs est estimée à 1114 individus dont 883 sur le lac Wouye, 98 à Warouwaye et 133 sur le lac Thiourour. Sur ce total, 10 % des usager·es sont enquêté·es, soit 112 répartis comme dans le tableau 2.

Tableau 2. Répartition des enquêtés par usage et par lac

Usager·es /Lac Wouye Warouwaye Thiourour Total
Horticulteurs 77 8 2 87
Horticulteurs 3 2 1 6
Pêcheurs 5 1 3 9
Tanneuses 0 0 10 10
Total 85 11 16 112

Les usager·es interrogé·es ont été choisi·es de manière aléatoire suivant leur disponibilité sur la base du nombre retenu par lac et par groupe d’usager·es.

Élaboration et administration du questionnaire

La collecte des informations s’est faite par un questionnaire adressé aux usager·es. Le questionnaire est réparti en plusieurs rubriques qui comprennent entre autres les caractéristiques de l’enquêté·e, l’identification des BSE des lacs et l’analyse de leur évolution, l’évaluation économique de l’activité.

Détermination des coûts de remplacement

L’estimation des coûts de remplacement du service de drainage et de stockage des eaux pluviales est basée sur les coûts des ouvrages prévus (infrastructures de drainage et d’espaces de stockage, entre autres) dans le cadre de la mise en œuvre du plan de drainage des eaux pluviales de la région de Dakar (PDD). Piloté par l’Agence de développement municipal (ADM), le PDD repose sur la conception d’une ossature hydraulique qui cloisonne l’espace en grands bassins versants (BV) indépendants. L’établissement des prix unitaires des ouvrages s’est appuyé sur l’examen de marchés au moment de la mise en œuvre.

Valeur économique des services d’approvisionnement

L’étude montre une diversité d’activités autour des lacs ayant une rentabilité économique non négligeable. L’apport économique de chaque activité est appréciable au regard du nombre d’acteurs et d’actrices qui s’y mobilisent, mais surtout de la disponibilité et de la viabilité des facteurs de production.

Caractéristiques des activités économiques

Les activités économiques identifiées autour des lacs présentent des caractéristiques variables selon leur nature, selon les groupes d’acteurs et d’actrices intervenant ou selon leur empreinte spatiale. La disponibilité de l’eau reste le facteur déterminant du développement de ces activités, mais il existe une spécificité pour chaque activité du point de vue de son organisation et de son fonctionnement.

  • Le maraîchage

La prédisposition des sols des Niayes au développement des cultures horticoles a permis aux populations anciennement établies de s’activer dans le maraîchage qu’elles ont associé aux cultures sous pluies sur de larges surfaces. Avec l’extension du bâti, les périmètres agricoles ne subsistent que sur les environs proches des trois lacs. Le lac Wouye, du fait de l’importance des réserves foncières encore disponibles par rapport aux deux autres lacs, concentre plus d’actifs et de superficies cultivées. À Thiourour comme à Warouwaye, les exploitations qui subsistent se localisent sur les marges des dépressions ou dans des maisons en début de construction. La taille des exploitations varie entre 100 et 500 m². Plusieurs espèces végétales sont cultivées dont la tomate, l’oignon vert, le piment, le poivron, la courgette, le concombre, la patate, la menthe poivrée, l’aubergine, la laitue, le persil, le navet, le chou, la betterave, le poireau, le cèleri, le chou-fleur, la fraise, le manioc, l’oseille, le gombo… L’arboriculture est souvent associée aux cultures avec des plantations de bananiers, de cocotiers, de papayers et de grenadiers.

  • La tannerie

La tannerie (transformation de la peau d’animaux en cuir) est pratiquée sur le lac Thiourour. Le site fait partie des rares espaces où l’activité est exercée sous sa forme traditionnelle à Dakar. La tannerie est pratiquée depuis des générations par une communauté essentiellement Maure. Après plusieurs délocalisations du centre-ville en passant par Yarakh, Pikine ou encore à Guédiawaye (près du lycée Limamou Laye), ce site de 2 ha à l’origine, a été octroyé par l’administration de l’époque (dans les années 1980) sous forme de bail. Depuis, l’avancée des habitations et les inondations répétitives ont considérablement diminué l’espace de travail.

  • La pêche

La pêche pratiquée sur les lacs est de type traditionnel, une pêche artisanale essentiellement à l’aide de filets (dormant ou épervier). Elle est pratiquée sur l’ensemble des trois lacs durant toute l’année, pour la plupart par des pêcheurs qui se déplacent sur les points d’eau de la zone (Grande Niaye, Marigot de Tivaouane Peulh, entre autres) en fonction de la disponibilité des poissons. Les espèces pêchées sont, suivant leur ordre d’importance, le tilapia (carpe, wass), le silurus (coler) et le mulet (guiss). Le matériel de pêche employé est rudimentaire, chaque pêcheur dispose d’un radeau confectionné à partir des tiges de typha. L’activité, dont une partie est destinée à l’autoconsommation, est aussi génératrice de revenus assez considérables.

  • L’aviculture

Dans la zone des Niayes, les conditions climatiques favorables ont participé à l’essor de l’activité. Les exploitations exclusivement avicoles sont installées autour des lacs, notamment autour du lac Wouye où elles sont plus nombreuses. Elles sont aussi présentes dans les exploitations agricoles où les producteurs associent maraîchage et aviculture. Le nombre de poulets de chair produits par campagne varie entre 350 et 1000 sujets. Pour les pondeuses, on compte habituellement entre 1000 et 2000 sujets.

Valeur économique des activités

  • Revenus tirés des activités

Les revenus annuels des maraîcher·es sont déterminés à partir des quantités moyennes produites par campagne, du nombre moyen de campagnes effectuées pour chaque spéculation dans l’année et de leur prix de vente. Ils sont compris entre 734 200 et 5 796 000 F CFA.

Les acteurs et actrices qui s’activent dans la tannerie estiment que leur travail est assez rentable. Les marges de bénéfice s’élèvent entre 80 à 156 % par rapport aux coûts de production. Les revenus annuels enregistrés par la tannerie sont compris entre 424 575 et 1 131 300 F CFA.

Quant aux pêcheurs, les revenus fluctuent suivant les quantités de poissons avec des gains journaliers allant de 4000 à 10000 F CFA.

Les aviculteurs enregistrent des revenus qui varient entre 1 425 000 à 4 800 000 F CFA par année. Plus de 70 % d’entre eux ont des recettes annuelles supérieures à 2 500 000 F CFA.

  • Recette annuelle des activités économiques

Les recettes annuelles pour les 112 usager·es enquêté·es s’élèvent à 262 170 025 F CFA. Cette valeur rapportée au nombre d’usager·es qui s’activent autour des lacs donne un total de 2 607 655 427, 23 F CFA par année pour les mille-cent-quatorze (1114) usager·es. L’horticulture est l’activité qui génère le plus de revenus (figure 2), soit 64,11 % de la recette totale. Elle est suivie de l’aviculture avec 27,66 %; la tannerie et la pêche représentent respectivement 3, 28 % et 4,94 % du total.

Figure 2. Répartition des revenus des 112 usager·es

Valeur économique des services de régulation

Les lacs, comme l’ensemble des dépressions inter-dunaires, stockaient naturellement les eaux de ruissellement provenant des pluies avant que l’urbanisation n’obstrue les chemins naturels (Diop, 2005) empêchant l’écoulement gravitaire des eaux vers les points bas tels que les lacs. Ce qui constitue l’un des facteurs aggravants des inondations dans la banlieue de Dakar. Dans le cadre de l’exécution du plan directeur de drainage des eaux pluviales (PDD), le PROGEP a réalisé des canaux raccordant les différents bassins de rétention du bassin versant de Thiourour en plus d’un ouvrage de connexion entre les lacs Thiourour et Warouwaye. Des réseaux secondaires sont ajoutés pour raccorder certains points des quartiers riverains. Le bassin versant de Yeumbeul (qui intègre le lac Wouye) est équipé de treize ouvrages structurants dont six collecteurs, deux bassins, dont le bassin de Yeumbeul Nord (mare de Yawack) et un ouvrage de rejet à la mer.

Figure 3. Réseau de drainage des eaux pluviales autour des lacs (source de données ADM)

Le coût des équipements de drainage du plan directeur de drainage est estimé à 93.1 milliards CFA (206 millions US $) dont 74.5 milliards CFA pour l’équipement en canaux, bassins de stockage et ouvrages de rejet (tableau 3).

Tableau 3. Les coûts estimés des équipements de drainage du plan directeur de drainage dans le cadre du PROGEP, source ADM

Investissements Coûts en CFA
Canaux de drainage 42.7 milliards
Espaces de stockage des eaux pluviales 22.2 milliards
Rejets en mer 9.5 milliards
Total 74.5 milliards

Le coût unitaire des canaux de drainage est compris entre 900 000 F CFA et 1,007 milliards. Pour les espaces de stockage des eaux pluviales, les coûts varient entre 30 et 351 millions de CFA et les ouvrages de rejets en mer entre 142 millions et 1,090 milliards. Ces estimations donnent une idée de la valeur économique de la fonction de drainage et de stockage des eaux pluviales.

Discussion

L’évaluation économique des usages des lacs permet de disposer d’informations précises sur l’utilité et le poids économique des usages des lacs afin de justifier leur préservation. Cependant, la première contrainte notée dans cet exercice est de disposer de chiffres officiels du nombre de personnes concernées par les activités économiques liées à la présence des lacs. Sur la base des enquêtes effectuées, 1114 usagers ont été comptabilisés dont 800 maraîcher·es autour du lac Wouye alors que Faye (2015) y dénombre 300 maraîcher·es. Si l’auteur n’apporte pas de précisions sur la source de ces chiffres, les différentes visites effectuées ont permis de constater la fluctuation constante du nombre de maraîcher·es présent·es et des périmètres emblavés. Ceci s’explique en partie par le fait que les maraîcher·es abandonnent et reprennent leur exploitation en fonction de l’étendue des crues des lacs d’une part et d’autre part, le bâti continue à s’étendre vers les lacs. Par ailleurs, les revenus tirés des activités sont cependant disparates et dépendent souvent du type d’activité et des moyens investis. Les aviculteurs interrogés gagnent entre 1 425 000 et 4 800 000 FCFA par année alors que les maraîcher·es ont des revenus annuels compris entre 734 200 et 5 796 000 F CFA. Le même constat est aussi noté sur le site horticole de Cambérène où les revenus annuels de 169 maraîcher·es sont compris entre 50 000 et 5 000 000 F CFA (Niang et al., 2001). Les revenus cumulés des 88 maraîcher·es interrogé·es sont de 168 098 450 F CFA tandis que Diagne et al. (2006) estimaient à 102 654 250 F CFA les revenus gagnés par 70 maraîcher·es établi·es sur les Niayes de Thiaroye Yeumbeul Nord en 2003. Il apparait donc que les lacs permettent aux usagers dont la plupart habitent dans les quartiers environnants de disposer d’activités génératrices de revenus.

Ces activités sont souvent un début de solution pour l’amélioration des conditions de vie des populations (Gaye et Niang, 2010). La mise en place du plan de drainage des eaux pluviales (PDD) est une réponse aux innombrables inondations enregistrées dans la région de Dakar provoquant de lourdes conséquences socio-économiques et sanitaires. Cette situation est en grande partie causée par l’étalement progressif du bâti sur le réseau hydrographique naturel des Niayes où les chemins de ruissellement naturels des eaux pluviales sont entravés. La banlieue de Dakar est la zone la plus touchée par les inondations récurrentes. En 2009, 360 000 personnes ont été directement affectées par les inondations à Pikine et 22 000 personnes à Guediawaye (IAGU, 2019). Après de nombreuses interventions ponctuelles pour contenir les inondations (plan ORSEC, plan Jaxaay…), les gestionnaires ont cherché à mettre en œuvre des solutions durables. C’est dans cette optique que la restauration du réseau hydrographique des Niayes a été retenue comme une solution pour la gestion durable des inondations, le drainage et le stockage des eaux pluviales sont naturellement effectués par la zone humide des Niayes. La perturbation de cette fonction écologique a contraint les gestionnaires à procéder à sa restauration par la mise en place d’un réseau de drainage qui reproduit la configuration initiale des écoulements pour réduire les inondations.

La restauration ou le remplacement de ce service rendu par l’écosystème est très couteux. Le coût de mise en place du PDD pour les phases qui intègrent les trois lacs est de 74.5 milliards de F CFA. Le PDD a certes permis d’atténuer les impacts des inondations. Cependant, la durabilité des équipements reste tributaire de leur système d’exploitation et d’entretien. Aussi, le drainage excessif des eaux pluviales vers les lacs constitue-t-il une menace pour leur survie comme le témoigne le niveau d’eutrophisation avancé des lacs. Pourtant, une meilleure gestion du système de drainage des eaux pluviales qui intègrerait davantage la dimension environnementale pourrait conduire à la renaturation des zones humides des Niayes. Cela passe par la réutilisation des excédents d’eaux de la nappe phréatique et des eaux pluviales et par le renforcement de l’agriculture péri urbaine (Pfeifer et Hitz, 2011). À l’heure où les écosystèmes naturels, notamment les zones humides, sont de plus en plus sollicités pour leur rôle dans l’adaptation aux changements climatiques, les lacs, très fragilisés, voient leurs potentialités économiques et environnementales fortement affaiblies. Leur préservation, bien que compromise, dépend de la capacité des gestionnaires à stopper et à éviter tout dommage et destruction supplémentaire.

Conclusion

Cette analyse a permis de mesurer l’importance des biens et services écosystémiques des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye, malgré le contexte de plus en plus difficile dans lequel ils subsistent. Ces lacs, situés dans la banlieue de Dakar, subissent de fortes pressions telles que la présence d’une forte concentration de la population et d’un habitat non structuré autour des lacs, les inondations répétitives, le drainage excessif des eaux pluviales…

L’évaluation économique des usages des lacs montre qu’ils fournissent encore des services importants. Les activités économiques dépendantes génèrent des revenus considérables. Les recettes annuelles pour les 112 usagers enquêtés s’élèvent à 262 170 025 F CFA. Elles sont estimées à 2 607 655 427,23 F CFA pour les 1114 usager·es. Cela contribue largement à l’amélioration des conditions de vie des usagers. Le coût élevé des infrastructures du plan de drainage des eaux pluviales (PDD) mis en œuvre par le PROGEP évalué à 74.5 milliards de F CFA permet de saisir l’importance de la fonction de régulation que jouent les lacs dans la gestion des inondations. Néanmoins, l’une des contraintes majeures actuelles est la difficile conciliation entre le stockage des eaux pluviales et le développement des activités économiques. Les eaux pluviales sont excessivement drainées sur les lacs perturbant ainsi l’écosystème et les activités dépendantes. La survie des lacs, bien que compromise, dépend de la capacité des gestionnaires (les collectivités territoriales notamment) à mettre en place un plan d’aménagement concerté qui préservera l’écosystème lacustre et assurera le maintien des activités économiques. Par ailleurs, un suivi de la qualité des eaux doit être effectué pour évaluer les impacts du drainage sur l’écosystème et sur les activités économiques dépendantes.

Références

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Gaye, Malick et Niang Seydou, 2010. Manuel des bonnes pratiques de l’utilisation saine des eaux usées dans l’agriculture urbaine. ENDA RUP, 126 pages.

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Sène, Aïssatou, Sarr Mamadou Adama, Kane Alioune et Diallo Marième. 2018. L’assèchement des lacs littoraux de la grande côte du Sénégal : mythe ou réalité ? Cas des lacs Thiourour Warouwaye et Wouye de la banlieue de Dakar. Journal of Animal & Plant Sciences, 35(2), 5623-5638.

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  1. Données pré-enquêtes.

Pour citer cet article

SÈNE, Aïssatou, CISSÉ, Birane, BADIANE, Sidia Diaouma. 2024. Analyse des biens et services écosystémiques des lacs Thiourour, Warouwaye et Wouye dans une optique de préservation. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 3(1), en ligne. DOI : 10.46711/naaj.2024.3.1.2

Licence

La revue NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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