Volume 1, numéro 1 – 2019 : La responsabilité sociale des organisations et entreprises en Afrique francophone
Présentation. La responsabilité sociale des organisations et entreprises en Afrique francophone
Victorine Ghislaine Nzino Munongo
Considérant, d’une part, que le monde est un village global en construction dans lequel sont appelées à interagir plusieurs parties prenantes pour la concrétisation d’un destin commun et, d’autre part, le souci de préservation des ressources locales, il émerge la nécessité d’une implémentation plus concrète du principe d’intégration. Les Objectifs de développement durable (ODD) ont ainsi été adoptés avec comme objectif d’éliminer, d’ici 2030, la pauvreté sous toutes ses formes par la promotion d’une industrialisation durable qui profite à tous et à toutes, encourage l’innovation et la recherche, mais aussi les grandes entreprises et les sociétés transnationales à adopter et intégrer des pratiques durables. La visée essentielle des objectifs fixés est la création d’emplois, l’augmentation de la richesse locale par le Produit intérieur brut (PIB) et une utilisation plus rationnelle des ressources par l’usage de technologies et procédés industriels propres, socialement inclusifs et respectueux de l’environnement.
L’Afrique subsaharienne est confrontée à plusieurs défis. Il y a en premier l’explosion démographique estimée à 1,1 milliard d’habitant-e-s avec une projection de 2,4 milliards en 2050 (Unesco, s. d., en ligne), ce qui représente un tiers de la population mondiale. En outre, 60 % de la population africaine a moins de 35 ans (Unesco, ibid.) et est constituée de jeunes avides de biens et de consommation.
Par ailleurs, l’urbanisation se fait à grande vitesse en termes d’occupation d’espace par les populations: les statistiques font mention de 472 millions d’habitant-e-s vivant en zone urbaine et le double de ce chiffre d’ici les 25 prochaines années (Zogning, Mbaye et Um-Ngouem, 2017, p. 81). Ces chiffres dénotent l’existence d’une concentration graduelle non négligeable de la demande de biens et services en zone urbaine et partant, une économie croissante dont les prévisions sont fixées à 2,6 % en 2017. Selon la Banque mondiale, cette croissance est ralentie par le déficit des infrastructures, ce qui a pour impact de limiter la productivité des entreprises à 40 %[1].
Dans la lancée de ces défis, on notera enfin le manque flagrant d’infrastructures. Il y a un besoin vital d’investir massivement pour la construction des espaces viables qui peuvent accueillir cette population croissante et répondre aux attentes des entreprises. Toutefois, la facture de ces opérations sera sans doute assez salée. Selon les expertes et experts financiers, le besoin d’investissements dans la construction des infrastructures en Afrique s’évalue à 93 milliards de dollars par an (Banque mondiale, 2015, en ligne). Dans un environnement où 43 % de la population totale vit en dessous du seuil de pauvreté (ibid.), l’enjeu est non seulement celui de poser les jalons d’une économie dite inclusive, mais également un système de production, de vente et de consommation qui respecte la dignité humaine tout en préservant l’environnement. D’où la référence faite à la responsabilité sociétale des entreprises et organisations.
Bambara et Sene reprennent la définition de la Responsabilité sociale des organisations (RSO) de la norme ISO 26000. Il s’agit, en effet, d’une
responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui contribue au développement durable y compris à la santé des personnes et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur et est compatible avec les normes internationales et est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations (Bambara et Sene, 2013, p. 90).
Pour le Conseil d’administration du Bureau international du travail, en sa 295e session (mars 2006), la Responsabilité sociétale des entreprises/organisations (RSE) traduit la « façon dont les entreprises prennent en considération les effets de leurs activités sur la société et affirment leurs principes et leurs valeurs tant dans l’application de leurs méthodes et procédés internes que dans leurs relations avec d’autres acteurs » (2006, en ligne). La définition énoncée par l’Organisation internationale du travail (cité par Champion et al., 2005, p. 4) conçoit la RSE « comme une question de régulation sociale faisant intervenir, derrière l’institution que constitue l’entreprise, des acteurs sociaux en conflit ». Désormais, il est question de considérer la RSE, selon la revue Structural Change and Economic (citée par Rubinstein, 2006, paragr. 10), « comme des actions permettant d’améliorer le bien-être social au-delà des intérêts de la firme et de ce qui est requis par la loi ».
De manière globale, cette norme en exergue l’enjeu de l’insertion d’une RSE/RSO au sein d’une société. L’encadrement juridico-politique de la RSE/RSO en Afrique est un véritable défi. Si la perception qu’ont les États de cet outil est nuancée, cela n’est pas très différent de ce que l’on observe dans les entreprises. Les outils de gestion et de mise en place d’une RSE/RSO dans les pays et les entreprises d’Afrique méritent d’être analysés afin de comprendre et de traduire la portée de la RSE/RSO en Afrique subsaharienne. Malgré le caractère novateur du concept occidental qu’est la RSE/RSO en Afrique et l’appréhension changeante de ce dernier en fonction des réalités sociales, il existe des approches d’implémentation qui positionnent les entreprises en acteurs ayant pour responsabilité de contribuer à l’éradication de la pauvreté.
Il nous a donc semblé utile, pour la première parution de la revue Ngaban-Dibolel, de faire un dossier thématique qui traite de la question dans une diversité de points de vue et d’approches : « La responsabilité sociale des organisations et entreprises en Afrique francophone ». Homère NGANDAM MFONDOUM, Roy Théophile MFONDOUM, Frédéric Chamberlin LOUNANG TCHATCHOUANG et Yves BERTRAND TCHAKAM MBOUWE interrogent les liens entre les pratiques actuelles d’exploitation forestière et les principes fondamentaux de la RSE. Ils proposent ainsi une appréciation globale des avancées et lacunes dans ce domaine. Enguerrand SERRURIER, pour sa part, questionne les innovations du code africain des investissements. Il tente de comprendre comment ce texte concilie le droit des investissements étrangers, le développement et la Responsabilité sociale des entreprises. Dans la même veine, le travail d’ABEN Melvis ANEP passe en revue le potentiel de cette notion pour mieux examiner l’adaptation de l’Afrique subsaharienne francophone à l’agenda du développement durable. Elle y voit une chance pour les pays de cette partie de l’Afrique de promouvoir des industries vertes. Toutefois, le processus d’industrialisation devrait se préoccuper de l’humain et des droits qu’on lui reconnaît. C’est la perspective adoptée de Léonelle Flore NGUINTA HEUGANG et MOHAMADOU NOUROU qui dressent un tableau des pratiques dans le domaine de l’agro-industrie au Cameroun. À travers les exemples de la Cameroon Development Corporation (CDC) et la Société Camerounaise de Palmeraies (SOCAPALM), les deux auteur-e-s dégagent les principales conséquences de l’implantation des industries agroalimentaires dans un environnement où les populations sont déjà vulnérables. Pour une exploitation responsable des ressources naturelles, TASSAH Ivo TAWE et ATEMKENG Andre NDAH suggèrent des mécanismes et stratégies pour intégrer les communautés riveraines. La réserve forestière du mont Cameroun est leur terrain d’étude.
On ne saurait prétendre avoir fait le tour de la question avec ce premier volume. Pour rappel, Ngaban-Dibolel, qui a pour sous-titre Revue africaine de responsabilité sociale et management durable, African Journal for Social Responsability and Sustainable Management, résulte d’une transformation d’un projet de livre qui devait initialement paraître chez les Éditions science et bien commun (ESBC) qui soutiennent également le Grenier des savoirs et ses revues. Outre les cinq textes qui constituent ce premier volume, l’équipe éditoriale a bien l’intention de reconduire la thématique pour le prochain.
Références
Bambara, Marina et Sene, Andoulaye. 2013. L’évolution de la responsabilité sociétale de l’entreprise à la faveur du développement durable : vers une juridicisation de la RSE. Revue africaine de droit de l’environnement/African journal of Environnemental law, 00, 85-94.
Banque mondiale. 2015. Toujours plus de plus de personnes pauvres en Afrique malgré les progrès réalisés en matière d’éducation et de santé (communiqué de presse du 16 octobre 2015). Consulté à l’adresse: https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2015/10/16/africa-gains-in-health-education-but-numbers-of-poor-grow
Champion, Emmanuelle, Gendron, Corinne, Lapointe, Alain et Chaire de responsabilité sociale et de développement durable. 2005. Les représentations de la responsabilité sociale des entreprises : un éclairage sociologique. Montréal : École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal.
Conseil d’administration du Bureau international du Travail. 2006. Pour discussion et orientation. Initiative focale sur la responsabilité sociale des entreprises. 295e session, disponible à l’adresse https://www.ilo.org/public/libdoc/ilo/GB/295/GB.295_MNE_2_1_fren.pdf
Les Echos. 2017. The Necessary Infrastructure Development for More Inclusive Growth in Africa. Consulté le 8 novembre 2017 à l’adresse https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-164856-le-necessaire-developpement-des-infrastructures-pour-une-croissance-plus-inclusive-en-afrique- 2056658.php.
Rubinstein, Marianne. 2006. Le développement de la responsabilité sociale de l’entreprise. Une analyse en termes d’isomorphisme institutionnel. Revue d’économie industrielle, 113, en ligne. URL : http://journals.openedition.org/rei/295 ; DOI : 10.4000/rei.295
Unesco. s. d. Croissance démographique. Page web du département Afrique de l’Unesco consulté le 8 novembre 2017 à l’adresse : http://www.unesco.org/new/fr/testing/africa-relaunch/priority-africa/operational-strategy/demographic-growth/
Zogning, Félix, Mbaye, Ahmadou Aly et Um-Ngouem, Marie-Thérèse (dir.). 2017. L’Économie informelle, l’entrepreneuriat et l’emploi. Québec : JFD.
- Données de la banque mondiale consultables à l’adresse https://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/overview. ↵