Texte et contexte à la recherche de la compréhension en traduction littéraire

Samuel Onyemaechi Orji AWA et Ngele CHIMUANYA

 

Introduction

La traduction est essentiellement une activité humaine. Bien qu’il y ait de nos jours des tentatives de l’automatiser ou de l’informatiser, l’essentiel est qu’on aura toujours besoin d’une compétence humaine pour l’aborder. En général, elle est la reproduction de l’équivalence du message compris d’une langue dite de départ dans une autre dite d’arrivée. C’est pourquoi il est important, dans le processus traductionnel, de s’assurer que les deux textes (de départ et d’arrivée) aient le même sens et reproduisent les mêmes effets. Ce faisant, le traducteur-médiateur ou la traductrice-médiatrice est censé·e tout faire pour que le lectorat n’ait pas de difficultés de compréhension en lisant le texte final. Cela veut dire que le lectorat cible doit saisir le message d’une manière naturelle comme si le message était rédigé dans sa langue. Cependant, il ne suffit pas que le traducteur ou la traductrice manie seulement l’une des deux langues avec une capacité élevée sans avoir le même niveau de compétence dans l’autre. Il est exigé de lui ou d’elle de bien maîtriser les deux langues et de comprendre les nuances qui s’y trouvent. En plus de sa compétence linguistique, le traducteur-médiateur ou la traductrice-médiatrice doit toujours se souvenir des contraintes liées à cette activité qui sont, dans certains cas, linguistiques et, d’autres, extralinguistiques. La plupart des contraintes proviennent de la grammaire, du contexte du message et de la typologie textuelle.

Dans cet article, il sera question d’établir le lien entre le texte et son contexte. Étant donné la nature sensible de la compréhension du message littéraire, l’orientation du traducteur ou de la traductrice doit prendre en compte cette réalité. Il ou elle doit préciser ce qui relève du vouloir dire de l’auteur ou l’autrice du message qu’il ou elle vise à réexprimer dans la langue d’arrivée. N’oublions pas que le message littéraire et la manière dont il est rédigé prévoient des nuances et tournures évoquant des sentiments et notions que l’auteur ou l’autrice veut délibérément passer. Le traducteur ou la traductrice doit rechercher le contexte des mots en usage et pas simplement la correspondance des mots isolés. L’objectif de ce texte sera de présenter la traduction littéraire comme une activité exigeant deux compétences : littéraire et traductionnelle.

Pour atteindre l’objectif qui vient d’être posé, nous nous interrogerons sur le rôle du contexte dans la compréhension du texte littéraire, sur la saisie du sens en dehors de la correspondance des mots et phrases isolées et la possibilité d’échapper à l’essentiel du message littéraire si le traducteur ou la traductrice ne prend pas en considération son contexte situationnel. Cela renvoie alors à l’écart qui résulte quand on ne lie pas le message littéraire à son contexte. Nous tenterons ainsi de soutenir que la compréhension du fond du texte littéraire est fonction de ce dernier. La théorie du sens, dite interprétative, nous servira de cadre pour l’analyse du vouloir dire de l’auteur ou de l’autrice, activité qui précède la traduction. La traduction littéraire est considérée ici comme étant une activité qui recouvre deux disciplines distinctes – la littérature et la traduction. Dans ce travail, nous ferons le lien entre l’analyse du discours, le texte littéraire et son contexte. Nous achèverons ce texte par l’étude d’un cas pratique.

La traduction littéraire et la littérature en traduction

Quand on parle de la traduction littéraire, on pense à un processus par lequel le message d’une œuvre littéraire est reproduit d’une langue dite de départ dans une autre dite d’arrivée. Ceci dit, le traducteur ou la traductrice comme médiateur ou médiatrice du processus aura toujours la tâche de dupliquer fidèlement le message, retenant les effets et le style de l’auteur ou de l’autrice. Pour y parvenir, il ou elle devient une sorte de co-auteur ou co-autrice dans le processus de la recréation du message. En même temps, il est exigé de lui ou d’elle d’avoir une compétence dans la stylistique des langues en contact sans oublier d’activer son bagage encyclopédique emmagasiné au cours des années dans les deux cultures. Il faut rappeler qu’il y a deux éléments importants que le traducteur ou la traductrice retiendra au cours de son travail : la fonction de communiquer des idées et informations à travers des langues et l’aspect esthétique qui est à la base de toute création littéraire. C’est pour cette raison que l’on commence à sentir le sens en relation avec le contexte lors de la lecture d’une œuvre littéraire traduite. Il en est de même des notions et émotions que cette dernière communique.

La compréhension en traduction littéraire et la théorie du sens

Dès le départ, les théoriciens et théoriciennes du sens – on citera par exemple Danica Seleskovitch et Marianne Lederer – sont d’accord que le processus de traduction va au-delà des éléments purement linguistiques. Ils et elles n’ignorent pas complètement le rôle de la connaissance de l’élément linguistique. D’ailleurs, c’est cette connaissance qui aide à soulever les problèmes qui s’imposent quand on a des obstacles liés aux langues en traduction. Ces théoriciens et théoriciennes préfèrent interpréter pour traduire, encore plus en traduction littéraire. Il faut en réalité éviter des situations d’intraduisibilité comme c’est souvent le cas dans l’approche de la signification linguistique.

Il convient alors, dans ce travail, d’utiliser la théorie dite interprétative pour montrer comment faciliter la compréhension dans le lien étroit que le texte entretient avec son contexte. Ce faisant, on comprend que le sens du message littéraire n’est pas strictement disponible dans les éléments graphiques et linguistiques. Soutenant ce raisonnement, Seleskovitch est d’avis que « Le sens est un vouloir dire extérieur à la langue, antérieur à l’expression chez le sujet parlant, postérieur à la réception du discours chez le sujet percevant » (Seleskovitch, cité par Lederer, 1994, p. 9). Selon cette explication, le sens que l’on retient en traduction littéraire ne se trouve pas forcément dans les mots et phrases isolés qui ne sont que des véhicules utilisés par l’auteur ou l’autrice pour passer son message. Regardant de près, on constate qu’autour de ces mots et phrases se trouvent un contexte qu’on doit prendre en compte pour arriver au sens. Le fait que le sens est ce que l’auteur ou l’autrice veut délibérément passer à son public invite le traducteur ou la traductrice à mobiliser sa connaissance encyclopédique des domaines littéraire et traductionnel pour comprendre les signifiés des mots entourés par les autres.

Seleskovitch soutient, dès lors, l’idée que la compréhension en traduction littéraire s’opère dans le rapprochement du texte à son contexte. Si on sépare les deux, on court le risque de générer des contresens. En plus, il est évident que l’essentiel, dans n’importe quel type de traduction, est la maîtrise du message et sa réexpression fidèle par le traducteur-médiateur ou la traductrice-médiatrice. Il ou elle est toujours censé·e comprendre la typologie textuelle dans son contexte, surtout culturel, afin de rendre au public cible une traduction apte. Sachons que la compréhension des textes littéraires n’est pas facilement accessible par la simple correspondance des mots et phrases isolés. Au contraire, les textes littéraires en traduction suivent un processus qui exige l’oubli temporaire des éléments purement linguistiques pour trouver des équivalents appropriés dans les deux langues. Rappelons aussi que la littérature n’a jamais été une écriture statique, mais dynamique. Ce dynamisme se renforce en traduction littéraire au moment où le traducteur ou la traductrice commence à analyser le discours d’un auteur pour savoir qui dit quoi, à qui et à quelle fin. Suite à cette compréhension, on saisit pourquoi la relation entre le texte et son contexte favorise « l’interprétation du sens des énoncés, alors qu’une approche linguistique repose sur une perspective comparatiste des codes linguistiques » (Rangel de Sousa et Srpova, 2010, p. 318). Il faut dire que la traduction littéraire n’est pas un simple échange des codes linguistiques, mais un processus cognitif dans lequel le traducteur ou la traductrice déchiffre la signification du système linguistique pour avoir le sens exact du message.

En réalité, le traducteur ou la traductrice doit travailler sur le discours exprimé (texte) pour avoir accès à la pensée de l’auteur. Mais, il ou elle n’y parvient qu’en prenant en compte le contexte situationnel de la totalité du message. C’est pourquoi la compréhension en traduction littéraire ne se limite pas seulement à la connaissance des codes linguistiques. Elle va au-delà pour impliquer les codes extralinguistiques qui, dans la plupart, font partie du message littéraire. Il faut noter qu’on a plusieurs signifiants autour de chaque mot dans le système linguistique. Pour le texte littéraire, on doit toujours rechercher le signifié exact des mots entourés d’autres mots pour éviter les problèmes de polysémie. Selon la théorie interprétative que nous suivons dans ce travail, le traducteur ou la traductrice doit aller au-delà des mots isolés au niveau de la correspondance pour aborder l’usage dynamique (l’équivalence) de ces derniers dans des contextes situationnels et spécifiques.

Le lien entre l’analyse du discours, le texte et son contexte en traduction littéraire

En communication humaine, le discours est ce qui lie deux entités en interaction. Cela veut dire qu’on doit avoir un émetteur et un récepteur. L’analyse du discours fait partie des aspects fondamentaux de la théorie du sens. Elle a été proposée par Jean Delisle[1] (1980). Dans cette approche, le discours est abordé comme un acte de communication qui a deux axes. Le premier axe est oral et nécessite la présence d’au moins deux personnes (la personne qui s’exprime et la personne qui écoute). Le second, quant à lui, est le discours écrit qui implique une activité de production et une activité de réception. En fait, l’analyse du discours ne se limite pas seulement à la compréhension des éléments graphiques du texte. Par contre, elle focalise l’attention sur la situation de communication en interrogeant qui dit quoi, à qui et à quelle fin.

L’analyse du discours démontre la capacité de dépasser la notion ordinaire du texte comme on la connaît. Le texte s’explique tout simplement comme un ensemble linguistique qui est cohérent et a du sens. En même temps, le discours convoque la pragmatique situationnelle, ce qui inclut les notions de texte et de contexte. Si le texte est pris comme le produit de la communication, le discours représente le dynamisme de la production communicationnelle qui prend en compte le contexte textuel et rend facile la compréhension non seulement littéraire, selon notre étude, mais aussi des différents types de texte. Par exemple, si on dit en anglais It was raining cats and dogs outside, la compréhension n’est pas dans la correspondance qui est au niveau de la signification linguistique. Si on traduit cet énoncé par Il pleuvait des chats et des chiens dehors, ce sera un non-sens ou un contresens parce que les « cats » et « dogs » dans la phrase signifient l’intensité de la pluie et pas nécessairement leur signification au niveau des mots. En recherchant le sens à partir du contexte, la bonne traduction de cette phrase Il pleuvait des cordes. Dans cette traduction, on est allé au fond du signifié de chaque mot, appuyé du contexte, pour avoir la signification exacte de la phrase. C’est ce qu’exige, dans la plupart de cas, les textes littéraires.

Par ailleurs, l’analyse du discours se révèle pertinente dans l’explication de la théorie du sens. Elle présente explicitement le « contexte du texte » selon Delisle. Sa connaissance est importante dans les œuvres littéraires parce que celles-ci sont expressives et porteuses de sentiments. En traduction littéraire, cette analyse est la manifestation de la théorie dite du sens, elle aide la compréhension du texte en même temps qu’elle lie des équivalences contextuelles au vouloir dire de l’auteur. C’est le processus par lequel le traducteur ou la traductrice littéraire est initié·e au chemin traductionnel qui ne se limite pas à la simple connaissance des langues. Pour éviter les contresens, on exige du traducteur-médiateur ou de la traductrice-médiatrice d’équilibrer sa compétence du système linguistique et son exploitation du message littéraire dans le cadre de la communication. N’oublions pas que le système linguistique doit être compris à deux niveaux : la langue et la parole. Les deux s’expliquent du fait que la langue s’associe à la signification des mots qui n’ont pas de valeur en usage dynamique et la parole est ce qu’on comprend des mots en usage contextuel.

La notion du texte en traduction littéraire

Commençons à mettre l’accent sur la traduction comme une activité humaine complexe. À titre de rappel, la traduction consiste simplement à dire ce qui a été dit dans une langue de départ dans une autre langue dite d’arrivée. Dans le domaine littéraire, elle n’est pas si facile à aborder. C’est parce que la réalité des textes littéraires ne laisse jamais un simple mouvement des mots et phrases isolés d’une langue A vers une langue B. Au contraire, elle est une tâche qui exige un niveau élevé de cognition et de créativité de la part du traducteur ou de la traductrice. Il doit comprendre au fond les deux disciplines – la littérature et la traduction. C’est pourquoi comprendre le texte littéraire et son contexte dans le processus traductionnel est indispensable pour le traducteur ou la traductrice. En même temps, c’est cette compréhension qui l’oriente vers le but et la fonction du texte en rapport au vouloir dire de l’auteur ou de l’autrice. En général, l’auteur ou l’autrice du texte utilise son écriture pour passer son message au lectorat, ce que le traducteur-médiateur ou la traductrice doit saisir et retenir dans la phase de compréhension avant la réexpression dans la langue cible.

Le texte, en tant qu’expression créatrice de la pensée de l’auteur ou de l’autrice, est un ensemble linguistique qui doit avoir du sens. Cherchant à expliquer ce qui distingue un texte, on l’associe aux critères suivants : « cohesion, coherence, intentionality, acceptability, informativity, situationality and intertextuality » (Beaugrande, 1990, p. 58). Soutenant ce raisonnement, Tomaszkiewiez l’explique comme « a linguistic object of various length, that creates a semantic value » (Tomaszkiewiez, cité par Puchala, 2011, p. 358). Cela veut dire que le texte se distingue toujours par la valeur sémantique dont il dispose. C’est cette valeur qui le rend compréhensible.

Regardant de près la citation, on constate que ces critères donnent au texte sa capacité de communication. Dans le domaine littéraire, on le considère comme une séquence de phrases constituant un ensemble cohésif dès le départ jusqu’à la fin. La cohésion textuelle est ce qui connecte la compréhension aux éléments graphiques dans l’acte de communication. Dans la littérature, le texte (discours) joue un rôle important et cela nécessite une compréhension totale du message. Le texte s’explique par le fait que les mots et les phrases sont étroitement liés, provoquant des connotations spécifiques selon le contexte et la situation. C’est pourquoi il est souvent difficile de comprendre le message littéraire si on n’est pas initié·e à l’appréciation de ses critères et techniques. Relevant la pertinence de cette connaissance textuelle, Günay dit :

On a pu remarquer que, la compréhension du texte littéraire est difficile, il en reste que sa traduction portera encore ses difficultés probables. Avant tout, il nous faut expliquer ce que c’est la traduction pour cette activité culturelle et linguistique, il est possible de trouver des différents types de définition (sic !). […] L’auteur donne au lecteur-traducteur un énoncé accompli de différents points de vue, mais c’est le lecteur-traducteur, qui doit trouver un énoncé, en langue d’arrivée, équivalents dans différents points de vue. Du texte de la langue de départ, on peut emprunter les sentiments, les impressions, les perceptions, les sensibilités, les pensées, les images prêts… Mais il n’y a pas une règle, une restriction, que les équivalents de ces éléments se placent, se trouvent dans chaque langue (à la fois dans la langue de départ et dans la langue d’arrivée) (Günay, 2001, p. 8).

De cette citation, on comprend que le texte littéraire est chargé des nuances et des tournures qui portent des notions et des émotions que l’auteur ou l’autrice sentait au moment de la rédaction du message. Rappelons aussi que le texte littéraire est écrit selon deux systèmes (l’un est linguistique et l’autre littéraire) que le traducteur doit prendre en compte. Cela est plus évident quand on prend les trois genres à savoir la prose, la poésie et le drame. Chacun d’eux, selon sa fonction, a ses caractéristiques spécifiques. C’est pourquoi on ne considère pas seulement le texte littéraire du point de vue de sa capacité rédactionnelle et communicative, mais de son orientation vers le vouloir dire et la créativité de l’auteur ou de l’autrice. En lisant un texte littéraire, on constate qu’une connaissance au-delà de l’usage simple des mots et des phrases isolés est nécessaire pour arriver au sens du message. Parlant même de la lecture littéraire, on trouve qu’on a besoin d’un décodage des éléments purement linguistiques pour en tirer du sens. Par rapport à ce sujet, un des partisans de cette approche dit : « s’agissant du terme lecture, il a le sens courant; le déchiffrement de signes et la compréhension de l’ensemble fond-forme qu’ils constituent, dans un contexte » (Chevrel, 2006, p. 6). Il nous fait savoir pourquoi lire un texte littéraire exige un dynamisme créateur et stylistique. La lecture aide également à préparer la cognition du traducteur ou de la traductrice à atteindre l’essentiel des nuances associées au vouloir dire de l’auteur du message.

Rappelons que le traducteur ou la traductrice doit faire l’effort de se mettre dans l’état d’esprit de l’auteur ou de l’autrice afin qu’il ou elle soit dans le même état d’esprit. Certes, si le traducteur ou la traductrice n’arrive pas à saisir le message du texte dans le cadre de sa typologie, il pourrait ne pas réussir à rendre le sens. Par conséquent, il ou elle doit se mettre dans l’état créateur pour pouvoir reproduire les mêmes effets créés par le texte de départ dans le texte d’arrivée. Il ou elle doit le faire d’une manière naturelle qui ne posera pas de difficultés de compréhension au public visé. Il ou elle devra aussi le reproduire d’une manière créatrice sans se limiter aux signifiants des mots comme correspondances, mais aux signifiés comme équivalences dans des situations contextuelles. La raison est simple. Si le traducteur ou la traductrice ne comprend pas le texte littéraire et son contexte qui lui ouvre au sens, il ou elle risque de reproduire un texte qui peut être grammaticalement et sémantiquement correct, mais contraire de l’original. Par exemple, si la phrase He kicked the bucket est traduite hors contexte, on aura le rendu Il a donné un coup de pied au seau. Mais, en considérant qu’elle soit produite dans un contexte littéraire, elle l’associera à la mort en soulignant qu’il s’agit d’un euphémisme. La bonne traduction sera alors Il a cassé sa pipe. Voyons donc pourquoi on insiste qu’il faille comprendre le contexte du texte dans le domaine de la traduction littéraire. Si on regarde de près la traduction, on constatera que c’est la langue en usage (la parole) qui a fait apparaître le sens courant de ces mots par le biais de l’examen des signes linguistiques.

La traduction littéraire et la connaissance du contexte

Dans l’introduction de son article intitulé « Text and context in translation », House (2006) explique l’importance du lien entre le texte et son contexte en traduction littéraire en vue d’obtenir de bonnes traductions. Elle dit : « while research on texts as units larger than sentences has a rich tradition in translation studies, the notion of context, its relation to text and the role it plays in translation has received much less attention » (House, 2006, p. 338). En général, la pratique de la traduction littéraire est courante et importante parce que « the new emphasis is on the context and not the text » selon (Hung, 2005, p. viii). Le contexte inclut toute information qui aide à aborder le message du texte. Pour avoir cette information, on exploite la motivation et l’orientation du processus de la création littéraire. Comme soutien, on est d’accord avec Grégoire et Mathios qui affirment :

Aborder les contextes en traduction semble créer un écart entre le texte à traduire et le texte traduit, et donc s’éloigner des questions traductologiques propres à la langue et au texte. Or, la prise en compte des contextes ne peut-elle être considérée au contraire comme une approche efficiente de la traduction, visant à en expliquer le processus (Grégoire et Mathios, 2019, p. i).

Selon Grégoire et Mathios, le contexte littéraire est l’écart qu’on doit combler afin d’arriver à l’essentiel du message de l’auteur ou de l’autrice. Comme il a été signalé en amont, la négligence du contexte littéraire est susceptible de générer des contresens. Dans le sillage de l’importance du contexte situationnel du message, Parks considère la compréhension du texte littéraire comme le fait d’aller au-delà de l’usage normal dans le système linguistique. Au sujet de l’expérience de l’initié·e en traduction littéraire, il dit :

Experience tells us that it is literature that usually assumes the right to deviate from more ordinary ways of saying things, to draw attention to itself as language. True, its deviations often atrophy into the conventions of a recognisable poetic style, but it is the characteristic of the most dynamic literature to deviate even from these (Parks, 2007, p. 15).

Parks pense que le domaine littéraire fait référence aux événements qui l’entourent et l’inspirent. Le contexte littéraire s’ouvre non seulement à l’esthétique littéraire, mais aussi à la stylistique en tant que discipline linguistique. Par exemple, si on dit John is a lion and he lives in the jungle, on remarque qu’on ne peut pas comprendre la phrase en disant que John est devenu un lion qui vit dans une jungle. Le vrai sens de cet énoncé, antérieur au sujet parlant, devient clair quand on sait que l’auteur·e a utilisé une technique littéraire pour donner à John l’attribue du lion et de son lieu de résidence. En réalité, cette figure de style opère par un transfert de sens. Par conséquent, l’énoncé nous laisse rechercher deux contextes, l’un extérieur au niveau de la correspondance des mots et l’autre intérieur au niveau du sens. Le premier considère les éléments linguistiques de l’énoncé et le second prend en compte l’énoncé en tant qu’entité complète et les aspects associatifs qui le mettent dans un contexte faisant appel à la réflexion. Notre traduction de la phrase est, de ce fait, Jean est sauvage et vit dans un lieu primitif. Cette traduction trouve justification dans le comportement de Jean symbolisé par la sauvagerie et le fait qu’il vit dans un lieu brut. Elle est réalisée grâce au fait que nous connaissons le contexte dans lequel le discours est prononcé. La connaissance des contextes extérieur et intérieur d’un texte littéraire aide le traducteur ou la traductrice dans le processus de restitution du sens dans la langue d’arrivée.

Analyse d’un extrait littéraire

Pour approfondir l’explication sur la relation étroite entre texte et contexte en traduction, on note qu’un texte littéraire représente un ensemble de phrases connectées traduisant la pensée de l’auteur·e. Le contexte, comme on l’a déjà dit, facilite la compréhension littéraire. Prenant l’exemple de l’extrait « Night Drive » de Rubem Fonseca, tiré du livre Literary translation: a practical guide (Landers, 2001, p. 10), nous allons montrer comment saisir le sens du message, dans le sillage de la théorie du sens dite interprétative, à l’aide du contexte de l’extrait.

I arrived home with my briefcase bulging with papers, reports, studies, research, proposals, contracts. My wife, who was playing solitaire in bed, a glass of whiskey on the nightstand, said without looking up from the cards, “you are tired”. The usual house sounds: my daughter in her room practicing voice modulation, quadraphonic music from my son’s room. “Why don’t you put down that suitcase?” my wife asked “Take off those cloths, have a nice glass of whiskey, you’ve got to learn to relax” (Landers, 2001, p. 10).

J’arrivai chez moi, ma valise remplie de papiers, de rapports, d’écrits, de recherches, de propositions et de contrats. Ma femme, qui jouait au solitaire au lit, un verre de whisky sur la table de chevet, sans lever les yeux des cartes, dit : « Tu es fatigué. » À l’intérieur de la maison, les bruits habituels; dans sa chambre, ma fille s’exerçait à la modulation vocale; dans sa chambre, mon fils jouait à la musique quadriphonique. « Pourquoi ne déposes-tu pas cette valise? », demanda ma femme. « Enlève tes habits, prends un verre de bon whisky. Tu dois apprendre à te détendre », ajouta-t-elle (notre traduction).

Si on regarde de près l’extrait de Rubem Fonseca, on constate que l’on comprend beaucoup du contexte situationnel que des mots du système linguistique. D’abord, il se dégage du texte que le monsieur est quelqu’un qui travaille beaucoup et n’a, par conséquent, pas assez de temps pour sa famille. C’est pour cette raison que sa femme lui dit qu’il doit apprendre à se détendre. Cette interprétation est issue aussi bien de la compréhension extérieure qu’intérieure et de la connaissance extralinguistique. Quand l’auteur dit with my briefcase bulging with…, il fait usage référentiel du mot bulging pour indiquer le poids de cette valise. En utilisant le mot bulging qui peut se remplacer par la correspondance en français renflement ou gonflement, au lieu de remplir que nous avons utilisé dans la traduction, l’auteur voulait nuancer cette expression et passer délibérément le message de la lourdeur de la valise que le monsieur portait. La valise symbolise aussi le trop de travail qu’il fait, selon le texte.

Par ailleurs, quand l’auteur décrit ce que sa femme était en train de faire (without looking up from the cards) et fait dire à celle-ci you are tired, l’intention de l’auteur était de présenter la situation actuelle au foyer du monsieur et la réaction de sa femme et ses enfants. L’attitude de la femme exprime le fait qu’elle ne savait plus quoi faire parce que son mari travaille trop et a peu de temps pour la famille. Le fait qu’elle n’a pas regardé le monsieur, en parlant, veut dire qu’elle est habituée à cela. Et la suite des actions (my daughter in her room practicing voice modulation; quadrophonic music from my son’s room) montre que le monsieur est dans un monde différent, même dans son foyer puisque les activités lui semblent lointaines. Son manque de temps explique la question posée par sa femme why don’t you put down that briefcase? et le segment Take off those cloths, have a nice glass of whiskey, you’ve got to learn to relax. Toutes ces informations sont prises aussi bien du contexte externe, hors de la signification linguistique, que du contexte interne de cet extrait du texte. Les contextes interne et externe aident le traducteur ou la traductrice littéraire à aborder et à s’approprier le vouloir dire de l’auteur. La traduction de cet extrait a donc pris en compte le contexte pour restituer l’esprit du message ainsi que le fond. En traduction littéraire, le texte et son contexte peuvent envisager des réalités distinctes selon l’intention de l’auteur. Pour Jean Delisle, les deux sont indissociables. Le contexte d’un texte littéraire est le noyau qui guide le traducteur ou la traductrice à établir la compréhension des éléments linguistiques et extralinguistiques.

Conclusion

Tout au long de ce texte, nous avons examiné l’importance de la connaissance du texte et de son contexte en traduction littéraire comme moyen de faciliter la recherche de la compréhension. Comme le préconise la théorie du sens, comprendre le texte en soi ne suffit pas pour aborder la compréhension totale en traduction littéraire. En revanche, on constate que la combinaison du texte et du contexte permet la compréhension et la restitution du sens. Dans ce travail, la théorie interprétative dite du sens a renforcé les explications de l’analyse du discours. Nous avons montré que le texte littéraire donne une valeur contextuelle aux signes linguistiques. Il importe alors au traducteur ou à la traductrice de rechercher et de restituer ce sens.

Références

Beaugrande, Dressler. 1990. W.U. Wstçp do lingwistyki tekstii. Warszawa: PWN.

Chevrel, Yves. 2006. La lecture des œuvres littéraires en traduction : quelques propositions. L’Information littéraire, 58(1), 50-57.

Delisle, Jean. 1980. L’Analyse du discours comme méthode de traduction : initiation à la traduction française des textes pragmatiques anglais, théorie et pratiques. Ottawa : Edition de l’Université d’Ottawa.

Grégoire, Michael et Mathios, Bénédicte. 2019. Traductions et Contextes, Contextes de la traduction. Paris : L’Harmattan.

Günay, Dogan. 2001. Le traducteur, un co-auteur. Le Français dans le Monde, 314. En ligne : https://www.fdlm.org/article/314/gunay.php

House, Julianna. 2006. Text and Context in Translation. Journal of Pragmatics, 38(3), 338-358.

Hung, Eva (dir.). 2005. Translation and cultural change: Studies in history, norms and image- projection. Amsterdam: John Benjamins.

Landers, Clifford. 2001. Literary translation: A practical Guide. Clevedon: Multilingual Matters Ltd.

Lederer, Marianne. 1994. La Traduction aujourd’hui : le modèle interprétatif. Paris : Hachette.

Parks, Tim. 2007. A literary Approach to Translation – A Translation Approach to Literature. London: Routledge.

Puchala, Karolina. 2011. Text typology and its significance in translation. Studia Anglica Resviensia, 69(8), 357-365.

Rangel de Sousa, Aida Carla et Srpova, Milena. 2010. Théorie interprétative de la traduction et les variations culturelles: une étude comparative – un film brésilien en France, un film français au Brésil. Dans L. Scliar-Cabral (dir.), Psycholinguistics: Scientific and Technological Changes, Selected Papers: 8th International Congress of International Society of Applied Psycholinguistics, Porto Alegre, PUCRS. URL : https://www.yumpu.com



  1. Delisle est l’un précurseurs de la théorie interprétative vulgarisée par les théoriciens et théoriciennes de l’ESIT de Paris.

Pour citer cet article

Awa, Samuel Onyemaechi Orji et Chimuanya, Ngele. 2021. Texte et contexte à la recherche de la compréhension en traduction littéraire. TAFSIRI. Revue panafricaine de traduction et d'interprétation, 1(1), en ligne. DOI : 10.46711/tafsiri.2021.1.1.7

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